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Synthèse publiée le : 15/06/2020

Synthèse :
Passage transplacentaire des nanoparticules issues de la pollution atmosphérique

Au cours des dernières années, le passage transplacentaire des particules ultrafines (PUF) inhalées, issues de la pollution atmosphérique, et leurs effets potentiels sur le développement fœtoplacentaire et postnatal ont fait l’objet de nombreux questionnements. Les modèles animaux ont permis de démontrer que certaines PUF (ou nanoparticules, de diamètre inférieur à 100 nm) peuvent passer la barrière placentaire après injection. Plus récemment, le passage transplacentaire de nanoparticules issues de gaz d’échappement diesel a été observé chez le lapin [1]. De plus, chez l’animal (souris, rat, lapin), il a été établi que l’exposition maternelle aux NP altère la fonction placentaire et induit des effets à long terme sur la descendance comme des perturbations métaboliques, neurologiques et comportementales jusqu’à la deuxième génération. En 2019, une étude chez l’humain a suggéré que les particules de carbone présentes dans l’air pourraient être transportées vers le fœtus [2]. Cette étude soulève la question des effets directs des nanoparticules inhalées sur la fonction placentaire et le développement foetal.

 

État des lieux des connaissances

La pollution atmosphérique est un problème majeur pour la santé humaine, causant près de 800 000 morts par an en Europe et 8,8 millions dans le monde. La plupart des villes des pays développés et en développement, où les taux de pollution sont mesurés, ne respectent pas les directives préconisées par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS).

Les femmes enceintes sont donc aussi exposées à ce facteur environnemental délétère, cependant elles ne sont pas toujours considérées comme les personnes les plus à risque en cas de pics de pollution, comme le sont les personnes âgées, les enfants ou les personnes atteintes de pathologies respiratoires comme la bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO). Les particules issues de la pollution de l’air sont classées selon leur taille : PM10 pour les particules de taille inférieure à 10 mm et PM2.5 pour les particules de taille < 2,5 mm ou nanoparticulaires (NP, taille < 100 nm). Leur composition varie selon la nature de la source de pollution (gaz d’échappement de véhicules, fumées d’usines, produits de combustion…).

En raison des modifications épigénétiques* complexes qui prennent place durant le développement précoce et de la grande sensibilité du conceptus** aux risques environnementaux, l’effet de l'exposition maternelle aux NP pendant la grossesse fait l’objet d’un intérêt croissant. Chez les mammifères, le placenta est l'organe crucial pour le maintien de la grossesse, agissant comme une barrière semi-perméable pour la régulation des échanges de nutriments, de gaz et de déchets entre la mère et le fœtus. Cet organe est très plastique et ses fonctions s’adaptent selon l’environnement maternel, il est donc considéré comme l’organe programmateur majeur de la santé à long terme de la descendance.

Le passage transplacentaire des NP a été étudié par le biais d’injections intraveineuses ou intra-péritonéales de NP manufacturées et il varie selon la taille, la polarité et la couverture protéique des NP (ou corona, qui se crée naturellement en milieu biologique et qui influence la réponse biologique), ce qui rend le processus complexe à étudier. Plusieurs études ont récemment démontré le passage transplacentaire de NP inhalées par la mère dans des modèles animaux. Chez le lapin, l’exposition maternelle durant la gestation à des gaz d’échappement de moteur diesel à des concentrations proches de celles observées lors de pics de pollution dans les grandes villes européennes a permis de démontrer le passage transplacentaire de la mère au fœtus de NP issues de cette exposition. L’observation par microscopie électronique a révélé la présence, à la surface du placenta, dans le placenta et dans le compartiment fœtal, de figures dites en « fingerprint » qui résulteraient de l’agrégation et de la dégradation de NP. Le passage transplacentaire de NP manufacturées d’argent après inhalation par la mère a aussi été démontré chez la souris [3]. L'exposition pulmonaire maternelle aux nanoparticules de dioxyde de titane (nano-TiO2) perturbe la physiologie placentaire en affectant la résistance vasculaire placentaire et la réactivité vasculaire ombilicale [4].

L’exposition maternelle par inhalation (ou instillation) à des NP manufacturées (or, cérium, argent, titane…) ou à la pollution atmosphérique incluant des NP de carbone, induit chez la descendance des effets métaboliques, neurologiques et même respiratoires, variant en fonction de la nature des NP, de leur concentration et de la période de développement pendant laquelle l’exposition a eu lieu. Ces effets peuvent être directs par passage transplacentaire des NP inhalées. Ils peuvent aussi être indirects, après l’induction de stress oxydant et d’une réponse inflammatoire au niveau de l’organisme maternel et du placenta, qui sera à l’origine d’adaptations materno-fœto-placentaires conduisant aux effets sur la santé de la descendance à long terme. Une combinaison de ces deux types d’effets peut aussi être en cause.

