8 juin 2020 - Vitamine C, une approche thérapeutique efficace dans la pathologie Covid-19
Correspondance : Daniel Letonturier
Service de médecine gériatrique aiguë (unité Covid), hôpital gériatrique de l’Isle-Adam Parmain, France
Mots clés : vitamine C, Covid-19, réponse inflammatoire, réponse immunitaire, syndrome de détresse respiratoire aigu (Sars), cytokines, immunonutrition, acide L-ascorbique
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La récente pandémie de Covid-19 a eu de très lourdes répercussions partout dans le monde, et a exigé la mise en place urgente de traitements d’épreuve pour de nombreux de patients. L’absence de vaccin et de thérapeutiques antivirales à l’efficacité prouvée a déterminé la diffusion inexorable du virus dans les populations du monde entier [1]. Certains produits, développés dans le cadre d’autres pathologies, semblent cependant présenter une efficacité antivirale contre le Sars-CoV-2, mais des études scientifiques à grande échelle doivent encore en apporter la preuve, et leur usage par certaines équipes a été l’objet de vives controverses [2]. D’autres approches thérapeutiques, ne ciblant pas directement le virus, sont particulièrement intéressantes. Parmi celles-ci, un traitement intraveineux vitaminique C pourrait s’ajouter à l’arsenal thérapeutique déployé face à l’« orage cytokinique » caractéristique de la Covid-19, survenant dans la phase tardive de la maladie [2, 8]. En effet, si une réponse immunitaire bien coordonnée est primordiale contre l’infection virale [3-6], la réaction hors contrôle qui marque l’évolution de la Covid-19 est au contraire associée à son immunopathogenèse, se traduisant par une réponse inflammatoire excessive et aboutissant aux cas sévères et critiques de lésions pulmonaires induites avec défaillance multiorganique [5, 6, 8]. C’est comme si les sujets infectés ou porteurs symptomatiques devraient posséder en eux des défenses immunitaires acquises et bien efficientes pour espérer une évolution clinique non aggravée de leur infection. C’est la fonction individuelle immune initiale qui déterminerait si les symptômes précoces de l’infection peuvent devenir spontanément résolutifs ou à l’inverse s’aggraver [5]. Une mise au point récente, publiée par Mousavi et al., rappelle que la vitamine C possède une action antimicrobienne démontrée ainsi que des effets immunomodulateurs, particulièrement à des concentrations sériques élevées, et contribue ainsi à réduire le risque d’infections [6]. Cette donnée suggère que la vitamine C pourrait jouer un rôle clé dans la modulation et l’efficience des défenses immunitaires de l’individu. Quels en seraient alors les mécanismes ? Quelles en seraient les preuves formelles d’efficacité ?
Généralités sur la vitamine C
La vitamine C, ou acide L-ascorbique, est une substance organique active présente à des doses habituellement faibles dans l’organisme humain. Pour autant, à l’instar d’autres vitamines et oligoéléments, la vitamine C est indispensable au maintien de l’équilibre vital de l’organisme, tout particulièrement au niveau des métabolismes biomoléculaire et énergétique des cellules [3-7]. Chez les sujets carencés (dosage sérique < 3,5 mg/L ou < 20 µMol/L), des troubles métaboliques plus ou moins graves sont générés, qui se manifestent cliniquement par une altération de l’état général, un amaigrissement, des retards de cicatrisation des plaies – voire, rarement, un scorbut (douleurs osseuses, anémie, déchaussement périodontal, hémorragies gingivales et cachexie), lequel s’observe dans les pays peu développés ou des sous-groupes de populations victimes de malnutrition ou de misère alimentaire (réfugiés, sujets âgés, etc.) [6]. À la différence des vitamines liposolubles (A, D, E et K), qui sont stockées dans les graisses de l’organisme, la vitamine