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Le réseau Transition : une initiative nationale pour promouvoir l’intervention précoce des psychoses débutantes chez l’adolescent et l’adulte jeune Volume 95, numéro 8, Octobre 2019

Introduction

Il est aujourd’hui démontré qu’une prise en charge précoce en psychiatrie améliore notablement la qualité de la rémission et pourrait permettre de réduire le risque ou la sévérité des formes chroniques, en premier lieu de réduire le risque ou la sévérité d’un trouble schizophrénique [1, 2].Mais, alors que l’émergence d’un premier épisode nécessiterait une prise en charge sans délai, l’accès à des soins adaptés pour un trouble psychotique est, en France, d’environ 1,5 à 2 ans après que le trouble psychotique est déclaré, auxquels il faut ajouter en moyenne 5 ans pendant lesquels les symptômes étaient présents sous une forme atténuée (prodromes) et aurait pu permettre une prise en charge. Ainsi, le retard d’accès aux soins est considérable en France, montrant l’inadéquation de notre système de soins à proposer un repérage et un parcours de soins adéquat dès l’émergence des premiers symptômes [3]. On peut identifier plusieurs facteurs à cela [4] :

  • la période durant laquelle se révèlent les troubles – le plus souvent entre 15-25 ans – une période charnière pour les jeunes tant du point de vue physiologique (maturation cérébrale) que sociétale (formation, autonomisation, insertion) mais aussi période charnière pour notre système de soin, [5, 6] ;
  • le manque d’information du grand public et la difficulté à reconnaître les symptômes initialement subtils par les jeunes, leur entourage et pour les professionnels de première ligne qu’ils sont amenés à rencontrer [7] ;
  • la stigmatisation de la psychiatrie, de ses patients et ses acteurs de soin [6].

Ces constats montrent la nécessité de repenser le parcours de soin en amont et en aval du « premier épisode » psychotique et de diffuser les pratiques et principes qui ont permis au niveau international de réduire le délai d’accès aux soins à moins de 6 mois et améliorer le pronostic des jeunes en préservant leur insertion dans leur parcours de vie.

Intervenir précocement : pour quoi ? Pour qui ? Comment ?

Quatre notions clefs sont à avoir en tête pour comprendre l’intérêt de la détection et l’intervention précoce :

  • le poids social considérable lié au coût direct et indirect liés aux troubles psychiatriques chroniques (109 milliards d’euros par an). Les programmes d’intervention précoce développés à l’étranger ont montré leur efficience d’un point de vue économique : un euro investi dans l’intervention précoce pour la psychose débutante en fait économiser 15 de coûts directs et indirects (London School of Economics, [2]) en améliorant le pronostic fonctionnel, le maintien dans le parcours de vie et en réduisant le recours à l’hospitalisation ;
  • la période de maturation cérébrale où apparaissent les symptômes, période de plasticité cérébrale majeure, propice à une intervention préventive et à l’inverse particulièrement sensible aux facteurs de l’environnement (par exemple le cannabis a des effets cérébraux plus durables pendant cette période que lors d’expositions plus tardives) [6, 8] ;
  • la notion de stade évolutif qui va guider l’attitude thérapeutique, sans attendre un diagnostic catégoriel, lorsque les troubles sont souvent atypiques et difficiles à différentier [7] ;
  • la présence précoce d’altérations du fonctionnement cognitif, avant même le premier épisode franc, avec un retentissement sur les études et l’insertion professionnelle, et justifiant des prises en charge globales précoces visant à préserver l’insertion des jeunes dans leur parcours socio-éducatifs (ou favoriser leur réinsertion) tout en assurant les soins adaptés [9, 10].

L’intervention précoce vise avant tout à promouvoir l’engagement, l’évaluation et la mise en place rapide d’interventions biopsychosociales chez les personnes à risque ou chez celles qui traversent les stades précoces d’un trouble psychique, à l’aide d’approches spécifiquement adaptées à leurs besoins [11]. Les programmes spécialisés dans ce type d’intervention cherchent donc à diminuer le délai de mise en place des soins et à maximiser les chances de rétablissement en s’appuyant sur des interventions dont l’efficacité est maintenant établie par la recherche.

