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ANALYSE D'ARTICLE

Consommation de poisson, mercure plasmatique et issues de grossesse dans une cohorte britannique

Compromis entre la nécessité de protéger le fœtus contre l’exposition au mercure et celle d’assurer un bon apport en nutriments essentiels à son développement, les recommandations concernant la consommation de poisson pendant la grossesse sont complexes. Les résultats de cette étude assoient néanmoins leur pertinence et doivent inciter les femmes enceintes à ne pas supprimer totalement le poisson de leur alimentation.

Balancing the need to protect the fœtus from mercury exposure and that of ensuring that it gets the nutrients essential to its development, guidelines on fish consumption during pregnancy are complex. The results of this study confirm their relevance and encourage pregnant women not to exclude fish entirely from their diet.

Considérant la contamination des poissons par le méthylmercure et sa toxicité pour le fœtus (en particulier pour son développement neurologique), les agences sanitaires de plusieurs pays ont émis des recommandations de consommation alimentaire à l’intention des femmes enceintes. Ces recommandations varient pour s’adapter aux habitudes du pays (espèces de poissons couramment consommées par la population et fréquence habituelle), tiennent compte des niveaux de contamination potentiels de chaque espèce, et également des bénéfices nutritionnels liés à la consommation de poisson (apport protéique, en acides gras essentiels dont oméga 3, en vitamine D, iode, sélénium et autres oligo-éléments). Le résultat est un message complexe, comportant à la fois des conseils d’éviction pour certaines espèces, de limitation pour d’autres, et d’apport minimal pour pourvoir aux besoins de la grossesse. Au Royaume-Uni où cette étude a été conduite, les recommandations en direction des femmes enceintes, allaitantes et planifiant une grossesse, incluent l’éviction de trois espèces prédatrices (susceptibles d’être fortement contaminées par bioaccumulation), la limitation du thon frais et en boîte, et l’encouragement à consommer au moins deux portions de poisson chaque semaine, dont une de poisson gras (à la fois plus contaminé que le poisson maigre et plus riche en acides gras polyinsaturés à longue chaîne). Les conseils visant à prévenir l’exposition à d’autres contaminants que le mercure (polychlorobiphényles, dioxine) rajoutent à la confusion, ce qui peut amener les femmes à réduire globalement leur consommation de poisson, voire à l’exclure totalement de leur alimentation, avec des conséquences potentiellement néfastes pour le développement du fœtus.

Peu d’études ont examiné l’effet d’une faible exposition prénatale au mercure sur des indicateurs du développement tels que le poids et la taille du nouveau-né, son périmètre crânien ou son âge gestationnel à la naissance. Les quelques travaux existants ne retrouvent pas d’association pour des niveaux de mercure dans le sang maternel ou du cordon inférieurs au seuil de préoccupation établi aux États-Unis pour les femmes enceintes (5,8 μg/L), et les résultats pour des valeurs supérieures mais restant modérées sont généralement négatifs. La consommation maternelle de poisson est rapportée dans six études, mais cette information est peu détaillée (méthode de collecte des données, type de poisson consommé) et seules trois études (obtenant des résultats contradictoires) l’ont utilisée comme variable d’ajustement ou pour des analyses stratifiées.

Investigation dans une vaste cohorte de naissances

L’échantillon de population utilisé pour cette analyse (4 044 nouveau-nés issus d’une grossesse monofœtale) provenait de l’Avon Longitudinal Study of Parents and Children (ALSPAC) qui a inclus plus de 14 000 femmes enceintes avec une date d’accouchement prévue entre avril 1991 et décembre 1992. Les prélèvements sanguins avaient été effectués aussi tôt que possible (durant la première moitié de la grossesse), et les femmes avaient rempli quatre questionnaires au cours du suivi, dont un de fréquence alimentaire (administré à 32 semaines d’aménorrhée [SA]) pour 103 types de boissons et d’aliments, incluant différentes espèces de poissons gras et maigres, ce qui a permis de réaliser des analyses par sous-groupes.

Parmi les autres données collectées, l’âge de la mère, sa taille, son indice de masse corporelle de pré-grossesse, sa consommation de tabac et d’alcool durant la grossesse, le niveau d’études atteint et la parité ont été utilisés pour ajuster les modèles, avec le sexe de l’enfant et son âge gestationnel à la naissance. Les critères sanitaires considérés étaient les mensurations du nouveau-né (périmètre crânien, longueur crânio-caudale, poids), la prématurité (naissance avant 37 SA), ainsi que le petit poids de naissance (< 2 500 g) pour des analyses dans la population totale et restreinte aux naissances à terme.

Consommation de poisson et taux de mercure

L’étude montre une relation entre le taux de mercure plasmatique maternel et la fréquence de consommation de poisson, avec une différence particulièrement marquée entre les non-consommatrices (ayant répondu « jamais » ou « rarement » au questionnaire de fréquence) et le premier niveau de consommation (« environ une fois en deux semaines »). La concentration moyenne de mercure est ainsi de 1,63 μg/L chez les non-consommatrices de poisson maigre (18,6 % des répondantes), contre 2,09 μg/L chez les consommatrices occasionnelles (40,3 %), puis 2,35 μg/L chez les femmes déclarant consommer du poisson 1 à 3 fois par semaine (39,7 %), et 2,34 μg/L dans le petit groupe des fortes consommatrices (4 à 7 fois par semaine : n = 49). Les résultats correspondants pour le poisson gras sont : 1,75 μg/L (non-consommatrices représentant 42,7 % des répondantes), puis 2,28 μg/L, 2,52 et enfin 2,38 μg/L. En moyenne, les consommatrices de poisson (toutes catégories de fréquence réunies) présentent un taux de mercure plasmatique supérieur de 32,9 % à celui des femmes n’en consommant pas (2,21 ± 1,08 μg/L versus 1,52 ± 0,96 g/L).

Effet sur les critères sanitaires

Dans le modèle avec ajustement complet, le niveau du mercure dans le sang maternel n’apparaît pas associé aux mensurations du nouveau-né ni aux risques de naissance prématurée ou de faible poids. Après stratification selon la consommation de poisson (toutes espèces confondues), l’analyse de régression linéaire fait émerger une association négative entre le mercure plasmatique et le poids de naissance chez les non-consommatrices uniquement (coefficient de régression β [g] = -58,4 [IC95 : -113,81 à -2,97] ; p = 0,039), ce qui suggère un effet protecteur de la consommation de poisson. Une stratification supplémentaire ne montre pas d’effet délétère de la consommation de poisson gras sur les mensurations du nouveau-né (en particulier, pour l’association entre le mercure plasmatique et le poids de naissance : β = 0,18 [-17,87 à + 22,11] chez les consommatrices et β = -25,58 [-54,6 à + 3,45] chez les femmes déclarant ne pas manger de poisson gras).

Ces résultats indiquent qu’il faut encourager les femmes enceintes à suivre les recommandations qui leur sont destinées.


Publication analysée :

* Taylor CM1, Golding J, Emond AM. Blood mercury levels and fish consumption in pregnancy: risks and benefits for birth outcomes in a prospective observational birth cohort. Int J Hyg Environ Health 2016 ; 219 : 513-20. doi: 10.1016/j.ijheh.2016.05.004

1 Centre for Child and Adolescent Health, School of Social and Community Medicine, University of Bristol, Royaume-Uni.