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Réflexions autour de la sédation profonde et maintenue jusqu’au décès Volume 15, numéro 5, Mai 2019

Contexte

La fin de vie est l’objet régulier de réflexions individuelles, sociétales, politiques, juridiques, spirituelles et médicales [1-3]. Depuis le 3 août 2016, la loi dite Claeys-Leonetti offre aux patients en fin de vie la possibilité d’une sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès (SPCMD) [4, 5]. Elle est applicable, à leur demande, chez les patients atteints d’une affection grave et incurable avec un pronostic vital engagé à court terme, dans le cadre de souffrances réfractaires aux traitements. Elle est applicable chez ces mêmes patients, dans le cadre d’une décision d’arrêt de traitements susceptibles d’entraîner une souffrance insupportable. Elle est applicable aussi, pour un patient incapable d’exprimer sa volonté lorsqu’un médecin décide de l’arrêt d’un traitement dans le cadre du refus d’obstination déraisonnable, sauf si le patient a écrit des directives anticipées allant dans le sens contraire [6]. Elle est soumise à une procédure collégiale qui consiste à recueillir, lors d’une concertation, l’avis motivé d’au moins un médecin, appelé en qualité de consultant, et de l’équipe de soins en charge du patient. À l’issue de la procédure, la décision appartient au seul médecin référent du patient. Cette loi de 2016 s’inscrit dans un continuum législatif qui a instauré en 1999 le droit aux soins palliatifs, en 2002 le droit au refus de soins et qui a précisé, en 2005, l’obstination déraisonnable, les directives anticipées et la personne de confiance.

Malgré ce continuum législatif, les controverses sont nombreuses. La première concerne le droit à l’euthanasie réclamé par certaines associations comme l’Association du droit à mourir dans la dignité (ADMD). Cette controverse pose la question éthique de l’autonomie du patient et de sa place dans la décision médicale. Cette question d’autonomie est soulignée par le rapport du Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie (CNSPFV) qui relève la « frilosité » des soignants à mettre en œuvre la SPCMD [7].

Cette « frilosité » est probablement entretenue par l’absence de précision dans la loi des termes de symptômes réfractaires et de souffrance. La Société française de soins palliatifs (SFAP) a formulé en mai 2017 des fiches repères afin de permettre aux professionnels de santé de disposer d’outils d’aide à la décision. Elles définissent les notions de caractère réfractaire de la souffrance, de pronostic vital engagé à court terme et fournissent des protocoles de sédation. Le 15 mars 2018, la Haute Autorité de santé (HAS) a aussi émis des recommandations sous la forme d’un guide à destination des professionnels de santé [8].

La SCPMD prévoit la possibilité de l’arrêt de la nutrition artificielle et de l’hydratation en fin de vie. Cet arrêt est l’objet de nombreuses questions pour les patients et leur entourage, et pour les soignants. Considérées comme des traitements elles peuvent être arrêtées dans le cadre de l’obstination déraisonnable, mais la symbolique est forte et l’arrêt complexe [9].

Cet article propose dans un premier temps de réfléchir aux limites éthiques de la SPCMD et de l’euthanasie. Un deuxième temps lie les définitions des termes de douleurs réfractaires, de souffrance, de pronostic vital à court terme et les techniques de sédation proposées par les sociétés savantes. Le dernier temps aborde la question de la nutrition et de l’hydratation en fin de vie.

Méthode

Les données présentées dans ce texte sont issues d’une revue narrative de la littérature. La recherche dans la base Medline® a été effectuée avec l’équation « end of life sedation AND sedation at the end of life AND continuous deep sedation until death AND continuous sedation until death and palliative care AND palliative sedation AND terminal sedation AND terminal care ». Les articles en langue anglaise et française ont été sélectionnés sur leur titre et résumé par LD. Seules les études répondant aux différentes questions préalablement déterminées par les auteurs ont été retenues. Les auteurs ont apporté d’autres références issues de Medline® et de la littérature grise.

SPCMD versus euthanasie

La SPCMD peut être présentée comme une « euthanasie déguisée » ou a contrario comme un soin médical approprié, dont l’objectif est le contrôle des symptômes [10, 11]. Des arguments de simplification différencient souvent les deux à partir des intentions [12, 13].

