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ANALYSE D'ARTICLE

La métabolomique: un outil pour les études épidémiologiques?

La métabolomique a récemment investi le champ de la toxicologie. Pour les auteurs de cet article, il s’agit aussi d’une approche prometteuse pour étudier les effets d’expositions environnementales multiples dans le cadre d’études épidémiologiques. Sous réserve, en particulier, de pouvoir contrôler les facteurs de variabilité interindividuelle qui influencent le profil métabolique sanguin ou urinaire.

Metabolomics has recently entered the field of toxicology. The authors of this article believe that it could also be useful in studying the effects of multiple environmental exposures in epidemiological studies. It would however be necessary to control the factors of interindividual variability that affect the metabolic profiles of blood and urine.

La métabolomique combine des outils analytiques comme la spectrométrie de masse et la résonance magnétique nucléaire (RMN) et des méthodes statistiques comme l’analyse en composante principale (PCA) et la régression des moindres carrés partiels (PLS). L’analyse métabolomique consiste à passer au crible la totalité (dans le cas d’une approche non ciblée) ou une famille particulière de métabolites (lipides, acides aminés, nucléotides, etc.) présents dans une matrice biologique (plasma et urine le plus souvent, mais aussi salive, sperme ou extrait tissulaire) à la recherche « d’anomalies » témoignant d’un processus pathologique ou de l’action d’un xénobiotique sur l’organisme.

Dans le champ de la toxicologie, ce nouvel outil a récemment montré son intérêt pour examiner les effets de l’exposition à des agents chimiques. Cet article passe en revue les études expérimentales existantes, qui concernent des phtalates (di-2-éthylhexylphtalate [DEHP], di-n-butylphtalate [DnBP] et butyl-benzylphtalate [BBP]), le bisphénol A, plusieurs pesticides organochlorés et organophosphorés et quelques autres substances (tributylphosphate, acide perfl uorododécanoïque, benzène et acrylamide). Les auteurs relèvent l’aptitude de l’analyse métabolomique à détecter des perturbations discrètes du métabolisme reflétant les premiers stades d’un effet toxique. Sa sensibilité peut être supérieure à celles de l’examen histopathologique ou des analyses biochimiques sanguines. Si la plupart des protocoles comportaient l’administration de doses élevées d’un seul agent, trois études ont examiné les effets de la coexposition à plusieurs substances à faibles doses. Dans l’une d’elles, un mélange de pesticides fréquemment utilisés dans la production de fruits et de légumes en France (alachlor, diazinon, endosulfan, maneb, mancozeb et captan à leurs doses journalières acceptables) a été administré par gavage à des souris pendant quatre semaines. L’analyse des extraits tissulaires hépatiques a montré que l’exposition avait entraîné un stress oxydant et perturbé le métabolisme du glucose.

Ces éléments suggèrent l’apport de la métabolomique pour explorer les effets de l’exposition chronique à de faibles doses d’un mélange de substances, correspondant à la réalité de l’exposition environnementale humaine. Son application à des études épidémiologiques nécessite toutefois certaines considérations.

 

Biomarqueur d’effet ou variation physiologique ?

Lorsque l’analyse aboutit à identifier une perturbation métabolique mineure – ce qui est attendu dans le cadre d’une exposition environnementale – deux questions se posent : celle de sa signification biologique (l’altération observée, d’autant plus qu’elle est subtile, peut-elle être interprétée comme un biomarqueur d’effet) et celle de sa signification clinique (quelle est la conséquence sur la santé).

La question de l’interprétation est facilitée dans les conditions contrôlées d’une étude de laboratoire. L’utilisation de l’outil métabolomique pour des études dans la population humaine nécessite en revanche de tenir compte de nombreux facteurs individuels comme l’âge, le sexe, l’indice de masse corporelle (IMC) ou l’alimentation, qui sont susceptibles de faire varier le profil métabolique sanguin ou urinaire. Une vaste étude (plus de 4 000 sujets) ayant comparé des individus asiatiques, nord-américains et européens indique que le mode de vie, et en particulier le régime alimentaire, ainsi que des facteurs génétiques, déterminent des profils métaboliques urinaire distincts. Il serait nécessaire de multiplier les travaux de ce type pour acquérir une bonne connaissance de la variabilité métabolique interindividuelle dans une population saine. Des études d’association panmétabolomique à large échelle (metabolome-wide association studies) peuvent, par ailleurs, associer un profil métabolique à des facteurs phénotypiques, culturels, alimentaires, ou à des facteurs de risque de maladies. Afin de limiter la variabilité interindividuelle et les facteurs de confusion potentiels, les auteurs recommandent l’inclusion, dans les études épidémiologiques, de populations suffisamment homogènes en termes de culture, d’alimentation, d’âge et de conditions physiologiques (IMC, absence de pathologie ou de traitement, etc.).

Par ailleurs, le moment de la collecte des échantillons biologiques est important à considérer afin de réduire la variabilité intra-individuelle, de l’excrétion urinaire en particulier, au cours du nycthémère. Une stratégie d’échantillonnage doit être élaborée, incluant des conditions de conservation strictes et identiques pour tous les échantillons recueillis afin d’éviter des dégradations métaboliques. La combinaison des deux méthodes analytiques (RMN pouvant mesurer des composés très polarisés et spectrométrie plus sensible pour des molécules à des niveaux de concentration de l’ordre du pg/ml comme des hormones) semble intéressante pour pouvoir mesurer à la fois des métabolites endogènes et provenant de polluants.

 

Étoffer les connaissances fondamentales

La question de la signification clinique d’une anomalie métabolique suppose de disposer de suffisamment de connaissances en biologie des systèmes. Des connections doivent être créées entre les modifications métaboliques observées, des événements toxiques précoces et des effets délétères pour l’organisme. Les études de laboratoire sont les plus appropriées pour établir ces connections, les enjeux se situant dans le choix des doses et des mélanges chimiques au plus proche des conditions de l’exposition humaine, la pertinence de l’extrapolation de l’animal à l’homme restant à examiner.

Les progrès viendront également du développement des modèles et outils en bioinformatique, ainsi que de l’enrichissement des bases de données biochimiques.

Laurence Nicolle-Mir


Publication analysée :

Bonvallot N1, Tremblay-Franco M, Chevrier C, et al. Potential input from metabolomics for exploring and understanding the links between environment and health. J Toxicol Environ Health, Part B 2014; 17: 21-44.

doi: 10.1080/10937404.2013.860318

 

1 Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), UMR 1085 Institut de recherche santé environnement et travail (Irset), Rennes, France.