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Médecine thérapeutique

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Vitamine D et diabète Volume 25, numéro 2, Mars-Avril 2019

La vitamine D est connue et étudiée depuis de nombreuses années pour son rôle majeur dans l’homéostasie phosphocalcique. Plusieurs travaux ont en outre montré qu’elle exerçait possédait des effets extraosseux, en particulier dans la pathogénie du diabète et la survenue de complications. En effet, cette vitamine pourrait interagir avec les différents mécanismes physiopathologiques régissant l’insulinosécrétion, l’insulinorésistance et les paramètres de l’homéostasie glucidique.

Le but de notre travail est d’évaluer le statut de la vitamine D dans une population de diabétiques marocains, d’identifier les différents facteurs déterminant une carence, d’établir les corrélations entre le statut de la vitamine D et plusieurs paramètres métaboliques, cardiovasculaire et d’équilibre glycémique, et d’étudier l’intérêt d’une éventuelle supplémentation en vitamine D chez ces patients, notamment son impact sur l’équilibre glycémique.

Patients et méthodes

Il s’agit d’une étude rétrospective, qui s’est étandue sur sept ans : de janvier 2009 à décembre 2015.

Étaient inclus les sujets diabétiques de type 2 ou 1, hospitalisés au service d’endocrinologie diabétologie du CHU Hassan II de Fès.

Étaient exclus les patientes suivies pour un diabète gestationnel, diabète antérieur et grossesse, pour diabète secondaire ainsi que les patients ayant une insuffisance rénale terminale.

La vitamine D – c’est-à-dire les composés 25-hydroxyvitamine (25[OH]) D2 et D3 – était dosée chez tous nos patients :

  • la carence était définie par un taux sérique de 25(OH)D < 10 ng/mL,
  • le déficit par un taux de 25(OH)D compris entre 10 et 29 ng/mL,
  • la normalité par une valeur > 30 ng/mL.

Nous avons évalué le statut de la vitamine D chez ces patients, ainsi que la relation entre le taux sérique de la 25(OH)D et différents paramètres cliniques et biologiques.

Analyse statistique

L’analyse a d’abord consisté à décrire la population incluse. Les variables qualitatives étaient exprimées en pourcentages et les variables quantitatives par des moyennes ± écarts types. Plusieurs tests statistiques ont été appliqués à l’aide du logiciel SPSS version 17.0 : le Chi-carré pour la comparaison des variables qualitatives, le test t de Student pour la comparaison desmoyennes entre deux groupes indépendants. L’analyse par régression logistique multivariée a été appliquée afin d’évaluer le degré d’interférence entre les paramètres testés et le statut vitaminique.

Résultat

Description de la population (tableau 1)

Les données de 366 diabétiques ont été recueillies, dont 286 diabétiques type 2 et quatre-vingt de type 1, avec une prédominance féminine de 59 %. La moyenne d’âge était de 52 ± 16 ans, la durée d’évolution moyenne de diabète était de 10 ± 8 ans, l’indice de masse corporelle (IMC) moyen de 27,3 ± 6,9 kg/m2, l’hémoglobine glyquée (HBA1C) moyenne était de 10,4 ± 2,4 %.

Concernant les facteurs de risque associés, une hypertension artérielle (HTA) était notée chez 43 % des sujets, une dyslipidémie chez 51 %, une obésité chez 28 % et un tabagisme chez 5 %.

Complications dégénératives

Sur le plan microangiopathie : 30 % des patients présentaient une rétinopathie diabétique, 27 % une néphropathie diabétique – dont 24 % au stade d’insuffisance rénale – et 13 % une neuropathie diabétique.

Sur le plan des microangiopathies : 23 % des patients présentaient une cardiopathie et 30 % une atteinte athéromateuse des artères des troncs supra-aortiques et des membres inférieurs.

Traitement du diabète

Six pour cent (6 %) des patients étaient sous mesures hygiénodiététiques, 31 % sous antidiabétiques oraux, 20 % sous antidiabétiques oraux et insuline basale, et 41 % sous insuline.

Résultats de dosage de la vitamine D

Le taux moyen de vitamine D était de 15,71 ± 11 ng/mL avec un bilan phosphocalcique normal : calcémie corrigée moyenne à 94 ± 11 mg/L et phosphorémie moyenne à 33 ± 5,6 mg/L. Un déficit en vitamine D était noté chez 93 % des patients :

  • une carence (< 10 ng/mL) chez 27 % d’entre eux,
  • une insuffisance sévère (entre 10 et 20 ng/mL) chez 60 %,
  • une insuffisance modérée (entre 20 et 30 ng/mL) chez 12 %.

