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« Au fait docteur… ? » : la demande de fin de consultation Volume 14, numéro 1, Janvier 2018

Contexte

En France, en 2014, une consultation de médecine générale comportait en moyenne 2,6 motifs, 4,7 procédures de soins et 2,2 résultats de consultation. Chaque résultat était associé à 1,2 motif de consultation et à 2,1 procédures de soins [1]. Les procédures de soins étaient définies comme des « actions menées sur une personne dans le but d’améliorer sa santé, ou relatives à un problème de santé, ou pour aboutir à un diagnostic » incluant le diagnostic (examens cliniques et paracliniques), les soins (prévention, traitements médicamenteux et non médicamenteux) et la coordination [2]. Le déroulement d’une entrevue médicale obéissait à un modèle structuré (Calgary) qui permettait parallèlement de développer la relation. L’identification des motifs de consultation appartenait au début de l’entrevue. Cette phase initiale était suivie de l’examen clinique, première étape pour infirmer ou confirmer les hypothèses diagnostiques. Le médecin expliquait puis planifiait ensuite les soins dans le cadre du modèle de la décision partagée [3]. L’approche centrée patient s’intégrait parfaitement dans ce modèle. Certains motifs de consultation pouvaient apparaître à la conclusion de l’entrevue. Ce « syndrome pas de porte pouvait même concerner la plainte principale [4]. Ces demandes plaçaient le médecin dans une position délicate qui, du fait du temps imparti aux consultations, pouvait difficilement reprendre l’entrevue à son début. La littérature proposait, pour pallier ces demandes, de travailler sa communication, support de la relation médecin-patient [5]. L’idée principale visait à laisser suffisamment de temps au début de la consultation pour le recueil des motifs de consultation. Le médecin pouvait aussi poser une question vérifiant l’absence d’autres motifs de consultation.

L’objectif de ce travail consistait, à travers leur récit, à analyser les mécanismes conduisant les patients à des demandes de fin de consultation afin d’aider le médecin dans son entretien.

Méthodes

Une étude qualitative par entretiens individuels semi-dirigés a été menée auprès de patients volontaires ayant formulé une demande de fin de consultation. Ces patients ont été recrutés par des médecins généralistes (MG) exerçant dans la Loire. Pour être inclus, les patients devaient être majeurs, maîtriser la langue française et ne pas avoir de troubles cognitifs. La demande de fin de consultation ne devait pas concerner un tiers. Le médecin choisissait seul le moment qu’il jugeait bon pour marquer la fin de la consultation.

Les premiers patients ont été recrutés au fil des consultations dans les patientèles de 6 cabinets de médecine générale, soit 9 MG différents. Les entretiens individuels, menés par l’auteur principal, ont eu lieu soit au domicile des patients, soit au cabinet de leur médecin traitant. Ils ont été enregistrés, après accord des participants, puis anonymisés et intégralement retranscrits. Une déclaration simplifiée à la Commission nationale de l’informatique et des libertés a été faite par l’intermédiaire de l’Université Jean Monnet.

La méthode qualitative choisie a été celle de la « théorie ancrée » laissant émerger les données pertinentes avec le phénomène étudié (inductivité) [6]. La collecte de données, l’analyse et le développement d’une théorie puis sa vérification ont fait l’objet de doubles allers-retours permanents permettant d’affiner les relances du guide d’entretien (encadré 1). Le guide d’entretien a été élaboré en s’inspirant de la littérature et de l’expérience de l’enquêteur [7]. Il a abordé le déroulement de la consultation, le motif de fin de consultation, la raison de cette demande tardive et les facteurs favorables à l’émergence du motif de fin de consultation.

Une analyse de contenu a été effectuée à partir des retranscriptions anonymisées et des notes prises par l’enquêteur lors des entretiens. Le codage ouvert a été suivi d’un codage axial. Les axes ont été confrontés et discutés par les auteurs. La validité interne a été établie par l’analyse indépendante de 3 chercheurs.

Résultats

Les entretiens se sont déroulés entre janvier 2016 et janvier 2017. Onze entretiens individuels ont été réalisés et ont duré de 5 à 22 minutes (moyenne de 10,4). Les caractéristiques des patients recrutés sont présentées dans le tableau 1. Dix femmes et un homme ont été interrogés avec des consultations programmées.

Des consultations rares, à rentabiliser

Les patients interrogés ont évoqué une rareté des consultations auprès de leur médecin : « enfin je suis une personne qui va pas très souvent chez le médecin. La rareté s’expliquait par le manque de temps : « j’ai du mal à prendre rendez-vous pour quelque chose, à l’avance. Une aggravation de l’état physique motivait la consultation : « il faut vraiment que je ne sois vraiment pas bien pour que j’aille chez le toubib ». La rareté de la consultation justifiait les multiples motifs. Par conséquent, certains priorisaient leurs demandes : « je viens d’abord voir le médecin parce que je suis malade, et ensuite mes demandes secondaires se font après.

