JLE

Environnement, Risques & Santé

MENU

Respiratory health of dust-exposed cement carriers in Haut-Katanga province, D.R. Congo Volume 18, issue 6, November-December 2019

Le ciment est parmi les plus importants matériaux de construction dans le monde [1], notamment en République démocratique du Congo (RDC) [2]. La poussière du ciment irrite la peau, les muqueuses des yeux et le système respiratoire. Une fois déposée dans le système respiratoire, elle provoque une réaction basique conduisant à une augmentation du pH avec comme conséquence une irritation des muqueuses des membranes [3-6]. Plusieurs auteurs [5-9] ont révélé une association entre l’exposition aux poussières de ciment, l’altération chronique de la fonction respiratoire et la présence de symptômes respiratoires. Les poussières de ciment sont des particules comprises entre 0,05 et 5,0 μm. Ces diamètres aérodynamiques sont respirables et font de la poussière de ciment une cause potentielle de maladies professionnelles [10]. Selon un rapport de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), 92 % de la population mondiale respire un air extérieur pollué [11]. En 2012, il y a eu approximativement 6,5 millions de décès (soit 11,6 % des décès dans le monde) associés à la pollution de l’air extérieur et à la pollution de l’air intérieur [11]. En outre, en 2018, lors de la première conférence mondiale de l’OMS sur la santé et la pollution de l’air, cette dernière a encore révélé que la pollution de l’air a été responsable de 7 millions de décès prématurés en 2016 dont 600 000 décès concernaient les enfants âgés de moins de 5 ans [12]. Dans la province du Katanga en RDC, il n’existe pas des cimenteries privées ou étatiques fonctionnelles. Les milliers de sacs de ciment utilisés dans la province du Katanga proviennent des pays voisins par le biais de moyens de transport non sécurisants. Dans la société katangaise, les sacs de ciment sont transportés sur les épaules ou sur la tête. Durant le processus de chargement et de déchargement des sacs dans les camions ou dans les dépôts, il se dégage de grandes quantités de poussière. Les transporteurs sont obligés de continuer à travailler dans cet environnement pollué sans matériels de protection individuelle. À notre connaissance, il n’y a pas encore eu d’études épidémiologiques concernant la santé respiratoire des transporteurs du ciment en RDC, moins encore dans la province du Haut-Katanga. Notre hypothèse d’étude est que les sujets exposés aux poussières de ciment auraient développé plus de symptômes respiratoires ainsi qu’une altération de la fonction respiratoire par rapport au groupe de travailleurs non exposés. Ainsi, l’objectif de ce travail est de déterminer la prévalence des symptômes respiratoires et d’évaluer la fonction respiratoire des transporteurs du ciment du Haut-Katanga.

Matériels et méthodes

Type, site et population d’étude

Il s’agit d’une étude transversale à visée analytique qui a été menée dans la ville de Lubumbashi, province du Haut-Katanga, en RDC. Cette étude a été réalisée sur une période de trois mois, du 1er mai au 31 juillet 2016. La population d’étude était composée de transporteurs de ciment (groupe exposé) et d’agents des bureaux de l’administration publique (groupe contrôle) travaillant dans la même commune. Ces agents des bureaux de l’administration publique sont chargés de contrôler et parfois de collecter les taxes journalières et mensuelles de la commune de Lubumbashi.

Au total, 282 transporteurs de ciment et 288 personnes non exposées, ayant plus d’une année d’ancienneté et travaillant dans la commune de Lubumbashi tous les jours impairs de la semaine, ont été recrutés sur base des listes fournies par leurs chefs de service ou chefs de différents dépôts. Chaque travailleur a reçu une fiche d’enquête anonyme sur laquelle paraissait son numéro d’enregistrement sur la liste ; la même fiche a servi à consigner les données recueillies à l’examen clinique. Le recrutement et les examens médicaux ont été faits sur les lieux de travail. Vingt-cinq grands dépôts de ciment ont été identifiés durant l’enquête dont 15 ont été opérationnels durant toute la période de notre étude. Les travailleurs ayant moins d’une année d’ancienneté, inclus dans une autre étude ou ayant refusé de remplir le formulaire pour le consentement éclairé, ont été exclus, soit un total de 68 dont 40 transporteurs de ciment et 28 personnes contrôles. Par ailleurs, 83 transporteurs ont accepté de faire le test de spirométrie ; 70 ont été retenus. Les autres transporteurs ont été découragés par la manœuvre. Chez les témoins, 90 sujets ont fait le test et 78 ont été retenus sur la base des critères d’acceptabilité.

Examen médical et exploration fonctionnelle respiratoire

Dans cette étude, l’examen médical des enquêtés a été réalisé par deux médecins (enquêteurs) ayant reçu une formation au préalable. Il a consisté en une anamnèse professionnelle, un examen physique comprenant les mesures du poids et de la taille, la prise de la tension artérielle et l’auscultation pulmonaire.

