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Virologie

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L’infection zoonotique par les virus foamy simiens : une réponse anticorps puissante Volume 23, numéro 1, Janvier-Février 2019

Illustrations


  • Figure 1

L’homme n’est pas un hôte naturel des virus foamy (VF), mais il peut être infecté par des VF simiens (VFS), principalement suite à une morsure par un singe infecté [1, 2]. L’exposition aux fluides corporels suite à d’autres types de blessures infligées par l’animal, ou lors de la préparation et la consommation de sa viande, peut aussi conduire à l’infection [3]. D’autres rétrovirus, les VIH et HTLV (human T-cell leukemia virus), ont émergé dans la population humaine depuis un réservoir simien avec des conséquences majeures de santé publique. La transmission des VFS des singes aux hommes est un phénomène qui se produit actuellement en Afrique, Asie et Amérique du Sud [3-9]. C’est également le cas pour les virus PTLV (primate T-cell leukemia virus) [2, 10]. À ce jour, l’infection humaine par les VFS n’a été associée à aucun signe clinique ni à aucune transmission interhumaine. L’infection par les VFS est un modèle unique pour comprendre les étapes clés du processus d’émergence virale par l’étude de l’infection chez un premier hôte humain d’un virus zoonotique [1, 11].

Nous avons réalisé la première étude des anticorps pouvant neutraliser les VFS zoonotiques dans le plasma de chasseurs d’Afrique centrale [12]. L’encadré page suivante présente quelques informations clés sur ces rétrovirus. Ce travail immunologique s’inscrit dans le contexte de recherches épidémiologiques et virologiques menées en Afrique centrale depuis une dizaine d’années [3, 5, 6]. Parmi les 3 000 personnes exposées aux singes infectés lors de la chasse, et/ou lors de la préparation et la consommation de leur viande, plus de 60 personnes étaient infectées par un VFS [3]. Dans le cadre d’une infection zoonotique, le diagnostic est établi par un test sérologique (doublet Gag détecté par western blot) confirmé par un test moléculaire (amplification par PCR d’un fragment de l’intégrase ou de la région longue terminale [LTR] à partir d’ADN extrait de la fraction leucocytaire du sang périphérique). Des VFS compétents pour la réplication ont été isolés à partir de sang périphérique des personnes infectées et de l’ADN viral est détecté jusqu’à 40 ans après la contamination [13, 14]. Le statut intégré ou non intégré de cet ADN n’a pas été établi.

Les virus foamy, informations clés [20, 21]

  • Les VF sont des rétrovirus, les propriétés cardinales de leur cycle viral sont partagées avec celles des orthorétrovirus (intégration) ou celles des hépadnavirus (transcription inverse tardive).
  • Les VF sont les virus à ARN les plus stables génétiquement (2  ×  10−8 substitutions/site par an) et les plus anciens (450 millions d’années).
  • Les VF évoluent par cospéciation avec leur hôte et par saut d’espèces.
  • Les VF exogènes infectent les mammifères, dont les primates non humains ; les séquences VF endogènes sont présentes dans le génome de poissons et d’amphibiens.
  • Les VF sont ubiquitaires et leur récepteur n’est pas identifié.
  • Les VF se répliquent dans la muqueuse de la cavité jugale des animaux infectés ; la salive et le sang sont les principaux vecteurs de transmission.
  • Les VF sont décrits comme non pathogènes chez les hôtes naturels ou non.
  • Les VF sont de puissants inducteurs de la synthèse l’interféron (IFN) de type I ; ils sont sensibles aux IFN de type I et II, et à plusieurs facteurs de restriction induits par ces molécules (APOBEC, TRIM5α, tétherine).

Les anticorps pourraient participer à un contrôle immunitaire efficace en limitant la quantité de virus produit par l’individu infecté et en neutralisant le virus dans les fluides corporels potentiellement vecteurs de transmission (salive, sang et sperme). Un rôle protecteur des anticorps spécifiques des VFS a été démontré dans des expériences de transfusion sanguine entre macaques [15]. Aussi, nous avons entrepris de rechercher les anticorps neutralisants dans le plasma de personnes chroniquement infectées par un VFS, dont 44 par un VFS de gorille (VFSgor).

Aucune donnée sur la neutralisation des VFSgor n’était disponible à l’initiation du travail. Nous avons développé les outils spécifiques à leur étude : lignée indicatrice exprimant la β-galactosidase sous contrôle du promoteur d’un VFSgor [16], vecteurs viraux, PCR spécifique de chaque génotype basée sur l’amplification de l’ADN avec des amorces situées dans la région SUvar (figure 1A[12]). Nous avons travaillé avec des échantillons de plasma et le génotype viral a été déterminé en utilisant l’ADN extrait de la fraction leucocytaire.

