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Hépato-Gastro & Oncologie Digestive

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Dépistage et prévention des polypes coliques Volume 10, numéro 4, Juillet 2003

Auteur
  • Page(s) : 323-5
  • Année de parution : 2003

Auteur(s) : par Thierry Piche

Joseph Sung JY, Francis Chan KL, Wai Leung K, Justin Wu CY, James Lau YW, Ching J, et al. Screening for colorectal cancer in Chinese : comparison of fecal occult blood test, flexible sigmoidoscopy, and colonoscopy. Gastroenterology 2003 ; 124 : 608-14

Le cancer colorectal (CCR) constitue la deuxième cause de décès par cancer dans les pays occidentaux. Dans certains pays asiatiques comme la Chine, son incidence a augmenté de manière considérable en raison du vieillissement de la population [1]. Son dépistage est possible par la recherche d'un saignement occulte dans les selles (FOBT) dans le cadre d'un dépistage de masse soumis à des conditions strictes de réalisation. Il a également été montré que le dépistage du CCR par FOBT [2, 3] ou sigmoïdoscopie [3] réduisait la mortalité de ce cancer. Malgré ces données encourageantes, la FOBT a une mauvaise sensibilité pour la détection des polypes et donne souvent des faux positifs. La sigmoïdoscopie et la coloscopie totale ont une sensibilité élevée, mais ne répondent certainement pas aux critères d'acceptabilité et d'innocuité d'un test de dépistage de masse. Quelques auteurs ont montré que des néoplasies coliques n'étaient pas mises en évidence quand une sigmoïdoscopie était proposée en première intention pour le dépistage du CCR dans des populations à risque moyen [4, 5]. Enfin, la combinaison d'une FOBT et d'une sigmoïdoscopie ne mettrait en évidence que 75 % des lésions détectées par une coloscopie totale [5]. Ces résultats sont issus d'études effectuées chez des sujets de même ethnie ou de même sexe et ne sont pas extrapolables à l'ensemble de la population générale.
Les buts de cette étude chinoise, pays où l'incidence du CCR a considérablement augmenté, étaient de comparer ces trois procédures de dépistage (FOBT, sigmoïdoscopie et coloscopie) chez des adultes de plus de 50 ans asymptomatiques et sans antécédent familial de cancer du côlon (population à risque moyen de CCR). Cinq cent cinq sujets (56 % de femmes, âge moyen 56,5 ± 5,4 ans) ont été inclus et 476 ont bénéficié d'une coloscopie totale sous anesthésie générale et d'une FOBT. Une lésion colique évoluée était définie par un adénome de taille supérieure à 10 mm de diamètre, un adénome villeux en dysplasie modérée à sévère ou un cancer invasif. Les lésions observées jusqu'à 40 cm de la marge anale étaient considérées comme accessibles à une sigmoïdoscopie. Soixante-trois sujets étaient porteurs d'un cancer (12,5 %) dont 45 au niveau du côlon distal et 26 dans le côlon proximal. Parmi les 385 sujets qui avaient un côlon distal normal, 14 (3,6 %) avaient des lésions dans le côlon proximal qui n'auraient pas été mises en évidence si une sigmoïdoscopie seule avait été réalisée. La sensibilité et la spécificité de la FOBT pour le diagnostic des lésions coliques évoluées étaient respectivement de 14,3 % et 79,2 %, et celles de la sigmoïdoscopie atteignaient 77,8 % et 83,9 %. La combinaison de la FOBT et de la sigmoïdoscopie n'aurait pas amélioré significativement les résultats de la sigmoïdoscopie seule. Dans ce travail, aucune perforation n'a été rapportée et une seule hémorragie est survenue au décours d'une polypectomie. Bien que les définitions des lésions coliques évoluées varient sensiblement d'une étude à l'autre [4, 5], les résultats de ce travail montrent que la coloscopie totale est supérieure à la sigmoïdoscopie et/ou à la FOBT pour le dépistage du cancer du côlon chez des sujets à risque moyen de CCR. Le débat sur les modalités de dépistage du CCR n'est pas terminé… 

