JLE

Médecine

MENU

Évaluations des informations sur YouTube® concernant l’asthme Volume 14, numéro 7, Septembre 2018

Illustrations


  • Figure 1

Tableaux

L’enquête du Conseil National de l’Ordre des Médecins de 2010 a révélé que sept français sur dix consultaient Internet pour obtenir des informations en matière de santé [1]. Le contenu d’Internet ne pouvant être contrôlé, il serait intéressant de mieux connaître les informations auxquelles les patients ont accès [2-4]. Les patients porteurs de maladie chroniques seraient plus consommateurs de ces informations de santé en ligne [5].

Quelques travaux [5] se sont intéressés aux informations de santé délivrées via YouTube®, le site leader d’hébergement de vidéos. Ils rapportaient que les informations sont parfois inexactes, voire dangereuses.

L’asthme est une maladie chronique fréquente qui reste encore mal comprise par les patients et leur entourage. Une meilleure compréhension de la maladie semble associée à un meilleur contrôle de celle-ci [6]. Malgré l’existence de thérapeutiques validées, les patients asthmatiques ont parfois recours à des approches non conventionnelles, en dehors des recommandations médicales.

L’objectif principal de cette étude était d’évaluer la qualité scientifique des informations dans les vidéos YouTube® abordant la question de l’asthme.

Méthode

Une recherche sur YouTube® avec le mot-clé « asthme » a été réalisée le 13 novembre 2017. Les vidéos retenues pour l’analyse devaient respecter les critères d’inclusions suivants : être francophone, aborder la question de l’asthme. Les vidéos abordant la question de l’asthme chez l’animal ont été exclues.

L’évaluation de la qualité scientifique des informations a été réalisée en utilisant un score d’exactitude scientifique construit dans le cadre de l’étude. Ce score a été élaboré à partir du score publié par Gonzalez-Estrada et al. en 2015 [7]. Un travail d’adaptation a été réalisé afin de mieux prendre en compte les recommandations médicales de la Société de Pneumologie en Langue Française et de la Global Initiative for Asthma.

Le score d’exactitude scientifique évaluait les vidéos selon 30 items relatifs à l’asthme (tableau 1). Un point était attribué si l’information était présente. Si l’information était absente ou inexacte mais sans conséquence grave, aucun point n’était n’attribué. Pour toute affirmation fausse et potentiellement dangereuse : un point était retiré.

Le score d’exactitude scientifique permettait ainsi de rendre compte de l’exactitude et de l’exhaustivité des informations présentes. Le premier terme a été retenu pour nommer le score afin de clarifier l’attribution des points négatifs.

Les vidéos ont ensuite été classées en deux groupes selon leur contenu : « Médecine conventionnelle » (MED) et « Promotion d’une approche non conventionnelle » (NC). Les approches non conventionnelles étaient les approches de soin ne faisant pas partie des recommandations médicales. Une vidéo abordant la médecine conventionnelle et faisant la promotion d’au moins une approche non conventionnelle était classée dans le groupe NC. Évoquer l’existence d’une approche non conventionnelle n’était pas considéré comme étant de facto l’équivalent d’en faire la promotion. Ces approches non conventionnelles ont été recensées et classées par thème.

D’autres données ont été recueillies afin de rechercher des liens de corrélations avec le score d’exactitude scientifique (tableau 2).

Résultats

Les notes au score d’exactitude scientifique variaient de – 3 à 17 avec une moyenne de 4,4 sur 30. Le groupe des 35 vidéos faisant la promotion d’une approche non conventionnelle avait un score moyen inférieur au groupe des 65 vidéos ne faisant pas cette promotion (p<0,05). La répartition des scores en fonction des groupes est visible sur la figure 1.

Les items du score les plus souvent mentionnés étaient : dyspnée (52 fois), allergie (41 fois), sifflement (36 fois), toux (34 fois) et bronchoconstriction (31 fois).

Treize vidéos ont reçu des points négatifs (1 MED, 12 NC) allant de – 1 à – 6, avec un score total allant de – 3 à 11. Ces points négatifs ont été attribués pour des propos concernant les thèmes suivants :

  • un produit conseillé potentiellement à risque ;
  • un conseil retardant la prise en charge efficace d’une crise d’asthme ;
  • une mise en garde scientifiquement injustifiée contre un traitement (corticoïdes, antibiotique, Ventoline®) ;
  • une mauvaise illustration de la prise du traitement ;
  • une mise en garde contre les propos du corps médical ;
  • une négation de la maladie ;
  • un régime alimentaire draconien conseillé.

Une centaine d’approches non conventionnelles ont été recensées. La plupart portaient sur des conseils diététiques : certains aliments étaient privilégiés alors que d’autres étaient prohibés avec des régimes d’éviction (dont le régime sans gluten, sans additif, végétarien, végétalien, crudivore) allant jusqu’au jeûne. Il arrivait que le même aliment se retrouve dans les deux catégories (conseillé/prohibé) en fonction des vidéos. Les autres approches concernaient des produits en application externe (dont argile verte et huiles essentielles), des techniques de manipulation (dont ostéopathie et chiropractie) et d’autres pratiques moins connues comme l’urinothérapie ou la psychanalyse transgénérationnelle.

