JLE

Synthèse publiée le : 28/05/2018

SYNTHESE : Lumière bleue et santé

La lumière bleue est un rayonnement électromagnétique couvrant une partie restreinte du spectre visible à l’œil nu comprise entre 400 et 480 nm de longueur d’onde environ. Un ensemble de travaux a permis d’évaluer les effets toxiques de la lumière bleue sur la rétine humaine, et de définir un spectre d’action et des valeurs limites d’exposition (VLE) largement acceptées qui ont servi de base à l’élaboration de normes internationales de sécurité photobiologique.

La lumière bleue a cependant occupé en 2017 le devant de la scène scientifique car l’utilisation croissante des sources de lumière artificielle à LEDs blanches à luminophore – dont le spectre est typiquement riche en bleu – a suscité ces dernières années de nouvelles recherches visant à vérifier leur potentiel toxique au niveau rétinien. En parallèle des questions de toxicité rétinienne, des problématiques liant l’exposition à la lumière artificielle et perturbation de l’horloge biologique humaine ont été approfondies.

 

Toxicité rétinienne

Au milieu des années 1970, Ham, Mueller et Sliney ont mis en évidence la possibilité d’apparition de blessures photochimiques chez le singe rhésus sous l’action d’une lumière bleue de forte intensité pendant une durée relativement courte (de quelques secondes à quelques heures). Ces dommages sont caractérisés par la destruction des photorécepteurs et de l’épithélium pigmentaire rétinien (EPR) consécutivement à des phénomènes de pression oxydative[1]. Ce risque lié à une exposition aiguë bénéficie d’un cadre normatif bien établi applicable notamment aux lampes et appareils d’éclairage (IEC 62471 ; IEC-TR 62778) ; cependant, certains auteurs ou agences sanitaires se sont inquiétés de l’absence d’évaluation des effets biologiques et sanitaires d’une exposition chronique ou subchronique.

L’année 2017 a ainsi été marquée par plusieurs publications cherchant à répondre à cette problématique :

  • Krigel et coll. [1] ont publié les résultats d’une étude réalisée sur des rats (Wistar et Long Evans) portant sur les effets, au niveau de la rétine, de différentes conditions expérimentales d’exposition, dont les variables contrôlées étaient le niveau et la durée d’éclairement, et la nature de la source : LEDs blanches « froides » (6 300 K)[2], LEDs bleues (455-465 nm), LEDs vertes (520-535 nm), lampes fluocompactes ou lampes fluorescentes à cathodes froides. Il apparaît que sous 500 Lux en exposition cyclique et longue, les LEDs blanches, bleues et vertes provoquent des dommages chez le rat Wistar, alors que les lampes fluocompactes n’en provoquent pas. Les LEDs bleues ressortent par ailleurs dans cette étude comme les plus nocives, à éclairement égal. Deux réserves pourraient toutefois être émises vis-à-vis de la validité de ces résultats :

-        premièrement, la température de couleur des lampes fluocompactes n’est pas publiée. Or, dans une expérience similaire, Shang et al. avaient mis en évidence en 2013 [2] que la modification de l’onde b[3] dépendait de la température de couleur des sources d’exposition,

-        deuxièmement, la valeur d’intensité énergétique (en W/m2) nécessaire pour produire 500 Lux par une LED bleue est plus élevée que la valeur nécessaire pour produire 500 Lux par une LED blanche. Il est dans ce cas difficile de comparer l’effet de la différence de longueur d’ondes, car elle covarie avec une différence d’intensité énergétique ;

