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ANALYSE D'ARTICLE

Diabète : quelle contribution de l’exposition aux PM2,5 ?

Enrichissant la littérature d’une vaste étude prospective qui renforce les preuves d’une association entre la pollution par les particules fines et le risque de diabète, cet article procure également une estimation de la charge du diabète qui pourrait être attribuable à cette pollution.

Dans son rapport sur la pollution et la santé publié en octobre 2017 [1], la Commission du Lancet appelait à définir et quantifier la charge du diabète imputable à la pollution atmosphérique par les PM2,5 (ainsi que celles des maladies neurodéveloppementales et neurodégénératives, des naissances prématurées et du faible poids de naissance). Cette publication d’une équipe du service de soins pour les anciens combattants des États-Unis (centre de Saint Louis, Missouri) contribue à combler ce besoin de connaissances en fournissant une estimation de la charge de morbidité à l’échelle mondiale pour l’année 2016, après une description de la relation entre l’exposition aux PM2,5 et l’incidence du diabète dans une cohorte de plus d’1,7 million de vétérans.

Étude longitudinale dans la population des vétérans

La cohorte a été constituée par le croisement de deux bases de données : celle du département des anciens combattants (pour la sélection d’une population non diabétique à l’entrée [n = 1 729 108, sur la base d’un examen réalisé entre le 1er octobre 2003 et le 30 septembre 2004]), et celle de l’Agence de protection de l’environnement (US EPA) pour l’attribution d’une valeur d’exposition (concentration atmosphérique des PM2,5 modélisée à l’échelle du comté de résidence [Community Multiscale Air Quality modeling system – CMAQ]). La population a été suivie pendant une durée médiane de 8,5 ans. L’association entre l’exposition aux PM2,5 et l’incidence du diabète a été examinée en contrôlant 14 variables sociodémographiques et sanitaires (dont : âge, origine ethnique, sexe, indice de masse corporelle, tabagisme, taux de filtration glomérulaire, pression artérielle, affection cardiovasculaire ou pulmonaire chronique), ainsi que deux variables au niveau du comté (densité de population et pourcentage sous le seuil de pauvreté).

L’augmentation de 10 μg/m3 du niveau des PM2,5 est associée à une augmentation de 15 % du risque de diabète (hazard ratio [HR] = 1,15 [IC95 : 1,08-1,22]). L’association persiste (HR = 1,12 [1,02-1,24]) après ajustement supplémentaire sur 55 caractéristiques du comté dans six domaines (santé, mode de vie, recours aux soins, profil socio-économique, environnement physique et démographie). En référence au premier quartile de la concentration des PM2,5 (5-10,1 μg/m3), un excès de risque de diabète est observé dès le deuxième quartile (10,2-11,8 μg/m3 : HR = 1,08 [1,05-1,12]) puis la relation marque un plateau entre le troisième (11,9-13,6 μg/m3 : HR = 1,13 [1,07-1,18]) et le dernier quartile (13,7-22,1 μg/m3 : HR 1,14 [1,10-1,19]).

Les résultats sont robustes à plusieurs analyses de sensibilité, en particulier lorsque le modèle tient compte de la variation temporelle de la concentration atmosphérique des PM2,5 (HR pour une augmentation de 10 μg/m3 égal à 1,18 [1,10-1,25]) ou est alimenté par des données d’exposition issues des observations des satellites de la NASA (HR = 1,13 [1,11-1,15]). Si l’étude présente certaines limites (notamment l’absence de prise en compte de la composition des particules ainsi que des facteurs individuels potentiellement importants comme le niveau d’activité physique), quatre analyses complémentaires renforcent la pertinence de ses résultats. Deux avec des événements sanitaires, l’un à valeur de témoin positif (la mortalité toutes causes) et l’autre de témoin négatif (la fracture des membres inférieurs), donnent des résultats conformes à l’attendu : l’augmentation de 10 μg/m3 du niveau des PM2,5 a un impact sur la mortalité (HR = 1,08 [1,03-1,13]) et pas sur le risque de fracture (HR = 1). Deux autres analyses utilisant la concentration de sodium dans l’air ambiant à la place de celle des PM2,5 (données de mesures du réseau national des stations de surveillance de la qualité de l’air disponibles pour environ la moitié de la population) ne montrent pas d’association avec le diabète ni la mortalité générale.