C, hydrosoluble comme celles du groupe B, s’élimine rapidement par les reins ; aussi les apports alimentaires doivent-ils en être quotidiens. Un dosage plasmatique normal se situe entre 5 et 17 mg/L (ou 28 à 100 µMol/L) avec un dosage urinaire de 17 à 52 mg par 24 h (ou 100 à 300 µMol par 24 h). Les besoins d’un homme adulte sont normalement de 100 à 200 mg/j afin d’éviter toute carence. Les sources alimentaires sont largement répandues, et représentées dans les fruits, les agrumes et légumes verts : tomates, brocolis, etc. L’acide L-ascorbique est un réducteur très puissant, et possède de ce fait un pouvoir antioxydant, lequel est au centre de son activité biochimique dans la pathogenèse de maladies telles que le diabète, l’artériosclérose, les atteintes cardiovasculaires, les maladies neurodégénératives, les cancers, etc. La forme biologiquement active de la vitamine C atténue significativement l’induction du stress oxydatif associé à ces maladies [6,8]. De nombreuses études ont démontré les bénéfices thérapeutiques de la supplémentation dans le traitement du sepsis bactérien, du choc septique ou encore des états inflammatoires aigus associés à diverses maladies d’origines systémique et cancéreuse [6, 8]. Des effets bactériostatiques ou d’inhibition bactéricide ont été observés in vitro, qui concernent Mycobacterium tuberculosis, Pseudomonas æruginosa, Staphylococcus aureus, Helicobacter pylori, Enterococcus faecalis, Escherichia coli et d’autres entérobactéries et bactéries impliquées dans les toxi-infections alimentaires, voire le S. aureus métirésistant et d’autres bactéries multirésistantes émergentes. La vitamine C posséderait en outre une activité virucide, notamment contre le virus influenza de la grippe saisonnière, et d’autres : herpès, varicelle-zona, virus d’Epstein-Barr (EBV), cytomégalovirus (CMV), virus respiratoire syncitial (VRS), poliovirus, HIV, etc. Cet effet a été mis en évidence in vitro, mais doit encore être démontré in vivo, en particulier avec de fortes doses [3, 10, 11]. Carr et al. [5, 9, 11] rapportent en outre que c’est souvent pendant le processus d’infection virale que les niveaux plasmatiques vitaminiques C sont au plus bas. On conçoit donc l’intérêt d’une supplémentation systématique rapide des sujets infectés par le Sars-CoV-2, afin d’espérer une évolution non péjorative de la pathologie Covid.
Comprendre les effets immunomodulateurs et antimicrobiens de la vitamine C
Les études menées in vitro et in vivo montrent que la vitamine C régule l’immunité en stimulant la différenciation et la prolifération des cellules des lignées B et C [4-7]. Son bénéfice est notamment perceptible dans la prévention et le traitement des infections respiratoires et systémiques. Elle protège contre les infections à coronavirus via son action sur la fonction immune [7]. De hautes doses étaient déjà recommandées, en prévention des infections à Sars-CoV2, par le Centre chinois de contrôle et prévention des maladies et la Société chinoise de nutrition. Un essai clinique de grande envergure est en cours, pour étudier les éventuels effets bénéfiques de la vitamine C chez les patients atteints de forme sévère de la pathologie Covid [11].
L’acide L-ascorbique se concentre et s’accumule dans les leucocytes, les lymphocytes et les macrophages [6]. Le chimiotactisme de ces cellules immunitaires du système inné (non spécifique à l’antigène) est rapidement amplifié, de même que l’activité phagocytaire des macrophages, des neutrophiles et des cellules natural killer (NK), avec une accélération de la prolifération lymphocytaire. Ces propriétés immunomodulatrices chez les patients atteints d’infection virale se traduisent également par un accroissement de la production des interférons α et β et une sous-régulation de la synthèse de cytokines pro-inflammatoires [3-6].
