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Virologie

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D’une pierre deux coups : les multiples caractéristiques des suppresseurs (viraux) de l’interférence par l’ARN Volume 23, numéro 6, Novembre-Décembre 2019

Illustrations


  • Figure 1

  • Figure 2

  • Figure 3

  • Figure 4

Tableaux

Introduction

L’interférence par l’ARN, RNAi ou RNA silencing, dont l’effet fut initialement observé sur des pétunias en 1990 [1, 2], a été caractérisée en 1998 par Fire et al. sur le nématode Caenorhabditis elegans[3]. Véritable plateforme de régulation de l’expression des gènes chez les eucaryotes, ce mécanisme contrôle la réponse aux stress [4], le développement [5] et protège l’intégrité génomique d’éléments mobiles comme les transposons [6]. Ce mécanisme est retrouvé chez des organismes unicellulaires [7] jusqu’à l’espèce humaine [8]. Il est assuré par des ARN de 21 à 30 nucléotides (nt) qui, par spécificité de séquence, inhibent l’expression des gènes au niveau transcriptionnel en dirigeant le TGS (transcriptional gene silencing) [9, 10] et au niveau post-transcriptionnel par le PTGS (post-transcriptional gene silencing) [11]. L’ARN double brin (ARNdb) est la molécule initiatrice du RNA silencing[3]. Il peut être d’origine exogène comme dans le cas d’infections virales ou endogènes :

  • par l’action d’ARN polymérases ARN-dépendantes dirigeant la synthèse d’ARNdb ;
  • par la transcription de régions inversement répétées ou de séquences ayant des promoteurs convergents [12, 13].

Ces ARNdb sont reconnus puis clivés par une endoribonucléase de type III, Dicer [14], qui génère des duplex de petits ARN. Ils sont divisés en deux classes majeures : les small interfering ARN (siARN) et les micro-ARN (miARN). S’ils diffèrent par leurs origines (endogène et/ou exogène), leurs voies de biogenèse, leurs cibles et leurs conséquences, leur mode d’action reste similaire. Ces petits ARN sont présents sous forme simple brin [15] dans le complexe RISC (RNA-induced silencing complex) et servent de guide pour reconnaître par hybridation une séquence nucléotidique complémentaire [16]. Ce complexe contient a minima un petit ARN et une protéine effectrice ARGONAUTE (AGO). Il initie soit le PTGS par l’inhibition traductionnelle ou le clivage du messager par l’activité slicing d’AGO [17], soit le TGS en régulant la méthylation de l’ADN ou des histones grâce à des protéines capables de modifier l’état de la chromatine [10]. L’orientation vers le silencing post-transcriptionnel ou transcriptionnel dépend de l’organisme, de la nature du petit ARN incorporé dans RISC et de la protéine AGO. En plus de préserver et de réguler l’expression du génome, l’ARN interférence possède une fonction antivirale essentielle chez les invertébrés [18] et chez les plantes mais qui reste contestée chez les mammifères [19]. C’est en 1999, soit un an après la publication des travaux de Fire et al., qu’une action antivirale fut « timidement » associée au RNA silencing chez les plantes [20], puis largement démontrée au début du xxie siècle.

Chez les plantes, les enzymes « Dicer » sont nommées Dicer-like ou DCL [21]. DCL1 génère les miARN (figure 1) tandis que DCL3 est responsable de la synthèse de certains siARN endogènes de 24 nt associés au TGS [22, 23]. DCL4 est l’enzyme antivirale principale et génère des siARN de 21 nt ; en absence d’activité DCL4 (inhibition, mutation…), la protéine DCL2 possède une action antivirale redondante et génère des siARN de 22 nt [24]. Lors d’une infection par un virus à ARN, les intermédiaires de réplication double brin, générés par l’ARN polymérase ARN-dépendante virale et/ou les ARN viraux simples brins localement structurés sous forme double brin, représentent un signal de danger cellulaire. Ces formes doubles brins sont clivées par DCL4, générant ainsi les siARN viraux, ou vsiARN, de 21 nt. Ces derniers possèdent un groupement phosphate en 5’ et 2 nt sortant à l’extrémité 3’ hydroxyle [25, 26] et sont protégés de l’uridinylation et de la dégradation grâce à un groupement méthyle ajouté par la méthyltransférase HEN1 [27, 28].

Chez la plante modèle Arabidopsis thaliana, dix protéines AGO ont été identifiées. Le brin incorporé dans AGO, aussi appelé brin guide, est positionné à son extrémité 3’ dans le domaine PAZ [29, 30] tandis que l’extrémité 5’ phosphate se loge dans une poche à l’interface des domaines MID/A et PIWI/B [31]. Ce repliement forme le domaine PIWI qui présente une structure de type RNase H et est responsable du clivage de l’ARN cible [32]. Une telle activité de slicing a été démontrée uniquement pour AGO1, -2, -4 et -7 [33-36]. Les virus à ARN sont principalement ciblés par AGO1 et AGO2 tandis que AGO5, AGO7 et AGO10 ne jouent qu’un rôle mineur dans la défense antivirale [34, 37-39]. La défense contre les virus à ADN est principalement assurée par AGO4, impliquée dans le TGS, où elle régule le niveau de méthylation de l’ADN viral et cellulaire [40-42]. La formation du complexe RISC a longtemps été source d’un débat où deux modèles s’opposaient. Pour certains, le duplex d’ARN était séparé avant l’incorporation du brin guide dans AGO. Pour d’autres, le duplex sous sa forme double brin était incorporé dans AGO (complexe pré-RISC) où s’effectuait la dissociation des brins ainsi que le choix du brin guide. Ce dernier modèle semble être favorisé suite à la détection de petits ARNdb chargés dans des protéines AGO humaines et de drosophiles [43, 44]. La sélection du brin guide n’est pas aléatoire mais dépend de la stabilité thermodynamique des extrémités du duplex : le brin qui présente une stabilité plus faible en 5’ est sélectionné comme guide et l’autre appelé « passager* » est éliminé [45, 46]. Chez A. thaliana, un biais sélectif dépendant de la base présente à l’extrémité 5’ du petit ARN semble dicter le recrutement des protéines AGO : AGO1 a tendance à sélectionner le brin présentant un uracile, AGO2 et AGO4 sélectionnent des brins présentant une adénine et AGO5 a une préférence pour la cytosine [47, 48]. La résolution structurale du domaine MID (middle) d’AGO2 humaine a aussi permis d’expliquer cette spécificité. En étudiant la voie des miARN chez les eucaryotes, plusieurs études ont montré que la sélection du brin guide dans AGO était soumise à un fort biais selon la base présente à l’extrémité 5’ des miARN [49, 50]. Une boucle rigide du domaine MID assure la reconnaissance spécifique de l’adénosine monophosphate et de l’uridine monophosphate, tandis que son affinité pour la cytidine monophosphate et la guanosine monophosphate est 30 fois inférieure. En plus, dès qu’un acide aminé est ajouté dans la séquence de la boucle, cette sélection n’est plus assurée et confirme le rôle majeur du domaine MID dans ce processus sélectif [51]. Lorsqu’un duplex parfait d’ARN (siARN) est chargé dans AGO, le brin passager peut être clivé puis dégradé [52-54]. Le processus d’élimination du brin passager dans des AGO déficientes en clivage reste peu documenté. Néanmoins, un modèle en miroir a été proposé dans le cas où le complexe pré-RISC est chargé d’un duplex de miARN-miARN*, hybride imparfait [55].

