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ANALYSE D'ARTICLE

Toxicité de l’arsenic : orientations de recherche

L’état des lieux des connaissances concernant les effets sanitaires de l’arsenic laisse apparaître d’importants besoins d’informations relatifs à l’exposition, notamment par voie alimentaire. L’autre grand axe de recherche à développer est celui des facteurs qui déterminent la sensibilité individuelle au toxique.

Current knowledge about the health effects of arsenic highlights the need for information about exposure, particularly through diet. Further research on factors that determine individual sensitivity to this toxic metal would also be useful.

L’exposition à l’arsenic est un problème de santé publique mondial qui concerne des centaines de millions de personnes. Pratiquement tous les organes peuvent être affectés, l’exposition chronique étant à l’origine de lésions cutanées comme de neuropathies, diabètes, maladies pulmonaires ou cancers. La présence ubiquitaire d’arsenic dans l’environnement et les preuves grandissantes d’une toxicité survenant pour des niveaux d’exposition moins élevés qu’on ne le croyait appellent à accroître les efforts de prévention et d’atténuation des effets sanitaires de l’exposition.

Dans cet objectif, des experts en remédiation, en expologie et en sciences biomédicales ont participé à un séminaire suivi d’une série de webinaires, organisés de mars à juin 2014 par le National Institute of Environmental Health Sciences (NIEHS) dans le cadre du Programme de recherche Superfund (aux États-Unis, les sites « Superfund » sont des zones contaminées par des déchets dangereux identifiées comme prioritaires à traiter en raison de risques significatifs pour la santé humaine et/ou l’environnement). Ces réunions ont permis de faire émerger d’importantes questions restant en suspens malgré une recherche scientifique active (plus de 1 000 articles dont le titre contient le mot « arsenic » sont publiés chaque année).

 

Mieux caractériser l’exposition

Si une grande quantité de travaux sur l’eau de boisson est disponible, les autres sources d’exposition à l’arsenic (aliments, sol, poussières et air) ont été peu explorées. Par ailleurs, les connaissances sont bonnes pour certaines espèces arsenicales et quasiment inexistantes pour d’autres composés, surtout organiques (arsénoprotéines, arsénolipides et arsénosucres), qui sont considérés moins toxiques que les formes inorganiques d’arsenic, de même que les espèces trivalentes (AsIII, incluant les arsénites et les métabolites mono- [MMAIII] et diméthylés [DMAIII]) sont considérées plus toxiques à faible dose que les espèces pentavalentes (As: arséniates et métabolites MMAV et DMAV). Étant donné le nombre de composés restant à caractériser et la complexité des conversions entre espèces arsenicales, il est toutefois hasardeux d’établir des généralités à ce stade des connaissances. De plus, le potentiel de toxicité n’est pas le seul élément différenciant : la biodisponibilité, ainsi que le comportement, le transport et le devenir dans l’environnement, peuvent considérablement varier d’un composé arsenical à l’autre.

Les besoins de recherche concernent en premier lieu l’arsenic contenu dans les aliments, notamment dans le poisson et les produits de la mer où la concentration d’arsenic (présent sous forme d’arsénobétaïne et d’autres composés organiques mal connus) peut être jusqu’à cent fois plus élevée que dans le riz (qui contient principalement de l’arsenic inorganique). Sur la base d’études réalisées aux États-Unis, la contribution de l’alimentation à l’apport total en arsenic inorganique est estimée entre 54 et 85 % quand la concentration d’arsenic dans l’eau de boisson est inférieure à 10 μg/L. Caractériser l’exposition alimentaire est toutefois difficile. La méthode la plus fiable (mais complexe à mettre en œuvre et coûteuse) consiste à mesurer directement l’arsenic dans les aliments consommés, les participants à l’étude fournissant un « double » de toutes leurs prises alimentaires. L’apport en arsenic peut être autrement estimé à partir de bases de données de consommation alimentaire et de contenu en contaminants des aliments, mais l’estimation est alors imprécise. Les concentrations d’arsenic dans un produit donné varient en effet en fonction de son origine et des étapes de transformation et de préparation. De plus, c’est généralement la concentration d’arsenic total, sans spéciation, qui a été déterminée dans l’échantillon analysé.