L’intervention précoce concerne les personnes à ultra haut risque (ou présentant un état mental à risque) avec une altération du fonctionnement et symptômes psychotiques atténués en intensité ou en fréquence et ceux présentant les premiers épisodes psychotiques. Les programmes développés au niveau international ont démontré que la période précédant l’émergence d’un trouble constitué ou juste après l’émergence d’un trouble psychotique est propice à une intervention préventive ciblée ou secondaire pour réduire le risque de transition vers la psychose ou la sévérité de la maladie. On désigne cette période comme psychose débutante.

L’intervention précoce repose sur une évaluation multidisciplinaire spécifique qui permet des prises en charge globales et de personnaliser la stratégie thérapeutique en fonction du contexte et des facteurs de risque mais aussi de l’adapter au stade de la maladie [4, 6, 7]. Lorsque les symptômes psychotiques sont atténués, peu intenses ou peu fréquents, le bénéfice d’un antipsychotique sera moindre face aux risques d’effets secondaires et les antipsychotiques sont donc à réserver aux premiers épisodes avérés (antipsychotiques de 2e génération à des doses plus faibles que les doses utilisées dans la phase chronique). En revanche, une approche thérapeutique visant les facteurs de risque (cannabis, stress, etc.) est toujours utile en fonction du profil du patient [5]. Des programmes spécifiques de psychoéducation devraient être systématiquement proposés aux jeunes et à leurs parents, de même que des thérapies cognitives et comportementales (TCC) visant les facteurs précipitants (stress, consommation de cannabis notamment) mais aussi les symptômes psychotiques négatifs et positifs. Enfin, la prise en charge devrait être centrée sur un case manager référent principal qui accompagne le jeune dans toutes les étapes pour répondre à ses besoins, qu’ils soient médicaux ou en termes d’insertion, qui l’aide à une reprise d’activité et à une hygiène de vie.

Un point essentiel est de réduire le délai d’accès aux soins [4, 5, 7] : il faut améliorer le repérage des jeunes en difficulté plus tôt et faciliter une orientation adaptée vers des équipes spécialisées non stigmatisantes[6]. Cela passe aussi par une meilleure visibilité d’équipes spécialisées dans l’intervention précoce, formées aux pratiques répondant aux recommandations internationales mais aussi par une formation au repérage des symptômes d’appel pour les professionnels de première ligne, au premier rang desquels les généralistes et les médecins scolaires. Cela passe aussi par des campagnes de sensibilisation des professionnels au contact des jeunes et aussi du grand public, jeunes compris. Les parents jouent un rôle essentiel pour faciliter l’accès aux soins et infléchir la représentation qu’a le jeune des troubles psychiatriques : les jeunes faisant l’expérience des premières difficultés psychiatriques et qui pensent que chercher de l’aide est un « aveu de faiblesse » ou qu’il faut « être fou » pour consulter un psychiatre seront naturellement moins enclins à consulter [14].

Le réseau Transition : promouvoir l’intervention précoce en France

La France a pris un retard majeur dans le domaine. Au cœur du problème : un défaut d’outils et de formation des acteurs de soins primaires en français, la stigmatisation de la psychiatrie par les professionnels et dans le grand public, des parcours de soins trop fragmentés par une organisation complexe des soins en psychiatrie entre services d’urgence et secteurs, avec peu d’articulation avec des unités universitaires et débordés par des files actives croissantes, et un défaut de coordination entre service de pédopsychiatrie et de psychiatrie adulte. Néanmoins, certains centres pilotes ont initié ces pratiques et montré leur faisabilité, comme le C’Jaad à Paris, à Nancy, Brest, Caen, ou encore à Lille et un nombre croissant de centres initient une démarche pour monter une équipe d’intervention précoce. L’expérience pilote du C’Jaad a depuis 2003 permis de mettre en œuvre des projets de recherche ou plus récemment, le projet d’évaluation des pratiques de soin qui se mettra en place cette année et permettra une analyse médico-économique de l’intervention précoce en France. Notre expérience a permis de donner un premier retour sur la validité des outils de repérage [15, 24], les biomarqueurs [16, 17], le parcours de soin [18]. À partir de notre centre, le réseau Transition s’est constitué dès 2006 avec pour mission de promouvoir l’intervention précoce à l’échelle nationale, par une animation scientifique avec des journées annuelles (Jipejaad), la traduction, la validation en français d’outils d’évaluation et la diffusion de documentations, Le réseau Transition fait partie de l’institut de psychiatrie (GDR 3557), espace collaboratif de recherche transdisciplinaire en décloisonnant les disciplines pour accélérer les progrès et favoriser l’innovation thérapeutique, la prévention des troubles. Depuis 2 ans, il propose des master class (www.institutdepsychiatrie.org/reseau-transition) pour l’initiation pratique aux outils d’évaluation (Caarms), au case management dans la psychose débutante, aux programmes de psychoéducation dédiés.