Chez les plantes, les ARN viraux sont ciblés par complémentarité de base avec le brin guide et seront majoritairement clivés par AGO1 ou AGO2 pour restreindre l’infection virale. Les produits de clivage générés sont utilisés comme matrice par les ARN polymérases ARN-dépendantes cellulaires (RDRP ou RDR) [56]. RDR6 est la principale ARN polymérase assurant l’amplification du silencing[57, 58] et est associée à son cofacteur majeur SGS3 (suppressor of gene silencing 3) [59, 60]. Ce complexe permet de synthétiser de novo des ARNdb qui représentent de nouveaux substrats pour les DCL qui génèrent les vsiARN appelés « secondaires » (figure 2, partie gauche encadrée, et figure 3). Cette population de siARN traverse les plasmodesmes cellulaires pour rejoindre le système vasculaire végétal et confère une immunité antivirale étendue [61, 62].

Les phytovirus ont évolué de sorte à exprimer des suppresseurs de RNA silencing afin de contrecarrer cette défense antivirale. Ces VSR sont majoritairement de nature protéique, bien que des VSR nucléiques aient été récemment décrits. La quasi-totalité des virus expriment de tels éléments de contre-défense mais aucune similarité de séquence ni de structure n’a été réellement établie [63], laissant présager une convergence évolutive d’une telle fonction virale. Cette convergence est agrémentée par les divers modes d’actions déjà caractérisés où chaque VSR cible l’une ou plusieurs des étapes de la voie du RNA silencing. Cette revue s’attachera à présenter les différents mécanismes de suppression du silencing employés par les VSR, sans pour autant prétendre en faire une liste exhaustive.

Découverte des VSR

La protéine HC-Pro (helper component proteinase) du tobacco etch virus (TEV) fut le premier VSR décrit et a permis de confirmer la fonction antivirale du RNA silencing. L’exacerbation des symptômes de plantes co-infectées avec le potato virus Y (PVY) et le potato virus X (PVX) a initialement été attribuée à l’expression de la protéine HC-Pro du PVY, décrite comme un enhancer de pathogénicité à large spectre et capable d’augmenter la réplication de virus hétérologue. L’expression de la protéine HC-Pro par transgenèse est suffisante pour augmenter la sévérité des symptômes et l’accumulation des ARN génomiques du tobacco mosaic virus (TMV), du cucumber mosaic virus (CMV) et du PVX [64]. De plus, HC-Pro est essentiel au mouvement viral à longue distance [65]. À la recherche de son mode d’action, certains ont pensé que HC-Pro pouvait inhiber un mécanisme de défense cellulaire [65]. Suite à la découverte du RNA silencing, cette hypothèse est rapidement validée et HC-Pro devient le premier VSR identifié [66]. Après de multiples études, HC-Pro apparaît comme un VSR multifonctionnel, capable de cibler plusieurs étapes de la voie du RNA silencing. HC-Pro limite la mise en place du RNA silencing en séquestrant les vsiARN, ce qui limite l’assemblage du complexe RISC [67, 68]. L’expression de HC-Pro diminue également le niveau de méthylation des petits ARN, en interagissant, d’une part, avec HEN1 [69] et, d’autre part, avec deux enzymes-clés régulatrices du cycle de la biosynthèse de la méthionine [70]. Enfin, l’action du complexe effecteur RISC est inhibée par l’interaction de HC-Pro avec AGO1 au niveau des ribosomes et pourrait lever la répression traductionnelle [70]. En parallèle, HC-Pro diminue le niveau d’expression de AGO1 en induisant l’expression de miR168, un micro-ARN ciblant l’ARNm de AGO1 [71]. La protéine HC-Pro n’est pas l’unique suppresseur du RNA silencing décrit chez les potyvirus. La protéine VPg (viral protein genome-linked) est également capable d’interagir avec SGS3, le cofacteur de RDR6, pour initier sa dégradation par le protéasome et l’autophagie. La dégradation subséquente de RDR6 est observée et semble dépendre de celle de SGS3 [72]. Cette interaction entre VPg et SGS3 est décrite pour quatre potyvirus divergents en séquence nucléotidique et en spectre d’hôte [72, 73].

La protéine 2b de certains cucumovirus fait partie des premiers VSR décrits dès 1998 [74]. Des expériences de co-localisation et d’immunoprécipitation ont révélé une interaction nucléaire et cytoplasmique entre 2b et AGO1, diminuant l’activité de clivage (ou slicing) d’AGO1 [75]. De façon similaire, l’interaction nucléaire entre 2b et AGO4 restreint son activité endonucléolytique [40]. Toutefois, la liaison à ces facteurs cellulaires n’est pas l’unique mécanisme de suppression usité par la protéine 2b. Sa liaison aux petits ARN semble également déterminante pour assurer une contre-défense virale effective [76]. Un modèle récent de la protéine 2b propose son organisation sous forme homotétramérique où chaque dimère interagit avec un duplex de siARN [77].