L’exposition liée à la présence d’arsenic dans la poussière, le sol et l’air devrait être mieux quantifiée et caractérisée à proximité d’anciens sites miniers et industriels, en particulier métallurgiques. Des recherches sont nécessaires pour comprendre la migration de l’arsenic présent dans le sol et les sédiments vers les eaux souterraines et les produits agricoles, ainsi que pour déterminer la contribution respective des caractéristiques du sol et de l’eau d’irrigation à la contamination des récoltes, et en particulier du riz. Aux difficultés liées à la présence d’arsenic sous diverses formes et états de valence dans différents milieux environnementaux complexes, s’ajoute le fait que l’arsenic peut co-exister avec d’autres contaminants comme le cadmium, le plomb et les fluorures, susceptibles d’influencer sa biodisponibilité et sa toxicité.

 

Explorer la sensibilité à l’arsenic

Les travaux épidémiologiques disponibles indiquent clairement que certains individus sont plus sensibles que d’autres à l’arsenic et incitent à explorer les facteurs génétiques et environnementaux qui pourraient jouent des rôles importants dans la réponse individuelle à l’exposition, à côté de l’âge et de la fenêtre d’exposition.

La recherche de facteurs génétiques de risque ou protecteurs, qui ouvre sur l’identification de voies mécanistiques et de molécules d’intérêt, nécessite des études à l’échelle de populations. Un récent travail dans la cordillère des Andes a ainsi mis en évidence la fréquence particulière d’un variant génétique d’AS3MT (codant une méthyltransférase qui métabolise l’AsIII) dans une région d’Argentine où le taux d’arsenic dans l’eau est naturellement élevé, ce qui suggère un mécanisme adaptatif, le variant protecteur étant moins répandu dans les populations péruviennes et colombiennes voisines moins exposées. La recherche de modifications épigénétiques induites par l’exposition à l’arsenic est également émergente, avec, notamment, une étude à Mexico qui rapporte des associations entre l’exposition in utero et des modifications du niveau de méthylation de plusieurs gènes dans le sang du cordon. Ces modifications épigénétiques pourraient constituer des marqueurs d’exposition utiles à côté de la concentration d’arsenic dans les matrices biologiques (urine, sang, ongles et cheveux), qui reflète de façon plus ou moins fiable l’exposition interne. L’influence du microbiote intestinal sur le métabolisme et la toxicité de l’arsenic, et à l’inverse l’influence de l’exposition sur le microbiote, sont également des sujets d’études prometteurs.

Au rang des facteurs environnementaux, des besoins de recherche sont identifiés pour examiner le rôle (qui semble pouvoir être protecteur ou aggravant) de facteurs nutritionnels dans la toxicité de l’arsenic, sur la base de quelques études récentes. Des associations entre les niveaux plasmatiques de sélénium et de folates et les biomarqueurs urinaires (concentration ou degré de méthylation des métabolites) ont ainsi été rapportées au Bangladesh. Les données disponibles suggèrent que le statut nutritionnel devrait être considéré dans les études épidémiologiques et laissent imaginer la faisabilité d’interventions nutritionnelles pour réduire l’impact sanitaire de l’exposition à l’arsenic.

 

Laurence Nicolle-Mir

 

Publication analysée :

Carlin D, Naujokas M, Bradham K, et al.Arsenic and environmental health: state of the science and future research opportunities. Environ Health Perspect 2016; 124: 890-9.

Superfund Research Program, National Institute of Environmental Health Sciences, Research Triangle Park, Caroline du Nord, États-Unis.

doi: 10.1289/ehp.1510209