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ANALYSE D'ARTICLE

Exposition au cadmium et cancer du poumon : méta-analyse des études observationnelles

L’association entre l’exposition au cadmium et le risque de cancer du poumon n’est toujours pas claire à l’issue de ce travail de méta-analyse incluant les publications les plus récentes, dont des études de cohortes bénéficiant d’un suivi prolongé. En l’état actuel, la littérature ne permet ni de confirmer ni d’exclure la possibilité que l’exposition au cadmium augmente le risque de cancer du poumon, tant pour la population générale que pour les sujets professionnellement exposés.

The association between cadmium exposure and risk of lung cancer is still unclear according to the findings of this meta-analysis of the most recent publications, including cohort studies with a long follow-up. The current literature neither confirms nor rules out the possibility that cadmium exposure increases the risk of lung cancer, either in the general population or occupationally exposed workers.

L’utilisation industrielle massive du cadmium (en métallurgie, pour la production d’accumulateurs, d’engrais phosphatés, etc.) et son émission notamment au cours de la combustion des carburants fossiles et de l’incinération des déchets, ont fait de ce métal lourd un polluant ubiquitaire de l’environnement. L’inhalation de fumées et poussières est considérée comme la principale voie de contamination en milieu professionnel, tandis que le tabagisme et la consommation d’aliments contaminés sont les sources d’exposition majoritaires pour la population générale.

Le cadmium a été classé dans le groupe 1 des agents cancérogènes certains pour l’homme par le Centre international de recherche sur le cancer (Circ) en 1993, principalement sur la base d’une étude américaine montrant un excès de risque de cancer bronchopulmonaire chez des ouvriers de fonderies. Les résultats des études en milieu professionnel sont toutefois discordants, et la responsabilité de l’exposition environnementale, à des niveaux plus faibles, dans le cancer du poumon en population générale, demeure incertaine.

Deux revues systématiques de la littérature épidémiologique ont été publiées, l’une en 2003, relative aux cancers du poumon et de la prostate, l’autre en 2007 concernant plus largement les éléments traces métalliques et les cancers du poumon, du sein, du tube digestif, de la prostate et de la vessie. Elles suggèrent tout au plus la possibilité d’une association entre l’exposition au cadmium et le cancer du poumon.

Toutes les études incluses dans ces deux publications sauf une, ont été mises à jour depuis, ce qui appelait une actualisation des connaissances. Cette nouvelle revue de la littérature publiée jusqu’en avril 2015 a été effectuée dans l’objectif de fournir une estimation quantitative du risque de cancer du poumon associé à l’exposition au cadmium, pour la population générale comme celle professionnellement exposée.

 

 

Études considérées

Onze études observationnelles présentant les critères requis ont été extraites d’une recherche dans PubMed, limitée aux articles en langue anglaise, effectuée indépendamment par deux reviewers. Cette sélection comportait trois études de cohortes prospectives en population générale (deux états-uniennes, une japonaise) réunissant une population totale de 22 551 sujets des deux sexes, suivis en moyenne pendant 15 ans, avec 354 cas de décès par cancer du poumon. L’exposition au cadmium avait été estimée par la mesure des concentrations urinaires, qui avaient été réparties par tertiles ou quartiles pour des analyses catégorielles après ajustement minimal sur l’âge et le tabagisme dans toutes les études. Les autres covariables prises en compte étaient l’indice de masse corporelle (deux études), le sexe (une étude), le niveau d’éducation et l’origine ethnique (une étude).

La littérature à propos des sujets professionnellement exposés incluait cinq études dans des cohortes de travailleurs masculins uniquement (quatre britanniques et une suédoise), rassemblant 4 205 participants et 180 cas de décès par cancer du poumon. L’exposition individuelle au cadmium avait été rétrospectivement évaluée (sur une période cumulée de 31 ans en moyenne) à partir de l’historique des postes occupés et de mesures dans l’air ambiant, en utilisant des matrices emploi-exposition. Les co-expositions étaient rarement prises en compte (tabagisme dans une étude, exposition à l’arsenic dans une autre). Le risque de cancer du poumon associé à l’exposition professionnelle passée au cadmium était également rapporté dans trois études cas-témoins (en France et au Canada [populations masculines] et dans sept pays d’Europe [population mixte]) qui réunissaient au total 4 740 cas incidents de cancers du poumon et 6 268 témoins. Les analyses avaient tenu compte de diverses co-expositions professionnelles possibles : amiante dans les trois études, silice et nickel en supplément dans deux études, dont l’une avait également ajusté sur l’exposition au benzo[a]pyrène et au plomb, et l’autre sur l’exposition au chrome, à l’arsenic, aux poussières de bois et aux fumées de soudage.

Méta-analyses

Les méta-analyses ont été réalisées avec des modèles à effets aléatoires. Celle des études en population générale aboutit à un risque relatif (RR) combiné (catégorie d’exposition la plus élevée versus la plus faible) suggérant une association positive entre l’exposition au cadmium et la mortalité par cancer du poumon : RR = 1,42 (IC95 : 0,91-2,23). L’hétérogénéité est très importante (I2 = 88,9 %), mais l’exclusion des études chacune à son tour n’affecte pas le résultat. Par ailleurs, le test d’Egger n’indique pas de biais de publication.

Concernant l’exposition professionnelle, le résultat de la méta-analyse des cinq études de cohortes rétrospectives est un RR (comparant également le groupe le plus exposé au moins exposé) égal à 0,68 (IC95 : 0,33-1,41). Une relation dose-réponse n’est pas observée (RR par augmentation d’un mg/m3-année du niveau d’exposition égal à 0,99 [0,78-1,26]). L’hétérogénéité n’est pas significative (analyse catégorielle : I2 = 15,8 % ; analyse linéaire : I2 = 22,8 %), l’analyse de sensibilité (exclusion des études une par une) indique que les résultats sont robustes, et le test d’Egger est négatif. Enfin, la méta-analyse des études cas-témoins donne un odds ratio (OR) égal à 1,61 (IC95 : 0,94-2,75) par comparaison du niveau d’exposition le plus élevé au plus faible, et égal à 1,21 (1,01-1,46) par comparaison exposés versus non exposés (ever/never), ce qui constitue le seul résultat statistiquement significatif de ce travail. L’hétérogénéité n’est pas significative (respectivement : I2 = 46,5 % et 0 %) et le test d’Egger ne montre pas d’asymétrie évoquant un biais de publication.

Si l’ensemble ne fournit pas de preuve solide d’un effet de l’exposition au cadmium sur le risque de cancer du poumon, la possibilité que l’exposition augmente le risque ne peut pas être exclue, ni pour la population générale, ni pour les sujets professionnellement exposés, au regard des résultats obtenus, des faiblesses des études incluses, et des limites de leurs méta-analyses.

 


Publication analysée :

* Chen C1, Xun P, Nishijo M, He K. Cadmium exposure and risk of lung cancer: a meta-analysis of cohort and case-control studies among general and occupational populations. J Exp Sci Environ Epidemiol 2016; 26: 437-44.doi: 10.1038/jes.2016.6

1 Department of Epidemiology and Biostatistics, School of Public Health, Bloomington Indiana University, Bloomington, États-Unis.