Si les ARN viraux doubles brins induisent le silencing, peu de mécanismes de contre-défense virale sont décrits pour inhiber cette étape d’initiation. Les formes doubles brins sont en majorité prises en charge par les DCL cellulaires pour former les vsiARN ; ces derniers sont largement ciblés par divers VSR en vue de limiter la réponse antivirale de la plante. Néanmoins, le cauliflower mosaic virus (CaMV) est un virus à ADNdb qui exprime p6 (ou transactivateur/viroplasmine [TAV]), une protéine multifonctionnelle qui présente une activité VSR [78]. TAV possède une localisation cytoplasmique et nucléaire où elle interagit avec DRB4, un cofacteur de DCL4. Cette interaction limite (sans l’abolir) l’action de DCL4 puisque des vsiARN de 21 nt sont détectés [79].

VSR : protéines ubiquitaires et polymorphes des phytovirus

Les phytovirus semblent tous exprimer un VSR afin de contrer la défense antivirale assurée par le RNA silencing. Cette première partie s’attachera à décrire les diverses stratégies déployées par les VSR qui sont également présentées sur la figure 2.

Agir en amont de la voie du silencing : cibler les siARN viraux

Les vsiARN générés par Dicer peuvent devenir la cible de VSR qui mettent en œuvre plusieurs stratégies pour limiter leur incorporation dans le complexe RISC : les vsiARN peuvent être séquestrés, modifiés ou dégradés. Le sweet potato chlorotic stunt virus (SPCSV) exprime une RNase de type III (RNase 3) qui clive les vsiARN en fragments de 14 nt incapables d’être incorporés dans le complexe RISC, ce qui limite la défense antivirale [80]. À ce jour, cette dégradation directe de vsiARN par une enzyme virale reste le seul exemple décrit pour un VSR de phytovirus.

Une stratégie plus communément employée par les VSR consiste à séquestrer les vsiARN pour limiter et/ou empêcher leur prise en charge par le complexe RISC. La protéine p19 des Tombusvirus est l’un des VSR le mieux caractérisé : p19 fixe spécifiquement les duplex de siARN mais ne se lie pas aux siARN simples brins ou à des ARNdb de petite taille possédant des extrémités franches, ni aux longs ARNdb [81]. Des données cristallographiques ont permis d’expliquer cette spécificité de séquestration des siARNdb. Sous forme dimérique, p19 agit comme un pied à coulisse reconnaissant de préférence les siARN de 21 nt et son affinité diminue de cinq à six fois dès lors qu’une paire de base est déplétée et ajoutée, respectivement [82, 83]. La protéine p10 du grapevine virus A (GVA) est un VSR limitant également la propagation systémique du signal de silencing par la séquestration des siARN, indépendamment de leur séquence [84]. Cependant, le VSR p10 reste moins bien caractérisé que p19. La caractérisation structurale sous forme octamérique et annulaire de la protéine p21 du beet yellows virus (BYV) a également permis de préciser son mode d’action dans la suppression du silencing. La surface interne de l’octamère regroupe des acides aminés conservés et chargés positivement pouvant lier les ARN. Toutefois, à l’inverse de p19, sa liaison n’est pas spécifique aux petits ARNdb puisque p21 est capable de se lier aux ARNsb et son affinité pour les ARNsb augmente en fonction de la taille de l’acide nucléique. De plus, p21 est également capable de fixer l’ADN, avec une moindre affinité [85]. Dès lors, p21 apparaît comme une protéine capable de se lier aux acides nucléiques sans réelle spécificité. Néanmoins, des siARN associés à p21 sont retrouvés lors de son immunoprécipitation dans Nicotiana benthamiana. Des expériences de retard sur gel ont confirmé la capacité de p21 à fixer également in vitro des miARN et des siARN sous forme de duplex mais pas sous la forme simple brin [67]. De plus, l’utilisation d’oligodésoxyribonucléotides de séquence identique à celle des siARN testés ne permet pas de former de tels complexes [86]. Ces résultats sont en adéquation avec ceux décrivant une meilleure affinité de p21 pour les ARN [85]. Cette capacité à fixer des ARN de plus grande taille permet d’envisager des cibles supplémentaires aux siARN comme par exemple les ARN viraux (intermédiaires de réplication et/ou les structures localement double brins) pour limiter leur clivage par les DCL. D’autres VSR sont également capables de fixer les duplex de siARN. C’est le cas de la protéine P15 du peanut clump virus (PCV), qui présente un mécanisme inédit de suppression du silencing. La protéine P15 possède une affinité suffisante pour lier les siARN de 22 nt et inhiber leur prise en charge par le complexe RISC. Sa moindre affinité vis-à-vis des siARN de 21 nt est compensée par leur adressage et leur séquestration sous la forme d’un complexe P15-siARN au sein des péroxysomes [87] grâce au signal d’adressage PTS1 (peroxisome targeting signal 1) [88, 89]. Si la séquence PTS1 est perdue, les siARN de 21 nt ne sont plus séquestrés de façon optimale, franchissent les plasmodesmes et « immunisent » les cellules adjacentes, limitant ou bloquant ainsi l’infection virale à longue distance [87].

Limiter l’amplification du signal interférent

Un mécanisme de suppression du silencing utilisé par certains virus consiste à inhiber l’amplification du signal interférent assurée par RDR6 et ses cofacteurs. Ce mécanisme, désigné sous le terme de transitivité (figure 3), existe chez les plantes [56] et C. elegans[90], mais n’est pas retrouvé chez d’autres métazoaires comme la drosophile. La protéine P6 du rice yellow stunt rhabdovirus (RYSV) limite la mise en place du silencing à longue distance et diminue l’accumulation des siARN secondaires. Cependant, P6 n’a pas d’effet sur un silencing local établi en système d’expression transitoire (par agro-infiltration) ou dans des protoplastes de riz. Sa co-immunoprécipitation avec RDR6 ainsi que leur co-localisation orientent l’action de P6 dans la voie d’amplification du signal interférant [91]. SGS3, le cofacteur majeur de RDR6, est également ciblé par plusieurs VSR pour limiter la transitivité. La protéine V2 du tomato yellow leaf curl virus (TYLCV) partage des propriétés de fixation à l’ARN identiques à celles de SGS3, notamment la fixation aux ARNdb possédant des extrémités 5’ sortantes. Plusieurs expériences ont permis de proposer un mode d’action par compétition où V2 déplace SGS3 de son substrat initial [92]. Le complexe SGS3-ARN serait alors compromis par V2, perturbant la fonction de cofacteur de SGS3 et l’accès de RDR6 aux ARN. Malgré une interaction démontrée par double hybride et microscopie entre SGS3 et V2 [93], celle-ci n’a pas pu être détectée par co-purification des versions étiquetées V2-GST [92]. Un troisième mécanisme agissant sur la transitivité est décrit pour la protéine TGBp1 du plantago asiatica mosaic virus (PlAMV). La suppression du silencing assurée par TGBp1 dépend de sa capacité à former des homo-oligomères assurant l’agrégation conjointe de la protéine virale, de RDR6 et de son cofacteur SGS3 [94].

