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ANALYSE D'ARTICLE

Chaleur et arrêts de grossesse en Californie

Suggérant une relation entre l’augmentation de la température ambiante en saison chaude et le risque de mort fœtale in utero, cette étude s’ajoute à une littérature croissante amenant à considérer la vulnérabilité des femmes enceintes et des fœtus à la chaleur.

This study, which suggests an association between increased ambient temperature in the summer season and the risk of fœtal death in utero, adds to the growing body of literature examining the vulnerability of pregnant women and fetuses to heat.

Les effets de la température extérieure sur les issues de grossesse sont étudiés depuis peu, la recherche étant principalement axée sur les risques de faible poids de naissance et de prématurité. Seuls deux travaux réalisés, l’un en Australie, l’autre en Suède, ont examiné la relation entre l’exposition, respectivement à la chaleur et au froid, et la mort fœtale in utero (MFIU).

Cet événement, qui reste souvent inexpliqué après avoir écarté les causes connues (malformation fœtale, infection, hypertension artérielle gravidique, décollement placentaire, etc.), ne fait pas l’objet d’une définition internationale consensuelle. En Californie où cette étude a été conduite, le terme de stillbirth correspond juridiquement à l’arrêt d’une grossesse d’au moins 20 semaines d’aménorrhée (SA), l’activité cardiaque du fœtus ayant cessé avant son expulsion complète ou son extraction de l’utérus maternel. Un certificat de mort fœtale est établi, mentionnant en particulier le sexe et l’âge gestationnel de l’enfant mort-né, l’âge de la mère, son niveau d’études et son appartenance ethnique, informations qui ont été utilisées pour des analyses stratifiées. Marquée par une forte diversité territoriale et la mixité de sa population, la Californie qui compte 16 zones climatiques et un vaste réseau de stations de mesures météorologiques et des polluants de l’air, constitue une zone géographique intéressante pour une première étude de la relation entre l’exposition à la chaleur et le risque de MFIU sur le territoire des États-Unis.

Présentation de l’étude

Partant des 26 355 cas enregistrés entre le 1er janvier 1999 et le 31 décembre 2009 (données fournies par le service californien de santé publique), les auteurs ont sélectionné les 8 542 arrêts de grossesse survenus en saison chaude (de mai à octobre) chez des femmes habitant à moins de 10 km d’une station météorologique. Cette sélection (d’après le code postal du lieu de résidence figurant sur le certificat) a limité les erreurs de classement quant à l’exposition, mais réduit la puissance statistique des analyses en sous-groupes. Par ailleurs, l’étude présente la faiblesse commune d’une évaluation de l’exposition fondée uniquement sur l’adresse résidentielle, les informations nécessaires à une estimation plus précise (adresse professionnelle, budget espace-temps) n’étant pas disponibles. De même, en l’absence de renseignements d’ordre médical sur le certificat de mort fœtale, les cas de pathologies obstétricales expliquant l’arrêt de la grossesse n’ont pu être exclus.Les données météorologiques utilisées pour établir la température apparente journalière moyenne (combinant température et humidité) durant la période d’observation (mois de mai à octobre des années 1999 à 2009) ont été obtenues auprès de trois sources : le California Irrigation Management Information System (CIMIS), l’Agence de protection de l’environnement et le National Climatic Data Center (NCDC). Les auteurs ont également utilisé les données de pollution atmosphérique de l’Agence californienne chargée de surveiller la qualité de l’air (California Air Resources Board [CARB], département de l’Environmental Protection Agency), afin d’évaluer l’effet modificateur potentiel de la concentration atmosphérique de quatre polluants réglementés (le monoxyde de carbone [CO], le dioxyde d’azote [NO2], l’ozone [O3] et le dioxyde de soufre [SO2]) dans des analyses séparées. Les PM2,5 n’ont pas pu être prises en compte, leur mesure n’étant pas quotidienne mais tous les trois ou six jours selon le lieu, ce qui constitue une autre limite de l’étude.