Une auscultation anormale a été définie par la présence de râles (sibilants, crépitants et sous-crépitants, etc.) chez les travailleurs. Les données respiratoires et certaines informations ont été recueillies par le biais d’un questionnaire de l’Union internationale de lutte contre la tuberculose et les maladies respiratoires [13], ainsi que du questionnaire sur la rhinite allergique [14]. Le débit expiratoire de pointe de chaque sujet a été mesuré à l’aide d’un appareil portable : le Wright Mini-Peak Flow Meter (Airmed ; Clement Clarke International, Londres). Après un temps de repos, le sujet devait prendre une profonde inspiration et expirer fortement d’un seul coup dans l’appareil. Durant l’expiration forcée dans l’instrument, le nez était fermé à l’aide d’un pince-nez. Chaque sujet a eu trois essais successifs, et le meilleur des trois essais était retenu comme meilleur débit expiratoire de pointe (DEP). La spirométrie a été effectuée en plein air à l’aide d’un appareil portable, « Easy One » ne nécessitant pas une calibration. Chaque sujet a eu au moins trois essais successifs, et le meilleur résultat était retenu en tenant comptant des exigences du protocole de l’American Thoracic Society (ATS)/European Respiratory Society (ERS) 2005. Les paramètres suivants ont été mesurés : la capacité vitale forcée (CVF), le volume expiratoire maximum en une seconde (VEMS), le rapport de Tiffeneau (VEMS/CVF) et le DEP.

Description brève du poste de travail des transporteurs de ciment

Les transporteurs de ciment travaillent tous les jours ouvrables (5,5 jours/semaine). Ils travaillent au taux d’activité de 100 % avec des horaires allant de 7-18 heures (soit des semaines entre 60 et 70 heures de travail). Ils ont comme tâche le déchargement des sacs de ciment des camions vers le dépôt et des dépôts vers l’extérieur pour servir le client. Ce sont des sacs de ciment de 50 kg. Ils se servent de leur corps pour décharger et entreposer les sacs au fil des journées (avec leurs mains, sur leurs épaules et sur leur tête). Durant ce processus, il se dégage une grande quantité de poussières dans les dépôts à cause de mouvements d’entreposage et de livraison. Ils se reposent quand ils finissent de décharger les sacs ou lorsqu’il n’y a pas de client à servir ; ce sont des petites pauses (20 minutes-1 heure) qui peuvent être prises plusieurs fois par jour. Les quantités élevées de poussières se retrouvent souvent dans les dépôts car ces derniers n’ont pas de fenêtres ni de système de ventilation adéquat.

Les poussières PM2,5 et les composés organiques volatils (COV) sur les sites de travail et dans les bureaux (pour le groupe contrôle) ont été évaluées à l’aide de l’appareil Bramc Air Quality Monitor BR-AIR-329 (Shandong, China). Trois mesures ont été effectuées dans les différents sites avec un intervalle de 30 minutes.

Analyses statistiques

Le logiciel SPSS 21.0 (SPSS Inc., Chicago, IL, États-Unis) a permis l’encodage et l’analyse des données. Les variables continues ont été présentées sous forme de moyennes et le test « t » de Student a été utilisé pour comparer les moyennes. Le test du Chi carré a été utilisé pour comparer les proportions observées. En outre, pour déterminer l’association entre les caractéristiques des manutentionnaires de ciment et les manifestations respiratoires rapportées, une analyse multivariée avec régression logistique a été effectuée. Le seuil de signification choisi a été fixé à p < 0,05.

Résultats

Condition de travail, concentration des poussières PM2,5 et COV

La mesure des poussières a révélé des concentrations moyennes de PM2,5 de l’ordre de 215 μg/m3 (limite : 190-240 μg/m3) dans les dépôts de ciment et de 33 μg/m3 (limite : 19-45 μg/m3) dans les sites contrôles, tandis que celles des COV étaient respectivement de 2,3 μg/m3 (limite : 1,6-2,8 μg/m3) dans les dépôts de ciment et de 0,7 μg/m3 (limite : 0,5-0,9 μg/m3) dans les sites contrôles. Toutes ces différences étaient statistiquement significatives (p < 0,05).

Caractéristiques anthropométriques, cliniques et sociodémographiques des participants

Les transporteurs de ciment et les personnes contrôles avaient le même âge, mais une différence avait été notée concernant l’ancienneté, la durée du travail, la consommation d’alcool et de tabac ainsi que le port de cache-nez. À propos des paramètres cliniques, l’indice de masse corporelle (IMC) moyen des transporteurs de ciment était inférieur à celui du groupe contrôle, soit 22,39  ±  2,89 contre 23,13  ±  3,34 (p = 0,05), tandis que la pression artérielle diastolique (PAD) moyenne des transporteurs de ciment était significativement supérieure à celle du groupe contrôle, soit 75,67  ±  10,17 mmHg contre 71,30  ±  11,52 mmHg (p < 0,01).

