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ANALYSE D'ARTICLE

Exposition aux polluants atmosphériques et rupture prématurée des membranes

Les connaissances relatives aux effets des polluants atmosphériques sur le risque de rupture prématurée des membranes sont encore rares. Cette analyse rétrospective des données d’une vaste étude de cohorte états-unienne identifie un rôle de l’exposition à long terme au monoxyde de carbone et au dioxyde de soufre, tandis que l’exposition aiguë à l’ozone et aux PM2,5 pourrait précipiter la rupture des membranes.

Knowledge of the effects of air pollutants on the risk of premature rupture of membranes is sparse. This retrospective analysis of data from a very large US cohort study finds that long-term exposure to carbon monoxide and sulfur dioxide plays a role, while acute exposure to ozone and PM2.5 may precipitate membrane rupture.

 

À 37 semaines d’aménorrhée (SA) ou plus, la rupture prématurée des membranes (RPM, rupture de la « poche des eaux » avant le début du travail) est considérée comme résultant d’un processus physiologique d’affaiblissement des membranes chorio-amniotiques en fin de grossesse. Elle survient dans environ 8 % des grossesses à terme, expose à des risques infectieux pour la mère et l’enfant et conduit à déclencher le travail si celui-ci ne démarre pas rapidement spontanément. En cas de RPM avant terme (RPMAT), qui peut témoigner de différents processus pathologiques, l’équipe obstétricale doit mettre en balance les risques de morbi-mortalité liés à la prématurité (qui dépendent de l’âge gestationnel) et les risques d’une prolongation de la grossesse (infection materno-fœtale, procidence du cordon et hématome rétroplacentaire). La RPMAT, qui complique environ 3 % des grossesses, est la principale cause identifiée d’accouchement prématuré.

Trois études épidémiologiques récentes suggèrent que l’exposition à la pollution atmosphérique accroît le risque de RPM. Une étude australienne montre ainsi une relation entre le niveau des particules fines (PM2,5) et le risque de RPM (quel que soit l’âge gestationnel), qui est augmenté de 3 % pour une élévation d’1 μg/m3 du niveau des PM2,5 sur la période du deuxième trimestre de la grossesse. Une autre étude, à Barcelone, rapporte une association entre l’exposition pendant toute la durée de la grossesse aux PM2,5 ainsi qu’aux oxydes d’azote (NOx) et le risque de RPMAT, qui est augmenté de respectivement 37 et 50 % par incrément d’un intervalle interquartile (IIQ) du niveau des NOx et de la réflectance des PM2,5. Même si le mécanisme physiopathologique reste à déterminer, l’association est plausible au regard des effets biologiques de la pollution atmosphérique, incluant stress oxydant, inflammation systémique, dysfonction endothéliale, apoptose cellulaire et altérations hémodynamiques.

 

Investigation aux États-Unis

Cette analyse des données de l’étude multicentrique Air Quality and Reproductive Health Study (12 États, 16 comtés) porte sur 223 375 naissances ayant eu lieu entre 2002 et 2008 (après exclusion des grossesses multiples qui augmentent à la fois le risque de RPM et de prématurité). Cette cohorte comptait 7 % de naissances après RPM, dont un tiers avant terme, à un âge gestationnel moyen de 33 semaines.

L’exposition à la pollution atmosphérique a été estimée à l’échelle régionale (secteur de l’hôpital de référence) plutôt qu’à l’adresse résidentielle, ce qui permet de capturer un certain degré de mobilité locale, mais expose à des erreurs de classement si les femmes ne sont pas restées dans la région de l’hôpital où elles devaient accoucher pendant toute leur grossesse. Les polluants considérés étaient les six criteria air pollutants dont la concentration atmosphérique est continuellement surveillée dans le cadre de la réglementation états-unienne sur la qualité de l’air : le monoxyde de carbone (CO), les NOx, l’ozone, les PM10, les PM2,5 et le dioxyde de soufre (SO2). Les auteurs se sont intéressés aux effets de l’exposition chronique (pendant toute la durée de la grossesse), mais aussi à ceux d’une exposition aiguë susceptible d’élever brusquement le niveau du stress oxydant et de l’inflammation, ce qui pourrait déclencher la rupture de membranes déjà fragilisées.