Les analyses ont été effectuées selon une méthode cas-croisée, bien adaptée à l’étude de l’effet d’une exposition ponctuelle sur le risque de survenue d’un événement aigu. Cette méthode présente également l’intérêt du contrôle des facteurs de confusion individuels, chaque cas étant son propre témoin (l’exposition du sujet au cours des jours précédant l’événement sanitaire [période cas] est comparée à son exposition au cours d’une période témoin). Tenant compte du délai possible entre la mort du fœtus et son expulsion, et conformément à une précédente étude sur l’effet de la pollution atmosphérique, les auteurs ont retenu pour période cas les deux à six jours précédant la date du certificat et considéré la température moyenne au cours de cette période de cinq jours. Pour renforcer la puissance de l’analyse et contrôler les facteurs de confusion temporels (jour de la semaine, saisonnalité, tendance à long terme), chaque période cas avait plusieurs périodes témoins, sélectionnées selon un schéma time-stratified dans le mois de l’événement (tous les septièmes jours encadrant sa date, soit trois ou quatre périodes témoins éloignées d’au moins sept jours et d’au plus 28 jours de l’événement).

Mise en évidence d’un effet de la chaleur

Les auteurs ont d’abord procédé à des analyses individuelles pour chaque zone climatique, puis à une analyse combinée dans une population totale de 8 510 cas après exclusion de deux zones avec un nombre de MFIU inférieur à 50. La température apparente moyenne en période cas allait de 14,4 ̊C dans la zone la plus fraîche (valeurs au 5e et 95e percentiles respectivement égales à 11,3 et 17,5 ̊C) à 29,7 ̊C (19,7-39,2 ̊C) dans la zone la plus chaude. Son augmentation de 5,6 ̊C (correspondant à 10 ̊F) est associée à une augmentation de 10,4 % du risque de MFIU (IC95 : 4,4-16,8), cette relation apparaissant indépendante du niveau des polluants atmosphériques.

Les analyses stratifiées indiquent que l’effet de l’exposition à la chaleur est plus important chez les femmes enceintes les plus jeunes et celles ayant un faible niveau d’études. L’excès de risque associé à une augmentation de 5,6 ̊C de la température apparente en période cas est ainsi de 11,8 % (IC95 : 1,5-23,2) chez les femmes de moins de 25 ans versus 10,1 % (0,8-20,2) dans le groupe d’âge 25-34 ans et 4,9 % (-8,8-20,6) à partir de 35 ans. L’estimation pour les femmes scolarisées jusqu’au lycée ou moins est une augmentation du risque de 10,6 % (2,9-18,8), contre 7,4 % (-4,9-21,4) pour les femmes ayant un niveau universitaire. Le jeune âge et le faible niveau d’études peuvent indiquer un statut socio-économique défavorisé, mais l’interprétation doit être prudente (l’absence d’effet significatif de l’exposition à la chaleur dans le groupe le plus âgé peut ainsi être due au poids relativement plus important de facteurs de risque obstétricaux), et d’autres critères nécessitent d’être pris en compte (assurance santé et accès à l’air conditionné notamment) pour examiner la vulnérabilité sociale. Deux autres facteurs modifient l’association : le sexe du fœtus (excès de risque estimé à 13,3 % [4,8-22,4] pour les garçons et 9,8 % [-1,9-22,9] pour les filles) et l’appartenance ethnique, l’effet étant particulièrement faible chez les femmes d’origine asiatique (4,8 % [-16,5-31,5]) alors qu’il est assez homogène (de 9,4 à 10,8 %) dans les trois autres groupes, avec un résultat significatif (10,5 % [2,1-19,5]) pour les latino-américaines. Une analyse complémentaire selon l’âge gestationnel retrouve un effet significatif de l’élévation de la température sur les MFIU survenant entre 20 et 25 SA, ainsi qu’entre 31 et 33 SA, mais les cinq catégories d’âge gestationnel incluaient de faibles effectifs.

Les auteurs appellent à poursuivre l’exploration du lien entre l’exposition à la chaleur et les arrêts de grossesse par des études en d’autres lieux et dans diverses populations.


Publication analysée :

* Basu R1, Sarovar V, Malig BJ. Association between high ambient temperature and risk of stillbirth in California. Am J Epidemiol 2016 ; 183: 894-901.doi: 10.1093/aje/kwv295

1 Air and Climate Epidemiology Section, Office of Environmental Health Hazard Assessment, California Environmental Protection Agency, Oakland, États-Unis.