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Bulletin du Cancer

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L’ARN aussi est réparable ! Volume 90, numéro 4, Avril 2003

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  • Page(s) : 303
  • Année de parution : 2003

Auteur(s) : Gilles L’Allemain

Il a été bien établi que les erreurs de réplication sont prises en charge par des systèmes de réparation de l’ADN [1]. Il a été montré que la méthylation aberrante de l’ADN, étudiée de façon intensive depuis plusieurs années, est régulatrice du processus d’apoptose, et par là-même du processus cancéreux [2, 3]. Récemment, un nouveau mécanisme de réparation d’ADN méthylé a été découvert chez Escherichia coli [4, 5]. Il s’agit de déméthylations oxydatives des bases cytosine et adénine par la protéine AlkB. Une analyse bio-informatique prédisant le repliement de la conformation active de AlkB [6] a permis de l’identifier comme un membre de la famille des dioxygénases dépendants du fer, dont certains étaient déjà connus pour catalyser des réactions de déméthylation. Une recherche au sein des bases de données indique la présence d’équivalents de AlkB dans le génome humain mais aussi chez plusieurs virus à ARN, ce qui laisse immédiatement supposer que AlkB pourrait agir sur la déméthylation de l’ARN. En fait, vingt ans auparavant, il avait été démontré que des bases méthylées de l’ARN pouvaient servir in vitro de substrat aux méthyltransférases de l’ADN [7] mais in vivo aucune confirmation ou effet n’avait pu être relevé à l’époque.
Aujourd’hui, un groupe norvégien [8] montre que la protéine AlkB catalyse une réaction de déméthylation oxydative sur l’ARN méthylé mais permet aussi la survie de virus bactériens hyper-méthylés, qu’ils aient un génome à ADN ou à ARN. La même étude montre surtout que les protéines humaines hABH2 et hABH3 ont, in vitro et in vivo, le même type d’activité enzymatique que AlkB [8]. Mais tandis que hABH2 cible l’ADN simple et double brin, hABH3 cible principalement l’ARN simple brin, avec également une action sur le simple brin d’ADN. Ces deux protéines possèdent d’ailleurs une localisation subcellulaire différente : hABH2 est exclusivement nucléaire avec une sous-localisation nucléolaire en interphase et une redistribution vers les sites de réplication lors de la synthèse d’ADN. A l’inverse, hABH3 est à la fois nucléaire et cytoplasmique, ce qui pourrait permettre un recrutement plus rapide sur les sites d’ADN ou d’ARN endommagés.
Alors que la protéine bactérienne assure les fonctions de réparation à la fois sur l’ADN et sur l’ARN, il semble que l’évolution ait généré des protéines de réparation à tropisme ADN ou ARN. La comparaison structurale de hABH2 et hABH3 va à présent permettre de définir avec précision les motifs responsables de la spécificité ADN ou ARN. Il sera alors possible de générer des formes mutantes de hABH2 et hABH3 destinées à analyser les contributions relatives in vivo d’une déméthylation sur ADN par rapport à une déméthylation sur ARN dans ce processus de protection contre la toxicité induite par hyper-méthylation.
Jusqu’ici, la réparation de l’ARN était rarement envisagée, du fait en particulier du nombre très important de copies du même ARN au sein d’une cellule, rendant donc l’existence d’un système de réparation de l’ARN très peu vraisemblable, voire inutile. Pourtant, aujourd’hui, la preuve vient d’être apportée de la réparation in vivo d’un ARN endommagé. Mais quelle pourrait être la raison d’une réparation sur ARN ? En fait, les différents types d’ARN messager, ribosomique et de transfert sont tous nécessaires au processus complexe de la synthèse protéique. En outre, des petits ARN non codants sont connus pour réguler des processus cellulaires variés [9]. Maintenir l’intégrité de ses ARN est donc crucial pour la cellule et les réparer est largement moins coûteux en énergie et en temps que redémarrer une synthèse, surtout quand on sait que la copie en ARNm d’un grand gène peut prendre plusieurs heures. Même la réparation des petits ARN de transfert a été prouvée [10] ; elle doit donc aussi être avantageuse pour la cellule.
La plupart de ces ARN existant sous forme de duplex, il sera à l’avenir intéressant d’établir s’ils sont aussi la cible de ces protéines. Mais la question la plus intrigante est de déterminer si ces déméthylases font la distinction entre une méthylation « biologique », c’est-à-dire nécessaire à la cellule, et une méthylation « endommageante », c’est-à-dire perturbatrice ? Et, si oui, quel est le déterminant moléculaire capable de faire la différence puisque les mêmes bases nucléotidiques sont ciblées dans les deux cas ? Par ailleurs, les dommages à l’ADN étant connus pour générer un signal d’arrêt de croissance et de mort cellulaire programmée, il sera donc passionnant de voir si un dommage parallèle sur l’ARN est capable d’initier les mêmes signaux.

Références

1. Sarasin A. DNA lesions : mechanisms of recognition and repair. Bull Cancer 1997 ; 84 : 467-72.

2. Larsen CJ. Methylation and cancer. Bull Cancer 1997 ; 84 : 1099-100.

3. Gerson SL. Clinical relevance of MGMT in the treatment of cancer. J Clin Oncol 2002 ; 20 : 2388-99.

4. Falnes PO, Johansen RF, Seeberg E. AlkB-mediated oxidative demethylation reverses DNA damage in Escherichia coli. Nature 2002 ; 419 : 178-82.

5. Trewick SC, Henshaw TF, Hausinger RP, Lindahl T, Sedgwick B. Oxidative demethylation by Escherichia coli AlkB directly reverts DNA base damage. Nature 2002 ; 419 : 174-8.

6. Aravind L, Koonin EV. The DNA-repair protein AlkB, EGL-9, and leprecan define new families of 2-oxoglutarate- and iron-dependent dioxygenases. Genome Biol 2001 ; 2 : 1-8.

7. Karran P. Possible depletion of a DNA repair enzyme in human lymphoma cells by subversive repair. Proc Natl Acad Sci USA 1985 ; 82 : 5285-9.

8. Aas PA, Otterlei M, Falnes PO, Vagbo CB, Skorpen F, Akbari M, et al. Human and bacterial oxidative demethylases repair alkylation damage in both RNA and DNA. Nature 2003 ; 421 : 859-63.

9. Gottesman S. Stealth regulation : biological circuits with small RNA switches. Genes Dev 2002 ; 16 : 2829-42.

10. Reichert AS, Morl M. Repair of tRNAs in metazoan mitochondria. Nucleic Acids Res 2000 ; 28 : 2043-8.