  • après avoir montré en 2015 que la lumière produite par les LEDs pouvait être à l’origine de lésions rétiniennes chez le rat, Jaadane et coll. ont publié une nouvelle analyse [3] portant sur l’effet de la lumière produite par une lampe à LED blanche sur l’EPR du rat. Dans cette nouvelle étude, la transparence de l’iris du rat Wistar a été pertinemment prise en compte en maintenant une valeur de pupille de 5 mm (typique d’une pupille dilatée chez le rat), bien que les expériences d’exposition aient été réalisées sans dilatation pupillaire artificielle. Les auteurs ont noté des signes d’une pression oxydative sur l’EPR apparaissant après une exposition énergétique de seulement 4,14 J/cm2 (dont 0,58 J/cm2 produits par la composante bleue, soit presque 4 fois moins que la limite admise de 2,2 J/cm2pour une exposition humaine de 10 000 s). Les auteurs remarquent également, qu’à exposition égale (4,14 J/m2), on n’observe pas de lésions sur l’EPR lorsque la source de lumière est un tube fluorescent, sans préciser cependant sa température de couleur et la proportion de la composante bleue, ce qui pose le même problème de validité que dans l’étude de Krigel et al.
  • Shang et coll. [4] ont examiné les lésions induites sur des rétines de rats Sprague-Dawley par l’exposition aux LEDs en fonction de la longueur d’onde (460, 530 et 620 nm) pour un éclairement de 1 W/m2. À noter que l’utilisation, dans cette étude, de grandeurs énergétiques plutôt que visuelles permet d’éviter la confusion d’effet relevée dans l’étude de Krigel et al. Les électrorétinogrammes, les analyses histologiques et les observations aux TEM (microscope électronique à transmission) réalisés dans cette étude confirment un effet biologique plus important et plus précoce des longueurs d’ondes courtes au niveau de la rétine.

Krigel et Jaadane ont souligné, en conclusion de leurs travaux respectifs, la nécessité d’une révision des VLE de la norme de sécurité photobiologique. Cependant, la validité des modèles animaux utilisés dans ces expériences est discutée : Point et Lambrozo montrent [5] qu’on ne peut extrapoler, du rat à l’Homme, les résultats d’exposition sans prendre en compte la différence d’anatomie oculaire qui introduit un écart dans la quantité d’énergie déposée sur la rétine par une même source et ont conclu que les résultats récents obtenus sur des rats ne remettent pas en cause la validité des VLE actuelles. Cet avis est partagé par les experts du SCHEER qui, dans un rapport préliminaire rendu le 6 juillet 2017 [6], déduisent de l’analyse de la littérature disponible qu’il n’y a pas de preuve d’un effet délétère des LEDs sur la population générale en utilisation normale, tout en admettant que des recherches doivent être poursuivies et en alertant sur l’absence de prise en compte dans les normes de sécurité photobiologique de certaines populations plus sensibles à la lumière bleue, comme les enfants en bas âge dont la transparence du cristallin est plus importante que celle de l’œil adulte.

 

Perturbation de l’horloge biologique

Chez les mammifères, la mélatonine est une hormone secrétée par l’épiphyse sous le contrôle du noyau suprachiasmatique de l’hypothalamus. Le noyau suprachiasmatique reçoit les projections des cellules à mélanopsine (IpRGC) qui sont sensibles entre 450 nm et 480 nm de longueur d’onde[4]. Par conséquent, une exposition de nuit à une lumière ayant des composantes bleues importantes peut être responsable chez l’Homme d’une perturbation du cycle veille-sommeil, possiblement associée à une augmentation des risques de cancer du sein, d’obésité, de diabète, ou encore de troubles psychologiques. En effet, l’hypothalamus qui contient le noyau suprachiasmatique est un élément fondamental, par le contrôle qu’il opère sur la neurohypohyse et l’adenohypophyse, pour l’équilibre métabolique de l’organisme.

