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Hépato-Gastro & Oncologie Digestive

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Larges mucosectomies : fermons nos cicatrices ! Volume 26, numéro 9, Novembre 2019

Illustrations


  • Figure 1

  • Figure 2

  • Figure 3

Tableaux

Contexte

La résection endoscopique des volumineuses lésions superficielles colorectales (> 20 mm) est devenue depuis dix ans le traitement de référence. Parmi les techniques existantes de résection, la mucosectomie (EMR) fragmentée fait office de standard dans les pays occidentaux. L’une des complications les plus fréquemment décrites est l’hémorragie survenant dans 2 % à 24 % des cas [1, 2]. La localisation colique droite, l’existence d’un saignement per-geste, une histologie avancée et la prise d’antiagrégants ou anticoagulants sont des facteurs de risques connus d’hémorragie retardée [3, 4]. Cette complication peut engendrer de nouvelles hospitalisations, des transfusions, une nouvelle coloscopie pour un geste d’hémostase et dans des situations exceptionnelles, un décès. Des études préliminaires suggéraient déjà une réduction du risque d’hémorragie retardée en fermant la cicatrice d’EMR par des clips.

Une étude rétrospective avait mis en évidence une réduction du nombre d’hémorragies post-procédure après fermeture de cicatrice par clips versus absence de fermeture (1,8 % vs. 9,7 %) [5]. Un essai randomisé monocentrique chinois avait également démontré cet effet prophylactique de la fermeture de cicatrice par clips [6] pour des lésions de 1 à 4 cm. Cependant, trois techniques endoscopiques de résection au risque hémorragique différent (dissection sous-muqueuse, résection hybride et mucosectomie) ainsi que l’inclusion de lésions de moins de 2 cm à faible risque et l’exclusion des lésions de plus de 4 cm à haut risque ont limité la généralisation de ces résultats.

Cet essai randomisé multicentrique américain a donc voulu comparer le risque absolu d’hémorragie post-procédure cliniquement significatif chez les patients ayant eu une mucosectomie piece-meal pour une lésion de plus de 2 cm ayant ou non eu une fermeture du défect muqueux par des clips hémostatiques.

Schéma de l’étude

Il s’agit d’un essai contrôlé randomisé multicentrique incluant 18 centres américains. En raison d’une discordance entre les courants de résection utilisés pour la mucosectomie piece-meal, une double randomisation a été proposée (fermeture par clips vs. pas de fermeture par clips et courant d’endocoupe vs. courant de coagulation forcée) pour minimiser l’effet potentiel du courant de résection sur le risque de saignement.

Critères d’inclusion

Tous les patients âgés de 18 à 89 ans avec une lésion non pédiculée d’au moins 20 mm étaient éligibles.

Critères d’exclusion

– Présence d’une maladie inflammatoire chronique de l’intestin.

– Score ASA IV.

– Coagulopathie (INR > 1,5 ou plaquettes < 50 000/mm3).

– Mauvaise qualité de préparation colique.

– Polypes pédiculés (O-Ip) ou ulcérés (0-III) ou ceux avec cancer invasif prouvé.

Procédure

Le protocole de préparation colique était propre à chaque centre. Une fois qu’une lésion était considérée comme éligible, elle était évaluée en décrivant ses caractéristiques. La taille était mesurée en alignant une anse diathermique de taille connue à côté. La technique de mucosectomie était exclusivement utilisée. Une injection sous muqueuse était donc faite premièrement avec une solution visqueuse ou du sérum physiologique. Une fois la résection faite, toutes les lésions assignées au groupe fermeture avaient une tentative de fermeture du socle de résection par la technique de la fermeture éclair grâce à des clips repositionnables de la firme Boston Scientific (résolution et résolution 360 selon l’année). La fermeture était considérée comme complète à partir du moment où les berges opposées étaient accolées avec moins d’un cm entre chaque clip. Dans le groupe contrôle, les gastro-entérologues étaient toutefois autorisés à poser des clips s’ils considéraient que cela soit absolument nécessaire. Si une deuxième lésion se voyait également éligible chez le même patient, elle était également randomisée selon le même modèle.