La vitamine C exerce ses effets sur les différentes lignées de cellules immunitaires :
– chez les macrophages : elle induit l’activation du facteur nucléaire κB (NF-κB) en assurant une régulation de gènes exprimés par eux (la translocation du NF-κB étant ainsi bloquée),
– elle diminue la sécrétion par les monocytes de cytokines pro-inflammatoires pouvant participer à l’emballement de la réponse inflammatoire face à l’invasion virale,
– elle protège les polynucléaires neutrophiles de leur propre oxydation, en leur permettant d’augmenter leur chimiotactisme et leur capacité de phagocytose sur les agents pathogènes,
– elle favorise la maturation de la lignée cellulaire T en lymphocytes T, sachant que la supplémentation vitaminique C amplifie leur prolifération avec inhibition des facteurs de transcription et des cytokines,
– sur la lignée B, elle renforce également l’immunité d’adaptation face à la spécificité des antigènes en assurant la survie et la prolifération des lymphocytes B pour une production augmentée d’immunoglobulines permettant l’élimination des antigènes viraux,
– elle favoriserait la cytotoxicité des cellules NL sur les cellules tumorales et les pathogènes infectieux.
Des études scientifiques, notamment des essais randomisés contrôlés, sont encore nécessaires pour établir l’efficacité clinique absolue, dans le cadre de l’evidence-based medecine, de la prévention des manifestations du syndrome de détresse respiratoire aigu (SDRA) par l’administration de fortes doses vitaminiques C, lesquelles pourraient empêcher la survenue de « tempête cytokinique » [8, 10, 11].
La pathogénie d’un grand nombre de maladies, dont celles d’ordre infectieux, implique une perturbation, permanente et évolutive, de l’équilibre entre les agents oxydants et les substances antioxydantes : la « balance redox ». Divers radicaux libres sont générés, qui ont pour effet d’altérer le fonctionnement normal des cellules, tant du point de vue de leur dynamique membranaire que de leur réticulum endoplasmique, de leur matériel génomique intranucléaire, etc. Dans l’infection virale à tropisme respiratoire, c’est ce stress oxydatif qui induit l’inflammation intrapulmonaire et la réponse immunitaire altérée qui conduit aux lésions tissulaires de la pneumonie Covid puis au Sars proprement dit. Puissant antioxydant, l’acide L-ascorbique piège les radicaux libres et les dérivés actifs de l’oxygène, d’une part, et restaure (fonction de réparation face aux dommages cellulaires) les autres antioxydants cellulaires, d’autre part. Dans les pneumonies Covid-19, l’augmentation de la protéine C réactive, un biomarqueur sérique de l’inflammation, témoigne d’un stress oxydatif. Un facteur de transcription intracellulaire nucléaire, le Nrf2 (pour nuclear factor erythroid 2-related factor 2) est un agent régulateur majeur de la réponse antioxydante conduisant à l’expression protéique de protection cellulaire. La vitamine C constitue ainsi un composant important du système cellulaire antioxydant puisqu’elle active les signaux du Nrf2, assurant une protection des cellules face à l’agression tissulaire pulmonaire générée par le stress oxydatif [6,7].
Spécificités de la vitamine C à fortes doses
Bien qu’il soit établi que la prise quotidienne de vitamine C par voie orale – apports alimentaires normaux ou supplémentation – n’exerce pas une activité virucide directe in vivo, et ce malgré ses effets immunomodulateurs, les études menées actuellement s’intéressent à d’éventuels effets directs de la vitamine C, délivrée à fortes doses par voie intraveineuse, sur les virus [3, 6, 8, 11].
