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ANALYSE D'ARTICLE

Panorama des modes d’action des perturbateurs endocriniens

Neuf mécanismes d’action sur l’homéostasie endocrinienne sont décrits dans cet article, dont un seul dans lequel un perturbateur endocrinien se comporte comme une hormone : l’interaction de type agoniste avec un récepteur. La plupart des autres mécanismes possibles ne nécessite pas d’analogie structurale ou comportementale avec l’hormone et peuvent être plus ou moins facilement étudiés in vitro.

Objet d’une vive attention de la part du grand public comme de la communauté scientifique, la dangerosité des perturbateurs endocriniens (PE) fait débat. Quelle est l’étendue de leur responsabilité dans les affections humaines et les troubles de la vie sauvage ?

La controverse s’enracine dans la définition même d’un PE, qui délimite le champ des substances à évaluer. Pour les auteurs de cet article, ce sont des composés synthétiques (principalement) ou naturels présents dans l’environnement qui provoquent des modifications indésirables de l’homéostasie endocrinienne. Celle-ci étant assurée chez l’homme et les animaux par les hormones endogènes, l’angle d’attaque de l’article est une comparaison des mécanismes d’action des hormones et des PE, à partir de laquelle sont discutées leurs similitudes et différences, ainsi que la possibilité d’évaluer les effets de molécules suspectées d’être des PE par des tests in vitro sur culture cellulaire pour limiter le recours à l’expérimentation animale.

Un seul mécanisme « hormone-like »

Les PE les plus évidents à appréhender sont ceux qui se lient à un récepteur hormonal et activent sa voie de signalisation, exactement comme l’hormone endogène. Les récepteurs concernés sont généralement des récepteurs nucléaires, l’interaction de type agoniste activant leur fonction de facteur de transcription : les PE qui agissent de cette manière sont susceptibles d’exercer un contrôle phénotypique à long terme de la cellule cible, tandis que l’activation d’un récepteur membranaire (non exclusive, un même PE pouvant se lier aux deux types de récepteurs) entraînera plutôt des effets à court terme.

Ce mécanisme d’action de type hormonal direct suppose une certaine ressemblance entre le ligand naturel (souvent une molécule de petite taille) et le PE. Il en est de même pour l’interaction de type antagoniste avec un récepteur, qui « gèle » sa conformation à l’état inactif et inhibe la stimulation de la voie de signalisation par l’hormone endogène. L’introduction récente et massive dans l’environnement de molécules synthétiques ayant peu ou prou la taille et la forme d’hormones semble être à l’origine du problème.

L’homéostasie endocrinienne repose en effet sur un système de couples récepteur-hormone hautement fonctionnels, fruit de l’évolution au cours de laquelle chaque couple a développé une forte affinité en même temps qu’une forte spécificité. Un récepteur des œstrogènes, par exemple, est apte à reconnaître préférentiellement son ligand fonctionnel autant qu’à empêcher son occupation par une autre molécule présente dans l’organisme, y compris une hormone très proche structurellement (androgène). Mais ce système parfaitement protégé contre toute interférence endogène peut être leurré par un xénobiotique jamais rencontré auparavant. Même si l’affinité pour l’hormone reste supérieure, le xénobiotique peut exercer une forte compétition par sa présence en plus grande quantité et/ou de manière plus constante que le ligand fonctionnel.

Mécanismes d’action non hormonaux

Des molécules exogènes peuvent également perturber l’homéostasie endocrinienne en agissant en aval du couple récepteur-hormone à un niveau quelconque sur la voie de signalisation, en interférant avec la synthèse d’une hormone (stimulation ou inhibition), avec sa protéine de transport dans la circulation (occupation du site de liaison, activation ou inhibition de la synthèse ou de la dégradation du transporteur plasmatique), et enfin en stimulant ou en inhibant l’expression des récepteurs hormonaux.

La compétition avec l’hormone pour la liaison à sa protéine de transport est le seul de ces mécanismes qui nécessite que le PE ressemble au ligand endogène et présente les mêmes caractéristiques de petite molécule hydrophobe. Comme l’interaction agoniste ou antagoniste avec le récepteur, elle peut être étudiée in vitro, de même que la modification de l’expression du récepteur, favorisée par une similarité de structure avec l’hormone.

Des substances totalement dissemblables peuvent en revanche agir sur la cascade de signalisation et les sites d’action potentiels sont nombreux, ce qui complique l’identification de leurs effets. Des méthodes in vitro sur cultures cellulaires peuvent être utilisées, mais la coexistence d’effets perturbateurs endocriniens et d’effets cytotoxiques directs peut rendre l’interprétation des résultats difficile. D’une manière générale, les substances interférant avec l’homéostasie endocrinienne peuvent aussi agir via d’autres mécanismes et exercer des effets cytotoxiques, reprotoxiques ou génotoxiques qui doivent être pris en compte, même s’ils sont généralement observés à des niveaux de concentration plus élevés que pour les effets de type perturbateur endocrinien.

Des molécules appartenant à différentes familles chimiques peuvent affecter positivement ou négativement la synthèse ou la dégradation d’une hormone ou celles de sa protéine plasmatique de transport, avec des répercussions sur les concentrations circulantes. À travers ces mécanismes d’action – et en particulier la stimulation ou l’inhibition du métabolisme hépatique, de nombreux toxiques peuvent être suspectés de perturbation endocrinienne. De tels mécanismes nécessitent des études in vivo, sauf à examiner l’activité d’un xénobiotique à une étape précise de la voie de synthèse ou de dégradation. Quand un système in vitro est utilisé, les capacités métaboliques de la lignée cellulaire vis-à-vis du xénobiotique testé doivent être connues pour la pertinence de l’interprétation. Un système cellulaire incapable de dégrader un xénobiotique pourra ainsi mesurer son activité oestrogénique intrinsèque, mais pas celle de ses métabolites.

L’expérimentation animale présente elle-même ses limites. Pour les PE comme pour d’autres toxiques, le besoin de connaissances porte sur les conséquences à long terme (voire sur la génération suivante) de l’exposition à des moments clés du développement de l’individu (vie in utero, enfance, puberté). Étant donné le nombre de substances suspectées d’interférer avec l’homéostasie endocrinienne et la variété des mélanges qui seraient à tester, le programme d’étude est quasiment impossible. Classer les PE en fonction de leur mécanisme d’action peut être une manière de simplifier l’approche.


Publication analysée :

* Combarnous Y1, Nguyen TMD. Comparative overview of the mechanisms of action of hormones and endocrine disruptor compounds. Toxics 2019 ; 7 : 5. doi : 10.3390/toxics7010005

1 CNRS, INRA, Physiologie de la reproduction & des comportements, Nouzilly, France.