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Intervention dans les phases précoces de la psychose au centre hospitalier universitaire de Caen Volume 94, numéro 3, Mars 2018

Tableaux

Introduction

Depuis plus de 20 ans, la littérature scientifique [1, 2] souligne le caractère déterminant de l’intervention précoce pour le devenir des personnes qui connaissent des premiers symptômes de nature psychotique. Depuis, de nombreuses initiatives se sont développées à l’international (Australie, Canada, États-Unis, Grande-Bretagne, Suisse…) avec la mise en place de systèmes ou de structures de soins basés sur le modèle de l’intervention précoce. La France, quant à elle, connaît un retard dans ce domaine. Au-delà du nombre infime de services dédiés à l’intervention précoce dans les troubles psychotiques, c’est la réflexion même sur la nécessité d’envisager ce type de soins qui stagne au niveau national [3]. Ainsi, la prise en charge des personnes ayant présenté un premier épisode psychotique (PEP) est tardive, lorsque l’épisode est constitué, et repose encore trop souvent principalement sur la prescription de psychotropes. Or, la littérature démontre sans ambiguïté que les traitements médicamenteux sont insuffisants pour permettre à l’individu d’atteindre, d’une part, une rémission symptomatique (les symptômes négatifs et cognitifs sont peu ou pas améliorés par les antipsychotiques) et, d’autre part, une rémission fonctionnelle (reprise d’activités socioprofessionnelles) et encore moins un rétablissement ou une qualité de vie satisfaisante. Par ailleurs, très peu d’équipes ont mis en place les outils nécessaires au repérage, ni ne fournissent de soins pour les personnes dites à haut risque de transition vers la psychose, c’est-à-dire qui présentent des signes psychotiques sans que ceux-ci ne soient suffisamment spécifiques, intenses, durables et/ou fréquents pour que le diagnostic d’épisode psychotique puisse être posé.

En se basant sur les expériences australiennes et suisses, le service de psychiatrie adulte du centre hospitalier universitaire (CHU) de Caen a développé un outil de soins spécifique, dédié à l’intervention précoce dans les troubles psychotiques, qui fournit une prise en charge globale et intégrée pour ces personnes.

L’Équipe mobile de soins intensifs du CHU de Caen

La création de l’Équipe mobile de soins intensifs date de 2010. Ce projet, destiné à l’intervention précoce, s’articule autour des notions d’intensivité et de mobilité des soins. En effet, les recommandations internationales [4] préconisent une intervention rapide, intensive et ambulatoire à la suite de l’identification de symptômes psychotiques :

  • rapide afin de diminuer au maximum la durée de psychose non traitée, période de développement et d’évolution des symptômes psychotiques, principal facteur de risque de chronicisation des troubles ;
  • intensive pour réduire les conséquences en termes de développement et de fonctionnement de l’individu ;
  • mobile en fournissant des soins dans la cité, par nature moins stigmatisants qu’une prise en charge hospitalière, qui permettent de travailler les symptômes dans la vie quotidienne et qui ne coupent pas l’individu de son milieu naturel et préservent ainsi son fonctionnement social.

L’Équipe mobile de soins intensifs est une unité du service de psychiatrie adulte du CHU de Caen créée à moyen constant par redéploiement de personnels du service. Les soignants qui la composent interviennent tous à temps partiel. À l’origine, elle était constituée d’une psychiatre (70 % ETP) et d’un psychologue (50 % ETP). L’objectif à cette époque était de centraliser les patients en phase précoce de psychose de notre secteur psychiatrique et de fournir des soins rapides, afin de diminuer la durée de psychose non traitée, et spécifiques, incluant un traitement antipsychotique à dose basse et des thérapies cognitives et comportementales (TCC). Après une année d’exercice, l’équipe s’est étoffée et compte actuellement six infirmières case managers (10 à 20 % ETP chacune, soit un ETP en temps cumulé) afin d’augmenter les soins ambulatoires. L’EMSI s’est également vu allouer au cours du temps un éducateur spécialisé (30 % ETP), un ergothérapeute (20 % ETP), un interne (100 % ETP) et un cadre de santé (10 % ETP).

