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ANALYSE D'ARTICLE

S’adapter à la complexité croissante des problèmes environnementaux

Écrit par des membres du Bureau de recherche et développement de l’Agence de protection de l’environnement des États-Unis (US EPA), cet article appelle à réformer la manière de concevoir et de gérer les problématiques environnementales.

This article by members of the US Environment Protection Agency (EPA) Office of Research and Development calls for new ways of thinking and managing environmental challenges.

L’approche compartimentée, par milieu contaminé ou par polluant, a permis à l’US EPA de traiter avec succès un certain nombre de problèmes environnementaux au cours des dernières décennies. L’état des cours d’eau s’est globalement amélioré, comme la qualité de l’air, et l’exposition de la population à beaucoup de substances toxiques a diminué. Mais les défis actuels pour la santé de l’homme et des écosystèmes sont d’une autre nature. Plus complexes, globaux, ramifiés. La prise de conscience que toute activité humaine est susceptible d’avoir des impacts négatifs s’est accrue. Dans des secteurs comme l’énergie, l’agriculture ou l’industrie, une décision peut affecter à la fois la qualité de l’air, de l’eau et du sol. Face à l’interdépendance des écosystèmes, à la mondialisation, à l’évolution rapide des besoins et usages de nos ressources et à l’accélération technologique, les problèmes ne peuvent plus être pris un par un, avec une vision locale à court terme à la recherche de solutions simples. Ce sont des « méta-problèmes », qualifiés par certains de pernicieux ou épineux (« wicked » problems). Ils sont difficiles à caractériser et instables. Leurs implications sociales sont complexes. Ils n’admettent pas une solution unique. Et tout effort pour en résoudre l’un des aspects peut entraîner des effets inattendus et créer de nouvelles difficultés.

Quatre exemples de problèmes complexes

Pour illustrer leurs propos, les auteurs de cet article citent le cas du changement climatique, la question des choix énergétiques (et en particulier les enjeux de l’extraction de gaz de schiste par fracturation hydraulique), celle de la gestion des ressources en eau pour un approvisionnement durable de bonne qualité, et enfin la question de l’exploitation des terres. Tous exemples de problématiques multidimensionnelles, de défis de taille à relever.

En centre-ville comme en zone rurale, le bien-être d’une communauté est ainsi étroitement couplé à l’aménagement de son territoire. Toute décision en termes de politique des transports, du logement, des espaces verts ou de développement industriel et agricole, peut avoir des conséquences, positives ou négatives, sur la qualité de vie et l’état de santé de la population. Ces conséquences peuvent être éloignées de la cause initiale et imprévues, fruits d’événements en cascade. Le verdissement du territoire peut, par exemple, augmenter le risque de feux de végétaux, qui vont altérer le paysage, favoriser l’érosion des sols, le ruissellement des eaux pluviales, et dégager un mélange toxique de gaz et de particules atmosphériques.

Les outils du XXIe siècle pour une approche systémique

Les problématiques environnementales actuelles et à venir imposent une approche systémique, prenant en compte tous les tenants et aboutissants des forces en œuvre, ainsi que leurs interactions. La recherche de solutions pérennes nécessite d’intégrer des informations provenant de plusieurs disciplines : sciences de la santé, sciences sociales, et sciences de l’environnement. Pour comprendre les liens entre la santé publique, l’environnement et la société, il est nécessaire de relier entre eux des points qui se situent à plusieurs niveaux, du plus bas (moléculaire) au plus élevé (biosphère), en passant par la cellule, le tissu, l’organisme, la population et la communauté. Les différentes pistes de solutions qui se dégagent doivent être explorées de la manière la plus réaliste et complète possible afin de choisir la meilleure alternative envisageable.

Ce mode de pensée systémique est récent, mais il n’est pas nouveau. La littérature scientifique en fournit de nombreux exemples. L’approche systémique est utilisée en particulier dans le domaine des études d’impact sanitaire (projets environnementaux) et dans celui des analyses du cycle de vie (produits et services). Elle est amenée à se développer au rythme rapide des progrès en termes d’outils et de méthodes d’analyse (modèles informatiques, criblage à haut débit, etc.). De nouveaux moyens de générer des données existent : systèmes embarqués à bord de satellites, capteurs individuels mesurant des paramètres environnementaux et sanitaires, et production participative (crowdsourcing) reposant sur la contribution de personnes qui collectent et transmettent par Internet des observations de terrain. La possibilité d’obtenir ainsi des données massives, à une vaste échelle géographique et sur de longues périodes de temps, peut révolutionner la façon de surveiller l’environnement et d’étudier les réactions des individus. L’arrivée des big data soulève toutefois des questions d’ordre éthique (confidentialité des données et protection des intérêts individuels), concernant la qualité des informations (provenant de multiples sources et plus ou moins structurées), et la capacité à gérer d’énormes quantités de données complexes.