Cibler AGO, la protéine effectrice majeure du complexe RISC

Plusieurs VSR ciblent le complexe RISC dont la protéine effectrice AGO est responsable de l’inhibition traductionnelle ou du clivage des ARN ciblés. L’une des stratégies employées pour déstabiliser RISC consiste à induire la dégradation d’AGO. Décrite en 2002 comme suppresseur de silencing[95], la protéine P0 des Polerovirus renferme un domaine F-box nécessaire pour contourner le silencing antiviral. Ce domaine F-box est également responsable de l’interaction avec l’orthologue de la protéine SKP1 (S-phase kinase related protein 1) chez A. thaliana[96]. SKP1 appartient au complexe SCF (Skp, Cullin, F-box) responsable de l’ubiquitinylation de protéines destinées à être dégradées par le protéasome. Si l’importance du domaine F-box est démontrée pour maintenir la pathogénicité virale, la dégradation d’AGO1 est maintenue en présence d’inhibiteur de cette voie ubiquitine dépendante [97] et c’est par autophagie qu’AGO1 est dégradée [98]. Néanmoins, la protéine P0 ne semble pas interagir directement avec AGO1 [99]. P0 n’assure pas la contre-défense virale dès lors qu’AGO1 est pré-chargée avec un siARN ou un miARN et elle ne fixe pas les siARN in vitro[100]. Le modèle actuel propose alors une interaction entre P0 et un partenaire protéique (restant à identifier) du complexe RISC empêchant son assemblage et menant à la dégradation subséquente d’AGO1.

À l’instar de P0, la protéine 16K du tobacco rattle virus (TRV) est incapable d’inhiber l’activité d’un complexe RISC pré-chargé et ne fixe pas les petits ARN. En revanche, 16K perturbe la formation de novo des complexes RISC et le clivage des messagers ciblés. Ces résultats concordent avec la diminution d’accumulation des siARN provoquée par 16K et pourraient s’expliquer par l’interaction entre 16K et les protéines AGO. En effet, l’interaction de 16K avec AGO1 et AGO4 est démontrée par BiFC (bimolecular fluorescence complementation) mais seule l’interaction avec AGO4 a pu être confirmée par co-immunoprécipitation. Ces données précisent l’action de 16K sur le complexe RISC mais l’importance des interactions avec les protéines AGO4 et/ou AGO1 reste à élucider [101].

La protéine P25 du PVX interagit avec les protéines AGO1, AGO2, AGO3 et AGO4 mais pas avec les protéines AGO5 et AGO9. Ces interactions ont été détectées par co-purification lors d’expression transitoire dans N. benthamiana. Dans cette étude, seul le niveau d’expression d’AGO1 diminue en présence de P25 mais est stabilisé par le MG132, un inhibiteur spécifique du protéasome. P25 semble ainsi induire la déstabilisation d’AGO1 par cette voie, bien qu’aucune forme ubiquitinylée d’AGO1 n’ait pu être détectée [102]. Toutefois, l’interaction directe entre P25 et les protéines AGO citées ci-dessus n’a pas pu être démontrée. Une interaction indirecte entre P25 et AGO1 n’est pas à exclure et pourrait s’expliquer par l’absence de motifs GW/WG dans P25, décrits comme des sites d’interaction majeurs avec les protéines de la famille ARGONAUTE [103]. Ces motifs GW/WG ont d’abord été décrits chez une protéine humaine isolée d’un sérum, nommée GW182 en raison de son poids moléculaire et de sa richesse en acides aminés glycine et tryptophane. Il existe trois paralogues de cette protéine GW182 chez les vertébrés (TNRC6A/GW182, TNRC6B et TNRC6C) et un orthologue chez les insectes (GW182). Les protéines de la famille GW182 sont bien caractérisées [104], notamment pour leur interaction directe avec les protéines AGO favorisée par les motifs GW/WG. Chez A. thaliana, C. elegans et Schizosaccharomyces pombe, des protéines à motifs GW/WG sont décrites comme interagissant avec AGO et nécessaires pour assurer la fonctionnalité du RNA silencing. Mais en raison d’un manque de conservation de certains autres domaines (i.e. autres que GW/WG), ces protéines ne sont pas inféodées à la famille GW182 bien que leur mode d’action soit similaire. Les virus ont su exploiter l’importance de ces interactions par l’expression de VSR qui contiennent un ou plusieurs motif(s) GW/WG. Ces derniers assurent l’interaction avec les protéines AGO et permettent aux VSR de déstabiliser la formation et/ou la fonction du complexe RISC. La protéine P1 du sweet potato mild mottle virus (SPMMV) possède trois motifs GW/WG dans son domaine N-terminal. Des expériences d’immunoprécipitation et de mutagenèse dirigée ont montré qu’ils sont à la fois nécessaires pour maintenir la fonction de VSR de P1 et son interaction avec AGO1. P1 inhibe l’activité slicing d’AGO1 uniquement lorsqu’elle est chargée par un miARN ou un vsiARN [105]. Puisque la fonction d’AGO1 est inhibée dans un complexe RISC actif, P1 pourrait limiter l’interaction d’AGO1 avec l’ARN ciblé. Des précisions sont apportées en 2017 et confirment que P1 empêche la liaison de l’ARN cible au complexe AGO1-sARN [106]. Cette inhibition reste toutefois à caractériser puisque divers modèles sont possibles. Parmi eux, deux sont favorisés :

  • (1)une inhibition non compétitive où l’interaction de P1 avec AGO1 peut modifier la structure de AGO1 altérant ainsi la fixation de l’ARN cible ;
  • (2)une inhibition compétitive où P1 interagit avec AGO1 au niveau du site de fixation de l’ARN cible.