Lors du colloque de l’Unafam, Prévenir la transition vers la schizophrénie, nous avions fait 10 propositions :

  • 1)Établir et diffuser des recommandations françaises : pour les soins et pour l’implantation des dispositifs d’intervention précoce (cahier des charges, suivi de fidélité à ce cahier des charges).
  • 2)Développer la formation des professionnels.
  • 3)Établir un « diagnostic » territorial pour identifier les freins et opportunités dans les différents territoires.
  • 4)Déployer un réseau national de centres spécialisés dans l’intervention précoce : « Youth friendly » sur le territoire à un niveau supra-sectoriel.
  • 5)Créer un centre ressource coordonnant le réseau à l’échelle nationale, facilitant le déploiement d’outils collaboratifs et assurant une veille scientifique, en lien avec les réseaux internationaux.
  • 6)Développer de nouvelles pratiques de prises en charge, favoriser l’approche globale.
  • 7)Déploiement d’un système d’information centré sur le patient et favorisant la coordination des intervenants et la continuité du parcours de soins.
  • 8)Favoriser l’information des parents et de tout professionnel en contact avec les jeunes ; campagnes de déstigmatisation.
  • 9)Développer des recherches pour améliorer les outils de dépistage, d’évaluation ou de prises en charge, biomarqueurs.
  • 10)Accompagner ce déploiement d’études médico-économiques.

Dans la continuité de ces propositions, nous avons mis en place une « task-force », regroupant les acteurs nationaux les plus actifs en France dans ce domaine, et regroupant pédopsychiatres et psychiatres d’adulte. Cette task force s’est donnée la mission d’organiser des réunions professionnelles en vue de transposer les recommandations internationales au contexte français. Les recommandations sont nombreuses aujourd’hui : programmes australiens Orygen [19], ou européens, qu’il s’agisse de ceux du NICE [20] ou de l’EPA [21, 22]. Ces recommandations concernent la structuration (composition de l’équipe, ressources hospitalières et ambulatoires…), le fonctionnement (adéquation des populations visées, délai de prise en charge, rapport ambulatoire/hôpital…) et une harmonisation sur les évaluations (outils de dépistage, bilan somatique, évaluations psychopathologiques, cognitives, socio-éducatives) et l’offre de soins (psychoéducation des patients et des parents, programme de thérapies cognitives, algorithme pour les médicaments…). Ce travail de transposition, qui prendra la forme d’un consensus d’expert, est d’autant plus important que les dernières recommandations concernant la schizophrénie débutante en France remontent à 2007. Les différents outils seront discutés avec les partenaires du champ sanitaire et médicosocial, et avec les associations d’usagers et familles d’usagers. Ces outils consensus serviront de « boîte à outils » pour les centres de détection et d’intervention précoce en cours de déploiement dans différentes régions. À terme, l’idée est de permettre de définir un cahier des charges pour ces centres, donner accès à des outils de communication et harmoniser la collection de données pour permettre d’avoir les chiffres réels et représentatifs de la prise en charge des premiers épisodes en France.

