17 septembre 2021 - Faut-il vacciner contre la détection par PCR ou contre la maladie Covid-19 ?
Pierre Sonigo1, Caroline Petit2, Nathalie Jane Arhel3
1 Sebia, Parc technologique Léonard de Vinci, 27 rue Léonard de Vinci, 91090 Lisses, France
2 ENS-PSL, USR3608-République des savoirs-Centre Cavaillès, CNRS, France
3 Institut de recherche en infectiologie de Montpellier, Université de Montpellier, CNRS (Centre national de recherche scientifique), Montpellier, France
Correspondance : Pierre Sonigo
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Des travaux de développement accélérés ainsi que des investissements exceptionnels ont permis en 2020 de faire face à l’urgence sanitaire en accélérant la mise au point et l’évaluation de vaccins contre la Covid-19 [1]. Paradoxalement au regard de cette prouesse technologique et médicale, la rapidité de leur mise en place et les enjeux financiers ont contribué à enflammer et insécuriser l’opinion publique. On entend notamment qu’on ne dispose pas de recul suffisant pour s’assurer de l’innocuité des vaccins à base d’ARN. Pourtant, nous vivons en permanence au contact de nombreux ARN, notamment bactériens ou viraux. À commencer par les quatre coronavirus endémiques qui nous ont heureusement immunisés bien avant la Covid-19 et qui ont contribué à protéger nos enfants et les sujets jeunes [2, 3]. Par ailleurs, les vaccins ARN ont fait l’objet de nombreuses études et constituent un progrès par rapport aux vaccins ADN qui les ont précédés [4].
Néanmoins, ce n’est pas défendre la vaccination que de promettre des résultats qu’elle est incapable de produire. C’est au contraire nourrir la défiance et préparer des retours de bâton dangereux. La simplification des problématiques complexes de la vaccination et de l’immunité anti-Covid ne va pas dans le sens de leur compréhension. Cela génère au contraire angoisse, confusion, décisions inadaptées et ouvre grand les portes à la désinformation et à la polarisation du débat entre deux extrêmes. Nous rappelons ici certains principes fondamentaux de l’immunité antivirale afin de soutenir une discussion scientifique et constructive autour de la vaccination contre la Covid-19.
Comment fonctionne un vaccin ?
La compréhension courante du fonctionnement d’un vaccin, qui sous-tend beaucoup d’analyses immunologiques et cliniques, mérite d’être clarifiée. Tout d’abord, un vaccin ne met pas en place une réaction immune protectrice, il ne fait que la préparer [5]. Le vaccin induit un « amorçage » ou « effet mémoire ». Il permet ainsi la montée d’une réponse secondaire, plus rapide que celle qui est induite lors de la primo-infection d’une personne non vaccinée. Mais si le vaccin accélère la réponse, il ne peut la mettre en place à lui seul. La réponse complète permettant la guérison, dite réponse stérilisante, se déploie seulement quand l’infection survient, après la vaccination. Par exemple, l’infection par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) n’induisant pas de réponse stérilisante, le vaccin qui accélère une réponse non stérilisante ne parvient pas à protéger. De même, un très bon vaccin contre la polio ne bloque pas l’infection chez les vaccinés. Il répond toutefois à ses objectifs, en empêchant la dissémination dans le système nerveux et la paralysie spinale, ce qui évite les terribles séquelles de la poliomyélite infantile. Dans le langage classique de la vaccinologie, on distingue la « protection contre l’infection », objectif difficile à atteindre, et la « protection contre la maladie », ce que nos vaccins classiques permettent. La durée de la mémoire induite est très variable d’un vaccin à un autre : pour certaines maladies infectieuses (oreillons, varicelle, variole) une infection naturelle ou vaccination induit une mémoire de longue durée, pour d’autres en revanche, la mémoire doit être maintenue par des rappels de vaccins, ou par des infections naturelles récurrentes [5]. Notamment, l’immunité n’est pas durable contre les virus propices aux variations antigéniques saisonnières, ni contre les agents pathogènes qui se répliquent exclusivement sur les muqueuses (influenza A et B, virus respiratoire syncytial, norovirus, rotavirus) [6]. De plus, certaines infections bactériennes ont une courte période d’incubation avec un début rapide des symptômes ne laissant ainsi pas le temps à la mémoire immunitaire d’être rappelée (haemophilus influenzae type B et méningocoques) [5]. De manière générale, les infections naturelles permettent de créer une mémoire plus complète, car contre plusieurs antigènes du même pathogène, généralement en plus grande abondance par l’infection que par la vaccination, et plus protectrice, car elle est générée spécifiquement au site des futures infections. C’est pour cette raison qu’en dehors de cas très particuliers (notamment le tétanos), il est inutile de vacciner après une infection guérie. C’est ce qui a justifié la mise en place dans de nombreux pays du certificat de rétablissement. Notons, si tant est que ce soit nécessaire ici, que l’idée de s’infecter pour être vacciné est parfaitement absurde puisque par définition, la vaccination est une méthode préventive