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Hématologie

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Éditorial Volume 26, supplément 5, Septembre 2020

En acceptant de modifier nos propres cellules à des fins thérapeutiques, notre société nous permet d’opérer une véritable révolution médicale et sociétale. Même s’il est toujours difficile de préjuger de l’avenir des lymphocytes T modifiés génétiquement (à récepteur antigénique chimérique [CAR-T]), la possibilité de réaliser ces traitements constitue une avancée scientifique et médicale majeure et quotidienne dans notre pratique d’hématologue. Aujourd’hui ces CAR-T se sont installés dans l’arsenal thérapeutique des lymphomes diffus à grandes cellules B et des leucémies aiguës lymphoblastique, et nul doute que les indications en hématologie vont se faire de plus en plus nombreuses, s’appliquant (déjà) dans d’autres histologies (lymphome à cellules B du manteau puis lymphome folliculaire) ou à d’autres lignes thérapeutiques. D’autres pathologies hématologiques sont aujourd’hui concernées (myélome) en même temps que l’efficacité de ces traitements est testée sur des antigènes exprimés par d’autres cellules tumorales (mésothéliome, glioblastome, cancer du sein ou du poumon, par exemple). Incontestablement, les résultats obtenus dans les tumeurs solides semblent moins séduisants, mais ces nouvelles applications potentielles nous permettent de mieux comprendre les mécanismes de résistance aux CAR-T – mécanismes liés à la cellule-médicament elle-même ou au microenvironnement tumoral ou immunitaire. Ces données nous permettent ainsi déjà d’envisager des modifications permettant de contourner ces résistances. Ainsi, ces progrès vont inéluctablement conduire à une meilleure utilisation et sans doute, et surtout, à une meilleure conception de ces cellules modifiées génétiquement. C’est finalement sans doute ce que retiendra l’histoire de l’arrivée de ces CAR-T : l’infinie possibilité de modifier la construction transduite (CAR) et le choix de la cellule à modifier. On voit déjà poindre les premiers résultats des NK-CAR, puis, bientôt, des macrophages-CAR – s’agissant des cellules transduites. Pour autant, toutes nos cellules sont potentiellement ainsi utilisables, laissant libre cours à nos idées les plus folles. Quant aux modifications de la structure même du CAR, elles sont quasiment infinies. Bien sûr, tout le monde connaît la possibilité de cibler deux antigènes (CAR-T bispécifiques), mais les combinaisons des modifications génétiques sont nombreuses et infinies et leurs limites se situent uniquement dans l’imagination de ceux qui les construisent. Finalement, les CAR-T nous font rentrer dans une nouvelle ère médicale, celle où nous sommes, nous médecins (pour l’instant les seuls à pouvoir en décider), capables de corriger un défaut de notre corps. Dans les indications actuelles, il s’agit d’un défaut des lymphocytes T, les empêchant de détruire les cellules lymphomateuses, mais, exprimé de cette manière, on voit très bien que ce progrès constitue un pas de plus vers une médecine où tout handicap, insuffisance ou défaut (encore faudra-t-il définir ce qu’est un défaut) pourrait être corrigé. Nous ne sommes finalement plus très loin du concept « d’homme augmenté », si cher à nos auteurs de science-fiction et qui pourrait, si notre société n’y prête pas attention, être une réalité demain (si ce n’est déjà le cas finalement). Dans tous les cas, et d’ores et déjà, il nous faut nous préoccuper des effets secondaires de ces traitements. Nous avons tous appris à gérer les effets immédiats de ces traitements (syndrome de relargage cytokinique et neurotoxicité) et de nouveaux CAR-T, moins pourvoyeurs de tels effets secondaires, devraient arriver bientôt. Sachons aussi prendre le temps d’évaluer l’absence d’effet secondaire à long terme en colligeant collectivement l’histoire et l’avenir de nos patients.

Une fois de plus, l’hématologie est aux avant-postes du progrès médical ; sachons apprendre de notre expérience pionnière et faire partager notre enthousiasme à nos collègues afin de mieux servir nos patients.

Liens d’intérêt

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt en rapport avec cet article.

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