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Bulletin du Cancer

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eIF‐4E : entre Akt et apoptose Volume 91, numéro 5, Mai 2004

Auteur

Auteur(s) : Alain Jacquemin‐Sablon

La régulation de l’apoptose, dont la complexité n’a pas fini de nous surprendre [1], est une des plaques tournantes du contrôle à la fois de la tumorigenèse et de la sensibilité à la chimiothérapie. C’est ainsi que l’activation de la phosphatidylinositol‐3‐OH kinase (PI(3)K), en réponse à la stimulation de récepteurs de facteurs de croissance, est exemplaire de ces situations où un effet anti‐apoptotique est associé au développement tumoral et à la résistance à différents agents anticancéreux. Cet effet de l’activation de la PI(3)K sur l’apoptose est médié par l’activation de Akt, un gène régulateur de l’apoptose, codant une protéine kinase et activé dans beaucoup de cancers [2]. Cependant, les mécanismes par lesquels Akt relaie l’activation de la PI(3)K vers l’apotose sont restés obscurs jusqu’à présent. Le contrôle de la survie cellulaire par Akt met en cause un réseau complexe de réactions, impliquant au moins sept voies de signalisation en aval d’Akt, chacune comportant plusieurs étapes. L’une de ces voies fait intervenir l’enzyme mTOR, une sérine\thréonine kinase impliquée dans le contrôle de la traduction. Dans un article récent [3], Wendel et al. montrent que l’inhibition de mTOR par un inhibiteur spécifique, la rapamycine, sensibilise les cellules tumorales à la chimiothérapie. Cette observation est le point de départ d’une étude qui permet aujourd’hui de comprendre au moins l’un des mécanismes essentiels de la fonction anti‐apoptotique de Akt. Pour déterminer comment Akt influence en même temps la tumorigenèse et la sensibilité aux drogues, Wendel et al. ont comparé les effets d’un mutant constitutivement activé de Akt et ceux du gène anti‐apoptotique Bcl2 sur les propriétés de lymphomes des cellules B de souris (figure 1). Les cellules souches hématopoiétiques Eµ‐Myc, isolées de foie fétal, ont été transduites avec des vecteurs rétroviraux exprimant soit Akt, soit Bcl2. Les lymphomes, surexprimant l’un ou l’autre gène, transplantés dans la souris, ont été utilisés comme modèle pour mesurer les effets de ces gènes sur la croissance tumorale et sur la sensibilité à la chimiothérapie. Les lymphomes Akt sont résistants à différents agents anticancéreux, tels que le cyclophosphamide ou la doxorubicine, lorsque ces molécules sont utilisées seules. La rapamycine par elle‐même n’a pratiquement pas d’effet chimiothérapeutique. En revanche, en combinaison avec le cyclophosphamide et la doxorubicine, elle potentialise de façon remarquable l’activité de ces agents. Cette potentialisation n’est observée que dans les lymphomes Akt, conformément à ce que l’on attend de la spécificité de la rapamycine vis‐à‐vis de mTOR. Ces expériences confirment donc le rôle central de mTOR dans la signalisation déclenchée par l’activation de Akt. Parmi les substrats de la kinase mTOR, la S6 kinase a été particulièrement étudiée parce que l’on sait depuis longtemps qu’un niveau de phosphorylation élevé de la protéine ribosomale S6 est une propriété générale des cellules cancéreuses. Une autre cible importante de mTOR est la protéine 4E‐BP1, qui est un régulateur négatif du facteur eIF‐4E, lui‐même un régulateur de la traduction et un inhibiteur de l’apoptose. C’est en agissant sur ces régulateurs de la synthèse de protéines nécessaires à la croissance que Akt pourrait avoir un effet tumorigène. En effet, dans les lymphomes dépendant de Akt, la rapamycine inhibe la phosphorylation de la protéine S6 et l’activation de eIF‐4E, établissant ainsi un lien entre les effets de Akt sur la progression tumorale et sur la chimiorésistance. Les auteurs sont donc amenés à l’hypothèse que eIF‐4E pourrait jouer un rôle central dans la transmission du signal déclenché par l’activation de Akt. Des lymphomes surexprimant eIF‐4E ont alors été produits par transfection du gène codant ce facteur. Ils se révèlent chimiorésistants, comme les lymphomes dépendant de Akt, mais cette chimiorésistance n’est pas levée par la rapamycine, ce qui est attendu puisque eIF‐4E se situe en aval de mTOR dans la voie de signalisation étudiée. En conclusion, cet article démontre que, in vivo, la voie de signalisation déclenchée par l’activation de Akt, et passant par mTOR, est largement impliquée à la fois dans la progression tumorale et dans la résistance aux drogues. Dans les lymphomes Akt décrits dans cet article, Akt se comporte comme un gène purement anti‐apoptotique, tout à fait similaire à p53. Lorsqu’on restaure in vivo l’induction de l’apoptose par la rapamycine, on restaure aussi la sensibilité des cellules tumorales aux agents anticancéreux. Les conséquences de ce travail dans le domaine de la pharmacologie du cancer sont évidentes. L’effet potentialisateur de la rapamycine sur différents agents anticancéreux permet de concevoir de nouvelles formes de combinaisons thérapeutiques, associant à des agents conventionnels un effecteur capable de potentialiser leur action sur un type de tumeur particulier (ici les tumeurs dans lesquelles Akt est activé). Des essais thérapeutiques sont en cours. Enfin, les résultats de Wendel et al. suggèrent que les effets de Akt, tant sur la croissance tumorale que sur la sensibilité aux drogues, résulteraient de son action sur eIF‐4E, entraînant une dérégulation de la traduction, peut‐être par une altération du recrutement de messagers pro‐ et anti‐apoptotiques vers les polysomes. Cela implique que les inhibiteurs de la traduction, d’une façon générale, peuvent constituer une nouvelle classe d’agents chimiosensibilisants, voire même constituer de nouvelles cibles thérapeutiques. Cette conclusion s’inscrit dans la même perspective que les études tendant à montrer actuellement le rôle des facteurs régulateurs de l’épissage en tant qu’effecteurs et cibles pharmacologiques dans le traitement des cancers [4].  

Références



1 . Ségal‐Bendirdjian E, Hillion J, Belmokhtar CA. Actualités sur les voies de signalisation de l’apoptose : nouvelles cibles de la chimiothérapie. Bull Cancer 2003 ; 90 : 9‐17,

2 . Bénard J. Phosphorylation de p27 par Akt, ou comment piéger un inhibiteur nucléaire de cycline dans le cytoplasme de cellules cancéreuses mammaires. Bull Cancer 2002 ; 89 : 1003‐4.

3 . Wendel HG, de Stanchina E, Fridman JS, Malina A, Ray S, Kogan S, et al. Survival signalling by Akt and eIF‐4E in oncogenesis and cancer therapy. Nature 2004 ; 428 : 332‐7.

4 . Jeanteur P. La topoisomérase I au cœur de l’épissage alternatif. Bull Cancer 2003 ; 90 : 1033‐4.