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Bulletin du Cancer

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Cancer prostatique : un automne explosif Volume 93, issue 1, Janvier 2006

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Auteur(s) : Jean Bénard

Le cancer le plus fréquent chez l’homme, le cancer de la prostate, vient de faire l’objet de communications importantes, aussi bien sur son oncogenèse [1], son traitement [2] que sur sa prévention [3].

Oncogenèse

La découverte majeure tient dans l’existence d’une fusion génique dans ce cancer épithélial. Pour le cytogénéticien, les réarrangements chromosomiques récurrents qui conduisent à des fusions de gènes, sont, rappelons-le, l’apanage des hémopathies et des sarcomes avec pour paradigme Bcr-Abl dans les leucémies myéloïdes chroniques, à la fois outil diagnostique et cible thérapeutique du Glivec® [4]. En revanche, lorsqu’il examine les carcinomes, le cytogénéticien y voit de nombreux réarrangements chromosomiques non spécifiques, conséquences d’événements secondaires acquis lors de la progression tumorale ; mais il n’observe un réarrangement récurrent, c’est-à-dire une événement oncogénique primaire potentiel, que très rarement.
L’équipe de Chinnaiyan à Ann Arbor (Michigan) vient de découvrir dans les cancers de la prostate des réarrangements chromosomiques conduisant à la surexpression des oncogènes ERG et/ou ETV1, deux facteurs de transcription EST connus pour être impliqués dans le sarcome d’Ewing et la leucémie myéloïde aiguë. Cette découverte [1] s’est faite grâce à une nouvelle approche bioinformatique (cancer outlier profile analysis) permettant de révéler des aberrations chromosomiques à partir des surexpressions géniques, à l’issue d’analyses du transcriptome par puce. En fait, c’est le gène TMPRSS2 (transmembrane protease serine 2), exprimé dans l’épithélium prostatique, qui fusionne dans sa partie non traduite avec ERG et/ou ETV1. À partir de trois séries de puces analysant 167 tissus tumoraux de cancer de la prostate, 95 (soit 57 %) présentent une surexpression d’ERG ou d’ETV1, alors qu’aucun des tissus tumoraux bénins de la prostate n’est surexprimé. Analysés dans des lignées établies de cancer de la prostate, les motifs consensus du promoteur de TMPRSS2, sensibles aux androgènes, seraient à l’origine de l’hyperexpression des gènes ERG et/ou ETV1. Appliquée à 29 tissus de cancer de la prostate, la technique de FISH (hybridation in situ fluorescente) met en évidence des réarrangements d’ERG ou d’ETV1 dans 23 cas, soit 80 % des cas. Cette découverte permet d’envisager pour le cancer prostatique un test diagnostique et la recherche de cibles thérapeutiques. Il se peut que le gène TMPRSS2 fusionne avec d’autres membres de la famille EST ; dans ce cas, serait-il utile d’identifier l’ensemble des fusions possibles pour mettre au point un test de détection fiable ? Une découverte qui pourrait inciter à rechercher une ou des fusions géniques dans d’autres types de carcinomes.