Baron JA, Cole BF, Sandler RS, Haile RW, Ahnen D, Bresalier R, et al. A randomized trial of aspirin to prevent colorectal adenomas. N Engl J Med 2003 ; 348 : 891-9

Plusieurs travaux fondamentaux, cliniques ou épidémiologiques, ont étayé l'hypothèse d'un rôle protecteur de l'aspirine et des AINS dans la cancérogenèse colique [6-8]. Ces études ont fourni des résultats globalement similaires avec une réduction du risque de néoplasie d'environ 40 à 50 %, quels que soient l'âge, le sexe, l'ethnie, le lieu de l'étude ou la localisation de la tumeur dans le côlon. Dans la polypose adénomateuse familiale, le sulindac [9] ou le celecoxib [10] se sont également montrés efficaces avec une réduction du nombre et de la taille des adénomes chez les malades traités. Les mécanismes par lesquels l'aspirine exerce ses effets protecteurs ne sont pas clairement élucidés. L'inhibition des cyclo-oxygénases (COX) et de la synthèse des prostaglandines pourrait être à l'origine des effets anti-carcinogènes de l'aspirine. En effet, l'expression de COX2 est augmentée dès le stade d'adénome et est très élevée dans la majorité des CCR. Pourtant, de nombreuses incertitudes freinent l'étape de la recommandation en prévention primaire. Les études réalisées jusqu'ici n'ont pas permis de préciser une relation entre la dose et/ou la durée du traitement et les effets observés. Les AINS, dont l'aspirine, ont une toxicité digestive indiscutable, même si les faibles doses (300 mg/j) ont moins d'effets secondaires et sont actuellement recommandées en prévention des maladies cardiovasculaires après 50 ans. Des observations de cancer rectal ont été rapportées chez des malades atteints de polypose adénomateuse familiale soumis à un traitement préventif par sulindac. Enfin, en l'état actuel des connaissances, les effets bénéfiques de l'aspirine en prévention du CCR ne peuvent pas être extrapolés au CCR qui survient de manière sporadique.
Baron et al. [13] ont évalué l'efficacité de l'aspirine dans une étude randomisée en double aveugle pour prévenir la récidive des polyadénomes. Mille cent vingt et un malades porteurs d'adénomes du côlon ont été inclus pour recevoir le placebo (n = 372), 81 mg (n = 377) ou 325 mg (n = 372) d'aspirine par jour. Une coloscopie était effectuée 3 ans après le diagnostic initial de polype adénomateux du côlon. Dans ce travail, le risque relatif de survenue des adénomes était de 0,81 dans le groupe aspirine 81 mg (IC95 % = 0,69-0,96) et 0,96 dans le groupe aspirine 325 mg (IC95 % = 0,81-1,13). Une analyse sur les lésions coliques avancées (adénome de taille > 1 cm ou comportant un contingent villeux, tubulovilleux des dysplasies sévères ou un cancer) montrait des risques relatifs de 0,59 (IC95 % = 0,38-0,92) et de 0,83 (IC95 % = 0,55-1,23). Finalement on peut conclure à une réduction significative du risque de récidive des adénomes de 19 % dans le groupe aspirine 81 mg, une réduction non significative de 4 % dans le groupe aspirine 325 mg et de 12 % dans le groupe aspirine, quelle que soit la dose.
Cette étude montre que l'aspirine à faibles doses a un effet bénéfique modéré pour prévenir la récidive des adénomes coliques. La réduction du risque étant plus importante pour les lésions coliques avancées, cela suggère que l'aspirine pourrait intervenir essentiellement sur les dernières étapes de la transformation des polypes en cancer. L'absence d'effet protecteur aux doses de 325 mg reste mal comprise. En admettant que l'effet anti-carcinogène de l'aspirine s'exerce par une inhibition des COX, plusieurs études pharmacologiques ont montré que l'administration orale de 81 mg ou de 325 mg supprimaient les prostaglandines coliques de manière identique, ce qui suggère que l'effet clinique devrait être identique.
En conclusion, cette étude confirme que l'aspirine réduit le risque de récidive des adénomes coliques. L'idée de son utilisation en prévention primaire du cancer colorectal est certainement séduisante, mais doit être replacée dans le contexte de sa toxicité gastro-intestinale et surtout de l'efficacité démontrée de la surveillance endoscopique dans cette population.

