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Médecine thérapeutique

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Une cardiomyopathie de stress obstructive Volume 25, numéro 5, Septembre-Octobre 2019

Illustrations


  • Figure 1

  • Figure 2

  • Figure 3

  • Figure 4

  • Figure 5

  • Figure 6

Vignette clinique

Madame B., âgée de 68 ans, résidant aux Pays-Bas, sans antécédent particulier ni traitement, se présente aux urgences dans un contexte de douleur thoracique évoluant depuis 1 h. La douleur, en étau rétrosternale, s’est manifestée peu de temps après qu’elle avait rendu visite à un proche hospitalisé en réanimation neurochirurgicale. L’électrocardiogramme (ECG) montre un bloc de branche droit complet associé à un sus-décalage du segment ST dans les dérivations inféro-apico-latérales (figure 1). La patiente reçoit alors une dose de charge d’aspirine 250 mg et de prasugrel 60 mg associée une héparinothérapie non fractionnée. Elle est immédiatement transférée en salle de cathétérisme cardiaque. La coronarographie met en évidence des coronaires angiographiquement saines (figure 2). La ventriculographie montre un aspect d’hypercontractilité de la base avec ballonnisation de l’apex en faveur d’une cardiopathie de stress (ou syndrome de tako-tsubo) (figure 3). La patiente est ensuite transférée aux soins intensifs, où elle ressent une douleur thoracique modérée persistante. L’hémodynamique est stable avec une tension artérielle à 13/8 cmHg et une fréquence cardiaque à 90/minute ; les poumons sont clairs et un souffle mésosystolique est perçu à l’endapex. Sur le plan biologique, le pic de troponine I est mesuré à 5,8 μg/L (normale < 0,045 μg/L), le N-terminal pro-brain natriuretic peptide (NT-proBNP) mesuré à 617 ng/L et la protéine C réactive < 3 mg/L. L’échocardiographie transthoracique met en évidence une fraction d’éjection ventriculaire gauche (FEVG) à 35-40 % avec hypercontractilité de la base et une large akinésie apicale sans thrombus visualisé (figure 4). Un mouvement systolique antérieur de la grande valve mitrale (figure 5) génère un gradient sous-aortique maximal à 53 mmHg (figure 6. L’injection intraveineuse d’aténolol titré jusqu’à 3 mg permet de réduire l’hypercontractilité basale et concomitamment le gradient sous-aortique à 20 mmHg avec disparition instantanée de la douleur angineuse. L’anticoagulation curative par héparine non fractionnée est maintenue durant tout le séjour afin de prévenir la formation d’un thrombus intracavitaire et un traitement par bisoprolol 1,25 mg/j est introduit. La fraction d’éjection s’améliore progressivement avec une amélioration de la contractilité apicale. L’ECG de sortie à J4 montre un bloc de branche droit complet avec de larges ondes T négatives dans les territoires inférieur, apical et latéral.

Discussion

On estime la prévalence du syndrome de tako-tsubo (égalment appelé « ballonnisation apicale aiguë du ventricule gauche » ou « syndrome du cœur brisé ») entre 0,5 et 2 % des syndromes coronaires aigus, mais jusqu’à 5-6 % dans la population féminine [1, 2]. Cette cardiopathie touche préférentiellement les femmes ménopausées, anxiodépressives ou exposées à un stress intense, physique (maladie aiguë, chirurgie, douleurs périopératoires, détresse respiratoire, crise convulsive, ictus amnésique, accident vasculaire cérébral, chute avec impossibilité de se relever, injection de catécholamines, etc.) ou émotionnel (deuil, frayeur majeure, conflit familial, pertes financières, phénomènes climatiques extraordinaires ou tremblements de terre, etc.). Parfois, cependant, l’interrogatoire ne permet pas de retrouver de trigger physique ou psychique. La prise de médicaments stimulant le système sympathique – essentiellement l’épinéphrine et la dobutamine – a été décrite comme un facteur potentiellement déclenchant de cardiomyopathie de stress [3]. L’atteinte myocardique observée serait provoquée par une libération importante de catécholamines dans la circulation sanguine lors du stress émotionnel ou physique, associée à une hypersensibilité myocardique à ces catécholamines. Cependant, les mécanismes physiopathologiques précis ne sont pas connus. Le phéochromocytome doit systématiquement être évoqué comme diagnostic différentiel.

La prévalence de l’obstruction sous-aortique dans la cardiomyopathie de stress est imprécise. La première série publiée [4] porte sur quatre-vingt-huit patients issus de plusieurs centres japonais et analysés rétrospectivement ; 18 % des patients présentaient alors un gradient sous-aortique transitoire. Deux autres séries font état d’une prévalence de 20-25 % [5, 6]. Son diagnostic reste primordial afin de ne pas introduire de vasodilatateurs (dérivés nitrés essentiellement) ni de traitement inotrope, qui aggraveraient l’obstruction sous-aortique et pourraient induire un choc cardiogénique [7, 8].

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt en rapport avec cet article.

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