permettant de se protéger utilement avant que l’infection ne survienne et non après. Enfin il convient de rappeler que les mesures immunologiques post-vaccination, tels que le taux d’anticorps ou autres mesures immunologiques plus spécialisées sont indicatrices uniquement de l’amorçage vaccinal et non pas, contrairement à une erreur très répandue, des effecteurs immunitaires spécifiquement impliqués dans la protection vaccinale. C’est seulement la résistance à l’infection, c’est-à-dire une analyse clinique et virologique, non pas immunologique, qui est la mesure directe et indiscutable de la protection vaccinale. Des études cliniques utilisant des méthodes de mesure immunologique standardisées sont nécessaires pour établir les niveaux d’anticorps ou d’autres effecteurs établis avant infection, effectivement corrélés avec une protection ultérieure. Pour souligner l’absence de causalité directe, on parle dans ce cas d’établir les « corrélats » immunologiques de la résistance à l’infection, études non disponibles aujourd’hui pour l’infection à SARS-CoV-2.
Immunité anti-Covid
La difficulté - et la source de bien des confusions – est qu’on traite habituellement l’infection par SARS-CoV-2 et l’immunité contre ce virus comme un seul bloc, qui plus est en tout ou rien. Or, pour ce type de virus, il est indispensable d’analyser séparément l’infection pulmonaire et l’infection des muqueuses et de raisonner quantitativement. À l’évidence il y a plusieurs niveaux de protection, et cela varie selon les tissus. De plus, les propriétés immunologiques des muqueuses sont très différentes de celles d’autres tissus. Les muqueuses peuvent être considérées, au moins en partie, comme un « sanctuaire » où les micro-organismes sont protégés de la réponse immune [7].
Dans les poumons, l’infection peut provoquer une insuffisance respiratoire aiguë et nécessiter un transfert en service de réanimation. L’immunité cellulaire pulmonaire, en réponse à l’infection, est très présente et souvent très protectrice contre les virus [8]. Sur les muqueuses c’est une tout autre affaire : l’infection produit un simple rhume, plus ou moins symptomatique, parfois accompagné d’un syndrome grippal bénin et l’immunité protégeant les muqueuses n’est ni aussi efficace ni aussi durable que dans les poumons [7, 9].
La confusion entre les deux localisations est aggravée par le fait que l’on mesure l’infection uniquement sur les muqueuses respiratoires supérieures, de plus avec une méthode très sensible, la PCR (réaction de polymérisation en chaîne). La présence virale étant considérée à juste titre comme une mesure (inverse) de l’immunité, on mesure donc exclusivement l’immunité au niveau des muqueuses du nasopharynx [9]. Toutefois, cette absence de protection sur les muqueuses nasopharyngées ne peut être pas extrapolée aux autres tissus, notamment aux poumons. Dans le cas de la Covid-19, comme pour la grippe, l’immunité est stérilisante dans les tissus profonds comme les poumons, ce qui protège contre les formes graves, mais elle ne l’est malheureusement pas assez longtemps sur les muqueuses. En particulier, les vaccins étant administrés de manière systémique par injection intramusculaire, ils induisent une immunité systémique mais ne stimulent que faiblement la production d’anticorps sur les muqueuses [7, 9]. C’est pour cela que la PCR permet la détection de réinfections sur les muqueuses après infection guérie ou vaccination. De même, il n’y a pas d’immunité solide contre les rhumes, ni d’immunité de groupe possible contre les infections et réinfections limitées aux muqueuses parce que la réponse n’est ni durable ni efficace sur ce type de tissu [6]. Cette analyse est aussi renforcée par l’évolution observée de la souche initiale vers les variants d’intérêt et sous surveillance (variants of interest and of concern). Rappelons que l’évolution virale n’est pas guidée par la loterie des mutations, qui surviennent de manière extrêmement rapide et permanente, mais par la pression de sélection exercée par les réponses immunes qui détruisent le virus. Par conséquent, si l’immunité est moins efficace sur les muqueuses, la sélection naturelle doit favoriser un tropisme très sélectif pour les muqueuses. De plus, une localisation muqueuse, plus « externe » favorise la transmission qui constitue un élément essentiel de succès évolutif. C’est exactement ce qui est observé avec le SARS-CoV-2. Un variant comme Delta a une très haute affinité pour ACE2, son récepteur d’entrée, préférentiellement exprimé sur les muqueuses des voies aériennes supérieures [8]. Il est très contagieux parce qu’il est proche du milieu extérieur et excrété en abondance, en cas de symptômes. Son évolution est stabilisée sur les muqueuses par une forte sélection naturelle qui le détruit dans les poumons. On le retrouve le plus souvent chez les sujets jeunes et en bonne santé, ou dans des populations vaccinées car elles sont désormais majoritaires. Pour ce variant, l’augmentation des « cas » n’entraîne pas une augmentation proportionnelle de la mortalité. Ce type d’évolution est classique, le même schéma évolutif a été proposé dans le passé pour la grippe [10].
