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ANALYSE D'ARTICLE

Bioaérosols de compostage industriel : quels risques pour la santé ?

Conduite dans la perspective d’une évaluation des risques de l’exposition aux bioaérosols de compostage pour les employés des installations et les populations riveraines, cette revue de la littérature récente s’avère décevante. En l’état actuel des connaissances, la toxicité respiratoire de ces bioaérosols n’est pas établie.

Affiliés à des institutions gouvernementales britanniques (Public Health England [PHE], National Institute for Health Research), les auteurs de cet article avaient déjà réalisé une revue des études sur l’exposition aux bioaérosols générés par les plates-formes industrielles de compostage de déchets organiques et ses effets sanitaires. À l’issue de cette analyse de la littérature publiée depuis les années 1980 jusqu’en juillet 2014, quelques preuves d’un impact des émissions sur la santé respiratoire des travailleurs et des populations alentour étaient réunies, mais les données étaient bien trop limitées pour une évaluation quantitative des risques. Le nombre d’installations n’a cessé d’augmenter depuis (l’Angleterre en comptait 327 en 2017, dont environ 70 % pratiquant le compostage en andains à ciel ouvert), et PHE a reçu 12 plaintes de voisinage nécessitant investigations entre août 2017 et août 2018, contre une en 2009-2010.

Si le compostage est salué en tant que mode de gestion et de valorisation des déchets, il soulève également des craintes pour la santé. Le bioaérosol inévitablement dégagé par les manipulations (chargement et déchargement des déchets, broyage, retournement et malaxage des matières en décomposition et criblage du compost) peut théoriquement parcourir de longues distances. Les installations se multipliant et l’expansion urbaine effaçant les limites entre villes et campagnes, une population grandissante sera amenée à y être exposée. Les autorités de réglementation des activités industrielles et de protection de la santé publique devant être éclairées sur son impact sanitaire, les auteurs ont recherché dans la littérature récente des données renforçant le niveau de preuve d’effets néfastes des émissions. En préambule, ils font remarquer que cette recherche a été orientée par un postulat de départ négatif, alors que l’inverse peut s’envisager : selon l’hypothèse hygiéniste, l’exposition en bas âge à des composants microbiens oriente favorablement la maturation du système immunitaire vers la lutte anti-infectieuse, réduisant le risque de maladie allergique et d’asthme.

Sélection des études

Comme la précédente, cette nouvelle revue systématique de la littérature a été réalisée conformément aux recommandations des groupes MOOSE (Meta-Analyses and Systematic Reviews of Observational Studies) et PRISMA (Preferred Reporting Items for Systematic Reviews and Meta-Analyses). Elle a débuté par une recherche dans les bases de données Medline et Embase, focalisée sur les articles publiés en langue anglaise entre le 1er janvier 2014 et le 15 juin 2018 dans des revues à comité de lecture ou par des institutions reconnues, complétée par une recherche manuelle dans les listes bibliographiques. Au total 817 articles ont été identifiés et 23 études rapportant l’exposition à des bioaérosols de compostage (mesures sur site ou autour du site) et/ou des effets sanitaires en lien avec les émissions (dans des populations de travailleurs ou riveraines des installations) ont été finalement conservées. Les informations provenaient majoritairement du Canada, d’Allemagne, de France et d’Angleterre, mais aussi d’autres pays non représentés dans la première revue, en Europe (Irlande, Hongrie, Suisse, Norvège) et hors Europe (Inde et Chine).

Analyse critique

La sélection incluait 18 études d’exposition dont 13 sur site exclusivement, quatre étendues à l’environnement proche du site, et une seule focalisée sur cet environnement (autour d’une installation de compostage de déchets verts du sud de la France). Différentes stratégies d’échantillonnage et méthodes d’analyse avaient été employées et les bioaérosols étaient diversement caractérisés. Les auteurs relèvent des durées d’échantillonnage généralement courtes (dépassant 24 h dans deux études seulement), qui, associées au manque de données météorologiques, ne permettent pas de savoir comment la concentration et la composition du bioaérosol évoluent dans le temps et l’espace. Par ailleurs, sans connaissance du niveau de fond de la pollution atmosphérique de nature biologique sur le lieu d’implantation de l’installation, la contribution des activités émissives ne peut être précisément estimée. Les auteurs notent néanmoins un progrès par rapport à leur première revue de la littérature (44 % des nouvelles études fournissent des informations sur la pollution microbiologique de fond versus 32 % des anciennes), ainsi qu’une avancée des méthodes de caractérisation du bioaérosol qui intègrent l’analyse métagénomique, même si les méthodes traditionnelles (et peu performantes) basées sur la culture des micro-organismes et l’identification morphologique en microscopie prédominent encore (70 % des études). Les résultats restent toutefois peu comparables, aucun paramètre n’étant constamment rapporté. Les plus fréquents sont les concentrations de bactéries totales (11 études), de champignons totaux (huit études) et d’actinobactéries (huit études également). Quatre études rapportent des concentrations d’endotoxines, et huit des mesures de poussière inhalable ou de matière particulaire en suspension, généralement assorties [sept études] d’une analyse granulométrique, rarement suffisante [deux études] pour déterminer précisément la fraction d’origine microbienne.

Deux études d’exposition en milieu de travail fournissaient également des données relatives à la fonction respiratoire des employés (groupe exposé au bioaérosol versus groupe témoin de personnel administratif), qui avait été explorée par spirométrie suivant un protocole quasi expérimental (examen avant la prise du poste et à la sortie du travail). La population exposée était la même (47 employés de 10 plates-formes de compostage en Norvège dont la moitié à ciel ouvert et l’autre en réacteur fermé), l’exploration fonctionnelle respiratoire étant complétée par le recueil de données cliniques dans la première étude (toux, irritation des voies aériennes supérieures, du nez et des yeux), et par des analyses biologiques dans la seconde (marqueurs inflammatoires et immunologiques). Quatre articles relatifs à une même cohorte professionnelle (31 installations en Allemagne) rapportaient des résultats sur des paramètres cliniques et biologiques du même ordre dans une population exposée allant de 116 à 190 sujets. Les données relatives à la santé des populations riveraines se résumaient à celles d’une étude de type écologique ayant examiné la corrélation entre la distance résidentielle à une installation (148 sites en Angleterre) et les admissions hospitalières pour motif respiratoire entre 2008 et 2010.

Cette littérature marque quelques progrès dans l’évaluation sanitaire, qui ne repose plus uniquement sur l’administration de questionnaires. Elle reste toutefois de faible qualité : petite taille des populations incluses, contrôle insuffisant des facteurs de confusion potentiels, etc. Estimant l’apport de ces 23 nouvelles études trop mince pour modifier leurs précédentes conclusions, les auteurs formulent sept recommandations de recherche afin d’améliorer franchement l’état des connaissances.


Publication analysée :

* Robertson S1, Douglas P, Jarvis D, Marczylo E. Bioaerosol exposure from composting facilities and health outcomes in workers and in the community: a systematic review update. Int J Hyg Environ Health 2019 ; 222(3) : 364-86. doi : 10.1016/j.ijheh.2019.02.006

1 Centre for Radiation, Chemical and Environmental Hazards, Public Health England, Didcot, Oxfordshire, Royaume-Uni.