 

Influence de l’exposition chronique

Pour chaque polluant, l’effet de l’augmentation d’un IIQ du niveau de sa concentration atmosphérique a été recherché dans un modèle multi-polluants (prenant en compte les corrélations), ajusté sur l’âge maternel, l’origine ethnique, la parité, l’indice de masse corporelle de pré-grossesse, la couverture par une assurance santé, la consommation de tabac et d’alcool pendant la grossesse, la saison de conception, l’année de naissance et le site investigateur. L’effet sur le risque de RPM, quel que soit l’âge gestationnel, a été estimé par comparaison des 15 588 accouchements avec RPM au groupe de référence des accouchements qui s’étaient déroulés « normalement » (rupture des membranes en cours de travail), quel que soit l’âge gestationnel également (n = 207 787). Une analyse de sensibilité a été effectuée dans la sous-population des femmes ayant accouché à terme (n = 197 246) dans laquelle la prévalence de la RPM était de 5,3 %. Pour l’analyse de l’effet de l’exposition pendant toute la grossesse sur le risque de RPMAT (n = 5 111 cas), la période d’exposition dans le groupe témoin a été arrêtée à la 37ème SA (fin de la période à risque de RPMAT).

L’exposition chronique au CO et au SO2 apparaît associée au risque de RPM (risques relatifs [RR] respectifs égaux à 1,09 [IC95 : 1,04-1,14] et 1,15 [1,06-1,25]), mais pas au risque de RPMAT. Les analyses ne retrouvent pas d’effets des NOx ni des PM2,5 sur le risque de RPM en général ou de RPMAT en particulier, mais les niveaux de ces polluants étaient très inférieurs à ceux de l’étude espagnole, par ailleurs comparable (analyse de cohorte rétrospective). Les valeurs médianes étaient ainsi de 28,9 μg/m3 pour les NOx dans la présente étude (IIQ : 24,2 μg/m3) contre 102,6 μg/m3 (IIQ : 39,5 μg/m3) à Barcelone, et de 11,9 (4,7) μg/m3versus 19,8 (4,1) μg/m3 pour les PM2,5.

 

Effets de l’exposition aiguë

L’hypothèse d’un rôle déclenchant de l’exposition à un pic de pollution a été testée à partir des données de concentration des différents polluants, heure par heure, au cours de la semaine précédant l’admission à la maternité. L’augmentation d’un IIQ de la concentration d’ozone la veille de l’admission (moyenne des 24 heures précédant le jour de l’admission), ainsi que le jour même, augmentent le risque de RPM : RR respectifs égaux à 1,04 (1,06-1,25) et 1,06 (1,04-1,14). L’analyse sur la période des cinq dernières heures avant l’admission (dans un sous-échantillon de 171 782 naissances avec données disponibles) confirme l’effet de la concentration d’ozone et met en évidence celui du niveau des PM2,5 (3 à 4 % d’augmentation du risque de RPM par incrément d’un IIQ), qui était sans influence dans l’analyse sur toute la durée de la grossesse. Ces résultats incitent à poursuivre l’exploration du rôle de l’exposition aux polluants atmosphériques, en examinant ses effets possibles pour différentes fenêtres d’exposition.

 


Publication analysée :

* Wallace M1, Grantz K, Liu D, Zhu Y, Kim S, Mendola P. Exposure to ambient air pollution and premature rupture of membranes. Am J Epidemiol 2016; 183: 1114-21. doi: 10.1093/aje/kwv284

1 Epidemiology Branch, Division of Population Health Research, Eunice Kennedy Shriver National Institute of Child Health and Human Development, Rockville, États-Unis.