La vitamine D était normale (> 30 ng/mL) chez 6 %.

Analyse statistique

La corrélation entre le taux sérique de 25(OH)D et les autres paramètres cliniques de notre population a été estimée.

Une corrélation significative ainsi été montrée entre le statut de la vitamine D et le sexe, le tabagisme et l’obésité (p < 0,05).

Aucune corrélation significative n’a en revanche été observée entre le statut de la vitamine D et l’âge, la durée d’évolution du diabète ni son type (p > 0,05) (tableau 2).

La corrélation entre le taux sérique de 25(OH)D et les différents paramètres biologiques et dégénératifs a, de même, été étudiée. Aucune relation significative n’était constatée entre le statut de la vitamine D et la glycémie à jeun, le déséquilibre glycémique, la dyslipidémie, l’HTA, la cardiopathie et les complications dégénératives (tableau 3)

Impact de la correction de la vitamine D

La vitamine D a été corrigée chez 196 patients (83 %). Une amélioration significative de l’HBA1C était observée après cette cure de vitamine D, sa valeur passant de 10,73 ± 2,6 % à 7,68 ± 3,3 % (p = 0,007). Cette observation peut néanmoins être biaisée par le fait que les patients ont aussi bénéficié d’une intensification du traitement du diabète

Discussion

Le rôle important joué par la vitamine D dans le métabolisme osseux et phosphocalcique est connu depuis plusieurs décennies. Des études épidémiologiques et cliniques réalisées ces dernières années ont permis de mettre en évidences d’autres fonctions assurées par cette vitamine. Elle semble ainsi jouer un rôle significatif dans la pathogénie de maladies cardiométaboliques (syndrome métabolique, obésité, diabète ou HTA). La carence en vitamine D est fréquente dans nos régions, même si le Maroc est un pays nord-africain bien ensoleillé ; cette carence pourrait avoir un rôle délétère chez les diabétiques de type 1 et de type 2.

Dans notre population, le taux moyen de la 25(OH)D était de 15,71 ± 11 ng/mL, 93 % de nos patients présentaient une carence ou une insuffisance en vitamine D, ce qui rejoint les résultats d’autres études. Une observation marocaine, rapportée par Safi et al.[1], montre une valeur moyenne de la 25(OH)D de 10,95 ± 6,99 ng/mL, 98,1 % des patients présentant un déficit ou une carence en vitamine D. Dans une étude tunisienne de Oueslati et al. [2], le taux moyen de vitamine D était de 9,31 ± 7,7 et 88 % des patients présentaient une vitamine D basse. Yu et al. [3] ont noté, dans une population coréenne de 276 patients diabétiques de type 2, une concentration moyenne de 25(OH)D de 12,9 ± 0,4 ng/mL, avec une prévalence du déficit ou de la carence en vitamine D de 98 %. La 25(OH)D était en outre significativement plus basse chez les patients diabétiques que dans le groupe contrôle : 15,4 ± 0,5 ng/mL en moyenne (p < 0,01). Nobécourt et al. [4] observent également, dans une population de 638 patients diabétiques, en France, une carence en vitamine D (< 30 ng/mL) chez 93 % des sujets, sévère (< 10 ng/mL) chez 20 %.

Aucune relation significative n’a été observée entre le statut de la vitamine D et la glycémie à jeun, le déséquilibre glycémique, la dyslipidémie, l’HTA, la cardiopathie ou les complications dégénératives du diabète. Certaines études suggèrent pourtant une corrélation entre le statut vitaminique et l’équilibre glycémique et les paramètres du risque cardiovasculaire chez les patients diabétiques [5].

Facteurs influençant le taux de vitamine D

Nous rapportons ici une relation significative entre le statut de la vitamine D et le sexe féminin. Les habitudes vestimentaires et culturelles au Maroc font que les femmes y sont plus touchées par la carence et le déficit en vitamine D. La surface corporelle exposée au soleil influence en effet le statut vitaminique D d’une personne [6], et le port de vêtements couvrants, avec l’usage de crème solaire par les femmes, limitent le rayonnement solaire, ce qui diminue la production de vitamine D3. De la même façon, des taux paradoxalement élevés de patientes carencées s’observent dans plusieurs pays de latitude basse, bénéficiant d’un fort taux d’ensoleillement. C’est le cas du Liban et de la Turquie, par exemple, où les proportions de femmes en déficit vitaminique D s’élèvent respectivement à 76,7 et 84,9 % [7].

