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ANALYSE D'ARTICLE

Toxicité épigénétique : une question de santé publique ?

La mise en évidence de modifications épigénétiques induites par l’exposition à divers agents, associées à des altérations de la santé et potentiellement transmissibles aux générations suivantes, pose la question de l’inclusion, dans la toxicologie réglementaire, de tests de toxicité épigénétique.

The evidence of environmentally induced epigenetic changes associated with adverse health outcomes and potentially transmissible to future generations raises the question of whether epigenetic toxicity tests should be included in regulatory toxicology.

Il est bien établi que des facteurs environnementaux peuvent provoquer des lésions de l’ADN telles que des mutations susceptibles d’induire des cancers. En conséquence et dans un but de protection de la santé publique, des lignes directrices comme celles de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) ont été élaborées pour tester la génotoxicité des produits chimiques.

Faut-il également se préoccuper de toxicité épigénétique ? Après une description des mécanismes épigénétiques qui régulent l’expression des gènes et expliquent la plasticité phénotypique, cet article signé par trois membres de l’Agence britannique de santé publique fait le point des connaissances relatives aux effets épigénétiques néfastes pour la santé induits par des agents et stresseurs environnementaux et en discute les implications pour la toxicologie réglementaire.

 

Littérature existante

Depuis l’observation d’une incidence accrue de diverses maladies, en particulier métaboliques, dans la descendance des femmes enceintes durant la famine hollandaise (fin de la seconde guerre mondiale) et le concept des origines développementales de la santé et des maladies (DOHaD), la recherche en épigénétique est active. Les preuves d’effets « épigénotoxiques » sont toutefois encore très limitées.

Les auteurs ont identifié 76 études épidémiologiques dans lesquelles une exposition quelconque (substance chimique, pollution de l’air, rayonnement, alcool, tabac, régime alimentaire, etc.) à un stade quelconque du développement de l’individu (vie in utero, période néonatale, enfance, adolescence, âge adulte, vie entière, mais aussi pré-conception) a été reliée à des changements épigénétiques (niveau de méthylation de l’ADN principalement, microARN, modifications des histones ou de la machinerie épigénétique) et à un phénotype « adverse » (incluant issue défavorable de la grossesse, anomalie ou altération spécifique d’un organe, cancer et mortalité). Ces études peuvent être classées en trois groupes : celles qui rapportent une association entre une exposition, un changement global de l’épigénome (le profil épigénétique d’une cellule) et un phénotype adverse ; celles qui identifient un changement épigénétique spécifique ; et parmi elles, celles dont les résultats ont pu être confirmés expérimentalement dans un système biologique approprié. Ce dernier groupe, qui est le plus intéressant pour déterminer le mécanisme d’action et la causalité de l’association, ne comporte que 10 études, dont sept ont directement validé leurs résultats par l’analyse du tissu cible (matériel plus pertinent que les cellules sanguines habituellement utilisées dans les études chez l’homme) ou la mise en évidence de la même marque épigénétique dans un modèle in vivo.

Des nombreuses études chez le rongeur (147 identifiées qui rapportent à la fois l’apparition d’un phénotype adverse et de changements épigénétiques suivant une exposition environnementale), 40 sont jugées réellement informatives, dont 18 qui établissent un lien causal entre l’exposition et les effets épigénétiques et phénotypiques en montrant leur réversibilité après administration d’un traitement inhibiteur, ou leur absence dans une lignée dans laquelle l’expression du gène d’intérêt a été invalidée (modèle « knock-out ») ou inhibée (« knock-down »). L’exposition (à des produits comme le bisphénol A, le formaldéhyde, le cadmium, le méthylmercure, la 2,3,7,8-tétra-chloro-dibenzo-p-dioxine [TCDD], des carbamates, l’alcool, la caféine, la nicotine ou la fumée de cigarette) était généralement unique et à très forte dose, sans commune mesure avec l’exposition environnementale humaine. La voie d’administration peut également limiter la contribution de l’expérimentation animale à l’évaluation des risques pour la santé humaine. L’étude ayant révélé la possibilité d’effets toxiques transgénérationnels, publiée en 2005, dans laquelle la vinclozoline avait été injectée par voie intrapéritonéale à des rates gestantes, en fournit un exemple. Les anomalies de la spermatogenèse et l’hypofertilité de la progéniture mâle observées sur trois générations n’ont pas été reproduites dans des études d’administration orale, voie pertinente pour l’homme tenant compte de l’utilisation du produit comme fongicide dans les vignobles.

Considérations pour l’avenir

Le corpus disponible se compose donc essentiellement de travaux expérimentaux de type exploratoire. Ces études fournissent néanmoins une base pour reconnaître l’existence d’effets « épigénotoxiques » de facteurs environnementaux. Par ailleurs, elles ont permis d’identifier des biomarqueurs d’exposition ainsi que des modèles animaux et types d’essais qui pourraient être développés à des fins réglementaires. Certaines lignes directrices existantes pourraient être adaptées afin d’inclure la recherche de perturbations épigénétiques.

Auparavant, il est nécessaire de déterminer si les effets « épigénotoxiques » de facteurs environnementaux constituent réellement un problème de santé publique. Étant donné le besoin de caractériser les effets retardés d’expositions précoces sur l’individu et/ou ses descendants, l’utilisation de modèles animaux est incontournable. Les études envisageables chez l’homme sont essentiellement restreintes à des observations dans des cohortes (de survivants ou de naissances) qui offrent des possibilités limitées de collecte d’échantillons biologiques à différentes périodes de la vie. Les expérimentations ex vivo ou in vitro sur du tissu ou des cellules embryonnaires humaines, encadrées par des règles éthiques, ne peuvent représenter qu’une petite partie des phénomènes survenant dans un organisme entier au cours du cycle complet de son existence.

Les futurs travaux doivent s’efforcer de répondre à plusieurs questions. Quel mécanisme relie une exposition particulière à un effet adverse spécifique ? Peut-il être observé chez l’homme ? (dans une situation compatible avec l’expérience humaine en termes de niveau, voie et fenêtre d’exposition, tenant compte des différences métaboliques entre les espèces). Existe-t-il des périodes du développement, des individus ou des populations particulièrement sensibles ? Les effets d’expositions multiples peuvent-ils être additifs, synergiques, antagonistes ? Enfin, et surtout, il convient de s’interroger sur la signification et le potentiel délétère d’une marque épigénétique. Le tri doit être fait entre celles qui prédisent une toxicité future (phénotype défavorable), celles qui témoignent d’une réponse adaptative à une modification de l’environnement (potentiellement réversibles), et celles qui peuvent conférer une protection contre le risque de développement de maladies (phénotype avantageux). Les deux questions fondamentales sont donc : quel est l’épigénome « normal » ? Et quelles sont les conséquences à court et long terme des modifications épigénétiques ?


Publication analysée :

* Marczylo EL1, Jacobs MN, Gant TW. Environmentally induced epigenetic toxicity: potential public health concerns. Critical Reviews in Toxicology 2016; 46: 676-700. doi: 10.1080/10408444.2016.1175417

1 Toxicology Department, CRCE, PHE, Chilton, Oxfordshire, Royaume-Uni.