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ANALYSE D'ARTICLE

Événements climatiques extrêmes et campylobactérioses dans l’État du Maryland

Comblant un manque de connaissance en la matière, cette étude dans le Maryland (États-Unis) fournit une première estimation de l’impact des jours de chaleur et de précipitations extrêmes sur le risque d’infections à Campylobacter. Deux facteurs propres à la zone étudiée font varier ce risque, ce qui illustre la nécessité de prendre en compte tous les éléments liés au contexte local pour protéger efficacement la santé des populations.

Filling in gaps in our knowledge of the subject, this Maryland (USA) study provides a first estimation of the impact of extreme heat and precipitation events on the risk of Campylobacter infections. Two factors specific to this area affect this risk and illustrate the need to consider all the elements linked to the local context to effectively protect people's health.

Les bactéries du genre Campylobacter (principalement C. jejuni) sont à l’origine d’environ 1 million de cas de gastroentérites aiguës chaque année aux États-Unis. Généralement bénignes, ces infections intestinales peuvent prendre une forme sévère chez des individus fragilisés, ou entraîner exceptionnellement des complications post-infectieuses de type syndrome inflammatoire ou de Guillain-Barré. Les Campylobacter étant des bactéries zoonotiques, la consommation de produits animaux (volailles insuffisamment cuites et lait cru surtout) représente le principal mode de transmission à l’homme, avec la consommation d’une eau contaminée. La transmission peut aussi survenir par contact direct avec des personnes malades, des animaux de compagnie ou d’élevage porteurs de la bactérie (ainsi que leurs excréments et carcasses), ou par contact avec une eau souillée (activité professionnelle ou récréative).

Des études dans différents pays ont mis en évidence la saisonnalité des infections à Campylobacter et les effets (favorisants ou protecteurs selon le cas) des variations régionales de la température, de la pluviométrie et de l’humidité relative. Concernant les phénomènes climatiques extrêmes, dont la fréquence, l’intensité et la durée sont amenées à augmenter avec le changement climatique, les connaissances sont maigres. Leur influence sur l’incidence des maladies diarrhéiques en général est documentée, mais peu de travaux se sont penchés sur le risque de campylobactériose en particulier.

Première étude aux États-Unis

Avec 24 comtés, une superficie égale à 32 133 km2 et une population de 5,9 millions d’habitants, le Maryland est l’un des États les plus petits et les plus densément peuplés des États-Unis. La baie de Chesapeake le divise en deux parties : sur sa rive orientale s’étend une plaine alluviale sous l’influence climatique de l’océan Atlantique, tandis que les terres de la rive occidentale s’élèvent graduellement vers le nord-est jusqu’à la chaîne des Appalaches. La majorité de la population réside dans les 17 comtés bordant la baie de Chesapeake, formant une région côtière vulnérable aux inondations, qui devra faire face à la multiplication des épisodes de fortes précipitations et à la montée du niveau des eaux océaniques.

Le Maryland est doté d’un réseau de surveillance des maladies infectieuses d’origine alimentaire qui recense les cas d’infections à dix pathogènes incluant Campylobacter (cas confirmés par la mise en culture d’échantillons de selles ou de sang). Entre 2002 et 2012, 4 804 cas de campylobactérioses ont été rapportés, principalement chez des habitants de la région côtière (61 %) et lors de la saison estivale (41 %). Ils concernaient majoritairement des adultes âgés de 18 à 64 ans (66 %) et des hommes (54 %), sans différence entre les zones côtière et non-côtière.

 

Durant la même période, les deux zones avaient connu un nombre équivalent de jours de précipitations extrêmes (respectivement 39 et 40 jours par an en moyenne), tandis que les jours de canicule avaient été plus nombreux dans la région côtière (en moyenne 23 jours par an contre 19 dans le reste de l’État). Ces deux anomalies climatiques étaient définies par des valeurs dépassant le 90e percentile pour la quantité des précipitations et le 95e percentile pour la température maximale. Pour l’ensemble du Maryland, les années 2002 et 2003 avaient compté le plus grand nombre de jours de chaleur et de précipitations extrêmes respectivement, et ces évènements avaient été les plus rares en 2009 (canicules) et 2007 (précipitations).

Influence sur les infections à Campylobacter

L’association entre l’exposition aux événements climatiques extrêmes et le risque de campylobactériose dans chacune des deux zones a été examinée avec un modèle de régression ajusté sur la saison et quatre variables sociodémographiques : le taux de pauvreté, et la proportion d’hommes, de blancs et d’enfants de moins de cinq ans dans la population.

Les analyses ne montrent pas d’influence des températures extrêmes, mais indiquent un effet des pluies intenses uniquement dans la région côtière : pour une augmentation du niveau d’exposition d’un jour, l’incidence des campylobactérioses augmente de 3 % (incidence rate ratio [IRR] = 1,03 [IC95 : 1,01-1,05]). Dans la région non-côtière, l’association n’est pas significative : IRR = 1,01 (0,98-1,05).

