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Synthèse publiée le : 01/04/2016

Des conséquences neurologiques de la pollution de l’air

La contamination chimique globale associée à la pollution de l’air, est impliquée dans la genèse de maladies neurologiques fréquentes, constituant un problème de santé publiqueémergent.

L’année 2015 s’est terminée par une excellente nouvelle pour l’humanité : les décideurs politiques ont enfin accepté de considérer que les changements climatiques représentaient « une menace immédiate et potentiellement irréversible pour les sociétés humaines et la planète » (déclaration finale de la COP 21). Hélas, ce n’est pas la seule menace ! Ainsi, ce qui fait notre humanité, notre cerveau, est menacé par les changements que l’homme impose à l’environnement.

Selon les études du consortium « Global Burden of Diseases[a] », les maladies du système nerveux constituent déjà et vont constituer un challenge majeur, tant en termes de mortalité que de morbidité. Or les traitements étiologiques sont rares ; c’est donc principalement la prévention, basée sur la connaissance des facteurs de risque, qui constituera la réponse adéquate. Parmi ceux-ci, la contamination chimique, véhiculée par l’air que nous respirons, est devenue un facteur de risque avéré, émergent mais méconnu.

Décrite en 1817 (durant la Révolution industrielle britannique) par James Parkinson, la maladie de Parkinson (MP) a vu la compréhension de sa pathogénie considérablement progresser récemment. L’hypothèse actuellement retenue est une interaction entre une susceptibilité génétique (voire épigénétique) et une exposition (plus tardive) à des facteurs environnementaux délétères. L’implication du manganèse (manganisme), en milieu professionnel (mineurs par exemple) a été reconnue dès 1837, puis étudiée plus extensivement dans les années 1950. Rappelons que le manganèse est peut-être présent dans certains pesticides et dans les particules de matière provenant du trafic routier. Il aura fallu attendre W. Langston et les années 1980 pour que le rôle des neurotoxiques soit définitivement établi par la mise en évidence du rôle toxique du 1-méthyl-4-phényl-1, 2, 3,6-tétrahydropyridine MPTP[b] ; de jeunes patients californiens avaient présenté brutalement un syndrome parkinsonien dont la recherche causale (étiologique) a conduit à incriminer l’injection d’héroïne frelatée, contenant du MPTP et utilisée comme stupéfiant. En 2012 le rôle causal de l’exposition aux pesticides, fondé sur des arguments épidémiologiques et physiopathologiques, a conduit à la reconnaissance de maladie professionnelle du Parkinson en milieu agricole, en France. Récemment (2014-2015) quelques rares cas d’expositions professionnelles à des solvants ont aussi été reconnus en maladie professionnelle.

Comme c’est souvent le cas, la publication de cas cliniques d’intoxications majeures (accidentelles ou non, professionnelles ou non) constitue l‘alerte conduisant à interroger le risque chimique dans la population générale. C’est le cas de la MP (publications récentes de 2014-2015). L’équipe de Beate Ritz (Los Angeles, Californie) a mis en évidence une augmentation du risque de MP dans les populations domiciliées à proximité de cultures traitées par certains pesticides et donc exposées via la contamination de l’air atmosphérique ! Une autre forme de contamination résulte du trafic routier urbain. Une étude américano-danoise a démontré, pour la première fois, une augmentation du risque relatif de MP, dans l’agglomération de Copenhague liée à une exposition prolongée à la pollution issue du trafic routier [1]. Le suivi rétrospectif, sur plus de 30 ans, en population générale, démontre donc sa nocivité (neurotoxique) chez des adultes jeunes, qui vont présenter des symptômes de manière retardée !

Les enfants sont aussi impactés par la pollution de l’air. C’est en 2002 que Lilian Calderón-Garcidueñas et son équipe [2] ont les premiers, attiré l’attention sur l’impact cérébral de cette pollution chez les enfants dans la ville de Mexico, mégapole connue pour sa pollution atmosphérique dramatique. Depuis de nombreuses preuves s’accumulent : études autopsiques du cerveau de chiens errants (exposés/non exposés), cliniques et épidémiologiques, biologiques et anatomopathologiques (autopsies réalisées après des décès prématurés, accidentels), provenant de plus en plus d’équipes américaines et européennes ; citons les travaux de Michelle Block (Richmond, Virginie), Jordy Sunyer (Barcelone), des équipes de Harvard. La pollution de l’air a des conséquences majeures sur le cerveau des enfants exposés : déficits cognitifs, lésions et dépôts cérébraux typiques de la maladie d’Alzheimer (inhabituels à cet âge), modifications biochimiques reflétant un stress oxydatif et une inflammation diffuse du système nerveux central. Les effets neurologiques de la pollution de l’air chez l’enfant constituent donc un enjeu majeur de santé publique, comme le souligne Jordi Sunyer [3].