La vitamine C par voie intraveineuse contribue à un renforcement de la réponse immunitaire, réduisant théoriquement le syndrome de libération des cytokines et augmentant les capacités antivirales, via des mécanismes qui restent à identifier [2, 8, 10, 11]. Les coronavirus augmentent le stress oxydatif (libération de radicaux libres et de cytokines), induisant un dysfonctionnement cellulaire se traduisant lui-même à une perturbation du fonctionnement des organes puis à leur insuffisance, par atteinte de leurs réserves fonctionnelles (cœur, poumons, reins, cerveau, etc.). L’administration de fortes doses d’agents antioxydants tels que la vitamine C permet d’atténuer le processus de formation de lésions alvéolaires pulmonaires, via un contrôle de la flambée cytokinique, permettant ainsi de prévenir la survenue d’un SDRA. De fortes doses vitaminiques C offrent une pharmacodynamie satisfaisante au niveau du rapport efficacité/tolérance, permettant notamment, selon certaines études, de réduire la durée de séjour en secteur de soins intensifs et le risque de mortalité [8-10]. L’Institut national de santé chinois a établi qu’une dose de 1,5 g/kg de poids corporel offre des effets favorables à la santé en l’absence d’effets délétères [7]. Dans l’attente des résultats d’études en cours, l’hypothèse que la perfusion de fortes doses de vitamine C pourrait améliorer le pronostic des sujets atteints de formes sévères et critiques du Sars est étayée par l’observation que les niveaux plasmatiques élevés mesurés chez ces malades de syndecan-1 – un glycocalyx endothélial corrélé à un taux de mortalité élevé et qui tend à être considéré comme un biomarqueur pronostique – sont significativement réduits par de fortes doses IV de vitamine C [2]. Une posologie journalière de plus de 200 mg permet généralement de rétablir les niveaux intracellulaires vitaminiques C et de normaliser le niveau sérique chez des malades atteints de pneumonie marqués par une hypovitaminose importante (≤ 23-28 µMol/L) ou une carence sévère (≤ 11 µMol/L), afin d’aboutir à l’amélioration des symptômes respiratoires et de la durée de séjour hospitalier, avec un effet dose-dépendant [9]. Au début des symptômes respiratoires d’une infection virale à Coronavirus, les recommandations sont d’une supplémentation quotidienne de 1 à 2 g lorsque la carence est majeure [9]. Pour autant, les doses IV de 1 à 6 g ´2 par jour de vitamine C administrées en pratique courante en unité de soins intensifs ou en réanimation, ne suffisent pas à assurer un contrôle systématique optimal de la morbimortalité [10]. Une étude randomisée contrôlée contre placebo a été entreprise à Wuhan, en Chine, pour explorer les effets de très fortes doses vitaminiques C (jusqu’à 24 g/j pendant sept jours) chez 140 patients, les variables suivies sont les besoins éventuels de ventilation mécanique et de drogues vasopressives, les scores de défaillance organique, la durée du séjour en unité de soins intensifs et la mortalité au vingt-huitième jour. Les résultats sont attendus pour la fin septembre [11].
Conclusion
Dans notre contexte actuel, qui est une pandémie à laquelle aucun produit vaccinal ou antiviral d’efficacité démontrée ne peut être opposé, l’utilisation de la vitamine C comme agent antiviral se conçoit. Elle peut être utilisée seule ou en association avec d’autres substances exerçant une synergie positive, permettant le développement du système immunitaire, la résolution de l’« orage cytokinique » et l’inhibition des processus oxydatifs [1, 2, 7, 9]. Des études cliniques complémentaires sur l’utilisation de la vitamine C, par voie intraveineuse ou orale (telle la vitamine C liposomale encapsulée) ciblant d’autres situations à travers différents mécanismes sont à réaliser dès que possible [7, 9]. La vitamine C constitue une stratégie thérapeutique adjuvante sûre, rapide et efficace dans le renforcement et le maintien de l’immunité tant innée qu’adaptative, facilement déployable et accessible pour se protéger des infections respiratoires virales et bactériennes. Elle s’inscrit dans le champ plus général de l’immunonutrition, auquel il sera sans doute fait de plus en plus recours dans la prévention des risques viraux épidémiques [12].
Le recours à l’acide L-ascorbique dans une stratégie de prévention de pathologie Covid-19, se fonde sur une couverture complète des besoins nutritionnels journaliers. Il semble même que, pour cette vitamine, le mieux soit l’ami du bien. En tout état de cause, de fortes doses, parfois même faramineuses, peuvent être nécessaires chez le patient infecté sévère.
Liens d’intérêt
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Références
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