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Synthèse publiée le : 01/04/2017

Pollution atmosphérique et issues de grossesse :
Quoi de neuf en 2016 ?

Les effets néfastes des polluants de l’air s’observent également chez les femmes enceintes et leurs enfants, qui sont des popula­tions particulièrement vulnérables.

La prématurité et un faible poids de naissance sont associés à un risque accru de morbidité et de mortalité néo-natale mais aussi à un risque accru de maladies chroniques dans l’enfance et à l’âge adulte. La littérature scientifique, de plus en plus abondante, suggère que l’exposition maternelle aux polluants atmosphériques pourrait avoir des effets délétères sur les issues de grossesse. Toute­fois, de nombreux aspects restent discutés et ont marqué l’année 2016 incluant notamment la prise en compte des co-expositions, des comorbidités et de la variabilité spatiale qui ont été au centre des interrogations. Deux méta-analyses ont également été publiées ainsi qu’un nombre important d’études centrées sur la prématurité.

 

La pollution atmosphérique (ou pollution de l’air issue des sources extérieures) est un mélange de composés présents sous forme gazeuse (oxydes d’azote, monoxyde de carbone, dioxyde de soufre, ozone, etc.) ou particulaire (poussières en suspension de composition chimique hétérogène). Bien que les émissions industrielles aient diminué de manière substan­tielle (dioxyde de soufre (SO2) principalement), le trafic routier et le chauffage restent des sources majeures d’exposition aux polluants atmosphériques. Du fait de son caractère ubiquitaire et de l’absence de seuil minimal de nocivité (en deçà duquel aucun effet sanitaire ne serait observé), l’exposition à la pollution atmosphérique est un enjeu majeur de santé publique. Les études évaluant les effets sanitaires des polluants de l’air sont majoritairement focalisées sur les polluants réglementés tels que les oxydes d’azote (NOx, NO2) et les particules, dont les particules fines (PM10 et PM2,5 ayant un diamètre aérodynamique inférieur à 10 ou 2,5 microns, respectivement). Les effets sanitaires observés de ces polluants peuvent être dus à certains de leurs constituants (hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) tels que le benzo(a) pyrène, métaux ou benzène) ou à d’autres polluants non mesurés mais fortement corrélés aux polluants réglementés. Le niveau de preuve actuel permet de conclure que la relation entre l’exposition aux particules atmosphériques d’une part et la mortalité et la morbidité cardiovasculaire et respiratoire d’autre part, est causale [1].

La vie intra-utérine et l’enfance sont des périodes sensibles de développement de l’individu pendant lesquelles une expo­sition à un stress physique, chimique, nutritionnel, ou psychosocial peut avoir des effets à court terme sur le poids de naissance et la prématurité mais également des effets durables manifestés par un risque accru pour certaines maladies chroniques plus tard dans l’enfance ou à l’âge adulte. Les travaux conduits dans ce domaine relèvent de la DOHaD (Deve­lopmental Origins of Health and Diseases) [2]. Les issues défavorables de grossesse (petit poids de naissance, prématurité, malformations, etc.) ont une étiologie multifactorielle. Des facteurs de risque génétiques, fœtaux, maternels et environ­nementaux ont été suggérés. Parmi les facteurs de risque environnementaux, les 20 dernières années ont vu un nombre croissant de publications faisant état d’effets néfastes de l’exposition maternelle à la pollution atmosphérique sur les issues de grossesse. Le poids de naissance est un exemple pour lequel des effets délétères de l’exposition maternelle aux polluants de l’air ont été rapportés de manière concordante par de nombreuses études [3]. Malgré la non prise en compte de certains facteurs de confusion (comme le tabagisme maternel ou les facteurs météorologiques) ou l’existence d’erreurs de mesure possibles pour évaluer l’exposition dans la plupart des études, le niveau de preuve scientifique suggère une association causale de l’exposition aux particules fines avec le poids de naissance. Ces effets, bien que parfois qualifiés de modestes à l’échelle individuelle (diminution du poids moyen de naissance de l’ordre de quelques dizaines de grammes pour une augmentation de l’exposition pendant la grossesse d’environ 5 à 10μg/m3 des concentrations en polluants), ont un impact majeur en santé publique car le risque n’est pas supporté par une fraction restreinte de la population qui serait exposée, mais concerne l’ensemble des femmes enceintes qui sont toutes exposées à la pollution atmosphérique.

