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Synthèse publiée le : 01/04/2017

Urbanisme favorable à la santé

Thématique réinvestie en France depuis le début des années 2010, l’urbanisme favorable à la santé enthousiasme de nombreux acteurs mais les défis liés à sa mise en œuvre restent nombreux.

Ni l’urbanisme, ni la santé ne sont des concepts aisés à définir. Le panel de leurs représentations est large et ils sont tous deux des champs multidisciplinaires complexes. L’urbanisme de planifi­cation, l’urbanisme opérationnel, l’aménagement du territoire, la promotion de la santé, la santé environnement, le système de santé, etc. sont autant de champs professionnels et académiques dans lesquels évolue, souvent de façon cloisonnée, une multitude d’acteurs. Agir pour un urbanisme favorable à la santé nécessite de rapprocher ces secteurs qui se sont éloignés au cours du temps.

 

Urbanisme et santé : un lien étroit et complexe

L’évolution des villes témoigne des liens étroits et complexes que l’urbanisme entretient avec la santé. Remède efficace contre les épidémies de peste et de choléra au XIXe siècle puis contre la tuberculose au début du XXe siècle, l’urbanisme d’hier a paradoxalement contribué à l’apparition de nombreux problèmes contemporains de santé. Le surpoids, l’asthme, l’isolement social, le stress, l’exposition aux agents délétères ou les inégalités de santé constituent aujourd’hui des enjeux majeurs de santé publique, fortement influencés par la qualité de nos environnements de vie, eux-mêmes dépendants des choix politiques d’aménagement et d’urbanisme portés par les municipalités.

La prise de conscience de l’influence des politiques publiques sur la santé et le bien-être des populations n’a cessé de croître ces dernières décennies notamment grâce à l’action du réseau des Villes-Santé de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), créé en 1987, pour concrétiser au niveau local la stratégie de la santé pour tous. C’est dans ce contexte que le concept d’Ur­banisme favorable à la santé (UFS) a été initié, réactivant ainsi le lien entre urbanisme et santé. Relayés par le mouvement international des Villes-Santé, les travaux de l’OMS ont offert un cadre [1] qui a facilité le déploiement de la thématique à travers le monde. Ainsi, plusieurs pays et régions d’Europe se sont approprié le concept avec la volonté d’intégrer plus de santé dans leurs politiques d’aménagement. Cette démarche a été implicitement soutenue en 2010 par la déclaration d’Adé­laïde1 sur l’intégration de la santé dans toutes les politiques et très récemment par la déclaration de Shanghai2 signée en novembre 2016 sur la promotion de la santé dans le Programme de développement durable à l’horizon 2030.

La communauté scientifique s’est elle aussi progressivement structurée à une échelle internationale et largement

La communauté scientifique s’est elle aussi progressivement structurée à une échelle internationale et largement emparée du sujet. Ainsi, nous disposons aujourd’hui de plus en plus d’études qui apportent des éléments de preuve de l’impact de ces choix (déplacements urbains, espaces verts, formes urbaines, habitat, etc.) et qui les reconnaissent comme des déter­minants majeurs de la santé [2-4]. Ces choix, à l’échelle d’un territoire, sont autant de leviers à continuer à exploiter pour améliorer l’état de santé des populations qui y vivent, leur qualité de vie et réduire les inégalités de santé.

 

Urbanisme favorable à la santé : une thématique réinvestie en France depuis 2010

L’évolution des procédures règlementaires en matière d’évaluation environnementale (EE) des plans, projets et programmes issue du Grenelle de l’environnement3, la création des Agences régionales de santé (ARS)4, le déploiement de la démarche d’évaluation d’impact sur la santé (EIS) et l’attrait pour la mise en œuvre des approches intégrées constituent des points clés du regain d’intérêt pour la thématique.

Même si les évolutions des procédures d’EE initiées en 1976 ont nettement amélioré la prise en compte des enjeux sani­taires5, les pratiques existantes témoignent de la difficulté à appréhender la santé de façon globale et positive, comme l’ont pourtant définie l’OMS en1946 et la charte d’Ottawa de 1986. Elle apparaît essentiellement sous l’angle de ses déter­minants environnementaux (qualité des milieux physiques : air, eau, bruit, sol…) via une approche basée sur les risques, laissant de côté de nombreux déterminants de santé liés aux aspects sociaux, économiques et plus largement au cadre de vie.