Pour la SPCMD, l’intention du prescripteur est de soulager une souffrance réfractaire. Le moyen est un traitement sédatif titré pour altérer la conscience profondément. Elle n’est administrée qu’aux patients se trouvant en phase terminale. Le succès de la procédure est une sédation profonde poursuivie jusqu’au décès. Le délai de survenue de la mort est inconnu respectant l’évolution naturelle. Pour l’euthanasie, l’intention est de répondre à la demande de mort du patient. Les demandes sont souvent liées au sentiment de perte de dignité et de souffrance sans possibilité d’amélioration [14]. Le moyen est une dose létale de médicaments qui provoque la mort. Le résultat de la procédure est une mort immédiate du patient. Cette procédure est légale entre autres en Belgique, au Luxembourg et aux Pays-Bas. Les deux procédures font craindre des dérives.

Les intentions sont des phénomènes complexes et graduels. Pour la SPCMD, l’intention première est de soulager, mais cette intention peut être nourrie par la pression du patient, de l’entourage, du personnel soignant, voire de la structure [15]. La littérature décrit une zone grise, un continuum entre soins palliatifs et euthanasie avec des différences ténues entre SPCMD et « euthanasie lente ». Les intentions humaines peuvent être ambiguës, variables et contradictoires dans le temps [16]. L’intention est corrélée à la responsabilité et cette zone grise, cette ambiguïté apparaît souhaitable à certains médecins. La procédure collégiale prévue par la loi avant toute mise en œuvre d’une SPCMD est un garde-fou et peut permettre d’analyser ces intentions. La description du processus décisionnel fondé sur les valeurs médicales et éthiques permet de clarifier les intentionnalités des médecins et d’assurer une traçabilité. La collégialité limite aussi les questions de l’instrumentalisation des patients par les médecins et de l’inverse. Les concepts d’approche centrée patient et de décision médicale partagée tendent à respecter l’autonomie du patient et à la développer [17, 18].

Sédations et terminologie

La multiplicité des termes employés pour définir la sédation rend le concept abscons [19, 20]. En 2016, une étude a repéré 75 expressions contenant le terme « sédation », ses dérivés et les expressions associées dans les textes officiels français [21]. La HAS définit la sédation comme : « la recherche, par des moyens médicamenteux, d’une diminution de la vigilance pouvant aller jusqu’à la perte de conscience. Son but est de diminuer ou de faire disparaître la perception d’une situation vécue comme insupportable par le patient, alors que tous les autres moyens disponibles et adaptés à cette situation ont pu lui être proposés et/ou mis en œuvre sans permettre le soulagement escompté. La sédation peut être appliquée de façon intermittente, transitoire ou continue » [8].

Parmi les pratiques en fin de vie, se distinguent donc la sédation « proportionnée » à l’intensité des symptômes (potentiellement réversible) et la sédation profonde et continue (irréversible). Les sédations proportionnées comprennent la sédation transitoire et la sédation intermittente. Elles sont utilisées comme « sédation de répit » pour passer un cap ou réaliser des soins douloureux (exemple du pansement d’escarre) ou encore pour des insomnies réfractaires. Leurs profondeurs varient avec l’indication.

La SPCMD cherche à suspendre la conscience jusqu’au décès [22]. Les multiples pratiques et définitions de la sédation rendent difficiles le recensement des pratiques et les comparaisons internationales [23].

Sédations et souffrance psychique

La définition des souffrances réfractaires n’est pas consensuelle [24]. Les souffrances physiques posent rarement problème aux médecins, en revanche les souffrances psychiques, les problèmes psychosociaux et spirituels les interrogent davantage [25].

Certains auteurs estiment que l’expression d’une souffrance existentielle en fin de vie indépendamment de tout autre symptôme physique n’est pas une cause suffisante pour entreprendre une SPCMD [12]. Pour eux, le traitement adéquat de ces détresses relève plutôt d’un soutien psychologique, d’un accompagnement et/ou d’un traitement anxiolytique. Ces auteurs demandent aux médecins d’être vigilants face à la pente glissante de la médicalisation du mourir avec une réponse impérativement médicamenteuse. Ils rappellent les principes fondateurs des soins palliatifs où la souffrance est aussi un appel à la rencontre, au langage, à la solidarité collective et à l’écoute [26]. La sédation « proportionnée » réversible alias « sédation de répit » peut être éventuellement une réponse au sentiment de désespoir ou de futilité (« à quoi bon vivre ») chez les patients en fin de vie [27]. L’accompagnement multidisciplinaire doit répondre aux plaintes et aux souhaits du patient et réduire le besoin d’accéder à la mise en place d’une SPCMD [28, 29].