Depuis les années 2000, plusieurs revues de la littérature sur les associations entre l’exposition maternelle aux polluants de l’air et les issues de grossesse ont été publiées. La majeure partie était constituée de revues qualitatives ; seules deux revues ont fourni des éléments quantitatifs issus de méta-analyses1 [3, 4]. Les résultats de la méta-analyse de Lamichhane et al. [5] confirment ceux des précédentes études. Une originalité de cette méta-analyse repose sur l’évaluation de l’im­pact de la prise en compte du tabagisme maternel pendant la grossesse dans l’estimation des associations entre l’expo­sition aux particules (PM10 et PM2,5) pendant la grossesse et la prématurité et le poids de naissance de l’enfant. Lorsque seules les études prenant en compte le tabagisme maternel sont incluses dans la méta-analyse, une diminution moyenne du poids de naissance de 10 g et 22 g est observée respectivement pour une augmentation de 10 μg/m3 de l’exposition aux PM10 et aux PM2,5 pendant la grossesse. Lorsque la méta-analyse inclut, ou est focalisée sur, les études qui n’ont pas pris en compte le tabagisme maternel, les auteurs montrent que les associations entre l’exposition aux particules et le poids de naissance sont sous-estimées.

Le poids de naissance représente une mesure à postériori de la croissance fœtale. Les mesures échographiques, notam­ment celles réalisées dans le cadre du suivi de la grossesse, permettent de dater plus précisément les modifications de la croissance du fœtus et d’identifier les potentielles fenêtres de susceptibilité à l’exposition aux polluants de l’air au cours de la grossesse. Dans une analyse conduite sur la cohorte espagnole INMA, Iniguez et al. [6] indiquent des effets néfastes sur la croissance fœtale (diamètre bipariétal, circonférence abdominale, longueur fémorale et poids fœtal) de l’exposition maternelle au NO2 dès le premier trimestre de la grossesse ; les auteurs observent aussi des effets plus marqués chez les femmes fumeuses comparativement aux femmes non fumeuses.

Concernant la prématurité (naissance avant 37 semaines d’aménorrhée) et la pré-éclampsie2, le niveau de preuve sur les effets de l’exposition maternelle aux polluants de l’air sur ces évènements est insuffisant pour suggérer une association causale. Les effets des polluants de l’air sur la santé cardiovasculaire sont largement documentés chez les adultes et les personnes âgées [7]. Chez les femmes enceintes, dont la fonction cardiovasculaire est particulièrement sollicitée pendant la grossesse, quelques études indiquent que la pollution atmosphérique pourrait avoir des effets sur l’hypertension gravi­dique et la pré-éclampsie, cette dernière étant un facteur de risque de morbidité et mortalité maternelle, naissance préma­turée et mortalité néonatale [8]. Mendola et al. se sont récemment intéressés aux liens entre pollution atmosphérique et pré-éclampsie en distinguant les effets chez les femmes asthmatiques des effets chez les femmes non asthmatiques [9].

La divergence des résultats de la littérature concernant la prématurité tient notamment au fait que la définition de la prématurité et la modélisation de l’effet des polluants de l’air sur la prématurité sont plus complexes et hétérogènes que dans le cas de l’étude du poids de naissance [2, 10]. De nombreuses études ont été publiées en 2016 sur les associa­tions entre l’exposition maternelle aux polluants de l’air et le risque de prématurité [11-18]. Dans une étude focalisée sur les naissances prématurées spontanées, Johnson et al. [19] ont mis en évidence une association protectrice de l’ex­position maternelle aux PM2.5 et NO2 pendant les différents trimestres de la grossesse vis à vis du risque de prématurité.