Analyses stratifiées selon le phénomène El Niño

Le climat du Maryland, et en particulier le régime des précipitations, est fortement affecté par le phénomène océanique El Niño Southern Oscillation (ENSO), caractérisé par des phases de réchauffement des eaux de surface (El Niño), des phases inverses de refroidissement (La Niña), et des phases neutres. Sur les 132 mois calendaires de la décennie d’observation, 34 ont été classés en période El Niño, 29 en période La Niña, et 69 en période neutre. Les analyses pour l’ensemble de l’État stratifiées selon les phases d’ENSO montrent que l’influence des précipitations extrêmes sur le risque de campylobactériose est plus importante en période La Niña (IRR = 1,09 [1,05-1,13]) qu’en période neutre (IRR = 1,02 [1-1,05]) et inexistante pendant El Niño. En période de refroidissement océanique uniquement, le risque de campylobactériose est également associé à l’exposition aux jours de canicule (IRR = 1,04 [1,01-1,08]). Ces résultats indiquent que la dynamique des infections à Campylobacter n’est pas seulement influencée par les événements climatiques extrêmes qui s’abattent localement, mais aussi par des phénomènes à large échelle comme ENSO, qui produit des effets hétérogènes d’une région à l’autre du territoire états-unien. Cette donnée doit être prise en compte dans les plans d’adaptation aux effets du changement climatique.

Dans le cas particulier du Maryland, certains éléments peuvent expliquer que le risque de campylobactériose associé aux précipitations soit plus élevé dans les régions côtières. De gros élevages, notamment de volailles, y sont présents, et l’épandage de leurs effluents sur les terres agricoles est couramment pratiqué. En cas de fortes pluies, ces effluents emportés par le ruissellement peuvent contaminer les masses d’eau. Une partie importante de la population s’approvisionne en eau de puits, et la proximité des côtes facilite les activités aquatiques. Ces résultats obtenus dans une région géographique limitée demandent toutefois à être confirmés par des études appuyées sur les données de plusieurs États, dans lesquelles les épisodes climatiques extrêmes seraient caractérisés en termes d’intensité et de durée.

Commentaire

Les infections intestinales à Campylobacter sont des zoonoses bactériennes dont le cycle de transmission fécal-oral peut transiter par l’eau. Cette étude part de l’observation de variations saisonnières de prévalence des campylobactérioses humaines dans l’État très densément peuplé du Maryland autour de l’estuaire de la Chesapeake Bay. L’analyse statistique écarte une explication par des variables sociodémographiques de la population mais permet de relier la série chronologique des cas à celle des événements climatiques extrêmes locaux (fortes précipitations et canicule), puis à celle des événements climatiques cycliques de grande échelle comme El Niño Southern Oscillation (ENSO). Elle indique un effet positif des précipitations intenses dans la zone côtière où de gros élevages, notamment de volailles, sont présents. Elle montre aussi que l’influence locale des précipitations extrêmes sur le risque de campylobactériose dépend de phénomènes climatiques de plus grande échelle : elle est plus importante dans les phases de refroidissement des eaux de surface (période La Niña). Pour les auteurs, ces résultats obtenus sur l’exemple des campylobactérioses montrent que les conséquences du changement climatique sur la dynamique des maladies infectieuses hydriques peuvent être différentes d’une région à l’autre, et que ce type d’étude épidémiologique peut aider à prendre les mesures d’adaptation les plus appropriées au contexte local.

Mais ils n’insistent pas sur l’hypothèse explicative microbiologique de leurs liaisons statistiques, pourtant évidente : les événements climatiques extrêmes, notamment les inondations, ont des conséquences sur le rejet, la survie et la circulation dans l’environnement de Campylobacter jejuni, puis sur les caractéristiques spatiales et temporelles de l’intensité et de la fréquence des expositions humaines. Concrètement, dans le cas présent, les effluents d’élevage épandus sur les terres agricoles sont emportés par le ruissellement en cas de fortes pluies et peuvent contaminer les masses d’eau. Une part importante de la population utilise de l’eau provenant de puits, souvent mal protégée des ruissellements et rarement traitée, et la proximité des côtes facilite les activités humaines aquatiques.

Or les données d’écologie microbienne locales à l’appui de cette hypothèse n’existent pas. Ces données permettraient aux ingénieurs de l’environnement de proposer des solutions techniques (par exemple des pratiques d’épandage asservies à la météorologie, ou l’hygiénisation des effluents d’élevage avant épandage, ou l’amélioration du rendement épuratoire microbien des installations de traitement des eaux résiduaires urbaines) en vue d’obtenir ou de tendre vers la rupture du cycle de circulation hydrique par la réduction des rejets au milieu aquatique. Une collaboration étroite entre épidémiologistes, microbiologistes et ingénieurs ferait émerger des propositions de mesures d’investissement collectif ou individuel en vue d’une adaptation locale efficace aux conséquences du changement climatique sur le risque de campylobactériose. Cette démarche d’hygiène publique, accessible aux pays riches pourvu qu’ils le veuillent, peut bien sûr s’étendre à l’ensemble des maladies hydriques du cycle fécal-oral qui ont encore une existence épidémiologique résiduelle mais significative en pays à haut niveau de vie, et qui attendent les événements climatiques extrêmes pour se développer.

Jean Lesne

 


Publication analysée :

* Soneja S1, Jiang C, Upperman CR, et al. Extreme precipitation events and increased risk of campylobacteriosis in Maryland, USA. Environ Res 2016; 149: 216-21 doi: 10.1016/j.envres.2016.05.021

1 Maryland Institute for Applied Environmental Health, University of Maryland School of Public Health, College Park, États-Unis.