De même, 20,9 % des transporteurs avaient une auscultation pulmonaire anormale contre aucun des témoins ; la différence était très significative (p < 0,001). Une proportion élevée (90,1 %) des manutentionnaires de ciment ne portaient pas de cache-nez. Chez les transporteurs de ciment, le VEMS, la CVF et le rapport de Tiffeneau n’étaient pas significativement différents de ceux du groupe contrôle (p < 0,05). Par ailleurs, le DEP moyen des transporteurs de ciment était très significativement inférieur à celui des contrôles (445,10  ±  88,97 l/min contre 482,27  ±   63,21 l/min ; p < 0,001) (tableau 1).

Prévalence des symptômes respiratoires et facteurs associés chez les transporteurs de ciment

Les transporteurs de ciment ont présenté une prévalence de symptômes respiratoires et de pathologies respiratoires supérieure au groupe contrôle avec une différence significative : sifflements (18,1 % contre 8 % ; p < 0,001), essoufflement après effort (32,6 % contre 12,8 % ; p < 0,001), toux sèche le soir (30,5 % contre 14,2 % ; p < 0,001), toux le matin (51,1 % contre 14,9 % ; p < 0,001), crachats le matin (44 % contre 11,1 % ; p < 0,001), rhinite (80,1 % contre 18,4 % ; p < 0,001) et bronchite chronique (3,9 % contre 0,7 % ; p = 0,01). Par ailleurs, la prévalence de l’asthme n’a pas été significativement différente entre les deux groupes (p > 0,05) (tableau 2). L’analyse multivariée avec ajustement sur l’âge et le tabac a montré que les transporteurs de ciment avaient un risque élevé de présenter des symptômes respiratoires par rapport aux personnes contrôles (p < 0,05) sauf pour la bronchique chronique (tableau 3). En outre, l’analyse multivarié a également révélé que les transporteurs de ciment avaient, par rapport aux agents administratifs, un risque élevé d’avoir une diminution du DEP (OR [odds ratio] = 7,61) (tableau 4). Enfin, une corrélation positive a été trouvée entre le DEP et l’ancienneté (p < 0,001) et entre le DEP et le tabac (p < 0,001).

Discussion

Cette étude est probablement la première à décrire l’état de santé respiratoire des transporteurs de ciment en Afrique. Elle révèle une prévalence élevée de consommation d’alcool (83,3 %) et de tabac (59,9 %) chez les transporteurs par rapport au groupe contrôle. Ce phénomène est fréquent chez les travailleurs exerçant leurs activités dans un contexte de précarité des conditions de travail. Ces travailleurs se livrent à une forte consommation d’alcool et de tabac afin d’oublier leurs mauvaises conditions de travail. Cette observation a également été faite au cours des études menées au Katanga [15] et à Kinshasa [16]. La manutention des sacs de ciment dans les dépôts de stockage engendre de grandes quantités de poussières nuisibles pour la santé humaine. Cette étude révèle des concentrations élevées de PM2,5 et de COV dans cet environnement de travail dépassant de loin les valeurs recommandées par l’OMS (25 μg/m3 moyenne sur 24 heures) [17], et par le Congrès national américain d’hygiénistes industriels (ACGIH) (0,05 mg/m3 moyenne journalière) [18].

Seuls 9,9 % des sujets ont utilisé des masques non adéquats contre les poussières dans notre étude, et ceci n’a pas réduit l’exposition aux poussières. Ce constat est similaire aux conditions de travail retrouvées dans les cimenteries du Nigeria, où aucune mesure de protection n’a été utilisée chez les travailleurs [19]. Certains auteurs dans le monde ont également observé des concentrations élevées de poussières dans les cimenteries [7, 20-22]. En outre, le manque d’utilisation de matériels de protection et le non-respect des mesures d’hygiène par ces transporteurs de ciment pourraient être liés à leur bas niveau d’éducation. Cependant, il est important de savoir que dans un secteur informel, la responsabilité des travailleurs ne repose pas sur ceux qui les emploient. Par ailleurs, la réglementation et l’inspection du travail qui sont censées réduire les expositions les plus délétères, ne sont pas d’application dans ce secteur.

