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ANALYSE D'ARTICLE

Pathologies en augmentation : perturbateurs endocriniens ou bouleversement de la vie reproductive ?

À la famille nombreuse débutée jeune des années 1950, a succédé le foyer avec un ou deux enfants constitué sur le tard. Dans le même temps, différents problèmes de santé se sont accrus. Pour les auteurs de cet article*, le recul de l’âge maternel, la diminution de la parité et d’autres facteurs reproductifs expliquent une part substantielle de ce phénomène qui a été trop facilement attribué à l’exposition à des perturbateurs endocriniens.

Publié en 2012, le rapport conjoint du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) et de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) « State of the science of endocrine disrupting chemicals » mentionnait 18 affections pour lesquels l’état des connaissances permettait de retenir une implication de l’exposition à des perturbateurs endocriniens. La « théorie de la perturbation endocrinienne » s’est alors imposée comme une explication à l’augmentation de l’incidence de maladies et troubles variés observée dans les sociétés occidentales depuis quelques décennies (cancers hormonodépendants, maladies métaboliques, altération du sperme, anomalies génitales, troubles du développement, etc.).

Si une part du phénomène pouvait être rapportée à l’évolution des pratiques (sensibilisation du public, adaptation des critères diagnostiques, amélioration du dépistage, meilleure tenue des registres), il était difficile de le considérer comme totalement artificiel. Sa rapidité (le taux d’incidence du cancer du testicule est par exemple passé de 2,7 à 7,2 pour 100 000 hommes en Angleterre entre 1971 et 2016) a fait éliminer l’hypothèse de modifications du patrimoine génétique. Il restait à trouver quels changements environnementaux ou sociétaux pouvaient être en cause.

Reconnaissant le rôle plausible de divers facteurs (incluant des modifications de l’alimentation, le recul de l’âge à la maternité et des affections virales), le rapport PNUE/OMS les aurait écartés un peu trop vite au motif de la difficulté à identifier leur responsabilité, favorisant une théorie dont les bases scientifiques restent contestées. Tel est l’avis des auteurs qui reviennent sur la piste des modifications du scénario de la vie reproductive.

Étude de cas pour trois facteurs et pathologies

Après le baby boom des années 1950 et 1960, sous l’effet de l’introduction du planning familial, de l’accès à la pilule contraceptive et du climat de prospérité économique, les couples ont commencé à différer leur projet parental et réduire la taille de la fratrie souhaitée. Ce mouvement a considérablement modifié la démographie des naissances sur quelques décennies : la proportion de celles de faibles rangs a fortement augmenté, en particulier des premiers nés (rang un) de femmes d’au moins 30 ans.

Quel a pu en être l’impact sur l’évolution des « endocrine-related diseases » listées dans le rapport PNUE/OMS ? Les auteurs ont focalisé leurs investigations sur trois d’entre elles choisies a priori : le cancer du testicule et l’hypospadias – très présents dans ce rapport – et l’obésité infantile pour l’attention portée à (et les controverses sur) l’environnement chimique obésogène. Ils ont recherché, dans la littérature relative à leurs facteurs de risque, des publications rapportant des risques relatifs (RR) au rang de naissance, à la parité et à l’âge maternel, qu’ils ont appliqués aux données démographiques néerlandaises (deux des auteurs travaillant à l’université de Maastricht) de l’année 1950 et de la dernière disponible (2015 ou 2016).

Les naissances enregistrées en 1950 aux Pays-Bas se répartissaient en 27,2 % de premiers nés, 24,6 % d’enfants de rang deux, 17,1 % de rang trois et 31,2 % de rang quatre ou plus. En 2015, la répartition était la suivante : 45,5 % de naissances de rang un, 36,8 % de rang deux, 12,7 % de rang trois et seulement 4,9 % de rang supérieur. L’impact du changement a été estimé, d’une part sur l’incidence du cancer du testicule à partir d’une publication rapportant les RR pour les puînés en référence à l’aîné (respectivement 0,92, 0,75 et 0,3 pour les enfants de rang deux, trois et plus), d’autre part sur la prévalence de l’obésité à l’âge de six ans à partir des données d’une cohorte de naissances (RR par rapport au premier né : 0,8 puis 0,6 et 0,35 pour les rangs deux, trois et plus). Sur ces bases, la diminution de la parité entre 1950 et 2015 pourrait expliquer une augmentation de 26 % des cas de cancer et de 24 % de la prévalence de l’obésité infantile.

Pour l’hypospadias, les auteurs ont utilisé une publication rapportant l’effet combiné de la parité et de l’âge maternel en référence à la combinaison « multipare de moins de 30 ans » (25,6 % des naissances au Pays-Bas en 1950 et 13,7 % en 2016). Le RR était estimé à 8,2 pour la combinaison la plus défavorable (« nullipare d’au moins 35 ans » : 1,7 % des naissances en 1950 et 6,9 % en 2016). La diminution de la parité associée à l’élévation de l’âge maternel pourrait être responsable d’une augmentation de 34 % de la prévalence de l’hypospadias entre les deux dates. Un troisième facteur de risque de cette anomalie était identifié dans la publication : l’indice de masse corporelle de la mère. En l’absence de statistiques nationales adéquates, les auteurs n’ont pas pu évaluer le rôle (qu’ils estiment très probable) de l’augmentation de la corpulence des mères sur la prévalence de l’hypospadias.

Élargissement du propos

Une revue rapide de la littérature indique que des associations avec la parité, l’âge maternel ou le rang de naissance ont été rapportées pour dix autres maladies ou troubles cités dans le rapport PNUE/OMS. L’âge paternel avancé ou l’obésité maternelle ont été associés au risque de quatre pathologies supplémentaires.

Les auteurs appellent aussi à tenir compte de l’augmentation des naissances de couples hypofertiles. Alors qu’autrefois la fertilité du couple déterminait le nombre de ses enfants, la taille des familles actuelles dépend assez peu des possibilités biologiques. Les couples sub-fertiles et très fertiles tendent à contribuer également aux naissances, et l’impact sanitaire de ce phénomène est potentiellement important. Pour en rester à la première génération, la prématurité et le petit poids de naissance (qui influencent l’état de santé sur toute une vie) sont des issues de grossesse plus fréquentes pour des couples sub-fertiles.

Les auteurs font enfin observer la relation entre facteurs reproductifs et hormonaux. Le niveau des hormones circulantes change avec l’âge ; le fœtus d’une femme jeune ne baigne pas dans la même ambiance hormonale que celui d’une mère âgée. Bien que les données soient limitées, le nombre des grossesses influencerait aussi le niveau des hormones maternelles.

Soutenant un rôle majeur du bouleversement de la vie reproductive, l’article n’en fait pas une alternative à la théorie de la perturbation endocrinienne. Le message est ouvert : l’augmentation des « endocrine-related diseases » résulte certainement de plusieurs causes. Considérer la plausibilité de l’une n’exclut pas celle d’une autre.


Publication analysée :

* Swaen GMH1, Bofetta P, Zeegers M. Impact of changes in human reproduction on the incidence of endocrine-related diseases. Crit Rev Toxicol 2018 ; 48 : 789-95. doi: 10.1080/10408444.2018.1541073

1 CAPHRI Research Institute and Department of Complex Genetics, Maastricht University, Maastricht, Pays-Bas.