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ANALYSE D'ARTICLE

Températures estivales élevées et mort fœtale in utero au Québec

L’analyse des cas de décès de fœtus in utero survenus pendant la saison chaude dans la province canadienne du Québec entre 1981 et 2011 suggère que l’exposition à des températures élevées augmente le risque de morts fœtales à terme, de cause indéterminée ou maternelle. Des études de confirmation et exploratoires sont appelées par les auteurs.

The analysis of cases of in utero fetal deaths during the hot season in the Canadian province of Quebec between 1981 and 2011 suggests that exposure to high temperatures increases the risk of fetal deaths at term from undetermined or maternal causes. The authors call for further studies to confirm this and explore it in more detail.

Dans les pays les plus développés, 3,1 grossesses sur 1 000 se terminent par l’expulsion d’un fœtus mort in utero. La cause de cet événement douloureux est souvent difficile à identifier et ses éventuels facteurs de risque environnementaux sont méconnus. L’observation d’une saisonnalité des cas de mort fœtale in utero (MFIU), plus fréquents durant les étés très chauds et les hivers très froids, fait évoquer un rôle des températures ambiantes extrêmes.

Cette étude conduite au Québec, confronté comme d’autres régions tempérées à la perspective d’une élévation des températures estivales sous l’effet du changement climatique, est focalisée sur la relation entre l’exposition à la chaleur et le risque de MFIU. Cette relation a été analysée selon l’âge gestationnel et la cause de la mort fœtale, dans l’hypothèse d’une participation du stress thermique à certains processus pathologiques.

Données et plan général

Les auteurs ont extrait du registre des MFIU du Québec (qui recense toutes les expulsions de fœtus morts d’au moins 500 g quel que soit l’âge gestationnel) les 5 047 cas (grossesses monofœtales) survenus entre les mois d’avril et de septembre des années 1981 à 2011. Les données météorologiques historiques ont été obtenues auprès de 18 stations de mesures représentatives de chaque région sanitaire de la province.

L’association entre la température journalière maximale (ajustée sur le taux d’humidité relative) et le risque de MFIU a été estimée par une méthode cas-croisée qui permet de s’affranchir de l’ajustement sur les caractéristiques maternelles. Le registre mentionnait la date de l’expulsion du fœtus, mais celle de son décès n’était pas connue. Considérant les données de la littérature, les auteurs l’ont fixée deux jours avant, et la température de la veille de ce jour « cas » a été prise en compte pour l’analyse, laissant un intervalle de 24 h entre l’épisode de stress thermique subi par l’organisme maternel et la mort fœtale. D’autres repères ont été utilisés (jour estimé du décès et chaque jour de la semaine précédente) pour des analyses secondaires. Les jours témoins ont été sélectionnés selon un schéma time-stratified (évitant les biais liés aux tendances temporelles de l’exposition) dans le mois de l’événement (tous les mêmes jours de la semaine que le jour cas, par exemple tous les lundis du même mois si le jour estimé du décès était un lundi).

Analyse selon l’âge gestationnel

Les modifications physiologiques de la grossesse réduisent progressivement les capacités d’adaptation à la chaleur de l’organisme maternel. L’impact sur la thermorégulation est maximal à l’approche du terme, au pic d’hypervolémie et de besoins de perfusion fœto-placentaire, la production de chaleur étant accrue par le métabolisme basal du fœtus et la déperdition limitée par la faible surface cutanée rapportée à la masse corporelle. Dans l’hypothèse d’une relation entre le stress thermique et la MFIU, celle-ci devrait donc être d’autant plus apparente que le terme est avancé.

L’échantillon analysé comportait 1 693 cas de MFIU à terme (âge gestationnel ≥ 37 semaines d’aménorrhée [SA]) et 3 198 cas de MFIU prématurée. L’analyse stratifiée identifie une association avec l’exposition à la chaleur dans le premier groupe uniquement. En référence à une température ambiante « de confort » de 20 ̊C, l’odds ratio (OR) de MFIU à terme est égal à 1,16 (IC95 : 1,02-1,33) pour une température maximale de 28 ̊C la veille du jour estimé du décès. L’association se renforce pour une température supérieure : OR = 1,22 (1,02-1,46) pour 30 ̊C et OR = 1,28 (1,03-1,60) pour 32 ̊C.

Des analyses complémentaires ont été réalisées dans le groupe des MFIU prématurées, à la recherche d’un seuil à partir duquel la tolérance au stress thermique serait dépassée. Leurs résultats indiquent un effet de l’exposition à la chaleur pour des MFIU entre 35 et 37 SA, qui s’atténue en deçà pour disparaître complètement à 28 SA.

Analyse selon la cause du décès

Six causes de MFIU sont distinguées selon le système en vigueur au Québec (où plus de 70 % des cas sont autopsiés) : les causes indéterminées, les complications maternelles, les anomalies du placenta, du cordon ou des membranes, l’asphyxie intrapartum, les anomalies congénitales, et les autres causes. Dans l’échantillon considéré, les deux principales étaient les anomalies du placenta, du cordon ou des membranes (33,1 %) et les causes indéterminées (23,6 %). Seul le risque de MFIU du second groupe apparaît associé à la chaleur : l’OR (versus 20 ̊C) est égal à 1,19 (1,02-1,40) pour une température de 28 ̊C, et à 1,35 (1,03-1,77) pour une température de 32 ̊C. Une association est également mise en évidence avec le groupe des MFIU d’origine maternelle (représentant 4,9 % des causes de mort fœtale, dominées par la rupture prématurée des membranes) : OR égal à 1,46 (1,03-2,07) pour une température de 28 ̊C et à 1,98 (1,08-3,60) pour une température de 32 ̊C.

Pour les MFIU d’origine maternelle ou indéterminée, ainsi que pour les MFIU à terme, les analyses secondaires indiquent un effet de l’exposition à la chaleur jusqu’à 4 jours avant la date estimée de la mort fœtale. Un rôle du stress thermique dans ces cas de MFIU est biologiquement plausible, mais les mécanismes en œuvre (déshydratation, libération de protéines de choc thermique, augmentation de la contractilité utérine ou autres) restent à déterminer. Souhaitant la réalisation de travaux susceptibles de confirmer et d’expliquer la contribution de la chaleur ambiante à la survenue de cas de MFIU, les auteurs estiment que cette éventualité devrait amener à inclure les femmes enceintes dans les groupes à risque ciblés par les alertes à la canicule. Celles qui sont proches du terme mériteraient plus particulièrement une surveillance médicale rapprochée durant les épisodes de forte chaleur.


Publication analysée :

* Auger N1, Fraser W, Smargiassi A, Bilodeau-Bertrand M, Kosatsky T. Elevated outdoor temperatures and risk of stillbirth. Int J Epidemiol 2017; 46: 200-8. doi: 10.1093/ije/dyw077

1 Institut national de santé publique du Québec et University of Montreal Hospital Research Centre, Montréal, Canada.