L’exposition fœtale est devenue un déterminant majeur des risques de maladies non transmissibles, apparaissant à l’âge adulte. Cette découverte est le résultat des remarquables travaux épidémiologiques de l’école britannique (débutés par David Barker dans les années 1980). Ceux-ci ont conduit au concept de l’origine développementale des maladies non-contagieuses (DOHaD[c]), concept maintenant largement admis par la communauté scientifique [4]. Il intervient pour expliquer de nombreuses pathologies (hypertension artérielle, diabète, obésité, etc.). De plus, il a été conforté par la mise en évidence de vraisemblables mécanismes épigénétiques sous-jacents. L’air pollué (villes, mégapoles) fait parti des expositions délétères. La démonstration de son effet épigénétique dans la survenue de cancer et d’asthme (pour le moment) est récente.

Parmi les maladies neurodéveloppementales, les troubles autistiques par leur fréquence croissante et leurs répercussions occupent une place importante. La question des facteurs de risque environnementaux est soulevée depuis une dizaine d’années suite au constat d’une forte augmentation de l’incidence notamment en Californie. Parmi ceux-ci, c’est encore une fois la pollution de l’air (le trafic routier par exemple) qui a été incriminée dans plusieurs articles américains à l’inverse d’une étude européenne (publiée début 2016) qui ne montre aucune relation. Néanmoins ce même consortium européen a démontré un lien entre la pollution de l’air par les particules de matière (PM2.5[d]), les oxydes de soufre et une réduction du périmètre crânien des enfants.

La démonstration d’un lien de causalité entre un facteur environnemental et un effet pathologique repose nécessairement sur des études épidémiologiques de qualité. Mais ceci reste insuffisant. Ainsi, il nous paraît indispensable d’attirer l’attention sur une nouvelle hypothèse physiopathologique, prometteuse, de l’autisme formulée par Gustavo Roman (Houston, Texas) [5]. Partant du rôle reconnu de longue date des hormones thyroïdiennes dans l’ontogenèse cérébrale [e], cet éminent neurologue a postulé, en 2007, que des perturbations thyroïdiennes (insuffisance, perturbateurs endocriniens, par exemple) pouvaient entraîner, en sus du crétinisme hypothyroïdien facilement diagnostiqué, des troubles autistiques. Les perturbateurs endocriniens, on s’en doutait, concernent aussi la neurologie.

Une autre maladie neurologique, la sclérose en plaques (SEP), apparaît aussi être impactée par la pollution atmosphérique. Des publications épidémiologiques concordantes récentes (2015-2016) ont mis en évidence un lien entre le déclenchement de poussées de SEP et la pollution de l’air (particules de matière, PM10), venant confirmer quelques études plus anciennes. Reste à comprendre les mécanismes ; en effet la SEP est considérée comme une maladie auto-immune[f] d’étiologie inconnue.

Depuis longtemps, l’impact de la pollution de l’air a été identifié dans le domaine cardio-vasculaire. En ce qui concerne la pathologie vasculaire cérébrale, les données sont plus récentes datant d’une quinzaine d’années. Le risque de survenue d’un accident vasculaire cérébral (AVC) de type ischémique[g] est corrélé avec les taux d’ozone de l’air ambiant, chez l’homme de plus de 40 ans, comme le démontre l’étude utilisant le registre dijonnais des AVC [6]. Le risque est significatif pour les AVC survenant 24 heures après l’exposition, indépendamment de la pollution par les PM10. Ce constat est corroboré par d’autres études notamment asiatiques. Mais comment expliquer cet effet retardé et bien sûr ce délai ? Le risque paraît majoré chez des patients plus vulnérables car présentant d’autres facteurs de risque (arythmie, tabagisme) et une plaque d’athérome carotidien qui pourrait se détacher. En 2014, une méta-analyse est venue confirmer le rôle délétère des particules de matière apportant des arguments supplémentaires en faveur d’un consensus possible : les PM auraient un effet inflammatoire sous-tendant une augmentation du risque d’AVC.

La contamination chimique globale, véhiculée tant par l’alimentation et l’eau (ce qui est bien connu) que l’air (ce qui est maintenant prouvé) constitue un risque majeur pour le cerveau, à tout âge, touchant notamment les populations les plus vulnérables (fœtus, enfants, femmes enceintes). L’origine de cette contamination est connue : pratiques agricoles, industrielles, production d’énergie d’origine fossile, transports. Or ce risque est ignoré et donc négligé par les décideurs politiques. N’est-il pas surprenant de ne pas voir figurer dans la liste des neurotoxiques [3] établie par l’Agence européenne de l’environnement, la pollution de l’air ambiant ? Tout aussi surprenant est l’absence du mot « pollution de l’air » dans le document final de la COP 21 qui s’est tenue à Paris. Mais reconnaissons tout de même que le mot « santé » apparaît trois fois dans cette déclaration !