Population

Le secteur du service de psychiatrie adulte du CHU de Caen couvre une population d’environ 120 000 habitants originaires de communes rurales et littorales, ainsi que de quartiers urbains de l’agglomération caennaise. L’équipe fournit une prise en charge globale de deux ans à de jeunes adultes âgées de 16 à 30 ans à haut risque de transition vers la psychose ou ayant développé un premier épisode psychotique. En cas de faux positif, le patient est redirigé vers le soignant ou la structure appropriés. Les comorbidités, telles que les pathologies neurodéveloppementales, l’usage de toxiques, les addictions comportementales, les troubles anxieux ou de l’humeur ne sont pas des critères d’exclusion.

Référencement

Le patient peut être référé à l’EMSI par différentes voies : lors d’une hospitalisation pour un épisode psychotique aigu (avec ou sans passage aux urgences), suite à une consultation externe auprès d’un membre de l’équipe de soins (à la demande du jeune, d’un membre de sa famille ou d’un soignant de première ligne), ou à la demande d’un collègue d’un autre secteur. En cas d’hospitalisation, le jeune est rencontré par un des membres de l’équipe dans les 24 à 72 heures ; dans la semaine en ambulatoire suite à un premier contact à la demande du jeune, de la famille ou d’un professionnel de santé. Le jeune et ses proches sont informés du diagnostic dès que celui-ci est posé et immédiatement avertis de la prise en charge multiple pendant deux ans.

Évaluation

En cas de doute sur le diagnostic de PEP, l’échelle CAARMS [5] est utilisée pour évaluer le risque de psychose. Si les symptômes sont francs et le diagnostic clair, l’échelle PANSS [6] est alors privilégiée. Le tableau 1 résume les échelles utilisées pour chaque patient ainsi que l’évaluateur réalisant la passation. Le case manager évalue de nombreux domaines et plusieurs fonctions compte tenu de sa position de référent principal du patient.

Tous les patients reçoivent une évaluation neuropsychologique. Les déficits cognitifs sont effectivement les symptômes les plus délétères pour le fonctionnement du patient dans la vie quotidienne, ils sont parmi les premiers à émerger durant la phase prodromale [7] et pourraient être envisagés comme des marqueurs d’une potentielle transition ultérieure chez les individus à haut risque de psychose [8]. Les tests cognitifs ont été choisis en accord avec les critères de l’initiative MATRICS [9] et s’ils étaient validés en langue française. Le tableau 2 résume ces tests et leur propension à être considérés comme des facteurs de risque de transition.

Une imagerie par résonance magnétique et une électroencéphalographie sont systématiquement prescrites.

Interventions thérapeutiques

Médication

Tous les patients sont traités par antipsychotiques à faibles doses selon les recommandations internationales [4], le cas échéant selon une balance efficacité/tolérance afin de limiter les potentiels effets indésirables. Les antipsychotiques de seconde génération sont utilisés en priorité et les formes injectables sont proposées dès le début de la prise en charge afin d’améliorer l’observance [10]. Des médications additionnelles comme des antidépresseurs ou des anxiolytiques sont délivrées selon l’état clinique. La plupart des recommandations ne recommandent pas les antipsychotiques chez les individus à haut risque. En général, les décisions médicales reposent sur le modèle de staging[11].

Case management

Tous les case managers de notre équipe sont des infirmières, le nombre de patient par ETP est de 10 à 12 patients, selon le temps de travail de chaque soignant. Ils ont reçu une formation d’une semaine avec les case managers du Treatment and Early Intervention in Psychosis Program (Pr. Conus, Lausanne, Suisse). L’objectif de cette immersion était d’acquérir les outils pour le soin ambulatoire intensif des patients en phase précoce de psychose. Le fonctionnement de l’EMSI est médico-décentré, le case manager est considéré comme le pivot de l’équipe soignante, il agit en tant que référent du patient et comme coordinateur des soins sanitaires et sociaux au plus près des besoins du patient. S’il est force de proposition et facilite l’accès du patient à de nombreuses activités et démarches, en revanche, il ne se substitue pas à lui dans la réalisation de ses objectifs. Parmi ses missions, il aide le patient à acquérir des ressources matérielles (comme de la nourriture, un toit, des vêtements ou des soins médicaux) ; à améliorer son fonctionnement psychosocial en lui permettant de rester inséré dans les tissus social, familial et amical ; à progressivement s’autonomiser et atteindre ses objectifs personnels en développant des stratégies d’adaptation lui permettant de faire face aux exigences de son milieu et en trouvant son propre mode de rétablissement.