Évènements marquants de l’année 2019

En 2019, pour la première fois chez l’homme, la présence de particules de carbone de tailles variables, issues de la pollution atmosphérique a été démontrée dans le placenta, dans l’espace maternel et fœtal [1], suggérant ainsi leur passage transplacentaire de la mère au fœtus, comme démontré précédemment dans le modèle lapin. De nouveaux effets à long terme de l’exposition maternelle aux gaz d’échappement de moteur diesel (dans ce modèle animal) ont été démontrés. Bien qu’il demeure actuellement impossible de différentier les effets directs des NP de ceux des gaz d’échappement inhalés en même temps par la mère, les observations rapportées sont intéressantes car la situation étudiée se rapproche de l’exposition humaine. En particulier, une augmentation globale de la teneur en acides gras du lait, sans modification de la quantité produite ni présence de NP dans la glande mammaire ou dans le lait, a été décrite chez les mères exposées aux gaz d’échappement de moteur diesel jusqu’en fin de gestation [5]. Ces perturbations, présentes en début de lactation, n’étaient plus observées après 15 jours de lactation, en l’absence d’exposition. De plus, la capacité à réagir à un stimulant olfactif (phéromone mammaire) était réduite chez les descendants issus des mères exposées [6]. En corolaire, des NP étaient présentes dans la muqueuse et dans les bulbes olfactifs des lapereaux exposés en fin de gestation. La structure de l’ensemble des tissus impliqués dans l’olfaction, ainsi que les systèmes sérotoninergiques et dopaminergiques étaient aussi affectés. Une perturbation précoce du système olfactif pourrait être à l’origine de perturbations ultérieures de la prise alimentaire et du goût, qui n’ont pas été explorées dans cette étude. Enfin, les effets sur la fonction placentaire de la deuxième génération (fœtus et placentas issus de mères exposées in utero de la 1ère génération ou F1) ont été étudiés. Une dyslipidémie a été observée chez les femelles F1, accompagnée d’une stéatose hépatique quand elles étaient gestantes, une perturbation importante des transferts transplacentaires d’acides gras et de l’expression des gènes placentaires a également été décrite [7]. Ces perturbations sont à l’origine de la dyslipidémie observée chez les fœtus de deuxième génération.

Perspectives

Malgré ces avancées dans la description des phénomènes associés à la pollution atmosphérique, les mécanismes exacts du passage des NP à travers la barrière placentaire ne sont pas encore élucidés, ni le rôle exclusif ou complémentaire de la fraction PUF dans la survenue des effets décrits. On ne connait pas non plus encore le rôle respectif des effets directs des NP (et/ou des molécules adsorbées sur ces NP ou fixées sur la corona) et des effets indirects dans le développement des effets à long terme. Enfin, les effets propres aux différents types de pollution restent encore à évaluer.

 

* Les modifications épigénétiques sont des altérations définitives ou temporaires de l’expression des gènes, sans modification du code génétique. Ces modifications sont essentielles lors du développement car elles participent à la différentiation cellulaire. Par ailleurs, elles permettent des adaptations rapides à l’environnement et constituent une « mémoire » environnementale pour les cellules. Les mécanismes moléculaires mis en jeu sont la méthylation de l’ADN, les modifications des histones et l’activité post-transcriptionnelle d’ARN non codants.  

** Le terme « conceptus » englobe toutes les structures qui se développent à partir de l’embryon fécondé. Il comprend l'embryon, le placenta et les annexes embryonnaires - amnios, chorion et sac vitellin.

 

 

Références

1. Valentino SA, Tarrade A, Aioun J, et al. Maternal exposure to diluted diesel engine exhaust alters placental function and induces intergenerational effects in rabbits. Part Fibre Toxicol 2016 ; 13 : 39.

2. Bové H, Bongaerts E, Slenders E, et al. Ambient black carbon particles reach the fetal side of human placenta. Nat Commun 2019 ; 10 : 3866.

3. Campagnolo L, Massimiani M, Vecchione L, et al. Silver nanoparticles inhaled during pregnancy reach and affect the placenta and the foetus. Nanotoxicology 2017 ; 11 : 687-98.

4. Abukabda AB, Bowdridge EC, McBride CR, et al. Maternal titanium dioxide nanomaterial inhalation exposure compromises placental hemodynamics. Toxicol Appl Pharmacol 2019 ; 367 :51-61.

5. Hue-Beauvais C, Aujean E, Miranda G, et al. Impact of exposure to diesel exhaust during pregnancy on mammary gland development and milk composition in the rabbit. PLoS ONE 2019 ; 14 : e0212132.

6. Bernal-Meléndez E, Lacroix MC, Bouillaud P, et al. Repeated gestational exposure to diesel engine exhaust affects the fetal olfactory system and alters olfactory-based behavior in rabbit offspring. Part Fibre Toxicol 2019 ;  16 : 5.

7. Rousseau-Ralliard D, Valentino SA, Aubrière MC, et al. Effects of first-generation in utero exposure to diesel engine exhaust on second-generation placental function, fatty acid profiles and foetal metabolism in rabbits: preliminary results. Sci Rep 2019 ; 9 : 9710.