Des études menées sur AGO2 humaine et sur AGO1 de drosophile ont d’ailleurs montré que leurs sites d’interaction pour les protéines GW182 et pour les miARN sont partiellement chevauchants [31, 107]. Si l’on transpose au monde végétal, le modèle compétitif (2) semble le plus probable. Un tel mode d’action fut ensuite découvert chez d’autres VSR, à l’instar de la protéine de capside P38 du turnip crinckle virus (TCV) qui possède deux motifs GW/WG, disposés à ses deux extrémités N- et C-terminales. Ses deux motifs sont nécessaires pour lier AGO1 et supprimer le silencing et leur mutation GW en GA empêche toute infection par le TCV. Une modélisation d’un dimère de P38 a permis de localiser le motif GW/WG de l’extrémité C-terminale à la surface de la protéine qui représente un site d’interaction favorable avec AGO1. Cependant, de telles données n’ont pas pu être obtenues pour le motif présent à l’extrémité N-terminale. Dans une plante transgénique exprimant de façon constitutive une séquence inversement répétée (IR) (plantes SUC:SUL), la co-expression de P38 (SUC:SUL × P38) entraîne une réduction drastique du taux d’AGO1 chargé par les siARN dérivés de l’IR, tandis qu’aucun effet majeur n’est observé lorsque P38 est amenée par une infection virale dans ces plantes transgéniques (SUC:SUL + TCV). La protéine P38 semble donc limiter l’incorporation de petits ARN dans AGO1 et peu efficace pour supprimer le silencing si le complexe effecteur RISC est préalablement formé [108]. Bien que cette interaction entre P38 et AGO1 soit nécessaire à la bonne progression du cycle viral, d’autres cibles et mécanismes utilisés par P38 ont également été décrits. In vitro, la protéine P38 est capable de fixer les longs ARNdb indépendamment de leur taille, ainsi que les duplex de siARN de 21 nt [109-111]. En expression transitoire, les siARN dirigés contre l’ARNm de la GFP ne sont pas détectés au profit d’une stabilisation de l’ARNdb de la GFP [109, 110]. Selon ces résultats, P38 pourrait limiter l’action des DCL en empêchant leur accès aux ARNdb diminuant ainsi la production de vsiARN [110, 111]. Récemment, un lien a été établi entre l’interaction P38-AGO1 et la fixation aux ARNdb en montrant que les protéines P38 tronquées dans leur motif GW perdent à la fois leur liaison à AGO1 et aux ARN [111]. Ainsi, P38 pourrait cibler deux étapes distinctes dans la voie du silencing, où son orientation fonctionnelle pourrait être finement régulée et coordonnée lors de l’infection virale. L’interaction de P38 avec AGO1 pourrait, dans ce sens, favoriser la liaison et la séquestration des vsiARN in vivo.

L’interaction des protéines P1 du SPMMV et P38 du TCV avec AGO1 n’affecte pas pour autant la stabilité d’AGO1. À l’inverse, la protéine CP et VSR du tomato ringspot virus (ToRSV) semble induire une dégradation accrue d’AGO1 par autophagie. Cette dégradation est dépendante de l’interaction entre CP et AGO1 via un motif GW/WG [112]. Cependant, l’étude de la protéine p37 du pelargonium line pattern virus (PLPV) a légèrement complexifié la relation qui existe entre un motif GW/WG, AGO1 et la suppression du silencing. Si p37 possède un motif GW/WG impliqué dans sa fonction de suppression du silencing, c’est surtout sa capacité à fixer les petits ARN qui explique son action de VSR. Un lien fonctionnel entre la liaison aux ARN et la suppression du silencing, plutôt qu’une interaction avec AGO1, a été établi en étudiant des versions de p37 mutées dans son motif GW [111]. Si la liaison aux protéines AGO semble une stratégie largement décrite au sein des VSR, elle n’est probablement pas restreinte à une simple interaction entre deux partenaires. Elle pourrait représenter une première étape essentielle dans une – ou plusieurs – voie(s) de suppression du silencing bien plus complexe(s) à caractériser. Dans ce sens, en plus d’interagir avec AGO1, les VSR pourraient affecter d’autres protéines AGO comme cela est décrit pour la protéine P1 du SPMMV capable de lier AGO2. Le mécanisme biologique sous-jacent à cette interaction n’est pas connu car aucune inhibition d’AGO2 n’a pu être observée [106].

Si aucune homologie de séquence n’est identifiée au sein des VSR, il existe néanmoins une stratégie commune de contre-défense développée par des virus distincts. L’homéostasie d’AGO1 est en partie régulée par miR168. En réponse à une infection virale, le taux d’ARNm d’AGO1 augmente. En parallèle, l’expression de miR168 est spécifiquement induite par les VSR p122 du crucifer-infecting tobamovirus (crTMV), p19 du cymbidium ringspot virus (CymRSV), P38 du TCV, HC-Pro du TEV et 2b du CMV. Cette accumulation de miR168 provoque une réduction drastique de la quantité de protéine AGO1 [71]. En plus de ce mode d’action partagé et conservé au sein de familles virales distinctes, chacun des VSR étudiés présente un mécanisme supplémentaire de suppression du silencing (séquestration de vsiARN, interaction avec AGO…). Ainsi, le couplage entre l’induction de miR168 et l’action spécifique de chaque VSR semble favorable à ces virus capables de cibler plusieurs étapes ou plusieurs effecteurs de la voie du silencing.