Le type de peau influence également la production de vitamine D par l’individu. La mélanine, responsable de la pigmentation cutanée, et présente en quantité plus importante dans les peaux plus foncées, pourrait être en compétition avec le 7-déhydrocholestérol pour l’absorption des ultraviolets B. Ainsi, dans situation identique, une peau noire devrait passer deux à dix fois plus de temps exposée au soleil qu’une peau blanche pour synthétiser la même quantité de vitamine D [8]. Cela pourrait expliquer les taux de vitamine D bas enregistrés dans notre population, la plupart des Marocains ayant une peau plutôt foncée.

Dans notre étude, le stade de la vitamine D est corrélé significativement à l’obésité, comme cela a été observé ailleurs [9]. Chez l’obèse, la biodisponibilité de la vitamine D3, qu’elle soit synthétisée en sous-cutanée ou qu’elle provienne de l’alimentation, est diminuée en raison de son accumulation dans le tissu adipeux [10]. Plusieurs études notent égalment une association entre obésité et carence vitaminique D. Une étude américaine a été réalisée en 2004 sur 154 sujets obèses (IMC moyen : 37,3 kg/m2) versus 148 témoins ; les concentrations de 25(OH)D y étaient inversement reliées à l’IMC, ce qui montre que l’obésité est une cause de carence en vitamine D, et non l’inverse [11]

Notre série montre également une relation significative entre le statut de la vitamine D et le tabac. Une étude menée par Yilmaz et al. [12], chez 171 patients diabétiques de type 2, n’a pas observé une telle association, dont l’existence et, le cas échéant, la nature, ne sont pas encore élucidées. Elle pourrait résulter de ce que le tabac diminue l’absorption de la vitamine D.

Notre population ne montrait pas non plus de relation significative entre le statut de la vitamine D et l’âge. La série de Safi et al. montrait, quant à elle, une corrélation négative entre ces deux variables [1]. Le déficit en vitamine D chez la personne âgée peut s’expliquer par divers facteurs : une diminution de la synthèse du précurseur en vitamine D (provitamine D), une exposition moins importante aux rayonnements solaires, une diminution des apports alimentaires en vitamine D (dénutrition) et une insuffisance rénale fréquemment observée [13, 14].

Nous n’observons pas de relations significatives entre le statut de vitamine D et le type de diabète, 1 ou 2, contrairement aux autres études où la vitamine D était plus basse chez les patients diabétiques de type 2 [15]. Il n’était pas non plus noté d’association entre le taux de vitamine D et la durée d’évolution du diabète. Une étude menée par Yilmaz et al.[12], rapporte, quant à elle, une corrélation négative entre les taux de vitamine D (< 20 ng/mL), et la durée du diabète (p = 0,011).

Aucune corrélation significative n’a été observée, dans notre série, entre la vitamine D et la glycémie à jeun p = 0,373) ni entre la vitamine D et l’HbA1c, comme dans la série tunisienne [64]. Yu et al. [3] notent, à l’inverse, une relation significative, en analyse multivariée, entre les niveaux sériques bas de 25(OH)D chez les patients diabétiques de type 2 et un mauvais équilibre glycémique apprécié.

Nous rapportons une amélioration significative de l’HBA1C trois mois après la correction de la vitamine D ; cette observation peut néanmoins être biaisé par le fait que les patients ont également bénéficié d’une intensification du traitement du diabète. Une étude a été réalisée en Iran [16] sur quatre-vingt-dix patients diabétiques ayant bénéficié d’une supplémentation journalière en vitamine D, laquelle a montré que les valeurs glycémiques à jeun ont baissé au bout de trois mois en moyenne de 13 %, l’HBA1C diminuant de 0,4 %.

Conclusion

La prévalence élevée d’insuffisance en vitamine D chez les patients diabétiques du Maroc, pays bénéficiant d’un ensoleillement important, est alarmante. Le déficit en vitamine D est plus marqué chez les femmes et les obèses. La correction de l’insuffisance en vitamine D permet un meilleur équilibre glycémique.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt en rapport avec cet article.

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