Cadre opérationnel

Sur la base de ces considérations et de l’expérience tirée de projets et programmes de recherche en cours aux États-Unis (comme Eco-Health Relationship Browser sur le lien entre santé et services écosystémiques), les auteurs proposent un cadre pour la mise en œuvre d’une approche systémique des problèmes environnementaux. La première étape – la formulation holistique du problème – leur semble cruciale, pas seulement parce qu’elle oriente la suite du processus, mais aussi parce qu’elle détermine l’adhésion des « utilisateurs finaux » aux solutions proposées. Ceux qui souffrent du problème (ou risquent d’en souffrir à terme) doivent être impliqués très tôt dans le processus pour accepter de s’engager dans des actions correctives, et en accepter l’incertitude des résultats. Il en est de même pour les acteurs et décideurs politiques ainsi que pour les autres parties prenantes. Les auteurs plaident à ce titre pour une communication claire et transparente de la part des scientifiques, qui doivent être mieux formés à l’approche systémique et à la façon de vulgariser leur savoir pour le rendre compréhensible par tous.

La dernière étape, d’évaluation des effets des mesures mises en œuvre, est également fondamentale. Elle repose sur la surveillance d’indicateurs ou de jeux de données sensibles aux changements induits, dont les conséquences à court et à long termes doivent pouvoir être appréhendées.

 

Commentaire

Les auteurs s’expriment à juste titre sur le besoin d’une approche environnementale moins déterministe, impliquant une meilleure exploration de la complexité.

T. Cowen écrivait en 2011 [1] : « Nous n’arrivons pas à comprendre pourquoi nous n’y arrivons plus. Tous ces problèmes n’ont qu’une cause, mais qui passe inaperçue: nous avons vécu pendant au moins 300 ans de fruits qui ne demandaient qu’à être cueillis […]. Or, depuis 40 ans, ces fruits ont commencé à se faire rares, et nous avons fait comme s’ils étaient encore là. Nous n’avons pas voulu reconnaître que nous avions atteint un plateau technologique et que l’arbre était bien plus dépouillé que nous voulions l’admettre ». La complexité nous a atteints, ce qui impose des formes nouvelles de penser la société, qu’on l’appelle convergence, interdisciplinarité, approche systémique, holistique, etc., et agir de manière efficiente et créative en recherche et en expertise dans le domaine de l’environnement.

Entre le souhaitable et le possible, l’espace est bien large, mal indiqué (d’où l’intérêt de tenter d’agir), avec des nécessités de réfléchir autrement au futur, aux liens entre les acteurs de l’innovation technologique et le public, aux liens avec les pouvoirs étatiques pour sortir de promesses intenables, etc. Il faut, à la fois, soutenir les moyens pour faire sauter les verrous associés à des recherches technologiques nouvelles, et relativiser l’enthousiasme de certains qui souhaitent, pour diverses raisons, vendre « la peau de l’ours avant de l’avoir tué », voire nient une réalité bien contraignante…

La question posée dans ce document est intéressante en ce qu’elle nous relie à un mode de fonctionnement réducteur (a minima et le singulier suffit) d’un certain nombre d’élus nationaux négationnistes dont l’aptitude au raisonnement peut être qualifiée de modeste et à une approche difficile, toute en niveaux de gris, telle que présentée dans cet article. La difficulté avec la complexité, c’est qu’on ne dispose pas de méthode simple et qu’il faut réfléchir ensemble, sans être sûr de gagner…

James Clerk Maxwell a écrit en 1876 [2] : « Quand l’état des choses est tel qu’une variation infiniment petite de l’état présent n’altérera l’état futur que d’une quantité infiniment petite, l’état du système, au repos ou en mouvement est dit stable : mais, quand une variation infiniment petite à l’état présent peut causer une différence finie en un temps fini, la condition du système est dite instable. Il est évident que l’existence de conditions instables rend impossible la prévision d’événements futurs, si notre connaissance de l’état présent est seulement approchée et non exacte »… La question de la maîtrise des « bons » paramètres principaux d’influence sur la stabilité ou sur l’instabilité est donc primordiale, mais risque de ne pas être suffisante. En effet, tous les paramètres ne sont pas connus ni leur influence réciproque sur les autres…

Il est donc important que ce type d’article soit soutenu, communiqué à la société dans son ensemble, et que l’on forme mieux et plus les chercheurs et les experts ayant un rôle dans les questions d’environnement pour s’engager dans les actions proposées par les auteurs. Or, les financements sont peu orientés vers cette vision et, au fond, cet appel au secours d’un pays ami ne devrait pas rester à l’état d’un « simple » article (on l’a écrit, donc ce n’est plus mon problème), mais devrait se traduire dans l’action… Avec la complexité, il nous faut penser autrement… Alors ?

Jean-Claude André

  • [1] Cowen T. The great stagnation: how American are all the low-hanging fruit of modern history, Got sick and will (eventually) feel better. New York : Dutton Ed, 2011.
  • [2] Maxwell JC in : Thom R. Paraboles et catastrophes. Paris : Flammarion, 1983.

Publication analysée :

* Burke TA1, Cascio WE, Costa DG, et al. Rethinking environmental protection: meeting the challenges of a changing world. Environ Health Perspect 2017; 125: A43-A49. doi.org/10.1289/EHP1465

1 US Environmental Protection Agency, Office of Research and Development, Washington, États-Unis.