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L’immunothérapie dans le cancer de l’ovaire Volume 5, numéro 2, Mars-Avril 2019

Tableaux

L’arrivée de l’immunothérapie a profondément modifié la prise en charge des cancers permettant des réponses tumorales jusqu’alors inespérées dans plusieurs types tumoraux comme le mélanome, le cancer du poumon, du rein, de la vessie et les cancers des voies aérodigestives supérieures. Cependant ces réponses durables ne concernent que 25 % des patients [1]. Cette mise au point a pour objectifs d’identifier la place actuelle de l’immunothérapie dans le cancer de l’ovaire et de dégager les grandes voies d’évolution de celle-ci dans le paysage cancérologique de demain.

Quel rationnel pour l’immunothérapie dans le cancer de l’ovaire ?

Les cancers de l’ovaire sont des tumeurs infiltrées par des cellules immunitaires. Une méta-analyse de dix études évaluant l’impact des lymphocytes infiltrant les tumeurs (TIL) sur la survie de 1 815 patientes atteintes d’un cancer de l’ovaire a montré, qu’en médiane, 62 % des tumeurs de l’ovaire étaient infiltrées par des TIL intra-épithéliaux CD8+ (19,4 %-81,4 %) [2]. La présence de TIL PD-1+ varie considérablement entre les types de cancer, de 0 % dans les chondrosarcomes myxoïdes extrasquelettiques à 93 % dans le cancer de l’ovaire [3]. L’expression simultanée de cellules tumorales PD-L1+ et de TIL PD-1+ a fréquemment été observée dans les cancers de l’ovaire (36 %) [3]. Cette infiltration est le signe d’une réponse immunitaire active contre les cellules tumorales ovariennes, comme en attestent les données de survie accrue en présence de TIL (HR : 2,14 ; IC 95 % : 1,71-2,92) [2, 4]. Par ailleurs, l’expression de PD-L1, considérée comme un des mécanismes d’échappement immunitaire, est associée à un pronostic nettement plus sombre dans les cancers de l’ovaire [5]. La voie PD-1/PD-L1 pourrait donc être une bonne cible pour restaurer l’immunité anti-tumorale dans le cancer de l’ovaire, même si ce dernier présente une charge mutationnelle inférieure [6] et reste moins infiltré que les mélanomes ou les cancers de la vessie par exemple, qui présentent à la fois des cellules tumorales PD-L1+ et des TIL PD-1+ dans plus de 50 % des cas [3]. Enfin, les tumeurs présentant une déficience dans le système de recombinaison homologue (HRD) avec ou sans mutation de BRCA1 ou BRCA2 ont montré des taux de néo-antigènes significativement supérieurs aux tumeurs non déficientes, ainsi qu’une expression de PD-1 et PD-L1 sur les cellules immunitaires et tumorales plus importante en immunohistochimie par rapport aux tumeurs non mutées [7, 8].

État des lieux de l’immunothérapie dans le cancer de l’ovaire

Les données préliminaires de l’immunothérapie en monothérapie dans le cancer de l’ovaire restent à l’heure actuelle assez décevantes (tableau 1). En effet, les taux de réponse objective autour de 10 à 20 % restent assez faibles, mais ces études ont surtout été réalisées chez des patientes lourdement prétraitées avec une charge tumorale importante sans critères particuliers de sélection. Néanmoins, des réponses prolongées ont tout de même été rapportées.

Dans l’analyse intermédiaire de l’étude KEYNOTE-100 [10], le taux de réponse objective augmentait avec l’expression de PD-L1 : 14 % (8/59) pour les patientes présentant un score combiné positif (CPS) ≥ 1 et 25 % (5/20) en cas de CPS ≥ 101. Outre l’expression de PD-L1, un profil d’expression de 18 gènes reflétant une activation des lymphocytes T au sein du micro-environnement tumoral (T cell-inflamed GEP) était associé à une réponse au pembrolizumab (1-sided ; p = 0,03 ; n = 83), tandis que les biomarqueurs de déficience en recombinaison homologue (HRD, BRCA) n’étaient pas associés à la réponse (1-sided ; p = 0,65) [13]. Le fait que les tumeurs BRCA mutées ne présentent pas des taux de réponse supérieurs à l’immunothérapie pourrait s’expliquer par l’hétérogénéité intra-tumorale et le fait que les mutations sous-clonales et l’hétérogénéité néo-antigénique qui en résulte influencent la sensibilité aux inhibiteurs de points de contrôle immunitaires comme rapporté par l’équipe de McGranahan dans les cancers du poumon non à petites cellules [14].

