JLE

Synthèse publiée le : 15/06/2020

Synthèse :
La nouvelle approche de "une seule santé" (One Health)

L’approche One Health émerge dans la continuité du concept One Medicine. Elle apporte la valeur ajoutée des collaborations interdisciplinaires et intersectorielles dans un domaine d’interface. La santé urbaine, avec les questions complexes et à multiples facettes des Villes sur les facteurs de pathogénèse, de salutogénèse et de préservation de la biodiversité, est son terrain de prédilection. La surveillance communautaire intégrée des zoonoses est une voie prometteuse pour réduire les effets sur la santé et le coût des épidémies émergentes ou conséquentes du changement climatique. Enfin, One Health va bien au-delà des seules maladies transmissibles et souligne l’intérêt d’opérer au niveau d’une population en intégrant les aspects relatifs à sa qualité de vie.

 

De « One Medicine » à « One Health »

Le concept « One Medicine » est fondé sur le constat de base qu’il n'y ait pas de différence de paradigme entre la médecine humaine et la médecine vétérinaire : les deux disciplines partagent une base commune de connaissances en anatomie, en physiologie, en pathologie et sur l'origine des maladies dans toutes les espèces [1](Schwab, 1984). Toutefois, ce terme reflète insuffisamment les interactions entre la santé humaine et animale qui dépassent les questions cliniques individuelles et comprennent l’écologie, la santé publique et les dimensions sociétales plus larges [2]. « One Medicine » évolue ainsi vers « One Health » par la mise en œuvre concrète de la pensée contemporaine sur la santé et les écosystèmes, ainsi qu’une validation minutieuse des résultats obtenus [3].

L’approche One Health, « Une seule santé » en français, aborde les questions aux intersections de la santé humaine, animale et environnementale à différents niveaux (local, national et mondial), en utilisant les connaissances expertes provenant de plusieurs disciplines : médecine humaine, médecine vétérinaire, santé publique, urbanisme, sciences de l’environnement, etc., mais aussi et surtout en apportant la valeur ajoutée des collaborations interdisciplinaires et intersectorielles dans ce domaine d’interface. Elle offre ainsi la possibilité d’une meilleure compréhension de la gamme d’impacts et de solutions de ces questions complexes car relevant à la fois de trois domaines interconnectés mais distants [4].

One Health et milieux urbains

Dans un numéro spécial « Forêts et Santé publique » paru au printemps 2019 et conjointement édité par la Revue forestière française et la revue Santé publique, Bolon et al. ont mis en évidence les risques mais aussi les bénéfices pour la santé des espaces verts et forêts en ville [5]. L'urbanisation s’accompagne d’un changement anthropique spectaculaire des paysages, avec une dégradation, un remplacement ou une perte complète des écosystèmes naturels. Dans certains cas, l'urbanisation rapide a fragmenté les forêts et créé des parcelles de forêts isolées au milieu des villes ou sur leurs bords, comme à Berlin, Paris ou Mumbay. Dans d'autres villes, des forêts ou des parcs ont été créés de novo par replantation. Ces modifications des écosystèmes naturels ont ensuite conduit à l’émergence de nouvelles dynamiques et d’un nouvel ensemble d'interactions socio-écologiques entre les seuls humains, mais aussi entre les humains, d'autres espèces et leurs écosystèmes, du niveau local au niveau global. L'urbanisation, le changement d’utilisation des terres et la croissance de la population humaine font partie des causes les plus importantes de l'extinction des espèces et en conséquence de la perte de la fonction des écosystèmes. Le taux actuel d'extinction des espèces est tout à fait sans précédent au niveau global et à l’échelle des villes il a aussi été rapporté un déclin des espèces natives. Malgré cela, des espèces d'animaux sauvages se sont adaptées aux milieux urbains et ont trouvé de nouvelles opportunités pour prospérer et proliférer en cohabitation avec les humains. La diversité des habitats urbains (parcs, forêts, jardins) et des ressources alimentaires en abondance (déchets alimentaires, nourritures pour animaux de compagnie, fruits, graines, etc.) font des environnements urbains et péri-urbains des zones attractives pour de nombreux animaux sauvages. Parcs et espaces verts, étangs et rivières urbaines hébergent une biodiversité considérable même dans les plus grandes villes du monde. Les parcs urbains constituent des points chauds (hotspots) de biodiversité dans différentes régions du monde.

Par ailleurs, les animaux de compagnie et animaux domestiques ont tendance à être considérés comme des membres de nos familles et partagent notre maison et nos villes. Ceci est particulièrement vrai dans le monde occidental, mais aussi de plus en plus en Asie. Aux USA, c’est 68 % des foyers qui possèdent un animal de compagnie, essentiellement des chiens et chats (184 millions d’individus), mais avec la mondialisation du commerce des animaux, les animaux de compagnie comprennent également des reptiles (9,4 millions) et des petits animaux comme les rongeurs (14 millions) [6]. D’autres animaux domestiques tels que la volaille ou le bétail sont élevés massivement dans les zones péri-urbaines pour satisfaire la demande croissante des populations humaines, en particulier dans les pays émergents et en voie de développement. Cette production animale périurbaine croit rapidement et représente déjà 34 % de la production totale de viande et près de 70 % de la production d'œufs dans le monde. Dans les pays développés, les animaux d'élevage et les pratiques agricoles font leur apparition dans les villes, par exemple les poulaillers urbains, comme une tendance écologique contre la production animale industrielle et pour un meilleur contrôle des aliments consommés. L’agriculture urbaine favorise aussi le renforcement des liens sociaux, des communautés, des loisirs ou l’éducation (ferme pédagogique).