La gestion de jeunes adultes requiert des compétences pour bâtir et maintenir une alliance thérapeutique, une approche réaliste et optimiste de la pathologie et la capacité de déplacer le focus des symptômes afin de travailler sur le fonctionnement dans la vie quotidienne. Ce type de soins intensifs se caractérise par la mobilité du case manager, qui engage le patient et facilite l’accès aux soins aussi bien auprès du psychiatre que du psychologue. Ils travaillent ensemble à l’assimilation de l’expérience psychotique et à la réintégration socio-professionnelle. Le patient peut être vu jusqu’à trois fois par semaine par le case manager dans son environnement familier, comme l’école, l’université, les transports en commun, le centre-ville… Le case manager se focalise sur des soins personnalisés dans le milieu en plus de son travail clinique traditionnel. Cette intervention écologique requiert une forte alliance thérapeutique afin que le patient accepte le soignant dans les activités de sa vie quotidienne, mais également de nombreuses techniques issues notamment des TCC pour prendre en charge les symptômes lorsqu’ils surviennent. Le patient découvre progressivement que la récurrence ou la résistance des symptômes ne nécessite pas forcément d’hospitalisation, mais qu’ils peuvent être au contraire gérés grâce à des stratégies adaptatives tout en maintenant les activités habituelles. À cet effet, le case manager s’appuie sur une approche psychoéducative basée sur le modèle vulnérabilité-stress [12]. Il aide le patient à développer des compétences personnelles et des stratégies d’adaptation pour gérer les stresseurs de la vie quotidienne et de s’adapter aux symptômes éventuels, et à prévenir les situations potentiellement génératrices de trop de stress et y faire face. Les stratégies incluent l’évitement, la confrontation progressive ou des techniques de gestion du stress comme la relaxation, la distraction attentionnelle, la rationalisation ou le raisonnement hypothético-déductif. Le travail dans l’environnement naturel permet au patient de faire face aux symptômes négatifs en réduisant le retrait social, en travaillant les habiletés communicationnelles, en renforçant le plaisir lors des activités et en développant la motivation à maintenir ses efforts.

Interventions psychothérapeutiques

Les TCC étant recommandées pour le traitement du PEP [4], elles sont systématiquement délivrées sous formats individuel et groupal. Le premier module de groupe a été développé au Québec et est spécifiquement dédié au PEP [13]. Les thèmes abordés concernent le raisonnement hypothético-déductif, la gestion du stress, l’estime de soi et l’humeur, la consommation de substances. Le deuxième module vise à développer l’assertivité (groupe d’affirmation de soi) et s’organise autour d’un travail sur les habiletés communicationnelles à travers les jeux de rôle. Le fonctionnement social est également travaillé en groupe lors d’activités sociales dans le milieu une fois par semaine.

Les déficits cognitifs sont traités grâce à de la remédiation cognitive assistée par ordinateur (Rehacom, Hasomed), l’intensité et la durée du traitement étant fonction de la sévérité des déficits mis en évidence lors de l’évaluation neuropsychologique.

Les patients qui consomment des toxiques sont orientés vers le service d’addictologie du CHU. Ils reçoivent des entretiens motivationnels et peuvent être hospitalisés pour les aider à stopper leur consommation.

Les parents et/ou proches du patient sont considérés comme des partenaires de soins à part entière. Ils sont vus en entretien mensuellement par un des membres de l’équipe et ont un contact facilité avec le case-manager. Ils reçoivent une information complète sur le premier épisode psychotique lors des entretiens et grâce à un livret psychoéducatif, qui explique les symptômes psychotiques, les conséquences fonctionnelles, le modèle vulnérabilité-stress, les soins offerts par notre unité et les issues potentielles suite aux PEP. Ils sont formés aux techniques de communication apaisées avec le jeune (sur le modèle des techniques proposées dans le groupe ProFamille).