Comment définir la protection immunitaire ?
Rappelons pour commencer que la protection immunitaire est définie de manière simple, cliniquement : une personne qui guérit rapidement sans séquelles ou qui est au contact du virus sans être malade est protégée. Cette définition implique de s’entendre sur les critères qui permettent d’affirmer l’infection d’une part et sur ceux qui permettent de définir la maladie d’autre part. Cela ne peut pas reposer sur une seule mesure isolément : les bonnes pratiques de la biologie médicale impliquent une interprétation de l’analyse dans le contexte du tableau clinique. De plus, la protection ne peut pas être simplement présente ou absente : il peut évidemment y avoir différents niveaux de protection qu’il faut définir.
Dans l’urgence et la recherche de solutions immédiatement applicables à grande échelle, les règles classiques n’ont pas été respectées : la positivité en PCR est devenue la mesure de référence de l’épidémie à la fois dans les textes et les communications officiels, ainsi que dans les choix des actions de gestion de crise. C’est la positivité en PCR qui définit ce que les institutions de santé appellent un « cas » et parfois même un « malade ». C’est encore la positivité en PCR qui permet d’anticiper les « vagues » et déclenche les mesures d’exception comme le couvre-feu ou le confinement. Un tel choix permet aussi de résumer l’épidémie en un seul nombre. Et ce nombre devient ce qu’il faut combattre [11].
Malheureusement, c’est en utilisant des critères soi-disant « objectifs » pour éviter les débats insolubles que l’on entretient la confusion. En effet, la positivité en PCR n’est pas l’infection et encore moins la maladie. La valeur diagnostique des simples symptômes pour mesurer la maladie et la contagion est probablement meilleure que celle des tests. Les épidémies ont historiquement été combattues en isolant les personnes visiblement malades, ce qui avait le mérite de la faisabilité et de la simplicité. L’usage des tests PCR, notamment lorsqu’ils combinent la recherche de plusieurs pathogènes associés à un tableau clinique ou radiologique proche, permet avant tout de confirmer que la maladie a pour origine le SARS-CoV-2, et non un autre pathogène, seul ou en co-infection.
Faut-il viser l’éradication du virus ?
Il est illusoire, et en désaccord avec nos connaissances antérieures sur l’immunité antivirale, d’attendre de la vaccination, et même de la puissante immunité naturelle post-infection [12], un blocage efficace de la circulation virale dans le cas de virus ultra-spécialisés pour se multiplier dans les muqueuses des voies aériennes supérieures. Le tropisme muqueux rend par ailleurs ces virus, comme on peut le constater, très contagieux mais bénins lorsque l’immunité pulmonaire est en place. L’immunité de groupe, qui a généré beaucoup de discussions, est un modèle conçu historiquement pour des virus comme la polio ou la variole pour lesquels la contagiosité est moins dépendante de l’infection des muqueuses respiratoires [6]. Ainsi, les coronavirus endémiques ou la grippe continuent de circuler malgré un taux très élevé d’immunisation de la population.
De même, il est irréaliste de chercher à arrêter le virus et sa propagation, le virus étant déjà partout. L’efficacité et le réalisme imposent de se recentrer sur la clinique, et surtout les formes graves qui saturent notre système de santé et endeuillent le pays. Il faut concentrer nos efforts sur les personnes à risque. Les protéger humainement et efficacement, par exemple en fournissant des masques ou en leur permettant de s’isoler à domicile, n’est pas une punition ni une discrimination. Nous ne sommes pas égaux face à ce virus. La solidarité ne consiste pas à appliquer des mesures généralisées complexes, coûteuses et inefficaces à tout le monde, y compris ceux qui n’en ont pas besoin, mais à concentrer les efforts de tous dans la bonne direction.