Les patients ont aussi évoqué le temps imparti à la consultation comme source de demande de fin de consultation. Certains n’ont pas osé demander dès le départ, car : « on ne veut pas accentuer ce retard en prolongeant des discussions ; « c’est vrai que souvent en plus les rendez-vous sont quand même assez bien calés, il y a beaucoup de monde donc je comprends bien que c’est délicat… ». Un temps de consultation long pouvait leur permettre de soulever un problème en fin de consultation : « elle prend le temps. On prend toujours un peu le temps de discuter un petit peu avant... », mais a également pu les gêner : « donc elle m’a auscultée pendant près de trois quarts d’heure… »

Un climat relationnel incitatif

Les patients interrogés ont tous fait état d’une relation médecin-patient de qualité : « on peut super bien discuter avec elle. Elle répond à toutes nos questions. La plupart des patients interrogés ont expliqué que les deux protagonistes se connaissaient depuis longtemps. La proximité a induit des demandes de fin de consultation : « mais je me permets de le faire, car justement il y a cette proximité et cette confiance. La qualité relationnelle constituait une compétence attendue du médecin : « un médecin traitant doit se retrouver à la portée du patient, de façon à ce qu’il y ait quand même un climat de confiance et de dialogue facile qui s’installe.

Une proximité dépassant le cadre professionnel pouvait générer une demande de fin de consultation : « on a discuté de tout et de rien » ; « on part tellement sur beaucoup de sujets que des fois après j’en oublie. Inversement, la discussion et le temps pouvaient faire émerger un motif : « ça m’est revenu à l’idée parce que c’est elle qui m’a… comment dirai-je... qui m’a parlé ; « je lui ai glissé ça en fait comme ça à la fin, parce que d’un coup j’y ai pensé. L’émergence était parfois perçue comme une coïncidence, le symptôme (douleurs abdominales) a été présent pendant la consultation : « c’est vraiment parce que j’ai eu une douleur à ce moment-là et que du coup voilà, j’ai préféré demander pour me rassurer. Certains patients avaient déjà prévu leur demande « c’est dans un coin de ma tête, « j’avais dans l’idée de lui demander si je pouvais avoir droit de faire une demande de cure thermale. La proximité entre les deux protagonistes pouvait être gênante au point de repousser le moment de la demande à la fin de la consultation : « on ne veut pas accentuer ce retard en prolongeant des discussions ; « peut-être la crainte de déranger le médecin pour autre chose que ce pour quoi je viens.

De l’importance du motif

La banalité des motifs pouvait décaler la demande : « parce qu’une fois qu’on a géré le problème de la sinusite, après on parle des bobos de tous les jours. Le motif jugé banal par le patient n’amenait ni discussion ni examen physique pour le patient : « c’est vraiment quelque chose, en plus, voilà… qui ne demandait pas une investigation de sa part ; « la pilule, on est nombreuses à prendre la pilule. Reprendre une consultation ou un examen n’apparaissait pas si grave : « ça ne lui coûtait rien de revoir… ». Les entretiens ont fait émerger un décalage dans la perception de la gravité des motifs : « un malaise avec perte de connaissance : c’est des trucs, ça ne demande pas d’examens complémentaires… ». Les patients justifiaient l’émergence de ces demandes en surestimant parfois leur médecin : « moi ça me semblait tellement normal qu’elle le fasse, que je n’en voyais pas l’utilité d’une auscultation pour une pilule » ; « en tant que patient, on a l’impression que le médecin en face connaît tous ses patients par cœur ».

Discussion

Résultats principaux et interprétations

L’évolution du contact médical

La demande de fin de consultation semblait corrélée à la rareté des consultations et témoigner d’une volonté d’optimisation par le patient de cette consultation. L’étude ECOGEN a mis en évidence une augmentation du nombre de motifs par consultation : 2,1 en 2006 versus 2,6 en 2014 [1]. Elle a comptabilisé les motifs de consultation, mais n’a pas différencié ceux du début de ceux de la fin de consultation. Parallèlement à ces résultats, le nombre de consultations par an et par généraliste est passé de 4 900 en 2009 à 5 100 en 2012 [1]. Le nombre de contacts médicaux annuel par patient (spécialistes en MG et autres spécialistes) est passé de 5,9 en 1990, à 6,8 en 2011 [8]. Selon Peltenburg et al., une demande de fin de consultation arrive toutes les six consultations en moyenne [9]. Des contacts plus fréquents ne semblent pas corrélés à une diminution du nombre de motifs de consultations.