À l’inverse, d’autres auteurs rejettent la validité de la distinction entre souffrance existentielle et souffrance physique, toutes deux justifiant le recours à la sédation lorsqu’elles sont réfractaires aux autres mesures thérapeutiques [30]. L’argument de la pente « glissante » ou « savonneuse » apparaît pour eux comme un sophisme. Ils ne craignent pas la réaction en chaîne qui conduirait progressivement et inexorablement à une médicalisation du mourir et à des dérives euthanasiques.

Quelle que soit la position face aux souffrances psychiques, il semble important de rappeler que la sédation ne peut pas être considérée comme une « panacée » [31]. Certaines études montrent la persistance, pendant la sédation, chez une minorité de patients, de certains symptômes comme la douleur, la dysphorie ou les nausées [32]. Des témoignages de familles montrent leurs interrogations à ce sujet : « Quand je le regardais respirer avec tant d’effort, même endormi… je ne savais pas si (il) ne ressentait vraiment pas de douleur ou ne pouvait tout simplement pas nous en parler » [33]. La sédation profonde et continue peut être considérée comme un équivalent de coma ; elle ne semble pas supprimer la vie psychique et probablement pas toutes les souffrances. Le traitement antalgique précédemment prescrit est logiquement associé à la sédation [34].

SCPMD et pronostic vital

Dans les conditions de mise en place d’une SPCMD, la loi stipule que le pronostic vital doit être engagé à court terme. Elle évoque « la phase terminale de la maladie », celle où le décès apparaît à la fois inéluctable et imminent. Cette notion reste source d’interprétations. La plupart des travaux internationaux montrent la faible performance des médecins pour prédire correctement le délai de survenue d’un décès [35]. La SFAP définit dans ses fiches repères : « le pronostic vital engagé à court terme » comme « une espérance de vie de quelques heures à quelques jours ». La SPCMD doit elle-même durer de quelques heures à quelques jours. L’évaluation du pronostic s’effectue sur un faisceau d’arguments cliniques [36]. Les recherches à venir pourraient développer des outils d’aide à la décision. Ces outils devront aborder la complexité et étudier les interactions biomédicales, sociales, psychiques, spirituelles, familiales de ces situations.

Sédation et pharmacologie

Le midazolam est la molécule de référence actuelle. Ses propriétés pharmacologiques (temps d’induction court, demi-vie d’élimination plasmatique très courte) ont probablement participé à ce choix. Sa biodisponibilité absolue est remarquable même en intramusculaire avec un taux de 90 % et une concentration plasmatique maximale en 30 minutes. Sa demi-vie est de deux à trois heures, mais un âge supérieur à 60 ans, une obésité, une insuffisance hépatique ou cardiaque prolongent cette demi-vie en la multipliant par deux ou par quatre [37]. Le midazolam a des propriétés : anxiolytique, hypnotique, amnésiante, myorelaxante et anticonvulsivante. Les doses quotidiennes requises sont de l’ordre de 20 mg à 40 mg. La seule spécialité à base de midazolam commercialisée en officine de ville (Versed®) possède une galénique inadaptée à la SPCMD avec des ampoules de 2 mg dans 2 mL. L’obtention du midazolam en ampoules de 5 mg/mL ou 50 mg/10 mL nécessite une rétrocession hospitalière. D’autres molécules ont été utilisées comme le diazépam (dont la demi-vie est longue : 32 à 47 heures), mais leurs posologies n’ont pas été « établies » dans la SPCMD [38]. Lors d’effets indésirables comme le délire, les neuroleptiques et en particulier le groupe des phénothiazines semblent être la meilleure alternative aux benzodiazépines [39].

