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ANALYSE D'ARTICLE

Exposition prénatale aux pesticides agricoles et troubles neurodéveloppementaux

Cette étude renforce les preuves d’un lien entre l’exposition prénatale aux pesticides, en particulier organophosphorés, et le risque de troubles du spectre autistique. Elle suggère par ailleurs une association entre ces troubles et l’exposition aux pyréthrinoïdes ainsi qu’entre le retard de développement et l’exposition aux carbamates.

This study strengthens the evidence of a link between prenatal exposure to pesticides, particularly organophosphates, and the risk of autism spectrum disorders. It also suggests an association between these disorders and exposure to pyrethroids, and between developmental delay and carbamate exposure.

Deux précédentes études conduites en Californie, la principale région agricole des États-Unis, ont précédemment rapporté des associations entre l’exposition des femmes enceintes à certains pesticides (organophosphorés, organochlorés et bifenthrine, de la classe des pyréthrinoïdes) et le risque de trouble du spectre autistique (TSA) chez les enfants. Dans la cohorte CHAMACOS (Center for the Health Assesment of Mothers and Children of Salinas), l’exposition maternelle aux organophosphorés, évaluée par le niveau des métabolites urinaires, a également été associée à une diminution du quotient intellectuel des enfants, mesuré à l’âge de 7 ans. Deux études en Équateur, dans des populations de femmes travaillant dans la fl oriculture, ont par ailleurs relié l’exposition prénatale à des pesticides organophosphorés, notamment au chlorpyrifos, à une altération des performances cognitives et comportementales. L’utilisation domestique de cet insecticide, avant son interdiction en 2001, avait été associée à un retard de développement psychomoteur dans une étude new-yorkaise. Sur ces bases, et tenant compte des quelques données chez l’animal et des hypothèses mécanistiques, les auteurs de cette analyse dans la population de l’étude CHARGE (Childhood Autism Risk from Genetics and Environment) se sont focalisés sur quatre familles de pesticides : les organophosphorés, les organochlorés, les pyréthrinoïdes et les carbamates. 

 

Présentation de l’étude

CHARGE est une étude cas-témoins californienne qui explore un large éventail de facteurs susceptibles de contribuer aux TSA et au retard de développement, défi ni comme un retard d’acquisition des compétences cognitives et adaptatives. Depuis son lancement, en 2003, l’étude a inclus plus de 1 600 participants : les cas (TSA et retard de développement) sont principalement recrutés via les centres régionaux du California Department of Developmental Services (CDDS) et les témoins (appariés aux cas sur le sexe, l’âge et la région) sont sélectionnés dans la population éligible (enfants de 2 à 5 ans, nés en Californie et ayant un parent parlant anglais ou espagnol) à partir du registre des naissances de l’État. 

Une évaluation est réalisée à l’inclusion, sur la base de tests et d’outils de mesure validés, dans l’objectif de confirmer ou d’infirmer le diagnostic de trouble autistique ou du développement et, pour les témoins, de vérifier la normalité du développement. Dans l’échantillon de population analysable (970 enfants sur les 1 043 participants évalués), 36 enfants entrés avec un diagnostic de retard du développement ont ainsi été reclassifiés en TSA tandis que 28 enfants chez lesquels aucun trouble n’avait été diagnostiqué ont été reclassifiés en retard de développement (n = 26) ou TSA (n = 2). L’échantillon comportait ainsi 486 enfants présentant un TSA, 168 un retard de développement et 316 un développement normal.

L’exposition prénatale aux pesticides a été estimée à partir des adresses données par les parents pour la période allant de 3 mois avant la conception jusqu’à l’accouchement et de la base de données PUR (Pesticide Use Report) qui recense toutes les applications professionnelles de pesticides (type, quantité, date) ayant lieu sur le territoire californien, découpé en surfaces d’un mile au carré (2,6 km2). L’exposition au cours de la période de préconception et de chacun des trimestres de la grossesse a été reconstituée à l’aide d’un modèle spatial, en considérant trois zones autour du lieu de résidence (dans un rayon de 1,25 km, 1,5 km et 1,75 km).

 

Analyses et résultats

Dans environ un tiers des cas, des pesticides avaient été appliqués dans un rayon de 1,5 km autour de l’habitation de la mère pendant sa grossesse et 2/3 de ces femmes avaient été exposées à plusieurs pesticides. Les agents les plus employés appartenaient à la famille des organophosphorés (le plus souvent du chlorpyrifos), devant les pyréthrinoïdes, les carbamates et les organochlorés.

Les relations entre l’exposition prénatale et le risque de TSA ou de retard de développement ont été examinées dans des modèles ajustés sur le niveau d’études du père, le statut de propriétaire du logement, la nationalité de naissance de la mère, l’origine ethnique, la prise de vitamines en début de grossesse et l’année de naissance. L’application d’organophosphorés dans un rayon de 1,25 km autour de la résidence à un moment ou l’autre de la grossesse est associée à un excès de risque de TSA (odds ratio [OR] = 1,6 [IC95 = 1,02-2,51]) et l’application de carbamates à proximité de l’habitation est associée à un excès de risque de retard de développement (OR = 2,48 [IC95 = 1,04-5,91]). Dans les deux cas, les OR diminuent avec l’élargissement de la zone considérée (par exemple, pour les carbamates, OR respectivement égaux à 1,65 [IC95 = 0,7- 3,89] et 1,32 [IC95 = 0,6-2,88] pour des rayons de 1,5 km et 1,75 km), ce qui évoque un gradient exposition-réponse. Les analyses plus fines du risque de TSA selon le trimestre au cours duquel l’exposition a lieu, suggèrent un effet des organophosphorés au cours des 2e et 3e trimestres de grossesse. Les associations sont, en particulier, significatives pour l’application de chlorpyrifos (étudié séparément des autres organophosphorés) dans un rayon de 1,5 km et 1,75 km au cours du 2e trimestre de grossesse (OR respectifs égaux à 3,31 [1,48-7,42]) et 2,63 [1,28-5,41]). Les analyses suggèrent par ailleurs un effet des pyréthrinoïdes en période de préconception et au 3e trimestre de grossesse. Les estimations sont toutefois imprécises et ne permettent pas d’identifier des fenêtres de sensibilité. Le nombre d’enfants présentant un retard de développement exposés aux carbamates était trop faible pour permettre de réaliser des analyses en fonction de la période d’exposition.

Laurence Nicolle-Mir


Publication analysée :

Shelton JF1, Geraghty EM, Tancredi DJ, et al. Neurodevelopmental disorders and prenatal residential proximity to agricultural pesticides: the CHARGE Study. Environ Health Perspect 2014; 122: 1103-9.

doi: 10.1289/ehp.1307044

 

1 Department of Public Health Sciences, University of California, Davis, États-Unis.