JLE

ANALYSE D'ARTICLE

Effets de l’exposition au radon et aux UV sur la mortalité par cancer cutané en Suisse

Ce travail d’ampleur nationale suggère qu’en Suisse, l’exposition résidentielle au radon est un facteur de risque de mélanome, au même titre que l’exposition au rayonnement ultraviolet (UV). De futures études fondées sur des données d’incidence plutôt que de mortalité sont nécessaires pour mieux examiner le rôle de l’exposition au radon dans la survenue de cancers cutanés, y compris les formes rarement létales.

This nationwide study suggests that in Switzerland, residential exposure to radon is as important a risk factor for melanoma as UV exposure. Further study based on incidence data rather than mortality is needed for a better understanding of the role of radon exposure in skin cancer, including rarely fatal forms.

La Suisse occupe le troisième rang pour l’incidence du mélanome malin (20,3 cas pour 100 000 habitants en 2012) derrière l’Australie et la Nouvelle-Zélande (environ 35 cas pour 100 000). Ce taux d’incidence bien plus élevé que ceux de pays frontaliers (11,4 cas pour 100 000 en Allemagne et 10,2 en France) peut, en partie, s’expliquer par l’intensité du rayonnement ultraviolet (UV) dans les régions en altitude et par l’aisance matérielle de la population qui rend facilement accessibles les activités sportives et de loisirs en plein air, les vacances dans des pays ensoleillés et les séances de bronzage artificiel à visée esthétique.

 

 

Avec l’exposition aux UV, un second facteur de risque est à considérer : l’exposition au radon émanant des roches granitiques et métamorphiques présentes sur une vaste portion du territoire. Les rayonnements alpha émis par le radon et ses produits de désintégration constituent un sérieux problème de santé publique en Suisse, près de 10 % des cancers du poumon leur étant attribués. Si une relation de causalité avec les cancers cutanés n’est pas établie, elle est plausible au vu des doses non négligeables délivrées à la peau exposée à l’aérosol de particules (25 mSv/an pour une concentration en radon de 200 Bq/m3 selon une estimation qui chiffre à 35,8 mSv/an la dose au poumon).

Les travaux épidémiologiques sur la relation entre l’exposition environnementale au radon et le cancer de la peau sont rares. En Europe, une étude écologique dans le sud-est de l’Angleterre a montré une augmentation du risque de carcinome épidermoïde dans les zones où la radioactivité d’origine terrestre est ≥ 230 Bq/m3 (risque relatif par rapport à une valeur < 40 Bq/m3 = 1,76 [IC95 : 1,46-2,11]), l’incidence du carcinome basocellulaire et celle du mélanome malin n’étant pas affectées. Une association entre l’exposition résidentielle à long terme et le carcinome basocellulaire (augmentation de 14 % de l’incidence par incrément de 100 Bq/m3 [IC95 : 1,03-1,27]) a par ailleurs été rapportée dans une étude danoise qui ne montre pas de lien avec le carcinome épidermoïde ni avec le mélanome.

La Suisse se distingue de ces deux pays par un contraste d’exposition au radon plus marqué, du fait de la diversité des sols et formations géologiques. De même, la variation de l’altitude entraîne un fort contraste d’exposition au rayonnement UV naturel. L’impact de ces deux agents cancérogènes sur la mortalité par cancer cutané a été examiné au plan national.

Matériel et méthode

Les auteurs ont utilisé les données de la Cohorte nationale suisse (CNS), qui relie les informations issues des recensements décennaux de la population aux actes de naissances, décès et entrées ou sorties du territoire. La population éligible comprenait tous les résidents âgés d’au moins 20 ans lors du recensement de l’année 2000. En ont été exclus les sujets sans adresse fixe ou avec situation socio-économique imprécise, ramenant la population finale à 5 249 462 individus, qui ont été suivis jusqu’au 31 décembre 2008 (censure à la date d’émigration ou de décès dû à une autre cause que celle étudiée le cas échéant). Sur un nombre total de 2 989 certificats de décès mentionnant un cancer cutané (en cause principale, maladie concomitante, initiale ou consécutive), 1 900 indiquaient le mélanome comme première cause du décès, survenu à un âge moyen de 64,8 ans (± 14,5). Ces cas ont été retenus pour l’analyse principale. Des analyses secondaires ont été réalisées, considérant la totalité des certificats de décès, ceux mentionnant à quelque titre que ce soit un mélanome (n = 2 157) ou un autre type de cancer, moins létal (n = 838).