Sédation et nutrition artificielle et hydratation (NAH)

La possibilité d’arrêt de la nutrition artificielle et de l’hydratation a été prévue par la loi lors de la SPCMD. Le patient peut s’y opposer. Les pratiques des équipes médicales semblent variées [40]. Combiner la SPCMD et l’arrêt de la NAH soulève des problématiques éthiques [41]. Dans l’inconscient collectif, l’eau et la nutrition sont liées à la vie. Certaines études, au contraire de cet inconscient, n’ont pas retrouvé d’amélioration du confort lors de la poursuite de la nutrition artificielle et de l’hydratation [9]. Les craintes des patients et parfois des soignants ne concernent pas seulement un surcroît de souffrance, mais aussi une inanition et une contribution à abréger la vie [30].

Il n’existe pas de réponse strictement scientifique à la question d’abréger la vie et certains répondent par la théorie du double effet [42]. Le double effet a été décrit dans la loi dite Léonetti de 2005 et pour certains renforcé dans la loi de 2016 par la suppression du qualificatif secondaire initialement attribué à cet effet. « Le médecin met en place l’ensemble des traitements analgésiques et sédatifs pour répondre à la souffrance réfractaire du malade en phase avancée ou terminale, même s’ils peuvent avoir comme effet (initialement effet secondaire) d’abréger la vie ».

Le double effet peut être perçu comme une exception à la règle du primum non nocere. En fin de vie, l’évaluation de la balance bénéfice/risque du soin ou du traitement se fonde plus sur l’efficacité (recherche du confort) que sur les risques. L’intention n’est pas d’abréger la vie, mais de soulager des souffrances réfractaires au prix d’effets secondaires pouvant conduire à abréger la vie. La justification « morale » repose sur quatre critères : 1) l’acte doit être « bon » ou neutre ; 2) le « mauvais » ne doit pas être voulu (effet collatéral non désiré) ; 3) le « mauvais » effet ne doit pas être un moyen d’atteindre le « bon » effet ; 4) l’effet mauvais doit être risqué pour une raison proportionnellement grave.

Cette théorie du double effet qui remonte au XIIIe siècle (Saint Thomas d’Aquin) est critiquée pour sa connotation religieuse (« bon versus mauvais ») et sa complexité. Par ailleurs, l’analyse des intentions des soignants est difficile. Le double effet peut être comparé à une éthique conséquentialiste (partie des éthiques téléologiques) où le jugement moral repose sur les conséquences d’une action donnée [43].

Même si plusieurs études semblent montrer que la sédation n’abrège pas la vie, il est difficile de l’affirmer et le principe du double effet prend toute sa dimension [44]. Pour l’arrêt de la nutrition et de l’hydratation, il est encore plus difficile d’en estimer l’effet sur la fin de vie et le principe du double effet montre ses limites.

Les points-clés pour la pratique ambulatoire

  • Demande du patient soutenue par l’entourage face à une souffrance réfractaire avec un pronostic vital engagé à court terme.
  • Collégialité : concertation médecin généraliste, équipe soignante et second médecin (sans lien hiérarchique : médecin de l’HAD, médecin de l’équipe mobile de soins palliatifs, autre médecin) pour analyse des intentions.
  • Retour vers le patient et son entourage et informations.
  • Décision par le médecin généraliste, inscription dans le dossier des discussions autour de la demande de SPCMD.
  • Discussion avec le patient et son entourage de l’arrêt éventuel de la nutrition artificielle et de l’hydratation : processus de décision médicale partagée.
  • Prescription de la SPCMD par le médecin avec recours aux médecins compétents si besoin (EMSP et HAD) pour la titration et les doses d’entretien du midazolam.
  • Administration par l’IDE en présence du médecin.
  • Surveillance toutes les 15 minutes la première heure, puis trois fois par jour : profondeur de la sédation (échelle de Rudkin), degré d’antalgie (poursuite du traitement antalgique), surveillance d’effets indésirables.
  • Disponibilité du médecin (numéro de portable du médecin) et de l’équipe, disponibilité partagée avec l’HAD ou l’EMSP s’il y a eu un recours à ces structures : surveillance du patient et soutien psychologique de la famille.

Remerciements

Dr Pascale Vassal et Dr Patricia Blanc.

Liens d’intérêts

les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt en rapport avec l’article.

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