Une relation particulière

Une relation de confiance et un temps de consultation suffisant permettaient aux patients de l’étude de faire émerger les motifs, même en fin de consultation. Un temps trop long paraissait s’éloigner du professionnalisme, se rapprocher du bavardage et repoussait le motif supplémentaire en fin de consultation. De nombreux travaux ont montré que le déroulement et le résultat de l’entretien sont influencés positivement par le fait de prendre très tôt connaissance des problèmes – explicites et cachés – et de les hiérarchiser [10, 11]. Une relation médecin-patient de qualité rendait cette recherche plus aisée. Un médecin compréhensif laissant parler son patient permettait un meilleur partage des informations [12]. Selon Beckman et al.[13], en 1984 sur 74 consultations, le médecin ne laissait que dans 17 entretiens la possibilité au patient d’exprimer des plaintes ou questions non encore abordées. Les médecins interrompaient leur patient après 18 secondes seulement d’entretien. En 1999, les équipes de Marvel [14] retrouvaient une interruption après 23 secondes alors que les patients autorisés à compléter leurs discours introductifs utilisaient en moyenne 6 secondes de plus seulement.

Certains modèles se fondent sur des étapes à franchir ou tâches à effectuer (modèle Byrne et Long en 1976, modèle Pendleton en 1984, Guide de Calgary en 1996, modèle PRACTICAL en 1997). Quatre modèles (paternaliste, informatif, interprétatif, délibératif) ont été proposés pour décrire la relation sous l’angle du partage du pouvoir [15]. D’autres s’appuient sur différentes dimensions de la consultation avec le modèle « centré sur le patient » en 2001 [16]. Ce dernier modèle est celui choisi par les MG [5]. Le cadre professionnel est une relation empathique de confiance qui favorise l’émergence de tous les motifs de consultation. Une relation qui a dérivé peut comporter des bavardages synonymes de bruits limitant le médecin dans la perception des signaux.

Dans ce type de consultation, le patient « ami » retrouve la possibilité d’exprimer sa demande à la fin de la consultation, moment où les bruits s’estompent du fait du médecin qui veut probablement conclure la consultation. White et al. ont étudié la façon de clôturer un entretien [4] : sur une consultation d’environ 15 min, 1 min 30 s est consacrée à la conclusion de l’entretien, et celle-ci est initiée à 86 % par le médecin lui-même. Les patients de l’étude ont cité un début parasité par leur médecin, mais n’ont pas fait état d’un départ trop précoce à leur goût. D’autres travaux suggèrent que les demandes de fin de consultation seraient le reflet d’une difficulté de la part du patient à quitter le médecin et la consultation [4]. Pour les équipes de Rodondi et al. [10], la confiance se raffermit plus sur la fin de la consultation laissant émerger des motifs de fin de consultation. La demande de fin de consultation ne serait pas un accident de parcours, mais plutôt une occurrence favorable.

De la construction d’une consultation

Un motif jugé banal par le patient pouvait émerger à la fin de la consultation. Cette émergence ne gênait pas le patient dans le déroulé de la consultation. La construction de la consultation en médecine générale suit un déroulé précis [17], ressemblant presque à un rituel, initié par le médecin. Médecins et patients ne disposent probablement pas des mêmes représentations du cadre de consultation ou du motif [18]. De nombreuses études [11, 12, 17] invitent à entendre la totalité des motifs au début de la consultation au moyen de phrases ouvertes telles que « Quoi d’autre ? ». Le médecin pourrait expliquer son fonctionnement et préciser à ce moment précis son besoin de connaître tous les motifs dans le cadre d’une approche globale et afin de hiérarchiser les demandes.

Forces et limites de l’étude

Malgré de nombreuses relances, les médecins ont recruté peu de patients, ne permettant pas d’obtenir une saturation théorique des données, et induisant un biais de sélection. Les médecins ont pu choisir les patients par désirabilité sociale, expliquant le faible nombre d’entretiens par rapport à la complexité du sujet, ainsi que la majorité de femmes incluses. La validité interne a été assurée par l’analyse indépendante de trois chercheurs. Après un codage en ouvert, le choix des chapitres devient le résultat du troisième tour d’analyse de ces trois chercheurs. Il s’agit d’un travail préliminaire original sur un sujet peu abordé. Le faible nombre d’études présentes dans la littérature se sont surtout intéressées à la perception du médecin seul, ou ont tenté de comparer les ressentis des deux protagonistes.

Pour la pratique

  • Une proximité trop importante ou une trop grande distance sont des freins relationnels à l’émergence des motifs en début de consultation.
  • Les consultations rares imposaient au patient une nécessité de grouper leurs demandes, avec souvent une banalisation de certaines demandes.
  • Expliquer le cadre de la consultation aux patients, poser des questions ouvertes, respecter leur parole peut limiter l’émergence des demandes de fin de consultation.
  • L’intérêt porté par le médecin à la totalité des requêtes du patient, même les plus banales, ne peut que renforcer la confiance du patient dans cette relation singulière.

Liens d’intérêts

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt en rapport avec l’article.

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