 

Notre stratégie a été de travailler avec deux souches de VFSgor isolées de notre population d’étude et représentatives des deux génotypes, GI et GII, infectant l’homme et les gorilles. Les séquences des deux génotypes divergent dans la partie centrale du domaine de surface de la glycoprotéine d’enveloppe (< 60 % d’identité), alors qu’elles sont quasi identiques (> 95 % d’identité) dans les autres portions de la polyprotéine [17]. Sur cette base, deux régions ont été définies au sein de la protéine gp80SU : SUvar correspond aux séquences variant entre les génotypes GI et GII et SUcon aux séquences fortement conservées entre ces génotypes (figure 1A).

Les deux souches sont neutralisées in vitro par leur plasma autologue. La souche GI était neutralisée par le plasma de 77 % des 44 individus infectés par un VFSgor et la souche GII par 50 % d’entre eux. Parmi les 40 répondeurs, 24 avaient des titres d’anticorps neutralisant élevés (> 1:200 et ≤ 1:2000) et 11 des titres très élevés (> 1:2000). Concernant la spécificité, le plasma de la majorité des sujets neutralisait une seule souche : celle qui appartenait au même génotype que celle qui les infectait (figure 1B). Le plasma de 16 individus neutralisait les deux génotypes viraux. En utilisant une PCR spécifique de la région SUvar, nous avons démontré que la moitié des sujets étaient co-infectés par des souches des deux génotypes. Les autres individus pourraient être co-infectés avec une souche dont la charge virale est trop faible pour être détectée. Les titres d’anticorps neutralisant les souches GI et GII ne sont pas corrélés, ce qui va à l’encontre de la reconnaissance de la partie constante de l’enveloppe. En effet, la neutralisation de chaque génotype est très probablement mutuellement exclusive et la neutralisation des souches GI et GII témoignerait donc d’une co-infection par deux génotypes.

Ces profils de neutralisation suggéraient que les anticorps reconnaissaient la portion de l’enveloppe spécifique de chaque génotype viral. Pour tester cette hypothèse, nous avons développé des vecteurs pseudotypés avec quatre enveloppes de VFSgor : l’enveloppe native de la souche GI, et des chimères dans lesquelles nous avons inséré des fragments de la souche GII : la protéine SU complète, la région SUvar et la région SUcon. La neutralisation de ces vecteurs a montré que les épitopes reconnus par les anticorps neutralisant étaient localisés dans le domaine SUvar, définissant le génotype viral (figure 1C).

L’infection humaine par les VFSgor n’est associée à aucun signe observable lors d’un examen clinique, mais dans une étude récente de cas-témoins nous avons montré des différences hématologiques entre les personnes infectées et non infectées [18]. Un spectre de neutralisation plus large est associé à des modifications hématologiques moindres, en particulier des niveaux d’hémoglobine plus élevés. Ces associations suggèrent, sans le démontrer, un rôle bénéfique des anticorps neutralisants chez les personnes infectées.

En résumé, nous avons montré que 90 % des personnes infectées par un VFSgor zoonotique génèrent des anticorps neutralisants. Ces anticorps ciblent des épitopes localisés dans une région chevauchant le site de fixation au récepteur [19]. Cette région varie entre les deux génotypes viraux circulants en Afrique centrale. Un tiers des sujets infectés neutralisent les deux souches, ce qui révèle un taux élevé de co-infection. Les titres élevés d’anticorps neutralisants détectés entre 1 et 40 ans après la contamination reflètent probablement l’expression persistante de protéines virales chez l’homme infecté, résultat important car cette dernière n’a jamais été recherchée.

Les perspectives de ce travail sont la cartographie des épitopes reconnus par les anticorps neutralisants et l’étude d’autres fonctions antivirales des anticorps. Enfin, un retour sur les aspects virologiques de cette infection, notamment la co-infection et la génération éventuelle de virus recombinants nous apparaît capital.

Remerciements

Merci aux collègues co-auteurs de la publication. Le travail a été financé par l’Institut Pasteur (programme transversal de recherche PTR437), l’ANR (projet REEMFOAMY, ANR 15-CE-15-0008-01) et le laboratoire d’excellence biologie intégrative des maladies émergentes (LabEx IBEID, ANR 10-LABX—62-IBEID). Ce texte a bénéficié de la critique constructive d’Antoine Gessain, Philippe Afonso et Mathieu Hubert.

Liens d’intérêts

l’auteure déclare ne pas avoir de lien d’intérêt en rapport avec cet article.

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