Comme l’ont rappelé Hatori et coll. [7], l’utilisation croissante des écrans d’ordinateurs ou de téléphones portables, par la quantité de lumière bleue émise, pourrait être un facteur de risque de dérèglement de l’horloge biologique. À l’inverse, le respect d’une bonne rythmicité circadienne pourrait constituer une approche non-pharmacologique pour le maintien en bonne santé et la prévention de troubles chroniques. Des publications récentes ont ainsi alimenté le débat scientifique, en particulier vis-à-vis des conséquences d’une exposition à la lumière bleue le soir ou la nuit via notamment l’utilisation des écrans. Ont notamment été soulignées les différences de réaction en fonction de l’âge des utilisateurs :

  • dans une revue de la littérature, Touitou et coll. [8] font l’état des recherches sur les facteurs favorisant le dérèglement de l’horloge biologique des adolescents, notamment l’exposition aux LEDs des écrans ou des lampes d’éclairage, et considèrent que cette exposition devrait être réduite et contrôlée, notamment le soir. Touitou rapporte que, dans des conditions d’exposition à des valeurs d’éclairement de niveaux domestiques, les enfants avant 15 ans subissent une diminution de la sécrétion de mélatonine plus marquée que les adultes. Comme mécanisme, s’appuyant sur des travaux antérieurs, Touitou avance une possible influence du diamètre pupillaire (plus important chez l’enfant que chez l’adulte). Les mêmes auteurs rappellent que le fœtus est exposé au rythme maternel de sécrétion de mélatonine qui joue un rôle important dans la formation du cerveau, et qu’une altération du niveau de concentration de la mélatonine maternelle durant la grossesse peut entrainer une interruption de la programmation cérébrale du fœtus et des effets à long terme ;
  • Gabel et coll. ont étudié [9] les conséquences physiologiques et comportementales du niveau d’éclairement domestique sur la vigilance, la sécrétion de mélatonine et de cortisol, l’activité et les variations de température corporelle au cours d’une expérience impliquant des volontaires jeunes (entre 20 et 35 ans) et plus âgés (entre 55 et 75 ans). Les participants devaient rester dans un état d’éveil prolongé de 40 heures lors de trois conditions expérimentales (8 Lux, 250 Lux 2 700 K, 250 Lux 9 000 K) séparées par un intervalle d’au moins 3 semaines. Cette étude a montré que la lumière froide (9 000 K, donc riche en bleu) perturbe plus significativement la production de mélatonine qu’un éclairement de même niveau en lumière chaude (2 700 K, donc pauvre en bleu) chez les jeunes, mais qu'aucun effet n’est observable chez des populations plus âgées. Cette moindre sensibilité de l’organisme âgé à la lumière bleue pourrait s’expliquer par l’augmentation de la densité du cristallin et la perte de certaines cellules ganglionnaires rétiniennes.

Le SCHEER [6] a tenu à préciser que la quantité d’études disponibles vis-à-vis de l’effet des LEDs sur les rythmes circadiens est relativement faible et que ces études sont, la plupart du temps, réalisées en condition de laboratoire, ce qui laisse en suspens la réponse à la question des effets des LEDs – et plus généralement de l’éclairage artificiel – dans la vie courante. Toutefois, Touitou et coll., dans une revue de la littérature portant sur les effets biologiques et sanitaires de l’exposition nocturne à la lumière artificielle [10], considèrent que la prévention de ces effets et des troubles associés devrait être envisagée comme une préoccupation majeure de santé publique compte tenu du nombre de travailleurs de nuit ou postés dans les économies industrialisées. Touitou propose ainsi de considérer l’exposition nocturne à la lumière artificielle comme un nouveau type de perturbateur endocrinien.

Dans ce contexte se développent, sans réel contrôle, des dispositifs de protection « antilumière bleue », notamment pour les verres ophtalmiques. Downie a rappelé [11] qu’il n’existe pas aujourd’hui de données cliniques suffisantes pour permettre d’affirmer leur intérêt pour la préservation de la rétine et souligne que le bénéfice potentiel de ces traitements doit être mis en balance avec de possibles effets délétères comme l’altération de la perception des couleurs, la réduction de la sensibilité en vision de nuit, le dérèglement de l’horloge biologique, ou encore la promotion de la myopie [12] que l’on suspecte d’être favorisée par le manque d’ondes courtes lors de la croissance de l’œil.