Cette biodiversité urbaine peut avoir des implications aussi bien positives que négatives pour la santé humaine et plus largement pour la santé des écosystèmes. S’ouvre alors un débat passionnel et passionnant entre les promoteurs de la conservation de la biodiversité et du ré-ensauvagement (rewilding) de nos villes et les tenants d’une démarche plus aseptisée et hygiéniste. Une approche systémique et intégrée de la santé, prenant en compte la forte interdépendance de la santé humaine avec celle des animaux et des écosystèmes, devient alors une nécessité.

Interdisciplinarité

Dans ce contexte socio-écologique, l'approche One Health élargit son champ d’action et s’intéresse plus particulièrement aux interactions socio-écologiques entre les populations humaines et animales lors de changement environnemental anthropogénique. Par exemple, les changements dans l'utilisation des sols, comme la déforestation pour étendre les surfaces agricoles ou le développement des villes, certains comportements humains (ex. : consommation de viande de brousse, ecotourisme) vont augmenter le contact entre les humains et la faune sauvage, réservoir de maladies infectieuses et, par conséquent, les risques de diffusion d'une infection animale à l’homme. Cela renforce le besoin de disciplines telles que l'écologie animale, l'écologie des maladies, les sciences de l'environnement et de la conservation, la socio-anthropologie etc., mais également fait émerger des nouvelles disciplines comme la médecine environnementale (conservation medicine). C’est dans ce bouillonnement d’initiatives novatrices qu’est paru un rapport de l'Organisation mondiale de la santé qui souligne l'importance de la conservation de la biodiversité en tant que service écosystémique pour assurer la santé humaine [7].

Dans un éditorial conjoint [8], F. Godlee (BMJ) et A. Waters (Vet Record) expliquent pourquoi médecins et vétérinaires devraient s’investir à fond dans One Health, en avançant 4 raisons principales :

  • les zoonoses ont une large contribution dans la charge totale des maladies infectieuses sur la santé humaine (60 % de tous les pathogènes humains et 75 % des nouveaux ou émergents),
  • médecins et vétérinaires ont une responsabilité partagée pour la gestion inappropriée des antibiotiques, passée et actuelle, une des plus grandes menaces futures pour la santé humaine,
  • les pratiques d’élevage à travers le monde influencent grandement la qualité et la sécurité de notre nourriture, avec des implications évidentes pour la santé humaine,
  • l’activité humaine dévaste l’environnement naturel, dont nous dépendons tous.

Maladies non transmissibles, changement climatique et surveillance communautaire intégrée

Néanmoins, l'approche One Health va au-delà des zoonoses et des maladies infectieuses et prend progressivement de l'importance pour l'approche intégrée des maladies non transmissibles. L'obésité, la santé mentale, les maladies cardiovasculaires, etc., créent des nouvelles opportunités pour One Health. Ainsi, les forêts et espaces verts urbains favorisent le ressourcement nécessaire au bien-être et à la promotion de la santé mentale ; encouragent l’activité physique, élément essentiel pour lutter, entre autres, contre l’obésité, le diabète de type II et les maladies cardiovasculaires ; contribuent à l’amélioration du capital social à travers des interactions sociales accrues ; et participent de manière spécifique à la lutte contre les inégalités sociales de santé.

Dans une sorte de réponse à la publication par The Lancet d’un « compte à rebours » sur la santé et le changement climatique pour suivre les effets de l'atténuation du changement climatique sur la santé publique, Zinsstag et al. [9] proposent d’aller au-delà de la seule focalisation sur les humains. Les animaux, y compris la faune, le bétail et les animaux domestiques, peuvent également être touchés par le changement climatique. Les auteurs postulent que les approches intégrées sauvent des vies humaines et animales et réduisent les coûts par rapport à ce que réussissent les secteurs de la santé publique et animale en travaillant séparément. Une approche One Health pour l'adaptation au changement climatique peut contribuer de manière significative à la sécurité alimentaire en mettant l'accent sur les aliments d'origine animale, les systèmes d'élevage extensifs, l'assainissement de l'environnement, et propose d’aller vers des systèmes d'intervention et de surveillance intégrés, aussi bien au niveau régional que global. La surveillance communautaire intégrée des zoonoses est une voie prometteuse pour réduire les effets du changement climatique sur la santé car le coût des épidémies de zoonoses émergentes pourrait être beaucoup plus faible s'il est détecté tôt dans le vecteur ou dans le bétail plutôt que plus tard chez l'homme.