Tirer profit des suppresseurs endogènes

Le PTGS a été initialement associé à un mécanisme de défense des plantes, capable d’être contourné par les virus exprimant un VSR. En plus de ces VSR viraux, le PTGS est aussi assuré par des suppresseurs endogènes. De tels produits de gènes sont nécessaires pour réguler négativement le RNAi. Cela est particulièrement essentiel chez les organismes disposant d’un mécanisme d’amplification et d’un mouvement à longue distance du signal interférent. En effet, sans régulation des facteurs impliqués dans ces deux mécanismes (transitivité et propagation systémique), divers ARN servant de matrice pour la synthèse d’ARNdb pourraient induire un silencing délétère des gènes endogènes et affecter l’ensemble de l’organisme. La fonction de ces suppresseurs endogènes peut ainsi être détournée de leur tâche cellulaire initiale lors d’une infection virale. Une telle situation rappelle la découverte des gènes iap (inhibitor of apoptosis), dont le prototype a été découvert chez un baculovirus puis des orthologues identifiés de la levure à l’homme [113]. La protéine Nt-Rgs-CaM (regulator of gene silencing-calmodulin-like) de Nicotiana tabacum a été le premier suppresseur endogène caractérisé lors d’un crible double hybride utilisant la protéine HC-Pro du TEV comme appât. La surexpression de Rgs-CaM induit des tumeurs dans les lignées transgéniques de tabac, à l’instar de HC-Pro. Son action dans la suppression du PTGS a été validée dans des lignées transgéniques de N. benthamiana qui expriment constitutivement la GFP, où l’efficacité de Rgs-CaM est comparable à celle de HC-Pro sur le silencing de l’ARNm GFP. Par ailleurs, l’expression de HC-Pro par un transgène ou une infection virale (TEV), induit l’expression de Rgs-CaM. Ainsi, HC-Pro semble activer l’expression de Rgs-CaM pour lutter contre le RNA silencing mis en place lors de l’infection virale [114]. Une étude menée en 2014 a permis d’apporter des conclusions très similaires en étudiant le suppresseur de silencing AL2 des geminivirus. Ce VSR induit également l’expression de rgs-CaM d’A. thaliana et l’interaction nucléaire de rgs-CaM avec AL2 a été confirmée par BiFC. La surexpression de rgs-CaM augmente à la fois la sensibilité au tomato golden mosaic virus (TGMV-geminivirus) et l’accumulation des ADN viraux tandis que les lignées knockout pour rgs-CaM sont plus résistantes à l’infection [115]. La même année, le VSR βC1 exprimé par un ADN satellite (tomato yellow leaf curl China betasatellite [TYLCCNB]) associé à un geminivirus (tomato yellow leaf curl China virus [TYLCCNV]) est aussi décrit pour induire l’expression de Nb-Rgs-CaM dans N. benthamiana. La surexpression de βC1 et Nb-Rgs-CaM entraîne une diminution d’accumulation des ARNm de RDR6 et des siARN secondaires [116]. Si la fonction des protéines calmoduline-like dans la suppression du silencing était démontrée, un mode d’action n’a été proposé que récemment. Une interaction entre la protéine calmoduline-like de N. benthamiana (NbCaM) et SGS3 a été démontrée dans le système levure puis in planta. Cette interaction semble être un prérequis pour induire la dégradation de SGS3 par autophagie. La diminution de l’expression de plusieurs facteurs impliqués dans l’autophagie inhibe la dégradation de SGS3 par l’intermédiaire de NbCaM et de l’infection par un geminivirus (TYLCCNV) et son ADN betasatellite (TYLCCNB) [117]. Ainsi, NbCaM supprime le silencing en induisant la dégradation de SGS3 et plusieurs virus tirent profit de ce mécanisme en favorisant l’induction de ce suppresseur endogène. Une controverse persiste néanmoins quant à la fonction de suppresseur endogène associée à Nt-Rgs-CaM. En effet, l’interaction entre plusieurs VSR contenant des domaines de fixation à l’ARNdb et Nt-Rgs-CaM a été démontrée. Par un mécanisme similaire à celui décrit ci-dessus, ces VSR semblent être dégradés par autophagie à l’instar de SGS3, favorisant alors la défense antivirale des plantes infectées [118]. Des études complémentaires sont nécessaires pour expliquer cette dichotomie observée pour la fonction des protéines calmoduline-like dans la voie du RNA silencing où la nature des VSR et des virus étudiés semblent jouer un rôle non négligeable dans leur orientation fonctionnelle. Une hypothèse est avancée par Nakahara et al. où Nt-Rgs-CaM pourrait interagir avec certains VSR par l’intermédiaire de leurs résidus chargés négativement et positivement respectivement, déstabilisant alors l’interaction pré-établie entre les VSR et les siARN viraux [118].

La protéine AtRLI2 (RNase L inhibitor 2) d’A. thaliana est l’orthologue d’une protéine de mammifères impliquée dans la régulation de la réponse interféron [119] dont l’expression est induite par des ARNdb synthétiques et une infection virale dans des cellules HeLa [120, 121]. Par analogie, AtRLI2 est induit chez des plantes où un silencing a été mis en place [119] et a été identifié comme un suppresseur endogène du silencing. La surexpression de AtRLI2 provoque une réduction drastique du niveau d’accumulation des siARN [122]. Cette protéine est largement conservée chez les eucaryotes et les archées. Chez la drosophile, la levure ou les mammifères, elle intervient dans la régulation de la traduction et/ou dans la biogenèse et le recyclage des ribosomes, sans pour autant que ces fonctions soient assurées par AtRLI2 chez les plantes. Néanmoins, l’orthologue humaine de AtRLI2, la protéine ABCE1 (ATP-binding cassette sub-family E member 1), a conservé sa fonction de suppression du silencing lorsqu’elle est exprimée dans N. benthamiana, C. elegans ou des cellules de mammifères. ABCE1 fut la première protéine humaine décrite comme un suppresseur endogène du silencing[123].