Estimation du fardeau global

Les auteurs ont construit une fonction exposition-réponse à partir des données de 30 études prospectives (dont la leur) en appliquant la méthodologie développée pour le projet Global Burden of Disease (GBD). Les travaux sélectionnés présentaient un score de qualité d’au moins 4 sur l’échelle de Newcastle-Ottawa (à 9 points pour les études prospectives) et avaient estimé l’effet du niveau des PM2,5 dans l’air ambiant (sept études) ou du tabagisme (actif et/ou passif) sur l’incidence du diabète (le type 2 étant précisé dans 28 études). L’inclusion d’études sur le tabagisme (dotées d’un groupe de référence n’ayant jamais été exposé ni fumé) visait à étendre la plage des valeurs d’exposition (35 μg/m3 pour le tabagisme passif et 667 μg/m3 par cigarette quotidiennement fumée pour le tabagisme actif), les sept études sur les PM2,5 dans l’air ambiant provenant de pays développés où les niveaux de fond sont faibles. Les concentrations rapportées ont servi à établir un niveau d’exposition à risque minimum (Theorical Minimum Risk Exposure Level – TMREL), compris entre 2,4 et 5,9 μg/m3 (5e percentile de la distribution des concentrations). À partir de ce seuil, le risque de diabète augmente franchement jusqu’à une valeur de 10 μg/m3 (correspondant à l’actuelle norme de qualité de l’Organisation mondiale de la santé [OMS]), puis la courbe s’aplatit et l’excès de risque n’augmente plus que modérément.

Cette fonction exposition-réponse non linéaire et les données de l’étude GBD 2016 ont été utilisées pour produire une estimation de la charge du diabète imputable à une exposition à long terme à un niveau de PM2,5 dépassant le TMREL. Les calculs aboutissent à environ 3,2 millions de nouveaux cas de diabète dans le monde (représentant 14 % de la totalité des cas incidents) pour l’année 2016 (intervalle d’incertitude à 95 % [II95] : 2,2-3,8), et à 8,2 millions (II95 : 5,8-11) d’années de vie en pleine santé perdues (années de vie ajustées sur l’incapacité [AVAI]), constituées pour moitié d’années de vie perdues en raison de décès prématuré (4,1 millions [3,1-5,1]) et d’années vécues avec une incapacité (4,1 millions [2,4-6,2]). Estimé pour les 10 pays les plus peuplés, le fardeau apparaît particulièrement lourd pour l’Inde, l’Indonésie, le Pakistan, la Chine et le Bangladesh. Les trois premiers pays présentent les taux d’AVAI pour 100 000 habitants (standardisés sur l’âge) les plus élevés : respectivement 221,7 (Pakistan), 189,4 (Indonésie) et 165,5 (Inde). L’estimation de la fraction attribuable pour chaque pays individuellement dessine une tendance générale défavorable aux pays pauvres et à revenu intermédiaire, les moins aptes à faire face à une augmentation de la charge du diabète. Elle risque de s’affirmer sous l’effet de plusieurs forces conjuguées (expansion démographique, urbanisation, industrialisation) qui entraînent une augmentation du nombre de personnes exposées à une pollution atmosphérique importante.

 


Publication analysée :

* Bowe B1, Xie Y, Li T, Yan Y, Xian H, Al-Aly Z. The 2016 global and national burden of diabetes mellitus attributable to PM2,5 air pollution. Lancet Planet Health 2018 ; 2 : e301-12. doi : 10.1016/S2542-5196(18)30140-2

1 Clinical Epidemiology Center, Research and Education Service, VA Saint Louis Health Care System, Saint Louis, Missouri, États-Unis. 1. Environ Risque Sante 2018; 17: 228-30.