« Plusieurs combinaisons sont en cours d’évaluation »

Afin d’augmenter l’efficacité de l’immunothérapie dans les cancers de l’ovaire, plusieurs combinaisons sont en cours d’évaluation. La chimiothérapie aurait pour conséquences d’augmenter l’infiltration par les TIL, ainsi que l’expression de PD-L1 [15]. Malheureusement, même si l’étude de phase III JAVELIN 200, testant la combinaison avélumab + doxorubicine liposomale pégylée chez des patientes ayant un cancer épithélial de l’ovaire en rechute platine résistante ou réfractaire, a montré un certain niveau d’activité de l’association, celle-ci n’a pas atteint son objectif principal en termes d’amélioration significative de la survie globale dans une population non sélectionnée [16]. Les analyses exploratoires suggèrent une amélioration de la survie sans progression et de la survie globale chez les patientes ayant des tumeurs PD-L1+. L’étude Néopembrov (ClinicalTrials.gov, NCT03275506), actuellement en cours, est une étude de phase II multicentrique randomisée, ouverte, évaluant l’ajout du pembrolizumab à une chimiothérapie standard, vs chimiothérapie seule, en traitement néoadjuvant chez des patientes présentant un adénocarcinome de l’ovaire non éligible pour une chirurgie d’emblée. Ce protocole original en néoadjuvant, permettant l’accès au tissu tumoral et aux échantillons de sang avant tout traitement et après anti-PD-1, offre l’occasion unique d’identifier :

  • des biomarqueurs prédisant les réponses cliniques ;
  • et les voies et cibles contribuant à la résistance aux anti-PD-1.

Les analyses biologiques seront partagées entre les plateformes d’immunomonitoring expérimentées dans les essais cliniques d’immunothérapie et les équipes scientifiques sur la base de leurs expertises respectives :

  • les analyses d’omics et la prédiction de néo-épitope par l’équipe de M.H. Stern à l’Institut Curie ;
  • l’analyse de l’environnement immunitaire et l’impact sur la réponse humorale du traitement, ainsi que l’identification des mécanismes de résistance et de cibles d’immunothérapie alternatives par l’équipe de C. Caux au Centre de recherche de cancérologie de Lyon ;
  • la régulation de la voie PD-1 par le VEGF (angiogenèse) par l’équipe de M. Terme et E. Tartour à l’Hôpital européen George Pompidou.

D’autres combinaisons sont en cours d’étude. L’étude INEOV en néoadjuvant teste également la double association d’un anti-PD-L1 durvalumab à un anti-CTLA-4, le trémélimumab, à la chimiothérapie. L’étude de phase I associant le durvalumab, un anti-PD-L1, à l’olaparib (D + O) (un inhibiteur de PARP) ou au cédiranib (D + C) (un anti-angiogénique ciblant les récepteurs du VEGF) [17], a évalué 19 patientes suivies pour des cancers de l’ovaire (n = 14) ou des cancers du sein triple négatifs, cancers du col et léiomyosarcome utérin (n = 5) lourdement prétraitées (quatre lignes de chimiothérapie antérieure en médiane). Un taux de contrôle de la maladie à plus de quatre mois était décrit pour 67 % des patientes dans le bras D + O et 57 % dans le bras D + C. Toutes les patientes étaient BRCA sauvage.

