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Le pôle Expertises collectives de l’Inserm Volume 17, numéro 2, Mars-Avril 2018

Tableaux

Développée par l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) depuis 1993, l’expertise collective constitue une procédure d’évaluation des connaissances scientifiques existantes qui permet de mobiliser le réservoir de compétences et de savoir-faire de la communauté scientifique pour un partage de connaissances. Rattaché à l’Institut thématique Santé Publique, le pôle d’Expertises collectives Inserm a pour mission d’apporter un éclairage scientifique indépendant sur des questions précises de santé, dans une perspective d’aide à la décision publique dans le champ de la santé des populations et d’identification d’axes de recherche actuellement non couverts. Il répond aux demandes d’institutions souhaitant disposer des données récentes issues de la recherche, utiles à leurs processus décisionnels.

Les expertises collectives (EC) de l’Inserm ont aujourd’hui acquis une place reconnue dans le paysage de l’expertise sanitaire. Issues d’une procédure aux étapes bien formalisées, elles rassemblent, analysent et synthétisent les connaissances scientifiques issues de diverses disciplines sur une question de santé à partir de la littérature scientifique internationale, en s’appuyant sur les compétences d’un groupe multidisciplinaire de chercheurs qui se conforme à la charte déontologique de l’expertise Inserm.

Les rapports produits font autorité en raison de leur niveau scientifique, leur indépendance, leur pluridisciplinarité et leur pertinence à contribuer au débat public sur les enjeux scientifiques, économiques et sociaux d’actualité en santé. Ces qualités contribuent à la notoriété nationale et internationale de l’Inserm, en particulier auprès d’acteurs non scientifiques.

Une équipe dédiée avec une procédure bien stabilisée

La production d’EC de l’Inserm bénéficie de plus de 20 ans d’expérience, avec une procédure stabilisée et partagée, dont l’Inserm se porte garant. Début 2018, cette expérience fait état de plus de 80 expertises réalisées à la demande d’une vingtaine de partenaires institutionnels différents.

C’est le Pôle Expertises collectives Inserm qui assure la coordination scientifique et technique des expertises selon une procédure comprenant plusieurs étapes bien formalisées :

  • une instruction de la demande qui conduit à une convention et à une traduction de la demande du commanditaire en questions scientifiques qui seront discutées et traitées par les experts ;
  • une constitution du corpus bibliographique (1 000 ∼ 2 000 références) permettant aux chercheurs de discuter les questions scientifiques ;
  • une constitution d’un groupe pluridisciplinaire d’une dizaine de chercheurs indépendants et ayant publié dans le domaine ;
  • une analyse de la littérature qui consiste à ce que chaque chercheur présente son analyse critique de la littérature qui est mise en débat dans le groupe. Cette analyse donne lieu à la rédaction des différents chapitres du rapport d’expertise (plusieurs centaines de pages) dont l’articulation et la cohérence d’ensemble font l’objet d’une réflexion collective. Pendant cette phase, des personnes extérieures au groupe d’experts peuvent être auditionnées pour apporter une approche ou un point de vue complémentaire ;
  • une synthèse de quelques dizaines de pages reprend les points essentiels de l’analyse de la littérature et est le plus souvent accompagnée de recommandations d’actions et de recherche destinées aux décideurs. Les recommandations, formulées par le groupe d’experts, s’appuient sur un argumentaire scientifique issu de l’analyse ;
  • après remise au commanditaire, le rapport d’expertise constitué de l’analyse, de la synthèse et des recommandations, est publié par l’Inserm.

Chaque EC sollicite deux chargés d’expertises et un chargé de documentation et demande un travail de minimum 24 mois. Le pôle d’Expertises collectives est constitué de six scientifiques dont certains ont gardé une activité de recherche, deux documentalistes, une assistance de gestion et un responsable.

Depuis 2015 a été créé un comité stratégique du pôle des EC qui permet de renforcer la coordination entre les EC Inserm et les travaux des agences sanitaires.

Tous les rapports d’expertise sont disponibles en librairie et la collection complète est disponible sur iPubli : http://www.ipubli.inserm.fr

Une mission d’aide à la décision

Un des objectifs des EC est la mise à disposition des connaissances scientifiques disponibles pour l’aide à la décision des acteurs du système de santé. Si l’EC est une étape initiale importante, elle est rarement suffisante pour aboutir aux prises de décisions, mais elle peut y contribuer. En éclairant certains grands débats de santé, les EC sont devenues un outil de la démocratie en santé, avec une portée désormais internationale.

Depuis plus de 20 ans, les pouvoirs publics et les organismes de protection sociale ont pu fonder leurs décisions sur la production des EC de l’Inserm, en particulier pour la prévention, la promotion de programmes nationaux et le développement d’actions de santé publique visant de nombreuses maladies (obésité, maladie d’Alzheimer, ostéoporose, cancer, etc.).

Même si la seule analyse des résultats publiés de la recherche n’est pas absente de biais et n’est pas suffisante, les EC de l’Inserm sont une étape initiale, utile permettant d’étayer les décisions des pouvoirs publics (tableau 1).

Dans le domaine de l’environnement, par exemple, plusieurs EC (amiante, dioxines, éthers de glycol, plomb, perturbateurs endocriniens, pesticides) ont constitué des bilans privilégiés d’appréciation des risques en matière de santé, et ont apporté une amélioration des mesures de protection. Certaines EC ont contribué à des interdictions (amiante, bisphénol A, etc.) ou à l’élaboration de nouvelles réglementations européennes (éthers de glycol, pesticides).

La Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca) témoigne régulièrement de l’importance des recommandations des EC Inserm pour fonder la stratégie de prévention des conduites addictives. Par exemple, trois recommandations des EC ont récemment été mises en oeuvre :

  • dispositifs de prévention fondés sur le repérage précoce et l’intervention brève ;
  • mise en place en collaboration avec l’Inserm d’un programme dédié au développement de l’éducation scientifique sur les addictions, MAAD Digital ;
  • création d’une Commission interministérielle de prévention des conduites addictives, la CIPCA.

La Loi de modernisation de notre système en santé (2016-41) du 26 janvier 2016, intègre la possibilité d’expérimenter un dispositif de salle de consommation à moindre risque dont la première a été ouverte à Paris en octobre 2016. Ce dispositif était une recommandation de l’EC « Réduction des risques infectieux chez les usagers de drogues » rendue publique en 2010.

Une activité intense sur les sujets d’actualité en santé

Les thématiques, initialement très médicales (hépatites virales, insuffisance chronique, migraine, etc.), se sont progressivement élargies ces dix dernières années à des domaines de santé publique intégrant davantage de champs médico-économiques et ceux des sciences humaines et sociales (stress au travail, conduites addictives, obésité, baisse de la fertilité, effets des pesticides sur la santé, maladie d’Alzheimer, syndrome fibromyalgique, dopage, etc.) (tableau 2).

Devant l’augmentation de la production et la spécialisation croissante des données de la recherche, la quantité d’informations produites sur une question de santé est devenue difficilement exploitable, en particulier pour des thématiques de santé publique où de très nombreux éléments de différentes origines sont interdépendants et interagissent de manière souvent subtile.

En procédant à un travail collégial, d’analyse critique de la littérature scientifique, dans toutes les disciplines concernées par une question de santé, les EC Inserm contribuent à fournir les repères fiables et utiles à la construction des politiques en santé publique.

Laurent Fleury

laurent.fleury@inserm.fr

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