L’exposition résidentielle au radon a été estimée par un modèle prédictif national (prenant en compte la nature du terrain, le degré d’urbanisation, l’année de construction du bâtiment, le type de logement et l’étage), développé sur la base de 44 631 mesures effectuées entre 1994 et 2004. L’exposition résidentielle aux UV (dose de rayonnement pondéré par l’efficacité érythémale en Watt/m2) a été modélisée à partir des indices de rayonnement UV solaire donnés par Météo Suisse et d’un système d’information géographique (avec un pas de grille de 25 x 25 m pour l’altitude). Les deux expositions se distribuaient de manière assez différente et n’étaient pas corrélées au niveau individuel. Les valeurs moyennes étaient 8,5 W/m2 pour l’exposition aux UV (minimale : 7,1 ; maximale : 13,6) et 91,8 Bq/m3 pour le radon (5,2 à 472, 31 % de la population étant exposée à plus de 100 Bq/m3).

Les analyses statistiques ont été réalisées indépendamment pour chaque agent, avec des modèles mutuellement ajustés. Les autres covariables contrôlées étaient le statut marital, le niveau d’études, la position socio-économique (à l’échelle du quartier), la langue maternelle et l’exposition aux UV liée à une activité professionnelle à l’extérieur (variable binaire obtenue par application d’une matrice emploi-exposition).

Influence équivalente des deux agents

Les résultats sont exprimés sous forme de hazard ratio (HR) pour une augmentation d’1 W/m2 du niveau d’exposition aux UV et de 100 Bq/m3 de la concentration en radon. Les effets estimés sur la mortalité par mélanome à l’âge de 60 ans sont significatifs pour les deux agents : HR égal à 1,11 (1,01-1,23) pour les UV et à 1,16 (1,04-1,29) pour le radon. À titre de comparaison, les auteurs ont estimé l’effet d’une augmentation d’un intervalle interquartile (IIQ) de l’exposition (0,7 W/m2 et 47,8 Bq/m3) : les résultats indiquent une influence équivalente de l’exposition aux UV (HR = 1,08 [1,01-1,15]) et au radon (HR = 1,07 [1,02-1,13]).

La stratification selon l’exposition professionnelle aux UV montre que l’impact de l’exposition résidentielle à ces rayonnements est plus important dans le groupe professionnellement exposé, ne représentant que 4,6 % des sujets : HR = 1,94 (1,17-3,23) versus 1,09 (0,99-1,21) pour la population travaillant à l’intérieur, seule sensible à l’exposition résidentielle au radon (HR = 1,17 [1,05-1,31] versus 0,95 pour la population travaillant à l’extérieur). La stratification selon l’âge et le sexe montre que l’effet du radon sur la mortalité liée au mélanome diminue avec l’âge (HR = 1,41 [1,09-1,80] à 30 ans et 1,05 [0,94-1,18] à 75 ans), une tendance légèrement plus marquée chez les hommes que chez les femmes, compatible avec la notion d’une diminution progressive de la sensibilité aux rayonnements ionisants.

L’effet du radon dans les analyses secondaires est comparable à celui mis en évidence dans l’analyse principale.

L’interprétation de ces résultats nécessite de tenir compte des limites de l’étude, en particulier des erreurs de classement quant à l’exposition. Les auteurs postulent que la seule prise en compte de l’exposition résidentielle a plus affecté l’analyse de l’effet des UV (probablement sous-estimé par la négligence des facteurs comportementaux) que celle de l’effet du radon. La référence à l’adresse au moment du recensement rend l’estimation de l’exposition à long terme incertaine. Une analyse de sensibilité restreinte à la population stable (même adresse lors des recensements de 1990 et 2000) retrouve l’effet de l’exposition au radon sur la mortalité par mélanome à l’âge de 60 ans (HR pour une augmentation de 100 Bq/m3 = 1,20 [1,05-1,38]), ce qui engage à poursuivre les explorations.

 


Publication analysée :

* Vienneau D1, de Hoogh K, Hauri D, et al. Effects of radon and UV exposure on skin cancer mortality in Switzerland. Environ Health Perspect 2017; 125: 067009. doi: 10.1289/EHP825

1 Department of Epidemiology and Public Health, Swiss Tropical and Public Health Institute, Bâle, Suisse.