En ce qui concerne les inhibiteurs de PARP, deux études de phase II ont été rapportées. Chez des patientes ayant un cancer de l’ovaire en rechute platine sensible mutées BRCA en germinal, ayant reçu en médiane deux lignes de traitement antérieur (1-6), le taux de réponse objective était de 63 % [18]. Dans l’étude de phase II OvCa, rapportée à l’European Society of Medical Oncology (ESMO) en 2018, des taux de réponse objective de 14 % et de contrôle de la maladie de 53 % étaient rapportés chez 35 patientes (BRCAm 17 %, BRCAwt 83 %), en majorité platines résistantes (86 %) ayant reçu 3,5 lignes de thérapie antérieure en médiane [19]. L’étude TOPACIO, évaluant en phase I/II l’association pembrolizumab + niraparib, a rapporté des taux de réponse objective de 25 %, des taux de contrôle de la maladie de 68 % chez 62 patientes ayant reçu deux lignes de chimiothérapie antérieure (1-5), en majorité platines résistantes (64 %) voire platines réfractaires (19 %). Les taux de réponse objective et de contrôle de la maladie atteignaient respectivement 45 et 73 % dans la cohorte des 11 patientes mutées BRCA en somatique. La durée de réponse était de 9,3 mois [20].

En ce qui concerne les thérapies anti-angiogéniques, le bévacizumab a été évalué en association au nivolumab chez 38 patientes (20 sensibles, 18 résistantes) [21]. Le taux de réponse objective était de 28 %, 40 % chez les platines sensibles et 16,7 % chez les platines résistantes, suggérant des résultats prometteurs chez les patientes platines sensibles. Une grande étude de phase III menée par le GINECO (ATALANTE) teste actuellement l’adjonction de l’immunothérapie (anti-PD-L1, atézolizumab) à la chimiothérapie à base de platine + bévacizumab chez les patientes présentant une récidive sensibles au platine. Cette étude est associée également à des études ancillaires ; les patientes sont stratifiées sur le statut tumoral de PD-L1 à la récidive (biopsie à la rechute). Cette étude majeure répondra, nous l’espérons, à la question de la synergie bévacizumab/immunothérapie/chimiothérapie dans le cancer de l’ovaire.

Conclusion

Il existe un rationnel biologique fort pour le développement de l’immunothérapie dans le cancer de l’ovaire. Cependant l’activité semble limitée en monothérapie chez des patientes lourdement prétraitées. Les défis à relever pour les années à venir sont de mieux sélectionner les patientes, que ce soit au moment de leur prise en charge (en première ligne ou en rechute) ou sur la base de biomarqueurs (mutation BRCA, phénotype HRD, statut MSI, infiltration tumorale, expression de PD-L1), mais également de définir les combinaisons les plus efficaces (inhibiteurs de PARP, anti-angiogéniques, chimiothérapie, anti-CTLA-4).

Take home messages

  • Il existe un rationnel biologique fort pour le développement de l’immunothérapie dans le cancer de l’ovaire.
  • Les taux de réponse objective sont faibles en monothérapie chez des patientes lourdement prétraitées.
  • Plusieurs combinaisons sont en cours d’évaluation avec des inhibiteurs de PARP, des thérapies anti-angiogéniques, de la chimiothérapie et des anti-CTLA-4 notamment.
  • La sélection des patientes (première ligne vs rechute) et surtout l’identification des biomarqueurs (mutation de BRCA, phénotype HRD, statut MSI, platine sensible vs platine résistante) restent à préciser.

Remerciements et autres mentions

Financement : aucun.

Liens d’intérêts : ET : séminaires ou frais de déplacements pour BMS, MSD, Astra Zeneca. ISC : investigateur principal de Néoprembox ; essais cliniques pour Néoprembox ; interventions ponctuelles pour MSD, Astra Zeneca, Roche. MHS : co-inventeur d’un brevet de détection de l’HRD, avec accord de licence avec la société Myriad Genetics. OLS : expérimentateur dans le cadre de l’étude Néopembrov. Les autres auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt.


1 CPS = nombre total de cellules PD-L1 + (cellules tumorales + cellules immunitaires) / nombre de cellules tumorales X 100.

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