Trois vidéos mentionnaient une bibliographie. Ces vidéos faisaient partie du groupe MED et ont reçu un score d’exactitude scientifique de 6, 9 et 17. Aucune déclaration de lien d’intérêt n’a été retrouvée sur les 9 vidéos qui faisaient intervenir un professionnel de santé français mentionnant au moins un médicament.

Nous n’avons pas retrouvé de lien statistiquement significatif entre la qualité scientifique des vidéos et les critères secondaires.

Discussion

Les vidéos YouTube® étudiées donnent peu d’informations scientifiquement exactes sur l’asthme. Cela est encore plus vrai pour les vidéos faisant la promotion d’une approche non conventionnelle. Ce type de vidéo représente près d’un tiers des vidéos analysées.

L’étude de Gonzalez-Estrada et al. [7] retrouvait également près d’un tiers de vidéos réalisées par les « autres prestataires de soins » et de moins bonnes notes associées à ce groupe.

Il faut noter que le score d’exactitude scientifique utilisé ne prend pas en compte les informations non scientifiques mais potentiellement pertinentes comme le témoignage de vie des patients. De plus, certaines vidéos correctes sur le plan scientifique ont une mauvaise note au score d’exactitude scientifique car elles n’abordent qu’un aspect de la maladie comme la technique de prise du traitement. Ainsi, pour chaque vidéo le score d’exactitude scientifique est à relativiser en fonction du détail des points, notamment la présence de point(s) négatif(s), et les aspects de la maladie qui ont été abordés.

Certaines vidéos mélangent éléments scientifiques sérieux et conseils inappropriés. Cela peut gêner le spectateur non initié à faire la distinction entre les informations basées sur les preuves et les informations à risque. Il serait intéressant d’interroger les patients sur leurs pratiques non conventionnelles pour explorer leurs représentations et rechercher des comportements à risque.

Il serait intéressant également de poursuivre les études sur les informations relatives à d’autres pathologies. D’autres travaux pourraient se pencher sur la compréhension de ces informations par les patients et l’influence sur leurs comportements de santé.

De nombreux auteurs, dont le Conseil National de l’Ordre des médecins, invitent les professionnels de santé à s’investir sur Internet pour y proposer des contenus de qualité [3, 5, 8]. Au terme de ce travail, une vidéo a été réalisée, abordant l’ensemble des items du score d’exactitude scientifique. Une bibliographie et une déclaration de conflit d’intérêt y ont été associées. La vidéo a été mise en ligne sur YouTube® sous le nom « Asthme - WhyDoc #13 » à l’adresse suivante : https://youtu.be/gUZVqTWr--A

WhyDoc késako ?

WhyDoc est une série de vidéos de vulgarisation médicale réalisée depuis deux ans. Ces vidéos sont à destination des patients pour aborder des thèmes variés : les vaccins, le lumbago, l’hypertension artérielle, le syndrome du bébé secoué, l’asthme, le mélanome, la gale…

Ces vidéos se veulent accessibles à tous. Les mots utilisés sont simples et les explications sont accompagnées de schémas, de photos ou d’animations. Elles sont en accès libre sur Youtube® : https://www.youtube.com/whydoc

Le script de chaque épisode se base sur une recherche bibliographique sérieuse mais s’inspire aussi des messages retrouvés sur les forums de patients dont le célèbre Doctissimo. Les vidéos sont réalisées sur fonds propres, sans aucun financement de l’industrie pharmaceutique ou de Youtube®.

WhyDoc a été récompensé trois fois : prix Alexandre Varney 2017, 3e prix du concours vidéo de l’UNESS 2017 et Prix du Généraliste 2018 dans la catégorie innovation numérique en santé. De plus, la vidéo sur le syndrome du bébé secoué a trouvé sa place dans les formations de la PMI44, celles sur l’asthme et l’épilepsie sont utilisées dans des sessions d’éducation thérapeutique.

Conclusion

Ce travail a fait l’objet d’une thèse où le jury a souligné la qualité de la vidéo sur l’asthme. Il existe actuellement 15 autres vidéos avec une audience de 300 vues quotidiennes. Des projets de partenariat sont en réflexion avec l’université de Nantes, les ARS et les URML. Ces partenariats permettraient de dégager du temps pour aborder d’autres thèmes comme le diabète, la maladie de Lyme, la démence, l’usage des antibiotiques, etc.

Pour la pratique

  • Les professionnels de santé sont encouragés à investir Internet et proposer des contenus de qualité.
  • Les vidéos YouTube® étudiées concernant l’asthme sont pauvres en informations scientifiques. Une partie d’entre elles contiennent des informations potentiellement dangereuses.
  • Une vidéo d’information sur l’asthme a été réalisée au décours de ce travail, disponible sur : www.youtube.com/whydoc
  • Le champ d’étude sur les informations de santé en ligne est vaste et mérite d’être exploré dans de futurs travaux.

Liens d’intérêts

les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt en rapport avec l’article.

Licence Cette œuvre est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International