En ce sens, il est intéressant de souligner la démarche de priorisation des zoonoses à l’aide d’un outil d’aide multicritère à la décision (AMCD), en l’occurrence la méthode PROMETHEE, effectuée par l’Observatoire multipartite québécois sur les zoonoses et l’adaptation aux changements climatiques [10]. Cette démarche a conduit à l’établissement d’une liste consensuelle de 32 zoonoses priorisées, prenant en compte la multiplicité des enjeux présents, notamment leurs impacts en santé publique, en santé animale et environnementale, leurs impacts socio-économiques et leur capacité d’émergence. De cette liste, 9 zoonoses prioritaires se démarquent : il s’agit du virus du Nil Occidental, du botulisme, de la rage, de la salmonellose, de la listériose, de l’infection à Escherichia coli, du syndrome pulmonaire à Hantavirus, de l’influenza aviaire et de la maladie de Lyme. L’exercice de priorisation à l’aide d’un outil AMCD a également permis de mettre en évidence les manques de connaissances au Québec pour certaines zoonoses. Cela représente bien sûr des défis à relever, mais également de nouvelles opportunités de recherche à exploiter, permettant de façon concrète aux décideurs de cibler où mettre des ressources pour combler ces manques.

Ce qui est vrai pour la grande mutation du changement climatique l’est aussi pour des phénomènes plus répétitifs, comme les flambées épidémiques périodiques. Ce début 2020 nous donne une excellente illustration avec la pandémie du covid-19 et on se réjouit de lire dans les prochains mois des analyses sur la valeur ajoutée que One Health pourrait apporter sur l’atténuation des impacts sanitaires et économiques qui accompagnent une telle épidémie.

Conclusion

En conclusion, avec les développements récents de One Health, les propos tenus par Jean Lesne dans un « Mot-à-Mot » de 2015, lorsqu’il évoquait ce concept alors émergent, raisonnent avec encore plus de justesse [11] :

« Nous atteignons là une limite méthodologique actuelle de l’épidémiologie, discipline scientifique maîtresse dont la tâche est de décrire et d’expliquer les effets de santé dans les populations. Il lui est demandé de passer de l’individu à la population. S’il est vrai que les facteurs causaux spécifiques de maladies particulières sont les mieux identifiés au niveau individuel (le lien causal entre tabagisme et cancer du poumon a été établi par comparaison entre groupes d’individus fumeurs et non-fumeurs, et non en comparant des populations avec des proportions de fumeurs hautes et basses), beaucoup de questions importantes sur la santé et la maladie humaine se rapportent aux influences qui apparaissent et opèrent au niveau de la population (par exemple, comment le plan d’urbanisme influence l’excès de mortalité pendant les vagues de chaleur, ou comment les schémas modernes de commerce, de migration de populations, de pauvreté urbaine, d’absence de disponibilité d’une eau de boisson saine et d’infrastructures d’assainissement ont potentialisé la continuation au XXIe siècle de la pandémie de choléra ?) ».

 

Références

1. Schwabe CW. Veterinary Medicine and Human Health. Williams & Wilkins, Baltimore, 1984.

2. Zinsstag J, Schelling E, Wyss K, Mahamat MB. Potential of cooperation between human and animal health to strengthen health systems. Lancet 2005 ; 366 : 2142–5.

3. Zinsstag J, Schelling E, Tanner M, Waltner-Toews D. From “one medicine” to “one health” and systemic approaches to health and well-being. Prev Veter Med 2011 ; 101 : 148–56.

4. Lebov J, Grieger K, Womack D, Zaccaro D, Whitehead N, Kowalcyk B, MacDonald PDM. A framework for One Health research. One Health 2017 ; 3 : 44–50.

5. Bolon I, Cantoreggi N, Simos J, Ruiz de Castañeda R. Espaces verts et forêts en ville : Bénéfices et risques pour la santé humaine selon l’approche « Une seule santé » (One Health). Revue forestière française 2018 ; LXX : 2-3-4, AgroParisTech.

6. APPA National Pet Owners Survey 2017-2018. [on line]. Disponible sur : http://www.americanpetproducts.org/press_industrytrends.asp

7. WHO & WMO (2015). Heatwaves and Health: Guidance on Warning-System Development. Geneva: World Meteorological Organization (WMO) and World Health Organization (WHO).

8. Godlee F, Waters A. Healthy people, healthy animals, and a healthy environment: One Health. Global challenges require collaborative interdisciplinary approaches. Br Med J 2018 ; 362: k3020 ;  doi: 10.1136/bmj.k3020 (Publié le 12.07.2018).

9. Zinsstag J, Crump L, Schelling E, et al. Climate change and One Health. FEMS Microbiology Letters 2018 ; 365 : fny085.

10. Simon A, Aenishaenslin C, Hongoh V, Lowe AM. Priorisation des zoonoses au Québec dans un contexte d’adaptation aux changements climatiques à l’aide d’un outil d’aide à la décision multicritère. Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) et Université de Montréal (UdeM), Gouvernement du Québec, Montréa, 2018l.

11. Lesne J. Environnement Santé – écosanté. Environ Risques Santé 2015 ; 14 : 256-8.