Objectifs de l’étude

Le critère de jugement principal était l’apparition d’une hémorragie post-procédure cliniquement significative qui était elle-même définie comme requérant une nouvelle hospitalisation, une transfusion, une nouvelle coloscopie, une chirurgie ou autre procédure invasive dans les 30 jours après la mucosectomie.

Une analyse en sous-groupe était ensuite faite en fonction de la localisation du polype, sa taille, le réglage du bistouri lors de la résection et la reprise d’un traitement antiagrégant ou anticoagulant dans les cinq à sept jours post-résection.

Les objectifs secondaires étaient l’apparition d’événements indésirables sévères. Le recueil de ces complications se faisait à partir d’un appel téléphonique 30 jours après la procédure.

Analyse

En considérant un taux d’hémorragie post-procédure de 8 % dans le groupe contrôle et une réduction de celui-ci de 3 % avec un échec de fermeture dans 20 % des cas, le nombre de sujets nécessaire calculé était de 920 pour une puissance de 80 %. L’analyse était premièrement faite en intention de traiter en incluant tous les patients suivis jusqu’au 30e jour, une analyse per-protocole était également proposée.

Résultats

Un total de 1 390 patients était éligible et 928 ont été randomisés dans 18 centres différents (diagramme des flux, figure 1). Les populations des deux groupes étaient comparables avec des caractéristiques semblables sans différence significative sauf en termes de prise de traitement antiagrégant (22,2 % groupe clips, 28,0 % groupe contrôle, p = 0,042). La taille médiane des lésions était d’environ 30 mm dans les deux groupes. Deux tiers des lésions étaient situés dans le côlon proximal et 60 % des lésions étaient des lésions planes. Seuls 70 % des patients ont pu avoir une fermeture complète de la cicatrice par des clips lorsque celle-ci était indiquée en raison de difficultés techniques.

En ce qui concerne l’objectif principal (figure 2), une hémorragie post-procédure cliniquement significative a été recensée chez 16 patients dans le groupe fermeture par clips (3,5 %) et chez 33 patients (7,1 %) dans le groupe contrôle (p = 0,015). Parmi les patients ayant présenté une complication hémorragique, le délai médian d’apparition était de sept jours dans le groupe fermeture par clip versus un jour dans le groupe contrôle. Il n’existait pas de différence significative en termes de durée de séjour et de nombre de transfusions.

En analyse de sous-groupe (figure 3), la différence était nettement significative dans le sous-groupe colon proximal alors qu’elle ne l’était pas pour le côlon distal. Les résultats n’étaient pas différents selon la taille de la lésion, l’utilisation d’anti-thrombotiques ou le réglage du bistouri. Le nombre médian de clips utilisés pour une fermeture complète de cicatrice était de 4.

Objectifs secondaires (tableau 1)

Un événement indésirable sévère est survenu chez 22 patients (4,8 %) dans le groupe fermeture par clips contre 44 patients (9,5 %) dans le groupe contrôle. Trois perforations retardées dans le groupe contrôle contre aucune dans le groupe fermeture ont été observées. Deux décès sont également survenus dans le groupe contrôle uniquement.

Analyse per-protocole

Une hémorragie post-procédure est survenue chez 10 patients (2,5 %) dans le groupe fermeture contre 29 patients (7,0 %) dans le groupe contrôle.

Discussion

Cet essai contrôlé randomisé permet de démontrer l’intérêt d’une fermeture par clip d’une volumineuse cicatrice de mucosectomie (> 20 mm) d’un polype non pédiculé sur le risque d’hémorragie post-procédure. L’analyse en sous-groupe permet également de préciser cet intérêt uniquement pour les lésions du côlon droit avec une différence non significative pour les lésions en aval de la flèche hépatique. Cet effet de fermeture semble en revanche indépendant de la taille du polype, du mode de coupe ou encore de la présence d’un traitement anti-thrombotique.

Les forces de cette étude sont le caractère multicentrique et randomisée de celle-ci avec une protocolisation du geste permettant d’éviter des biais méthodologiques. L’analyse en intention de traiter a été choisie et s’avère plus adaptée à la vie réelle ou des fermetures sont parfois impossibles ou impératives du fait d’une atteinte de la musculeuse ou d’un risque jugé important de perforation secondaire ou bien encore lors d’une hémorragie per-geste. Malgré la prise en compte des fermetures faites dans le groupe contrôle, la différence reste significative entre les deux groupes. Ce geste prophylactique était controversé précédemment avec des études de moins bonne qualité méthodologique en faveur d’une efficacité de la fermeture de cicatrice [5, 6] et d’autres en défaveur comme par exemple cette étude cas-témoins rétrospective américaine [7].

