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Hépato-Gastro & Oncologie Digestive

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Diététique et risque de reflux gastro-œsophagien : une étude croisée chez des volontaires Volume 12, numéro 3, Mai-Juin 2005

Auteur
  • Page(s) : 229-30
  • Année de parution : 2005

Auteur(s) : Thierry Piche

El-Serag HB, Satia JA, Rabaneck L. Dietary intake and the risk of gastro-oesophageal reflux disease : a cross sectional study in volunteers. Gut 2005 ; 54 : 11-7.

Le reflux gastro-œsophagien (RGO) se définit par le passage à travers le cardia, d’une partie du contenu de l’estomac vers l’œsophage. Il s’agit d’un phénomène physiologique, de survenue fréquente chez le sujet normal, en particulier en période postprandiale. Par définition, ce reflux physiologique n’occasionne ni symptôme ni lésion œsophagienne. C’est la survenue trop fréquente ou trop prolongée de ce phénomène qui provoque la maladie de « reflux gastro-œsophagien » qui peut se définir comme une variété de symptômes et de complications provoquées par le contact trop fréquent et/ou trop prolongé du contenu gastrique avec la muqueuse œsophagienne. Il faut donc englober sous le terme de RGO à la fois les symptômes et les complications muqueuses du reflux définissant l’œsophagite par reflux ou œsophagite peptique, l’endobrachyœsophage et l’adénocarcinome œsophagien dont l’incidence est en constante augmentation. Les relations entre l’alimentation et le RGO sont mal connues. Quelques études ont montré que la consommation de certains aliments, comme les graisses ou le chocolat, pouvait influencer la pression de repos du sphincter inférieur de l’œsophage et l’exposition acide œsophagienne. Pour la plupart, ces études n’ont pas de groupe contrôle, comportent des biais méthodologiques importants, ou ont été effectuées chez des malades ayant un RGO sévère ou compliqué d’un adénocarcinome [1]. Dans une étude épidémiologique, Vaughan et al. [2] ont observé que les malades qui avaient une alimentation riche en graisses présentaient un risque accru d’adénocarcinome œsophagien. Aucune étude n’a envisagé de manière précise les associations entre les symptômes de RGO et les nutriments ingérés dans la ration alimentaire. Les objectifs de la présente étude étaient de rechercher une association entre la consommation de certains nutriments et la survenue du RGO au sein d’une large cohorte de volontaires employés dans le centre médical de Houston. Un auto-questionnaire était remis aux sujets afin de déterminer le début, la fréquence et la sévérité des symptômes de RGO. Une enquête reflétant le comportement alimentaire sur une année était également réalisée. Une endoscopie haute était proposée à tous les participants. L’enquête diététique était comparée chez les malades avec ou sans symptômes de RGO et chez les sujets ayant une œsophagite ou pas, lors de l’endoscopie. Une analyse multivariée était effectuée en tenant compte des données démographiques, de l’indice de masse corporelle et de la ration énergétique quotidienne. Trois cent soixante et onze sujets ont pu être analysés sur les 915 qui ont été interrogés (41 %). Soixante-dix pour cent étaient de sexe féminin avec une moyenne d’âge de 43 ans. Chez les 164 sujets ayant bénéficié d’une endoscopie, 24 % d’entre eux avaient une œsophagite. Chez les sujets ayant des symptômes de reflux, la ration lipidique, en particulier les graisses saturées et le cholestérol, était augmentée de manière significative comparé aux sujets sans symptôme œsophagien (tableau 1)

Tableau 1. Comparaison de l’apport en graisses ou en protéines chez des sujets avec ou sans symptômes et présentant ou non une œsophagite à l’endoscopie



  Symptômes de RGO Pas de symptôme de RGO p
Moy DS Moy DS  
Lipides (g/j) 77 40  68 36 0,03
Graisses saturées (g/j) 23 12  20 11 0,01
  Œsophagite   Pas d’œsophagite   P
Protéines (g/j) 73 33 222 91 0,02
Lipides (g/j) 84 48  68 31 0,01

Il existait une corrélation positive significative entre les symptômes œsophagiens et la consommation lipidique. Cette association disparaissait après un ajustement à l’indice de masse corporelle sauf quand ce dernier dépassait 25 kg/m2. En revanche, la consommation de fibres était inversement corrélée aux symptômes œsophagiens. Chez les sujets ayant une œsophagite par reflux, la consommation totale de lipides et de protéines était significativement augmentée comparé aux sujets sans œsophagite. Les auteurs de ce travail concluent que la consommation de graisses est un facteur de risque du RGO alors que les fibres alimentaires auraient un rôle protecteur et que l’obésité est un facteur confondant qui influence la relation entre la survenue des symptômes de RGO et la consommation de graisses.
Ce travail épidémiologique mérite plusieurs commentaires. Les relations entre l’alimentation et le RGO ont été suggérées depuis de nombreuses années et certaines recommandations cliniques s’appuient sur des arguments physiopathologiques. Plusieurs travaux ont montré que les lipides induisaient une baisse de la pression de repos du sphincter inférieur de l’œsophage, augmentaient le nombre d’épisodes de reflux en postprandial et favorisaient une relaxation ample de l’estomac proximal (qui est un élément déterminant dans la survenue des relaxations transitoires du sphincter inférieur de l’œsophage). En revanche, aucun essai contrôlé sur la légitimité d’un régime pauvre en graisses n’a été mené dans le RGO. On peut seulement rappeler que la réduction de la fraction lipidique des repas est logique pour certains malades ayant un RGO chez lesquels un retard de la vidange gastrique est objectivé.
Le rôle protecteur des fibres qui se dégage du présent travail peut paraître surprenant au regard de la pratique clinique et de travaux physiopathologiques récents qui ont bien montré qu’un régime dépourvu en éléments fermentescibles chez des malades avec un RGO était associé à une réduction des symptômes de reflux, du nombre de relaxations transitoires du sphincter inférieur de l’œsophage et de l’exposition acide œsophagienne [3]. Finalement, on peut s’interroger sur la pertinence d’études épidémiologiques tant les facteurs confondants sont nombreux pour déterminer une association entre le RGO et l’alimentation. En effet, la sensibilité œsophagienne à l’acide mais aussi aux différents nutriments est un domaine très peu exploré qui intervient certainement comme facteur de confusion. Le problème du poids et de l’indice de masse corporelle doit aussi être évoqué car l’effet de la réduction pondérale sur une poussée de RGO n’est pas connu. De même, une réduction de la surcharge pondérale au cours de l’obésité morbide n’est associée que de manière inconstante à une amélioration du RGO. À l’heure où la plupart des règles hygiénodiététiques n’ont pas montré leur efficacité au cours du RGO et ne doivent être recommandées que dans des situations bien précises, des études physiopathologiques ou d’interventions seraient bienvenues pour préciser les rapports entre l’alimentation et le RGO. 

Références

1. Ruhl CE, Everhart JE. Overweight, but not dietary fat intake, increases the risk of gastroesophageal disease hospitalization : The NHANES I epidemiologic follow-up study. Ann Epidemiol 1999 ; 9 : 424-35.

2. Vaughan TL, Davis S, Kristal A, Thomas DB. Obesity, alcohol, and tobacco as risk factors for cancers of the esophagus and gastric cardia. Cancer Epidemiol Biomarkers Prev 1995 ; 4 : 85-92.

3. Piche T, Bruley Des Varannes SB, Sacher-Huvelin S, Holst JJ, Cuber JC, Galmiche J.-P. Colonic fermentation influences lower esophageal sphincter function in gastroesophageal reflux disease. Gastroenterology 2003 ; 124 : 894-902.