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ANALYSE D'ARTICLE

Exposition professionnelle à l’aluminium et maladie d’Alzheimer

Cette méta-analyse des études chez des sujets professionnellement exposés à l’aluminium ne plaide pas en faveur d’un rôle causal de l’exposition à ce métal dans la maladie d’Alzheimer. Mais les données sont trop peu nombreuses et de qualité trop faible pour exclure définitivement cette hypothèse.

This meta-analysis of studies of people with occupational exposure to aluminum does not support a causal role of exposure to this metal in Alzheimer disease. But the inadequacy of the available data prevents the authors from definitively ruling out this hypothesis.

Aucun traitement n’est encore capable de modifier radicalement le cours évolutif de la maladie d’Alzheimer, qui représente de 60 à 80 % des cas de démence. D’où l’importance d’identifier ses facteurs de risque pour pouvoir mettre en œuvre des stratégies de prévention.

Une composante génétique est reconnue pour cette maladie, mais le fait que plus de deux paires de jumeaux homozygotes sur trois soient discordantes suggère que le poids des facteurs environnementaux est significatif. L’exposition à l’aluminium est l’un de ces facteurs suspectés.

 

Arguments existants

Les éléments à charge sont des données autopsiques montrant une présence accrue d’aluminium dans le cerveau de personnes malades, l’observation d’enchevêtrements neurofibrillaires dans le cerveau de lapins ayant reçu des injections d’aluminium, et l’augmentation du risque de maladie d’Alzheimer rapportée dans des zones où l’eau de boisson présente une forte teneur en aluminium. Cependant, toutes les études sur la relation entre la concentration d’aluminium dans l’eau et la maladie d’Alzheimer ne sont pas positives, et le ré-examen de leurs données par les investigateurs des études expérimentales chez le lapin a montré que l’aspect histopathologique des lésions possiblement induites par l’aluminium différait de celui des lésions de la maladie d’Alzheimer. Quant à la présence d’aluminium dans le cerveau des malades, sa signification n’est pas établie. Les dépôts d’aluminium pourraient résulter d’une plus grande perméabilité de la barrière hémato-encéphalique secondaire à la maladie et n’avoir aucun rôle étiologique. La charge en aluminium du cerveau des patients souffrant d’insuffisance rénale chronique n’a pas été reliée à la survenue de lésions cérébrales ou de symptômes cliniques caractéristiques de la maladie.

Étant donné la longue phase prodromique de la maladie d’Alzheimer, qui suggère un effet graduel de l’accumulation d’une neurotoxine sur de nombreuses années, l’exploration des expositions professionnelles revêt un intérêt particulier. Les personnes travaillant dans l’industrie de l’aluminium sont exposées à des poussières métalliques par inhalation, or les terminaisons des neurones olfactifs présentes dans la muqueuse nasale constituent une porte d’entrée directe vers le cerveau. Après un cas historique (1962) d’encéphalopathie rapporté à l’inhalation d’aluminium, une étude publiée en 2004 a montré une prévalence accrue des troubles cognitifs et symptômes neurologiques légers chez des travailleurs exposés à l’aluminium, incluant céphalées, pertes de mémoire et difficultés de concentration. Ces données justifiaient une revue des études épidémiologiques en milieu professionnel et la réalisation d’une méta-analyse quantitative de l’association entre l’exposition à l’aluminium et la maladie d’Alzheimer.

 

Hypothèse non renforcée

Les deux auteurs ont individuellement interrogé les bases de données bibliographiques Medline, Embase et Cochrane à la recherche d’articles publiés jusqu’en mars 2015 rapportant les résultats d’études cas témoins ou de cohortes sans restriction de langue. Sur 26 articles potentiellement intéressants, trois seulement remplissaient les critères d’inclusion. Ces trois études cas-témoins réunissaient 457 cas de maladie d’Alzheimer et 599 sujets témoins.

L’histoire professionnelle des sujets, malades comme témoins, avait été restituée par des proches interrogés par des enquêteurs qui n’étaient pas au courant du statut du sujet, ce qui atténue l’effet du biais de restitution. L’exposition avait été évaluée par des hygiénistes du travail/ experts industriels dans deux études, et par les investigateurs eux-mêmes dans la troisième. Seules deux catégories (exposition probable ou non probable) avaient été défi nies dans deux études qui ne tenaient donc pas compte de l’intensité ni de la durée ou du type d’exposition (alors que certains procédés comme la soudure d’aluminium anodisé entraînent une exposition plus importante que dans d’autres circonstances). Enfin, si toutes les études avaient tenu compte de l’âge et du sexe, seules deux avaient considéré les antécédents familiaux et une le niveau d’études. Or, ce dernier peut être considéré à la fois comme un facteur de risque de maladie d’Alzheimer et de métier manuel exposant à des métaux lourds.

La méta-analyse des résultats de ces trois études aboutit à un odds ratio (OR) de maladie d’Alzheimer égal à 1 (IC95 : 0,59- 1,68) chez les sujets professionnellement exposés à l’aluminium. L’exclusion de l’étude obtenant un score inférieur à cinq sur l’échelle de qualité de Newcastle- Otawa, qui compte neuf points, ne modifie pas le résultat : OR = 1,06 (IC95 : 0,36- 3,10).

Le rôle de l’exposition professionnelle à l’aluminium dans la maladie d’Alzheimer ne peut cependant pas être définitivement écarté en l’absence d’études prospectives négatives ayant comporté une évaluation précise de l’exposition.

 

Laurence Nicolle-Mir

 

Publication analysée :

Virk S, Eslick G. Occupational exposure to aluminium and Alzheimer disease : a meta-analysis. JOEM 2015; 57: 893-6.

The Whiteley-Martin Research Centre, Discipline of Surgery, University of Sydney, Australie.

doi : 10.1097/JOM.0000000000000487