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Médecine thérapeutique / Pédiatrie

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Le risque génétique de cancer Volume 4, numéro 3, Mai - Juin 2001

Auteurs
Service de génétique oncologique, Institut Curie, 26, rue d'Ulm, 75248 Paris cedex 5, France.

Les familles comptant plusieurs membres atteints d'un cancer ont depuis toujours une connaissance empirique de leur risque tumoral. Cette perception est d'autant plus aiguë que l'histoire familiale est sévère et de devenir dramatique comme en témoigne l'observation du cas d'une jeune femme rapporté dans un mémoire de l'Académie Royale de Chirurgie sur le cancer publié autour de 1750 [1]. Une religieuse de 19 ans était atteinte d'un cancer du sein et refusait tout traitement puisque sa grand-mère et un grand-oncle maternel en étaient morts (figure 1). De nombreux arbres généalogiques dessinés spontanément par les familles représentant les sujets atteints témoignent de leur connaissance intuitive de l'hérédité des cancers. Bien que les antécédents familiaux soient pris en compte depuis longtemps dans les conseils de surveillance donnés aux patients, la recherche médicale ne s'est emparée que récemment de façon très active de ce champ d'investigation. Depuis les années 70, les descriptions d'observations familiales de cancers, anecdotiques, ont fait peu à peu place aux analyses d'épidémiologie génétique dont les objectifs étaient (1) d'examiner s'il existait plus de formes familiales de cancers que ne le laissait attendre leur fréquence dans la population et (2) d'identifier le meilleur modèle rendant compte du surplus de cas observés. C'est en reconstituant l'histoire familiale de 641 cas d'enfants atteints de sarcomes, que Li et Fraumeni ont repéré quatre familles dont l'histoire ne pouvait être fortuite [2]. Ces quatre familles réunissaient des cas de sarcomes, de cancers du sein, d'hémopathies, de tumeurs cérébrales et de corticosurrénalocarcinomes. Cette étude a conduit à l'identification d'un syndrome de prédisposition aux cancers, baptisé initialement syndrome SBLA (Sarcoma, breast, leukemia, adrenocorticosurrenalocarcinoma) puis syndrome de Li et Fraumeni. Ce sont encore les études d'épidémiologie génétique qui ont permis d'estimer que 5 % des cancers du sein sont liés à un gène majeur de prédisposition [3]. Ces résultats ont été essentiels pour l'identification de gènes de prédisposition aux cancers, car ils ont guidé une approche gène/candidat (identification du gène TP53 dans le syndrome de Li et Fraumeni) [4] ou sous-tendu une étude de liaison génétique (localisation du gène BRCA1 impliqué dans les prédispositions au cancer du sein) [5]. Les dix dernières années ont vu l'identification de plus de 30 gènes dont les altérations sont impliquées dans les prédispositions aux cancers [6]. Il faut néanmoins retenir que nous n'avons à l'heure actuelle découvert que la partie émergée de l'iceberg représentant l'ensemble des prédispositions aux cancers (figure 2). Nous n'avons repéré que les situations de prédisposition les plus évidentes car il s'agit de formes familiales de cancers rares (rétinoblastome), de formes familiales sévères de cancers fréquents (cancer du côlon, cancer du sein) ou de maladies associées à un risque tumoral (ataxie télangiectasie et risque d'hémopathies). La partie immergée de l'iceberg est encore à découvrir et concerne les prédispositions associées à un risque tumoral faible et dont l'origine est multifactorielle, conjuguant facteurs environnementaux et facteurs génétiques. Ainsi, si la notion de prédisposition est ancienne, les progrès permettant dans un nombre croissant de cas de mieux estimer les risques individuels, sont récents. Avant l'identification des gènes de prédisposition au cancer du sein, BRCA1 et BRCA2, une femme dont la mère, les tantes et la grand-mère avaient été atteintes de cancer du sein avait un risque tumoral mammaire cumulé au cours de sa vie de l'ordre de 40 %. La réalisation d'un test permet maintenant de passer de cette valeur virtuelle de 40 % à celle de 80 %, si elle s'avère être porteuse d'une altération d'un gène BRCA ou à celle de 8 %, si elle n'en est pas porteuse, 8 % étant le risque de cancer du sein de la population générale. Les retombées attendues de l'identification des gènes de prédisposition aux cancers sont la réassurance des sujets non porteurs et de leurs enfants ainsi que l'amélioration de la prise en charge de sujets porteurs. Comment repérer, comment prévenir les risques de cancer : c'est l'essentiel des préoccupations du conseil génétique en oncologie, remarquablement annoncées par l'interrogation d'un père à propos de sa fille et dont la mère avait été atteinte d'un cancer de l'utérus (figure 3). Les capacités de compréhension de l'origine d'une histoire familiale de cancers et de prise en charge restent néanmoins extrêmement variables d'une situation de prédisposition à l'autre. Dans quelques cas, l'efficacité de mesures de prévention a pu être démontrée ; dans d'autres, on reste très démuni et l'intérêt de la connaissance d'un risque est limité ; enfin, dans nombre de cas, les bénéfices d'un test et de la prise en charge correspondante sont attendus mais rien n'a été démontré de façon claire jusqu'à maintenant.