Ce type d’association protectrice avait déjà été mis en évidence dans d’autres études, toutefois sans plausibilité biolo­gique permettant d’expliquer ces résultats. Dans ce cas, Johnson et al. montrent que les caractéristiques des hôpitaux, qui étaient spatialement corrélées aux niveaux d’exposition aux polluants atmosphériques, influençaient les résultats. Ils concluent que les associations protectrices observées sont liées à des biais de confusion résiduels et suggèrent d’examiner attentivement et de prendre en compte, à la fois la composante spatiale des modèles d’exposition aux polluants de l’air, et celle des facteurs d’ajustement. La plupart des études sur la prématurité s’attachent à évaluer le rôle des expositions maternelles aux polluants de l’air dans les jours ou semaines précédant la naissance. Pour la première fois en 2016, une étude a mis en évidence un effet délétère de l’exposition maternelle au NO2, SO2 ou CO (monoxyde de carbone) dans les 24 à 48 heures précédant le début des contractions sur le risque de prématurité [20]. Cet effet était plus élevé pour les femmes fumeuses et pour celles issues des niveaux socio-économiques les plus faibles. La présence de comorbidités3 telles que l’asthme a également été identifiée comme un facteur de susceptibilité aux effets de la pollution atmosphérique sur la prématurité [21]. La méta-analyse de Lamichhane et al. [5] indique un risque de prématurité augmenté de 23 et 13% respectivement pour une augmentation de 10 μg/m3 de l’exposition aux PM10 et PM2,5 pendant la grossesse ; ces estimations tiennent compte du tabagisme maternel, mais reposent sur un effectif restreint à 3 études. L’identification de potentielles fenêtres de sensibilité à l’exposition aux polluants de l’air durant la grossesse constitue un riche domaine de recherche. Lamichhane et al. ont quantifié l’effet de chacun des trois trimestres de la grossesse, en mettant toutefois en évidence une importante variabilité des estimations dans les analyses de sensibilité. L’ensemble de ces résultats appelle à poursuivre les travaux sur la problématique des fenêtres de susceptibilité pendant la grossesse et de leur impact sur la prématurité, notamment en utilisant des modèles adaptés aux données de survie, et à poursuivre les efforts de modélisa­tion des expositions à un niveau plus fin que ceux fournis par les stations de surveillance de la qualité de l’air sur lesquelles 32 des 44 études incluses dans cette méta-analyse reposaient.

Certaines études se sont intéressées au risque de malformation congénitale [22] et de mortinatalité [23] en lien avec l’ex­position maternelle aux polluants de l’air ; le niveau de preuve scientifique concernant ces évènements reste toutefois faible. Yao et al. [24] en Chine, mettent en évidence un risque de malformation congénitale accru de 26% en association avec une augmentation de 10 μg/m3 de l’exposition au SO2 pendant le second trimestre de la grossesse, mais aussi un risque accru de 20% lié à une exposition similaire pendant les 3 mois précédant la conception. Aucune association signifi­cative n’est observée avec le NO2 ou les PM10, et les résultats ne tenaient pas compte du tabagisme. Concernant la morti­natalité, Siddika et al. [25] ont réalisé une méta-analyse sur 13 études dont certaines évaluaient des effets à court terme et d’autres à long terme. Seules quelques-unes des 13 études portaient sur les mêmes polluants, ce qui limite la portée des résultats de la méta-analyse. Toutefois, ils montrent que les associations, bien que n’atteignant pas toujours le seuil de signification statistique, sont positives et concordantes pour les différents polluants et fenêtres d’exposition étudiés. La mortinatalité est un événement dont l’étiologie est encore mal comprise et qui reste peu étudié, notamment du fait de l’hétérogénéité qui persiste dans sa définition.

De nombreux résultats, cités ici de manière non exhaustive, sur la thématique reliant les expositions prénatales aux polluants atmosphériques et les issues de grossesse ont été publiés en 2016. Parmi les sujets d’intérêts dans ce domaine, certains auteurs se sont focalisés sur la question de la variation spatiale des associations [26], sur des populations de jumeaux [27], sur l’influence de la mobilité résidentielle pendant la grossesse [28] et sur le rôle de l’épigénétique dans ces associations [29].

 

Conclusion

L’année 2016 a vu la publication de deux méta-analyses qui ont permis pour l’une de confirmer les effets délétères de l’exposition aux particules fines sur le poids de naissance et pour l’autre de suggérer un effet potentiel des polluants atmosphériques sur le risque de mortinatalité. Plusieurs études sur le poids de naissance et la prématurité ont montré l’im­portance et l’intérêt de la prise en compte du facteur spatial, des co-expositions et des comorbidités.

 

Notes

[1] Analyse statistique combinant les résultats de plusieurs études. Elle permet une analyse plus précise des données par l’augmentation du nombre de cas.

[2] Maladie survenant pendant la grossesse associant une hypertension artérielle et l’apparition de protéines dans les urines. Des complications sont possibles en l’absence de traitement.

[3] Maladies associées.

 

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Références
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