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Bulletin du Cancer

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Délétion de BRCA2 et amplification en 11q13 : même combat ? Volume 91, numéro 2, Février 2004

Auteur

Auteur(s) : Philippe Jeanteur

À défaut de fournir des stratégies thérapeutiques préventives chez les patientes porteuses d'une prédisposition familiale au cancer du sein (et de l'ovaire), la découverte des gènes BRCA1 et BRCA2 avait permis d'espérer au moins un lien avec la maladie sporadique. Tel ne fut pas le cas puisqu'on ne retrouve pratiquement jamais de mutations BRCA1 ou BRCA2 dans les cas sporadiques. Pour expliquer cette exclusion, on pouvait d'abord imaginer qu'il s'agissait de deux maladies distinctes relevant de mécanismes complètement différents. Mais on pouvait tout aussi bien faire l'hypothèse diamétralement opposée selon laquelle les mutations germinales et les altérations génétiques somatiques toucheraient les mêmes voies de signalisation rendant ces lésions redondantes et, par là-même, leur co-sélection inutile au cours de la tumorigenèse. 
Une collaboration internationale, sous la houlette de T. Kouzaridès et à laquelle participait le groupe de C. Theillet à Montpellier, vient de publier tout récemment un travail allant dans le sens de cette deuxième hypothèse dans le cas de BRCA2 [1, 2]. BRCA1 et BRCA2 étaient déjà connus pour participer tous les deux à la réparation des coupures double brin de l'ADN en interaction avec les protéines définissant l'anémie de Fanconi [3]. On savait aussi que ces deux protéines, et en particulier l'exon 3 de BRCA2, possédaient une activité de trans-activation, sans toutefois que les gènes cibles soient connus [6]. 
Hughes-Davies et al. [1] ont donc entrepris d'identifier, par la méthode classique du double hybride, les interacteurs avec le domaine protéique correspondant à l'exon 3 de BRCA2. Ils ont ainsi découvert une protéine appelée EMSY qui se fixe sur l'exon 3 de BRCA2 et abolit sa fonction de transactivation. L'analyse bio-informatique de EMSY et sa colocalisation avec les foyers de lésions de l'ADN dans les cellules irradiées suggèrent que cette protéine a par elle-même un rôle dans le remodelage de la chromatine associé à la réparation des coupures double brin de l'ADN. Les auteurs, partis au départ sur la piste d'un cofacteur de BRCA2, antagoniste de son activité transcriptionnelle, semblent désormais privilégier la voie épigénétique. Il reste encore beaucoup à apprendre sur la fonction moléculaire précise d'EMSY mais ce travail apporte cependant déjà des éléments très forts à l'appui de son implication dans la tumorigenèse du sein ou de l'ovaire. Le gène EMSY est en effet localisé en 11q13, une région amplifiée dans 20 à 25 % des cancers du sein et où se trouvent déjà localisés d'autres gènes importants pour la cancérogenèse, tels que celui de la cycline D1 (CCND1) et EMS1 (qui code pour la cortactine). Sur les deux grandes collections de tumeurs précédemment analysées par Southern (875) ou par FISH (551), EMSY est amplifié dans 7 à 13 % des cas dont 3 à 5 % indépendamment de l'amplification de CCND1. De ce fait il apparaît comme le gène cible longtemps recherché de l'amplicon localisé en 11q13.5, resté orphelin jusqu'à maintenant et pour lequel on ne connaissait que le gène GARP. GARP avait rapidement été exclu car non exprimé dans les tumeurs du sein et les choses en étaient restées là. La découverte d'EMSY ranime donc la piste de cet oncogène mystérieux en 11q13.5, dont les profils d'amplification suggèrent qu'il peut soit collaborer avec CCND1 (localisé à plus de 6 Mb), soit agir de façon autonome. Le fait, intéressant, que l'amplification d'EMSY est corrélée à un mauvais pronostic (aspect confirmé par une étude non encore publiée du laboratoire de C. Theillet) vient encore renforcer son importance dans le cancer du sein et de l'ovaire. On notera cette spécificité, à relier à l'interaction avec BRCA2 car, dans les carcinomes de l'oropharynx où CCND1 est fréquemment amplifié, l'amplification en 11q13.5 est anecdotique. 
En attendant des confirmations sur des modèles transgéniques sur-exprimant EMSY, le travail de Hughes-Davies et al. [1] soutient fortement l'idée que l'amplification d'EMSY dans les tumeurs sporadiques pourrait être fonctionnellement équivalente à la perte de BRCA2 dans les formes familiales.

Références

1. Hughes-Davies L, et al. EMSY links the BRCA-2 pathway to sporadic breast and ovarian cancer. Cell 2003 ; 115 : 523-35.

2. Haber DA. The BRCA-2-EMSY connection : implications for breast and ovarian tumorigenesis. Cell 2003 ; 115 : 507-12.

3. Larsen CJ. La protéine du gène BRCA2, dont les altérations prédisposent à des cancers du sein familiaux, intervient dans la réparation de l'ADN. Bull Cancer 1998 ; 85 : 295-6.

4. Janoueix-Lerosey I, Delattre O. Actualités sur les marqueurs génétiques de cancers. Bull Cancer 1999 ; 86 :15-21.

5. Jeanteur P. L'anémie de Fanconi et les gènes BRCA : même combat ? Bull Cancer 2002 ; 89 : 917.

6. Milner J, Ponder B, Hughes-Davies L, Setmann M, Kouzarides T. transcriptional activation functions in BRCA-2. Nature 1997 ; 386 : 772-3.