Chez les plantes, la dégradation des ARN associée au PTGS est principalement assurée par l’activité endonucléolytique d’AGO1, responsable du clivage de l’ARN ciblé, complémentaire au brin guide chargé dans le complexe RISC. Suite au clivage, deux ARN sont libérés : l’un en amont du site de clivage qui contient l’extrémité 5’ (fragment 5’) ; l’autre en aval qui contient l’extrémité 3’ (fragment 3’). Le fragment 3’ est dégradé de 5’ vers 3’ par l’exoribonucléase cytoplasmique XRN4. La dégradation du fragment 5’ fait intervenir deux voies distinctes. Si l’ARN ciblé est coiffé, les protéines DCP (decapping) assurent l’élimination de la coiffe et permettent à XRN4 d’effectuer la dégradation 5’-3’. Ce fragment 5’ possède une extrémité 3’ non protégée suite au clivage et permet l’accès aux uridylyltransférases terminales (TUTase). HESO1 (HEN1 suppressor1) est la TUTase principale impliquée dans l’uridylation et la dégradation des siARN et miARN, dès lors qu’ils ne sont pas protégés par le groupement méthyle ajouté par HEN1. HESO1 pourrait être recrutée par le complexe RISC puisque AGO1 est co-immunoprécipitée par HESO1. De même, les exoribonucléases RICE1 et RICE2 (RISC-interacting clearing 3-5 exoribonucleases) semblent être recrutées à l’extrémité 3’ en interagissant avec AGO1 et AGO10 et initient la dégradation 3’-5’ de l’ARN. L’exosome associé au complexe SKI assure la dégradation complète de l’ARN [124]. Pour certaines cibles, la dégradation du fragment 3’ est diminuée dans un fond mutant xrn4 chez A. thaliana[125]. En plus, une stimulation du silencing par les RDRP cellulaires est observée dans le fond mutant xrn4 ainsi qu’une accumulation des produits de clivage [126]. Par ailleurs, l’identification de nouveaux suppresseurs endogènes de silencing pourrait être limitée par une efficacité supérieure des effecteurs de la voie du silencing. C’est ainsi qu’en 2007, l’analyse de deux lignées hypomorphes d’AGO1 a permis d’identifier XRN2, XRN3 et FRY1 comme des suppresseurs endogènes du RNA silencing[127]. Si la mise en place du silencing est déficiente dans les lignées ago-1, elle est totalement restaurée dans les doubles mutants ago1/fry1 et ago1/xrn4, tandis qu’elle n’est que partielle pour ago1/xrn2 et ago1/xrn3. Ainsi, la fonction d’AGO1 est restaurée lorsque FRY1, XRN2, XRN3 et XRN4 sont sous-exprimés, démontrant leurs rôles comme suppresseurs endogènes de RNA silencing. Le double mutant xrn2/xrn3 présente une suraccumulation des précurseurs de miARN, générés par DCL avant l’export nucléaire du duplex miARN/miARN*. Ce phénotype est en adéquation avec la localisation nucléaire de XRN2 et XRN3 [128]. Les mutants fry1 développent à la fois un phénotype nucléaire identique au mutant xrn2/xrn3 et aussi cytoplasmique avec une accumulation des produits de clivage 3’ générés par AGO1, à l’instar du mutant xrn4. Pour confirmer le rôle de ces suppresseurs endogènes, les lignées xrn2, xrn3, xrn4 et fry1 ont été infectées par le CMV dont la réplication est cytoplasmique. Les lignées xrn2 et xrn3 se comportent comme une lignée sauvage avec une infection virale qui se développe sur 66 % à 75 % des plantes infectées. À l’inverse, les plantes xrn4 et fry1 présentent une diminution d’accumulation des ARN génomiques viraux et des vsiARN. Cette hyper-résistance des plantes mutantes confirme la capacité de suppression du silencing de FRY1 et XRN4 [127].

En 2001, RRF-1, RRF-2 et RRF-3, trois facteurs homologues à l’ARN polymérase ARN-dépendante EGO-1 [129], sont étudiés chez C. elegans en vue de préciser leur rôle dans la transitivité [90]. Seuls les individus rrf-3 présentent une hypersensibilité à l’interférence par l’ARN [130], confirmant l’existence d’une régulation négative dans la voie du RNA silencing assurée par RRF-3. Un tel phénotype d’hypersensibilité est aussi décrit chez les nématodes eri-1[131]. In vitro, ERI-1 (enhanced RNA interference 1) dégrade spécifiquement des siARN aux extrémités 3’ sortantes ; les espèces simples brins et totalement hybridées ne sont pas ciblées. L’analyse in silico de ERI-1 a mis en évidence un domaine exonucléasique et un domaine de fixation aux acides nucléiques. Ainsi, ERI-1 semble limiter l’interférence par l’ARN en fixant puis en initiant la dégradation des duplex de siARN par leur extrémité 3’. Par ailleurs, la localisation de ERI-1 dans les neurones et les gonades pourrait expliquer l’efficacité moindre du RNA silencing dans ces tissus.

Chez A. thaliana, les RNase de type III se répartissent en deux familles :

  • les protéines Dicer-like DCL1 à DCL4 largement étudiées pour leurs fonctions dans le RNA silencing ;
  • les protéines RNase three-like (RTL1 à RTL5) qui restent bien moins décrites.

Si elles possèdent toutes un domaine RNase III (à l’exception de RTL3 qui en compte deux), seules RTL1, RTL2 et RTL3 renferment respectivement un, deux et trois domaines de liaison aux ARN doubles brins (DRB-double stranded RNA binding domain). RTL1 et RTL3 sont peu exprimées dans les plantes ; RTL2, RTL4 et RTL5 semblent quant à eux être exprimés dans presque l’ensemble des tissus végétaux. Étonnamment, le niveau d’accumulation des ARNm de RTL1 est 20 fois supérieur en cas d’infection virale par rapport au contrôle non infecté alors que ceux de RTL2 et RTL3 restent inchangés. L’expression de RTL1 est induite par quatre virus à ARN simple brin de famille distincte (TCV ; CMV ; turnip vein clearing virus [TVCV] et turnip yellow mosaic virus [TYMV]). RTL1 semble ainsi induite de façon généralisée par un stress viral. Lors de sa surexpression, RTL1 induit une diminution drastique des niveaux d’accumulation des trois classes majeures de siARN endogènes (endogenous inverted repeat-derived-siRNA [endoIR-siRNA] ; polymerase IV-dependent siRNA [p4-siRNA] et transacting-siRNA [ta-siRNA]) générés par DCL2, DCL3 et DCL4 respectivement alors que la biogenèse des miARN assurée par DCL1 n’est pas affectée. En plus, le silencing de l’ARN GUS induit par la tige-boucle 35S::GU-UG est supprimé par RTL1 qui inhibe l’accumulation des siARN, confirmant sa fonction de suppresseur endogène du silencing[132]. Par l’analogie de leurs domaines RNase III et DRB, RTL1 pourrait utiliser des substrats identiques à ceux clivés par les DCL, limitant la biogenèse des siARN par les DCL. Des expériences de clivage in vitro et in planta ont en effet montré la spécificité de RTL1 pour les longs ARNdb à proximité d’une structure en tige-boucle. Son affinité pour les longs ARN fortement appariés avait déjà été observée puisque RTL1 agit sur les précurseurs maturés par DCL2, DCL3 et DCL4 tandis que RTL1 n’a pas d’effet sur des précurseurs qui présentent de nombreux mésappariements (cas des pri- et pré-miARN). L’activité endoribonucléolytique de RTL1 génère des extrémités cohésives et la spécificité de clivage de RTL1 dépend d’une séquence consensus présente sous forme de duplex parfaitement apparié à la base de la structure en tige boucle [133]. Les produits de clivage générés par RTL1 semblent totalement dégradés par les exoribonucléases cellulaires. Ainsi, RTL1 pourrait exercer sa fonction antivirale en amont des DCL antivirales en initiant la dégradation des intermédiaires de réplication viraux et/ou les ARN viraux localement structurés. Cette barrière antivirale supplémentaire est toutefois supprimée par les VSR P38 (TCV), 2b (CMV) et HC-Pro (TEV) qui restaurent l’accumulation des siARN [132]. Les VSR, en plus de supprimer le PTGS dépendant des DCL antivirales, peuvent aussi cibler l’activité de RTL1.