 

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Références
  1. Ritz B, Lee PC, Hansen J, et al. Traffic-related air pollution and parkinson’s disease in denmark : a case–control study. Environ Health Perspect 2015.
  2. Lilian Calderón-Garcidueñas L, Torres-Jardón R, Kulesza R, Park SB, D’Angiulli A. Air pollution and detrimental effects on children’s brain. The need for a multidisciplinary approach to the issue complexity and challenges. Front Hum Neurosci 2014 ; 8: 613.
  3. Sunyer J, Esnaola M, Alvarez-Pedrerol M, et al. Association between traffic-related air pollution in schools and cognitive development in primary school children : a prospective cohort study. PLoS Med 2015 ; 12:e1001792
  4. Heindel JJ, Balbus J, Birnbaum L, et al. Developmental origins of health and disease : integrating environmental influences. Endocrinology 2015 Oct ; 156(10): 3416–21.
  5. Berbel P, Navarro D, Román G. An evo-devo approach to thyroid hormones in cerebral and cerebellar cortical development : etiological implications for autism. Front Endocrinol (Lausanne) 2014 Sep 9 ; 5:146.
  6. Henrotin JB, Besancenot JP, Bejot Y, Giroud M. Short-term effects of ozone air pollution on ischaemic stroke occurrence : a case-crossover analysis from a 10-year population-based study in Dijon, France. Occup Environ Med 2007 ; 64: 439-45.

 

Références complémentaires
  • Global Burden of Disease Study 2013 Collaborators.Global, regional, and national incidence, prevalence, and years lived with disability for 301 acute and chronic diseases and injuries in 188 countries, 1990–2013: a systematic analysis for the Global Burden of Disease Study 2013. Lancet 2015 ; 386: 743–800.
  • Schmidt CW. Beyond a one-time scandal : Europe's on-going diesel pollution problem. Environ Health Perspect 2016.
  • Wang A, Cockburn M, Ly TT, Bronstein JM, Ritz B. The association between ambient exposure to organophosphates and Parkinson's disease risk. Occup Environ Med 2014; 71(4): 275-81.
  • Calderón-Garcidueñas L, Leray E, Heydarpour P, Torres-Jardón R, Reis J. Air pollution, a rising environmental risk factor for cognition, neuroinflammation and neurodegeneration : the clinical impact on children and beyond. Rev Neurol (Paris) 2015.
  • Von Ehrenstein OS, Aralis H, Cockburn M, Ritz B. In utero exposure to toxic air pollutants and risk of childhood autism. Epidemiology 2014 ; 25(6): 851-8.
  • Shelton JF, Geraghty EM, Tancredi DJ, et al. Neurodevelopmental disorders and prenatal residential proximity to agricultural pesticides : the CHARGE study. Environ Health Perspect 2014 Oct ; 122(10): 1103-9. .
  • Angelici L, Piola M, Cavalleri T, et al. Effects of particulate matter exposure on multiple sclerosis hospital admission in Lombardy region, Italy. Environ Res 2016 Feb ;145:68-73.
  • Vojinović S, Savić D, Lukić S, Savić L, Vojinović J. Disease relapses in multiple sclerosis can be influenced by air pollution and climate seasonal conditions. Vojnosanit Pregl 2015 Jan ; 72(1): 44-9.
  • Wang Y, Eliot MN, Wellenius GA. Short-term changes in ambient particulate matter and risk of stroke : a systematic review and meta-analysis. J Am Heart Assoc 2014 ; 3:e000983
  • Grandjean P, Landrigan PJ.Developmental neurotoxicity of industrial chemicals. Lancet 2006; 368 (9553): 2167-78.

 

Notes

[a] GBD Global Burden of Diseases, la charge mondiale des maladies selon la définition de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), est une évaluation de l’état de santé mondial et des divers types de maladies touchant la population mondiale.

[b] MPTP est une toxine détruisant certaines cellules nerveuses (neurones) localisées dans le cerveau (substance noire) à l’origine de syndromes parkinsoniens chez l’homme, utilisée pour produire des modèles de MP chez l’animal.

[c] DOHaD est l’acronyme de Developmental Origins of Health and Disease

[d] PM est l’acronyme anglais de Particulate Matter et désigne des fines particules de matière en suspension de composition chimique et de poids variable, présente dans l’air par exemple.

[e] Ontogenese désigne le développement progressif d'un organisme depuis sa conception jusqu'à sa forme mûre, voire jusqu'à sa mort.

[f] Auto-immunité désigne le dysfonctionnement du système immunitaire lorsque celui-ci s’attaque aux propres constituants normaux de l’organisme.

[g] L’ischémie est la diminution de l'apport sanguin artériel à un organe secondaire, par exemple à une plaque d’athérome qui vient boucher une artère.