Suite aux dernières évolutions règlementaires, de plus en plus de documents d’urbanisme et de projets d’aménagement sont soumis à une évaluation de leurs impacts sur l’environnement et la santé. Ainsi, les maîtres d’ouvrage, les Directions régio­nales de l’environnement, de l’aménagement et du logement et les ARS sont amenées à réfléchir sur des enjeux communs de santé, d’environnement et plus globalement de bien-être et de qualité de vie. Les ARS ne disposant pas de cadre méthodolo­gique permettant de les guider dans l’élaboration de leurs avis sanitaires, le Ministère de la santé a soutenu, fin 2011, la créa­tion d’un groupe de travail multidisciplinaire et intersectoriel à l’échelle nationale pour travailler sur ce sujet. Cette initiative a permis de mobiliser les compétences de multiples professionnels et universitaires aboutissant, fin 2014, à la publication d’un guide national « Agir pour un urbanisme favorable à la santé : concepts et outils »6. Il partage les résultats d’une large réflexion sur les enjeux de santé dans le champ de l’urbanisme et identifie des pistes concrètes pour l’action [5-6]. Le guide, complété en 2016 par un supplément centré sur les Plans locaux d’urbanisme5, a notamment permis une appropriation de la thématique de l’UFS par les ARS et d’autres acteurs issus majoritairement du secteur de la santé publique.

Ces récentes évolutions règlementaires ont donc été une occasion, pour le secteur de la santé publique, de réinvestir le concept d’UFS, structuré par un cadre de référence (figure 1), et de développer de nouveaux cadres méthodologiques pour une meilleure prise en compte de la santé dans le champ de l’urbanisme.

De nombreuses autres actions menées récemment par des élus et des acteurs des champs de la santé publique et de l’urba­nisme, méritent d’être relevées. Elles témoignent également de l’intérêt croissant du secteur de l’urbanisme pour la santé. Nous n’en citons ici que quelques-unes :

  • des collectivités travaillent à la prise en compte de la santé dans leurs Plans locaux d’urbanisme de manière explicite (Grenoble, Rennes, etc.) ;
  • l’urbanisme est pris en compte dans des documents de santé publique à diverses échelles : le plan national santé envi­ronnement 37 et ses déclinaisons en région (PRSE3),
  • des plans locaux en santé environnement, comme celui adopté à Paris en décembre 20158.

Figure 1. Cadre de référence d’un urbanisme favorable à la santé.

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  • le nombre de démarches d’EIS sur des projets d’aménagement croît de manière exponentielle. On en recense aujourd’hui plus d’une vingtaine en France, dans divers contextes (Angers, Bressuire, Bruges, La Rochelle, Lille, Nantes, Plaine-Commune, Strasbourg, Villeurbanne, etc.) ;
  • des démarches d’accompagnement de projets d’aménagement « urbanisme favorable à la santé » se mettent en oeuvre (projets de rénovation urbaine à Miramas et à Pierrefitte-sur-Seine) ;
  • la prise en compte de la santé est intégrée de manière progressive dans les modèles urbanistiques et les bonnes pratiques, par exemple dans le Label Ecoquartier en 20169 ;
  • le renforcement de partenariats intersectoriels (Réseau Bretagne urbanisme et santé10, Protocole de collaboration entre l’Agence nationale pour la rénovation urbaine et l’ARS Ile-de-France 2017-2019, etc.) ;
  • de nombreuses publications adressées à un large public voient le jour11 ;
  • les occasions d’échanges intersectoriels et multidisciplinaires entre universitaires et professionnels se multiplient aux échelles nationale et régionale (colloque annuel de la SFSE « Paysage, urbanisme et santé12 » en 2014 ; journée natio­nale Elus, santé publique & territoires « Santé environnementale : le pouvoir des villes » en 2015 ; journée d’étude de l’École nationale des travaux publics de l’État et l’Institut national de la recherche scientifique canadien « Territoires en santé/santé des territoires » en 2016 ; etc.) ;
  • de nouvelles formations initiales et continues se développent sur le sujet (Diplôme d’établissement « Santé publique et aménagement du territoire » de l’EHESP ; Diplôme propre aux écoles d’architecture « Architecture et santé » de l’ENSA Montpellier, etc.).