Chimioprévention et traitement

Compte tenu de l’effet protecteur avéré de la vitamine E vis-à-vis du cancer de la prostate [5], le rôle de la protéine associée à l’α-tocophérol (alpha tocopherol associated protein) a été étudiée par l’équipe de Yeh à Rochester (NY) [2]. C’est bien cette protéine qui permet à la vitamine E de pénétrer dans les cellules de cancer de prostate pour y exercer son effet antiprolifératif. Fait premier, in vivo chez l’homme, les niveaux d’α-tocophérol sont très inférieurs dans les cancers de la prostate comparés à ceux de l’épithélium prostatique sain. In vitro sur des lignées humaines de cancer de la prostate (LNCaP, PC3, DU145 et RW PE1), en l’absence de vitamine E, la surexpression d’α-tocophérol ralentit la croissance cellulaire et même l’arrête, alors que l’abrogation de l’expression d’á-tocophérol endogène (par siARN) dans des cellules prostatiques non malignes l’augmente de manière significative. La dissection moléculaire de l’action suppressive de tumeur d’α-tocophérol révèle qu’elle régule négativement la signalisation phosphoinositide 3-kinase (PI3K)/Akt sans avoir une action sur les mécanismes de l’arrêt du cycle cellulaire ou celui du signal déclenché par le récepteur aux androgènes. Rappelons que la voie de signalisation PI3K/Akt représente la voie de survie majeure des cellules de cancer de la prostate et joue aussi un rôle physiologique important pour la croissance cellulaire, la régulation du cycle, voire la migration. Clairement, des expériences d’immunoprécipitation montrent que l’α-tocophérol inhibe l’interaction des sous-unités p110 avec p85, ce qui conduit à une perte d’Akt. A contrario, une Akt activée de manière constitutive peut annuler l’action suppressive d’α-tocophérol sur la croissance de cellules de cancer de la prostate. Quant à la transfection stable d’α-tocophérol dans ces mêmes cellules, elle supprime leur tumorigénicité chez la souris nude. Ainsi, bien que l’α-tocophérol soit nécessaire à l’entrée de la vitamine E dans la cellule de cancer de prostate, la vitamine et la protéine « introductrice » utilisent-elles des voies de signalisation distinctes pour moduler la croissance du cancer.
Au plan appliqué, l’α-tocophérol pourrait-elle constituer un nouveau marqueur pronostique ? À suivre…
L’équipe de Mukhtar à Madison (Wisconsin) démontre les propriétés antiprolifératives et inductrices d’apoptose de la grenade, ou pomegranate en anglais [3]. Ce fruit du grenadier (punica granatum) contient dans ses graines des polyphénols aux pouvoirs anti-oxydant et anti-inflammatoire. In vitro, l’incubation de cellules de cancer de la prostate (PC3) pendant 48 h à des doses de 10 à 100 μg/ml conduit à l’hyperexpression de Bax et Bak, protéines apoptotiques, à l’hypoexpression de Bcl-XL et Bcl2, protéines anti-apoptotiques, à l’induction des inhibiteurs du cycle cellulaire p21 WAF1 et p27 Kip1, ainsi qu’à une diminution des cyclines (D1, D2, E) et des kinases dépendantes des cyclines (Cdk2, 4). Chez des souris nude porteuses de la lignée prostatique sensible aux androgènes CWR22Rnu1, traitées par des doses de 0,1 et 0,2 (poids/volume) d’extrait de grenade dilué dans leur boisson, les chercheurs observent une réduction significative du volume tumoral, une chute du taux sérique de PSA (prostatic specific antigen) et une survie accrue des souris, et ce de manière proportionnelle à la dose.
L’extrait de grenade prévient donc le cancer de la prostate. Mais, si le cancer de la prostate n’est pas établi, cet extrait pourrait aussi le prévenir, avec, en prime, une très vraisemblable innocuité. Après la pomme, le thé vert et le raisin sources de polyphénols aux vertus anti-oxydantes avérées chez le fumeur la grenade apparaît comme une arme supplémentaire de prévention du cancer par les plantes.

Références

1. Tomlins SA et al. Recurrent fusion TMPRSSE and ETS transcription factor genes in prostate cancer. Science 2005 ; 310 : 644-68.

2. Ni J et al. Tocopherol-associated protein suppresses prostate cancer cell growth by inhibition of the phosphoinositide3-kinase pathway. Cancer Res 2005 ; 65 : 9807-16.

3. Malik A. et al. Pomegranate fruit juice for chemoprevention and chemotherapy of prostate cancer. Proc Natl Acad Sci 2005 ; 102 : 14813-8.

4. Turhan AG. Leucémie myéloïde chronique : progrès récents en biologie et en stratégie thérapeutique. Bull Cancer 2005 ; 92 : 75-82.

5. The α-tocopherol, β-carotene Cancer Prevention Group. The effect of vitamin E and β carotene on the incidence of lung cancer and others cancers in male smokers. N Engl J Med 1994 ; 330 : 1029-35.