Sandler RS, Halabi S, Baron JA, Budinger S, Paskett E, Keresztes R, et al. A randomized trial of aspirin to prevent colorectal adenomas in patients with previous colorectal cancer. N Engl J Med 2003 ; 348 : 883

La plupart des cancers colorectaux (CCR) surviennent dans l'évolution naturelle des polyadénomes qui constituent une cible privilégiée pour élaborer des stratégies de prévention primaire du CCR. Les études qui ont évalué les effets de l'administration régulière de fibres alimentaires [11] ou de vitamines anti-oxydantes [12] ont donné des résultats négatifs alors que le calcium a montré qu'il avait un effet protecteur contre les polypes [13]. Bien que l'effet anti-carcinogène de l'aspirine soit bien établi, son utilisation pour prévenir la survenue des polypes n'est pas recommandée en raison de sa toxicité gastro-intestinale et d'un effet protecteur qui reste modéré. La majorité des études de prévention du CCR par l'aspirine ont été réalisées chez des sujets à risque moyen de CCR.
Dans la présente étude, Sandler et al. ont formulé l'hypothèse d'un effet protecteur plus élevé chez des sujets à haut risque de CCR et ont évalué une population ayant un antécédent personnel de CCR. Six cent trente-cinq malades ayant un antécédent de cancer du côlon ont été inclus et recevaient 325 mg d'aspirine par jour ou un placebo. Le but de l'étude était de déterminer la proportion de malades qui présentaient de nouveaux adénomes, leur nombre et le délai de leur survenue depuis la randomisation. Les risques relatifs étaient ajustés sur l'âge, le sexe, le stade du CCR, le nombre de coloscopies effectuées et le délai par rapport à la première coloscopie. Cinq cent dix-sept malades avaient bénéficié d'au moins une coloscopie dans un délai médian de 12,8 mois après la randomisation. Dans le groupe aspirine, 17 % des malades présentaient un adénome (ou plus) contre 27 % dans le groupe placebo (p = 0,004). Le nombre moyen d'adénomes observés dans le groupe aspirine était significativement plus faible (0,30 ± 0,87) que dans le groupe placebo (0,49 ± 0,99, p = 0,003). Dans le groupe aspirine, le risque relatif de survenue d'un adénome atteignait 0,65 (IC95 % = 0,46-0,91). Le délai de survenue d'un nouvel adénome était plus long dans le groupe aspirine que dans le groupe placebo (figure).
Cette étude montre que l'aspirine est efficace pour prévenir la récidive des adénomes coliques chez des malades ayant un antécédent personnel de CCR. Elle a été interrompue plus tôt que prévu en raison de l'effet protecteur net de l'aspirine et de la très bonne tolérance à cette posologie. Il est probable que la sélection de malades à haut risque d'adénomes explique ces résultats. La posologie la plus efficace reste encore à préciser puisque 325 mg d'aspirine avaient un effet protecteur significatif dans le travail de Sandler et al. mais pas dans celui de Baron et al. Comme dans le travail précédent, les auteurs suggèrent que l'effet bénéfique de l'aspirine en prévention de la récidive des adénomes coliques mériterait d'être comparé à celui des programmes de surveillance endoscopique avant d'envisager des recommandations.

Références

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3. Mandel JS, Church TR, Bond JH, Ederer F, Geisser MS, Mongin SJ, et al. The effect of fecal occult-blood screening on the incidence of colorectal cancer. N Engl J Med 2000 ; 343 : 1603-7.

4. Imperiale TF, Wagner DR, Lin CY, Larkin GN, Rogge JD, Ransohoff DF. Risk of advanced proximal neoplasms in asymptomatic adults according to the distal colorectal findings. N Engl J Med 2000 ; 343 : 169-74.

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