 

Des défis pour la mise en œuvre mais des dynamiques actuelles propices au changement

Malgré ces initiatives encourageantes, certains défis demeurent pour les professionnels et la communauté scientifique. En effet, en raison de la complexité des liens entre les multiples dimensions de la santé, l’environnement et l’urbanisme, la difficulté de la mesure des expositions à des facteurs de risque et de protection, l’existence de multiples outils de quanti­fication/qualification des impacts, le tout couplé à l’existence d’un système d’organisation très sectorisé, la déclinaison des connaissances scientifiques en action de terrain reste encore un véritable défi à relever. Il s’agit notamment d’améliorer le transfert de connaissances et de réussir à développer, malgré les nombreuses incertitudes, des outils d’aide à la déci­sion permettant la mise en œuvre d’actions concrètes et ciblées pour réduire les inégalités de santé. Pour la communauté scientifique, cette nouvelle thématique s’inscrit dans le champ de l’analyse des systèmes complexes et nécessite d’être réin­vestie via une approche globale et intégrée des enjeux urbains, sanitaires et environnementaux [7].

Les nombreuses initiatives qui prennent corps ces dernières années témoignent, malgré les nombreuses résistances et la difficulté de sortir d’une zone de confort, que les conditions du changement sont bien là.

 

Notes

[1] http://apps.who.int/iris/handle/10665/44390

[2] http://www.who.int/healthpromotion/conferences/9gchp/shanghai-declaration/fr

[3] Loi n° 2010-788 dite « Grenelle II »

[4] Création des ARS par la loi n°2009-879 « Hôpital, patient, santé et territoires ».

[5] Plus particulièrement depuis la loi LAURE n° 96-1236 du 30 décembre 1996 sur l’air et l’utilisation rationnelle de l’énergie qui instaure le volet sanitaire des études impacts.

[6] Outre une version imprimée, la version numérique est en ligne en libre accès. http://www.ehesp.fr/2014/09/16/nouveau-guide-agir-pour-un-urbanisme-favorable-a-la-sante-concepts-outils/

[7] http://social-sante.gouv.fr/IMG/pdf/pnse3_v_finale.pdf

[8] http://www.paris.fr/services-et-infos-pratiques/environnement-et-espaces-verts/agir-pour-l-environnement/sante-environnementale-2082

[9] Rapport coordonné par Alain Jund, Label Ecoquartier : une nouvelle étape vers l’avenir durable de nos territoires, 2016. http://www.logement.gouv.fr/ IMG/pdf/label_ecoquartier_rapport_jund.pdf

[10] http://rbus-eis.org/

[11] INPES, « Urbanisme et aménagements favorables à la santé », Revue La Santé en action, n°434, décembre 2015 (http://inpes.santepubliquefrance.fr/SLH/ pdf/sante-action-434.pdf)

[12] IAU IDF, « Territoires, incubateurs de santé ? », Les Cahiers de l’IAU, n°170-171, septembre 2014 (http://www.iau-idf.fr/fileadmin/NewEtudes/ Etude_1101/C_170-171_web.pdf) A’urba et ARS Aquitaine, « Guide PLU et santé environnementale », 2015 (http://www.aurba.org/Etudes/Themes/Environnement/Guide-PLU-et-sante-environnementale, Revue de la métropole bordelaise, CaMBo #10 : La ville est-elle bonne pour la santé ? novembre 2016 - 80 pages (http://www.aurba. org/cambo/cambo10/)

 

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Références
  1. Barton H, Tsourou C. Healthy Urban Planning: A WHO Guide to Planning for People. London & New York : WHO Regional office for Europe by Spon Press, 2000 ; 184 p.
  2. Barton H, Thompson S, Burgess S, Marcus G. The Routledge Handbook of Planning for Health and Well-Being. London & New York: Routledge Taylor & Francis Group, 2015 ; 618 p.
  3. WHO, Urban Planning, Environment and Health, From Evidence to Policy Action. Copenhague : WHO Regional office for Europe, 2010 ; 119 p.
  4. Vlahov D, et al. Urban as a Determinant of Health. J Urban Health 2007 ; 84(1) : 16-26.
  5. Roué Le Gall A, Le Gall J, Potelon J-L, Cuzin Y. Guide Agir pour un urbanisme favorable à la santé: concepts et outils. Paris & Rennes : École des hautes études en santé publique & Direction générale de la santé, 2014 ; 191 p.
  6. Roué Le Gall A, Lemaire N, Jabot J. Lessons learned from co-constructing a guide on healthy urban planning and on integrating health issues into Environmental Impact Assessments conducted on French urban development projects. Impact Assess Proj Apprais, in press.
  7. Chapman R, Howden-Chapman P, Capon A. Understanding the systemic nature of cities to improve health and climate change mitigation. Environment International 2016 ; 94 : 380-7.