Le diplôme d’Université [23] sur les pathologies émergentes de l’adolescent et des jeunes adultes, à l’université Paris Descartes depuis 2014, forme tous les ans environ 40 professionnels de santé. En complément, le réseau Transition prévoit de développer des formations spécifiques pour les généralistes sur le repérage des symptômes d’appel, facilité par la mise à disposition d’autoquestionnaires que le jeune pourrait remplir. Enfin, nous participons activement au déploiement du programme #psyjeunes, mis en place par la fondation Deniker, programme d’information et de sensibilisation à la santé mentale dans les établissements scolaires pour les familles, les jeunes mais aussi les professionnels du monde éducatif (www.psyjeunes.org/). Le déploiement du site Web du « réseau Transition » facilitera la diffusion d’information et permettra de créer une communauté autour de questions d’actualité et de créer un espace « membre » pour accéder à du contenu plus spécialisé.

Diffuser les informations en francophonie

Pour atteindre son but, l’intervention précoce doit être proposée par des équipes pluridisciplinaires spécifiquement formées, idéalement dans le cadre de programmes spécialisés, afin d’assurer de se conformer à la spécificité de ces interventions. Ces pratiques apparues il y plusieurs décennies en Australie, aux USA et en Angleterre, se sont essentiellement diffusées dans les pays anglo-saxons. Leur développement y a été favorisé par des politiques de santé volontaristes permettant de revoir le parcours de soin sur l’ensemble d’un territoire défini [11]. En revanche, à l’exception du Québec, les pays francophones sont largement en retard.

La grande majorité des congrès sont en langue anglaise, à commencer par les congrès de l’Association internationale d’intervention précoce (IEPA), autour de laquelle s’est construite la communauté internationale impliquée dans la détection et l’intervention précoce. La barrière de la langue est bien présente, surtout lorsqu’il s’agit de former l’ensemble des professionnels de terrains, plus réticents à participer à des congrès en anglais, souvent par autocensure. La diffusion des concepts, l’échange d’expériences s’en trouvent limités.

De même, les échelles d’évaluation et les outils thérapeutiques pratiques ont été développés en anglais, ce qui limite encore plus la mise en place concrète de programmes d’intervention précoce dans les pays de langue française. Ce constat a amené la mise en place d’une branche francophone de l’Association internationale d’intervention précoce (IEPA) [11-13]. Dans la continuité de ceux de l’IEPA, nos objectifs sont d’améliorer les connaissances relatives à la phase précoce des troubles psychiatriques, l’identification de leurs causes, les moyens éventuels de les prévenir et les meilleures stratégies pour les traiter. Le but principal de notre démarche est de faciliter l’implantation de programmes spécialisés d’intervention précoce dans les pays de langue française, par le biais du renforcement des échanges entre les professionnels intéressés par ce domaine et de l’augmentation de la diffusion d’informations disponibles en français en articulant les actions menées à l’échelle nationale, et notamment celle du réseau Transition.

Conclusions

L’intervention précoce dès les phases précoces de la psychose est une nécessité sociétale, économique et humaine, car elle est un facteur majeur pour une meilleure évolution des patients et de leur famille et d’un moindre coût pour la société (prévention de l’épisode psychotique ou meilleur rétablissement). Aujourd’hui, les principaux outils sont disponibles et il existe un attrait croissant pour ce champ de la part des principaux acteurs. Néanmoins, la création d’un véritable réseau de centres d’intervention précoce, accessibles à tous à l’échelle nationale, nécessitera un véritable soutien, soutien coordonné et encadré par une harmonisation des pratiques validées, la déstigmatisation et la sensibilisation à la psychiatrie des acteurs de soins primaires.

Il est crucial de rattraper le retard français, car on ne peut pas continuer à ignorer les pratiques ayant fait leur preuve d’efficacité ailleurs et décrites par les recommandations internationales, y compris au niveau européen, l’European Psychiatric Association (EPA) sur la détection précoce et l’intervention précoce [21, 22]. Le lien entre le réseau Transition et la branche francophone de l’Association IEPA augmentera la légitimité et la crédibilité de nos démarches auprès des décideurs, afin qu’un élan national permette le déploiement des centres d’intervention précoce. Le réseau Transition se développera en fédérant les personnes intéressées et en répondant aux besoins des professionnels et du public. N’hésitez à nous rejoindre (contact@institutdepsychiatrie.org) !

Lien d’intérêt

l’auteure déclare avoir participé à des réunions ou avoir reçu des soutiens financiers par les laboratoires Otsuka-Lundbeck et Jansen.


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