Deux années après l’entrée en traitement

L’EMSI fournit des soins personnalisés pendant une période de 2 ans. Le patient reste uniquement suivi par le psychiatre en cas de diagnostic de pathologie chronique (schizophrénie, trouble bipolaire…) à l’issue des deux années de prise en charge. Les patients ne déclarant pas de pathologies chroniques peuvent solliciter les membres de l’équipe en cas d’exacerbation de symptômes. Puisque les symptômes psychotiques sont considérés à l’aune du modèle vulnérabilité-stress, les patients sont informés de la persistance de leur fragilité biologique et que celle-ci peut de nouveau se révéler à la faveur d’interactions avec de potentiels stresseurs environnementaux. Dans ce cas, les patients peuvent être reçus par le psychiatre et/ou le psychologue sans le case manager.

Évaluations expertales

L’EMSI est uniquement dédiée aux patients de notre secteur. Le nombre de case managers de l’équipe limite la prise en charge de patients originaires d’autres secteurs. Cependant, l’équipe peut fournir des évaluations expertales pour ces patients. Ces derniers sont en général référés par leur psychiatre en cas de doute concernant le diagnostic de trouble psychotique émergent. Le psychiatre et le psychologue fournissent une évaluation psychiatrique et neuropsychologique et partagent le diagnostic avec le psychiatre, le patient et ses proches. Des recommandations sont données pour la prise en charge du trouble.

Recherche

Nous menons actuellement une étude testant l’impact du case management sur l’alliance thérapeutique avec des patients ayant présenté un PEP (NCT02873884 clinicaltrials.gov). L’objectif principal de cette étude est de comparer l’évolution de l’alliance thérapeutique selon que les patients reçoivent un suivi par case manager ou bien par une infirmière traditionnelle. Les objectifs secondaires concernent les liens entre les deux prises en charge et le bien-être au travail des soignants d’une part, et le niveau d’insight des patients d’autre part.

Perspectives

Le CHU de Caen a attribué une unité fonctionnelle à l’EMSI en 2016, soit 6 ans après le début de son activité à moyen constant par redéploiement de personnels d’autres unités. L’agence régionale de santé (ARS) de Basse-Normandie, sollicitée depuis plusieurs années, n’a pas donné suite à nos demandes de financement. À l’heure actuelle, l’EMSI fonctionne au maximum de ses possibilités et ne peut pas répondre à toutes les demandes. Le case management était une pratique de soins nouvelle pour les infirmières qui travaillent avec les patients que l’EMSI suit. Ce modèle est chronophage et s’accorde mal avec l’allocation d’un temps de travail partiel, puisque les infirmières doivent exercer plusieurs postes de travail au sein de différentes équipes. Par ailleurs, les horaires de travail des case managers ne semblent pas permettre de fournir les soins totalement adaptée aux besoins d’une population jeunes. Effectivement, notre équipe vise un retour aux activités des patients, que ce soit par la reprise d’une formation ou bien par l’obtention d’un emploi. Or, les possibilités pour fixer des entretiens s’avèrent limitées du fait des incompatibilités entre la disponibilité des patients et les horaires de travail des soignants. Notre équipe a envisagé également d’utiliser des moyens de communications qui soient plus proches de ceux utilisés par de jeunes adultes. Malgré des demandes répétées, nous n’avons pu avoir accès de la part du CHU à des lignes téléphoniques qui auraient pu nous permettre de communiquer par SMS avec eux. Par ailleurs, l’équipe a envisagé de créer un compte Facebook mais il s’avère d’une part compliqué juridiquement de créer un page institutionnelle et, d’autre part, celle-ci réclamerait une veille 24/24 h que les horaires de travail des soignants ne permettent pas d’assurer.

Malgré tout, l’expérience acquise démontre la faisabilité de mise en place sur le territoire français d’une équipe d’intervention précoce organisée autour du case management. Les résultats en termes de rémission symptomatique et de fonctionnement quotidien sont prometteurs et seulement 23 sur 266 patients ont été réhospitalisés. Le nombre de patients perdus de vue (48/266, 18 %) est également relativement faible, en comparaison des études antérieures qui rapportent des taux de 10 à 60 % [14].

Liens d’intérêts

les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt en rapport avec cet article.

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