Ce constat est conforme aux observations faites par certains auteurs [23, 24] dans les catégories professionnelles avec exposition aux poussières et dans lesquelles la plupart des travailleurs du secteur minier artisanal n’avaient pas d’éducation et avait un niveau socio-économique bas. Cette étude a trouvé une prévalence élevée de symptômes respiratoires, notamment les sifflements (18,1 %), l’essoufflement après effort (32,5 %), la toux le soir (30,5 %), la toux le matin (51,1 %), les crachats (44 %), la bronchite chronique (3,9 %), la rhinite (80,1 %) et l’asthme (2,8 %) chez les transporteurs de ciment, avec une réduction significative du DEP et un taux élevé d’anomalie respiratoire à l’auscultation pulmonaire (20,9 %). Nos résultats sont supérieurs à ceux trouvés par Eshan et al. en Iran [25], Al-Neaimi et al. aux Émirats arabes unis [26], mais comparable à d’autres [27, 28]. Notre étude montre une prévalence de l’asthme de 2,8 % et de la bronchite chronique de 3,9 % chez les transporteurs de ciment. Ces taux sont inférieurs à ceux trouvés par Laraqui dans une cimenterie au Maroc (14,3 % et 29,3 %) [29]. En outre, cette enquête a montré une prévalence de rhinite de 80 % chez les transporteurs de ciment, dépassant de loin celles rapportées par Laraqui et al. (49 %) [29] et Ngombe et al. (70,35 %) [30] chez les mineurs de Coltan. Ces résultats révèlent le rôle des poussières de ciment dans la genèse des morbidités respiratoires et particulièrement de la rhinite.

Par ailleurs, la littérature révèle que la rhinite augmenterait le risque d’asthme chez les sujets adultes [31]. Toutefois, dans notre enquête, il nous est difficile de déterminer quelle manifestation respiratoire serait apparue en première position. Selon la littérature, les COV jouent un rôle dans la détérioration des voies respiratoires, tandis que les fortes concentrations de particules fines sont responsables d’altérations de l’état de santé des sujets exposés aux poussières environnementales [32, 33].

Ainsi, les concentrations hautes de COV et PM2,5 ont probablement contribué aux prévalences élevées de symptômes respiratoires des transporteurs de ciment. Certains types de poussières peuvent entraîner l’hypertrophie de cellules muqueuses suite à l’irritation des voies aériennes par des poussières, avec comme conséquences une augmentation de la sécrétion du mucus, une formation de bouchon muqueux et l’obstruction à l’air expiré [2, 34]. Ceci pourrait aussi expliquer la diminution du DEP chez les transporteurs. En outre, une corrélation a été observée entre le DEP et l’ancienneté des transporteurs du ciment. Ceci suggère que l’exposition aux poussières de ciment chez les transporteurs pourrait être un problème de santé publique dans la province du Katanga.

Concernant la fonction respiratoire des transporteurs de ciment, l’étude n’a pas trouvé de différences significatives des paramètres spirométriques (CVF, VEMS et rapport de Tiffeneau des sujets exposés par rapport aux personnes contrôles). En effet, un effectif réduit des sujets ayant fait le test de spirométrie pourrait expliquer le manque de différence significative entre les deux groupes dans cette étude. Néanmoins, ces résultats sont semblables à ceux trouvés par d’autres auteurs [5, 25]. Par contre, Al-Neami et al.[26], Neghab et Choobineh [34] et Kakooei et al.[20] avaient trouvé dans leurs études respectives une réduction significative des paramètres de la fonction respiratoire chez les exposés par rapport aux non exposés. Le tabac est bien connu comme étant une cause des pathologies respiratoires. Dans notre étude, une corrélation a été observée entre le tabac et la fonction respiration (DEP). Des résultats similaires ont été rapportés par d’autres études [2, 35, 36].

Notre étude présente quelques limites qui méritent d’être prises en considération, notamment l’effet du travailleur sain inhérent au modèle épidémiologique transversal constitue un biais de sélection. Il peut également conduire à sous-estimer dans notre étude les prévalences des symptômes cliniques et l’importance du risque professionnel en général. Cet effet du travailleur sain pourrait expliquer l’absence d’association de certaines variables dans notre étude. Également le type d’étude transversal peut poser des difficultés à inférer une relation causale. Il s’avère important de mener des études de cohortes pour bien investiguer la santé des transporteurs du ciment.

Conclusion

Cette étude a révélé une prévalence plus élevée des symptômes respiratoires et une réduction significative du DEP chez les transporteurs de ciment par rapport aux témoins. L’application de la législation, d’une surveillance médicale spéciale et de la médecine du travail dans ce secteur pourrait réguler l’exposition des travailleurs aux poussières organiques.

Remerciements et autres mentions

Les auteurs remercient le Comité d’éthique de l’université de Lubumbashi pour avoir donné son approbation ainsi que les responsables des bureaux de l’administration publique de Lubumbashi pour avoir accepté que cette étude soit menée dans leurs services.

Financement : aucun ; liens d’intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt.

Licence This work is licensed under a Creative Commons Attribution-NonCommercial-NoDerivatives 4.0 International License