Pour garder espoir, il faut aussi rappeler la donnée la plus rassurante dans cette terrible pandémie, tellement évidente qu’on l’oublie systématiquement : la protection contre les formes graves est observée dans tous les pays, sans exception, pour une grande majorité de la population, notamment dans la tranche d’âge de 2 à 65 ans environ. Cette protection « naturelle » résulte vraisemblablement d’infections par les coronavirus apparentés au SARS-CoV-2, qui circulent depuis longtemps dans le monde, notamment chez les enfants [2, 3]. Cela répond en passant à la question de la durée de protection contre les formes graves : si on se base sur la rareté de leur survenue entre 2 à 50 ans environ, cela correspond à une durée de protection de plus de 40 ans, incompatible avec des durées de protection courtes chez les personnes immunocompétentes. Cette immunité croisée n’est pas versée au compte de l’immunité collective. Elle est pourtant durablement protectrice contre la maladie Covid-19.
Conclusion : un virus désormais endémique
La façon dont le variant Delta est interprété entraîne des décisions sanitaires extrêmes traduisant une incompréhension, voire un contre-sens complet, sur la théorie de l’évolution, en général, et celle des virus en particulier. L’évolution virale n’est pas une série d’accidents aussi improbables que malheureux visant à accroître la virulence sans cesse et de manière infinie. Le virus optimise sa survie/reproduction en temps réel par rapport aux pressions de sélection darwinienne existantes.
Le SARS-CoV-2 est aujourd’hui confronté à une immunité grandissante dans la population. Dans ces conditions, la sélection favorise des variations antigéniques mais surtout des changements de tropisme spécialisant les virus pour les tissus où l’immunité est moins forte,en l’occurrence les muqueuses des voies aériennes supérieures. Delta constitue donc un optimum évolutif lorsque la population est majoritairement immunisée.
Comme attendu et observé pour les grands variants pandémiques du passé, les vagues se suivent et s’atténuent, chaque vague entraînant un grand nombre d’immunisations. Le variant dit Delta a les caractéristiques des coronavirus endémiques : une forte contagiosité sans augmentation proportionnelle de la mortalité. La distanciation sociale, le lavage des mains et le port du masque restent bénéfiques malgré une bonne couverture vaccinale de la population, car ils permettent de réduire la transmission et donc les cas de maladie grave [13]. Tant que les formes graves restent maîtrisées, la co-évolution du virus et de l’immunité des populations peut nous ramener rapidement à la situation pré-Covid : une circulation intense de coronavirus endémiques.
Liens d’intérêt
Les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt en rapport avec cet éditorial.
Références
1. Feraoun Y, Maisonnasse P, Le Grand R, Beignon AS. COVID-19: Warp Speed vaccines. Med Sci (Paris) 2021 ; 37 : 759-772.
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3. Grifoni A, Weiskopf D, Ramirez SI, et al. Targets of T Cell Responses to SARS-CoV-2 Coronavirus in Humans with COVID-19 Disease and Unexposed Individuals. Cell 2020 ; 181 : 1489-501 e15.
4. Sahin U, Kariko K, Tureci O. mRNA-based therapeutics--developing a new class of drugs. Nat Rev Drug Discov 2014 ; 13 : 759-80.
5. Pollard AJ, Bijker EM. A guide to vaccinology: from basic principles to new developments. Nat Rev Immunol 2021 ; 21 : 83-100.
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7. Holmgren J, Czerkinsky C. Mucosal immunity and vaccines. Nat Med 2005 ; 11 : S45-53.
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10. Reperant LA, Kuiken T, Grenfell BT, et al. Linking influenza virus tissue tropism to population-level reproductive fitness. PLoS One 2012 ; 7 : e43115.
11. Supiot A. La gouvernance par les nombres. Paris : Fayard, 2015.
12. Burton DR, Topol EJ. Toward superhuman SARS-CoV-2 immunity ? Nat Med 2021 ; 27 : 5-6.
13. Rader B, White LF, Burns MR, et al. Mask-wearing and control of SARS-CoV-2 transmission in the USA: a cross-sectional study. Lancet Digit Health 2021 ; 3 : e148-e57.