Un autre point intéressant de cette étude est la différence de délai médian d’apparition d’hémorragie entre les deux groupes (sept jours groupe fermeture, un jour groupe contrôle). Cela s’explique probablement par la chute des clips qui doit survenir aux environs du septième jour rétablissant un risque hémorragique.

Certaines limites doivent toutefois être soulevées. Premièrement, à l’heure de la rationalisation indispensable des coûts de santé, une analyse médico-économique manque. En effet, l’utilisation systématique de clips pour fermeture (quatre en moyenne) s’avère coûteuse et chronophage (150 euros/clip). La question est de savoir si cette stratégie est coût-efficace par rapport au sur-risque de 3,6 % d’hémorragie post-procédure pouvant entraîner une réhospitalisation, une réintervention ou la transfusion de culots globulaires rouges. L’autre possibilité serait d’utiliser des clips rechargeables, moins coûteux mais plus difficiles à positionner, mais qui n’ont pas été étudiés dans cet essai. De plus, de nombreux systèmes de suture endoscopique sont en cours de développement. Ceux-ci pourraient s’affranchir de la difficulté technique de la fermeture par clips en cas de larges défects muqueux soulignés par l’échec de fermeture complète dans 30 % des cas dans cette étude. Ces systèmes de suture, dont les premiers sont déjà disponibles sur le marché, ont des coûts bien supérieurs aux clips classiques (1 500 euros) et des analyses médico-économiques seront indispensables pour trouver leur place dans cette indication potentielle.

De plus, seulement 10 % des cicatrices dans chaque groupe ont eu une coagulation prophylactique des vaisseaux visibles. Cette mesure préventive, recommandée pour la dissection sous-muqueuse, à l’aide d’une pince coagulante, semble pourtant intéressante dans la mesure où elle est moins coûteuse, plus rapide et semble techniquement plus accessible peu importe la taille de la cicatrice. Les taux de saignement observés post-dissection sous-muqueuse sont plus bas (environ 3 %) alors que les lésions sont plus à risque hémorragique (plus larges, avec plus de cancer). Cette méthode d’hémostase est en cours de devenir la méthode de référence puisqu’un essai randomisé turc publié l’année dernière avait permis de démontrer une supériorité de la pince coagulante dans l’hémostase immédiate et en prévention de récidive par rapport aux clips de fermeture pour les ulcères gastroduodénaux hémorragiques [8]. Les données post-mucosectomies sont discordantes avec un essai randomisé australien négatif en 2014 [9] et un essai coréen récent en faveur [10]. Une étude randomisée comparant ces deux stratégies préventives serait donc souhaitable.

Une troisième limite concerne l’absence de précision sur les réglages précis choisis pour le courant d’endocoupe (intervalle, durée, effet). Effectivement ceux-ci peuvent directement influencer le risque hémorragique et une homogénéisation de ces réglages n’est pas précisée dans la méthodologie de l’essai.

Enfin, la dernière limite que nous pourrions citer concerne la différence importante entre les deux groupes concernant la présence de traitement anti-thrombotique (25,5 % dans le groupe fermeture et 32,8 % dans le groupe contrôle) alors qu’il s’agit d’un facteur de risque d’hémorragie post-procédure décrit dans la littérature.

Conclusion

Cet essai contrôlé randomisé est en faveur d’un effet préventif hémostatique d’une fermeture à l’aide clips d’une cicatrice de résection par mucosectomie piece-meal de lésions de plus de 2 cm avec une diminution du risque hémorragique de 50 %. Cet effet se vérifie essentiellement pour les lésions coliques droites. Cette stratégie pourrait donc s’appliquer dans la vie courante si elle s’avère coût efficace. Une comparaison avec une hémostase prophylactique rigoureuse à l’aide de pince coagulante est souhaitable.

Liens d’intérêts

les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt en rapport avec l’article.

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