 

Conclusion

Les résultats des recherches parues en 2017 ont incontestablement participé à améliorer la compréhension des mécanismes d’apparition des lésions des cellules rétiniennes sous l’action de la lumière bleue, mais ne remettent pas en cause les limites d’exposition pour l’homme adulte. Certains travaux renforcent cependant, l’intérêt de la notion d’ « hygiène lumineuse », qui doit permettre de préserver la santé des usagers de l’éclairage artificiel mais également d’améliorer le bien-être et d’optimiser les performances au travail.

On notera enfin qu’en réponse aux risques potentiels liées à la lumière bleue se développent des dispositifs antilumière bleue, mais leur pertinence reste à démontrer.

 

Liens d’intérêts : l'auteur est employé de la société Cooper Sécurité SAS.

 

Références

[1] Krigel A, Berdugo M, Picard E, et al. Light-induced retinal damage using different light sources, protocols and rat strains reveals LED phototoxicity. Neuroscience 2016 ; 339 : 296-307.

[2] Shang YM, Wang GS, Sliney D, Yang CH, Lee LL. White light emitting diodes (LEDs) at domestic lighting levels and retinal injury in a rat model, Environ Health Perspect 2014 ; 122 : 269-76.

[3] Jaadane I, Villalpando Rodriguez GE, Boulenguez P. Effects of white light-emitting diode (LED) exposure on retinal pigment epithelium in vivo. J Cell Mol Med 2017.

[4] Shang YM, Wang GS, Sliney D, Yang CH, Lee LL. Light-emitting-diode induced retinal damage and its wavelength dependency in vivo. Int J Ophthalmol 2017 ; 10 : 2.

[5] Point S, Lambrozo J. Some evidences that white LEDs are toxic for human at domestic radiance? Radioprotection 2017.

[6] SCHEER (Scientific Committee on Health, Environmental and Emerging Risk). Preliminary Opinion on Potential risks to human health of Light Emitting Diodes (LEDs), 2017.

[7] Hatori M, Gronfier C, Van Gelder RN, et al. Global rise of potential health hazards caused by blue light-induced circadian disruption in modern aging societies, Aging and Mechanisms of Disease 2017 ; 3 : 9.

[8] Touitou Y, Touitou D, Reinberg A. Disruption of adolescents' circadian clock : The vicious circle of media use, exposure to light at night, sleep loss and risk behaviors. J Physiol 2016 ; 110 : 467-79.

[9] Gabel V, Reichert C, Maire M, et al. Differential impact in young and older individuals of blue-enriched white light on circadian physiology and alertness during sustained wakefulness. Scientific Reports 2017 ; 7 : 7620.

[10] Touitou Y, Reinberg A, Touitou D. Association between light at night, melatonin secretion, sleep deprivation, and the internal clock : Health impacts and mechanisms of circadian disruption. Life Sci 2017 173 : 94-206.

[11] Downie L. Blue-light filtering ophthalmic lenses : to prescribe, or not to prescribe ? Ophthalmic & Physiological Optics 2017 ; 37 : 640-3.

[12] Torii H, Kurihara T, Seko Y, et al. Violet light exposure can be a preventive strategy against myopia progression. EBioMedicine 2017 ; 15 : 210-9.

 

Notes

[1] La pression oxydative (également appelée stress oxydant) est une agression des cellules par les espèces réactives de l’oxygène (essentiellement l’anion superoxyde, le peroxyde d’hydrogène et le radical hydroxyle) qui peut engendrer une peroxydation lipidique, une modification des protéines et des enzymes, ou encore une altération des acides nucléiques et de leur expression. On parle de pression oxydative lorsque la production des espèces réactives de l’oxygène dépasse les capacités des mécanismes de protection ou de réparation de l’organisme.

[2] Le kelvin (K) est l’unité de mesure de la température de couleur proximale pour une source de lumière blanche, qui par nature ne peut pas être décrite par une longueur d’onde.

[3] L’onde b est une onde positive engendrée par les courants induits par les flux de potassium au niveau des cellules gliales de Müller.

[4] A noter que les ipRGC projettent également sur l’aire prétectale du mésencéphale, responsable du contrôle de la contraction pupillaire.