Les virus animaux expriment des VSR

En 2002, une fonction de suppression du silencing a été associée à une protéine virale animale : la protéine B2 du Flock house virus (FHV), ce dernier infectant naturellement les insectes [134]. Exprimée de façon transitoire dans des plantes transgéniques où l’expression de la GFP est réprimée, la protéine B2 restaure la fluorescence de la GFP et réduit les niveaux d’accumulation des siARN dirigés contre l’ARNm de la GFP. La transfection de virus FHV et FHV-ΔB2 dans des lignées cellulaires de drosophiles sauvages ou sous-exprimant AGO2 ont confirmé la capacité de suppression du silencing par B2. En 2005, deux structures de la protéine B2 sont obtenues par des équipes distinctes, l’une par résonance magnétique nucléaire (RMN) [135], l’autre par co-cristallisation avec un ARNdb de 18 nt [136]. B2 se présente sous forme dimérique, où chaque monomère renferme trois hélices α (α1, α2 et α3). Si les deux structures sont quasi identiques, l’orientation d’une des trois hélices est très légèrement différente mais pourrait aisément s’expliquer par une adaptation conformationnelle de B2 suite à sa liaison à l’ARN dans l’étude cristallographique. Les résidus chargés positivement sont exposés à la surface du dimère assurant l’interaction avec les groupements phosphate du squelette de l’ARN, et ce indépendamment de sa séquence nucléotidique [136]. Contrairement à p19, le dimère de B2 n’assure pas la reconnaissance spécifique des extrémités 5’ et 3’ de l’ARN, laissant aussi présager une liaison aux ARN indépendamment de leur taille. Ces données structurales sont en accord avec des résultats publiés la même année qui confirment la fixation de B2 aux duplex de siARN et aux ARNdb plus longs [137, 138]. B2 semble aussi inhiber in cellulo et in vitro le clivage par Dicer des longs ARNdb, limitant alors la biogenèse des siARN [136, 137]. Ainsi, la suppression du silencing assurée par B2 pourrait s’opérer à deux niveaux : en masquant les longs ARNdb substrats de Dicer et/ou en séquestrant les siARN générés suite au dicing. En 2009, l’interaction entre le domaine C-terminal de B2 et le domaine PAZ de Dicer est démontrée par double hybride de levure et des expériences de pull-down[139]. Le domaine PAZ des protéines Dicer assurant l’ancrage de l’une des extrémités d’un ARNdb, B2 pourrait empêcher leur accès au domaine PAZ par un mécanisme de compétition. Dans cette hypothèse, B2 pourrait se substituer à Dicer dans la liaison aux ARNdb et serait en concordance avec l’affinité supérieure de B2 pour les longs ARNdb par rapport aux duplex de 21 nt [138]. Bien que les mammifères puissent compter sur leurs réponses immunitaires innées et adaptatives afin de contrer une infection virale, certains virus humains expriment des VSR. C’est d’ailleurs en utilisant le système d’expression transitoire en plantes que la fonction de suppresseur de silencing fut découverte pour la protéine NS1 du virus de la grippe influenza A [140, 141]. À l’instar de la protéine B2 du FHV, la protéine NS1 restaure l’expression de la GFP dans un système rapporteur et réduit de façon drastique le niveau d’accumulation des siARN dirigés contre l’ARNm de la GFP. La suppression du silencing par NS1 est confirmée in planta par l’utilisation du vecteur viral PVX où NS1 exacerbe les symptômes d’infection et augmente la pathogénicité virale. Le mode d’action de NS1 a été en partie élucidé par des études in vitro où NS1 fixe les siARN de 21 nt [140]. La co-cristallisation du domaine DRB de NS1 associé à un duplex de siARN a permis de confirmer les résultats précédents. L’étude d’une protéine dans un règne différent n’est pas limitée à NS1. Une analyse « trans-règne » de la protéine NS3 du rice hoja blanca virus (RHBV) fut menée sur des cellules de mammifères pour tester la complémentation fonctionnelle de la protéine virale Tat du VIH-1. NS3 est en effet capable d’assurer cette complémentation fonctionnelle en présence de son domaine DRB et pourrait alors s’opérer par la séquestration des duplex de petits ARN. Cette étude a permis de confirmer la suppression du silencing assurée par Tat et de proposer un mode d’action par mimétisme à celui décrit pour NS3 [142]. Une combinaison de ces deux systèmes « trans-règne » a été utilisée pour préciser la fonction de la protéine virale Tat en la comparant au suppresseur p19 des Tombusvirus [143]. Leurs effets ont à la fois été étudiés in planta par l’expression transitoire de Tat et p19 dans des protoplastes de N. benthamiana, et aussi par leur transfection dans des cultures cellulaires de mammifères. Par-là, les auteurs ont montré qu’à l’instar de p19, la fonction de Tat dans la suppression du silencing intervient en aval de la biogenèse des duplex d’ARNdb. Aussi, Tat et p19 favorisent la traduction des ARNm du VIH assurant alors une augmentation de la production de virions. Ainsi, l’inhibition traductionnelle des ARN viraux induite par les miARN cellulaires semble contournée par le VSR Tat du VIH. Cette activité de suppression du silencing requiert la fonctionnalité de son domaine DRB. Des travaux similaires reposant sur la complémentation fonctionnelle de Tat du VIH-1 ont permis de confirmer la fonction de VSR de la protéine NS1 du virus influenza et aussi de l’attribuer aux protéines VP35 et E3L du virus Ebola et de la vaccine respectivement [144, 145].

L’étude du RNA silencing dans les cellules somatiques de mammifères est complexifiée par l’existence de la réponse interféron antivirale. Ces deux voies cellulaires semblent exclusives : si les protéines du RNA silencing sont exprimées et fonctionnelles, la réponse antivirale est toutefois assurée par la voie de l’interféron [146]. La relation entre l’immunité antivirale et le RNA silencing a été mise en évidence en utilisant des cellules souches embryonnaires (CSE) de souris déficientes dans la mise en place de la réponse interféron. L’infection par le virus de l’encéphalomyocardite (EMCV) de ces cellules non différenciées provoque l’accumulation de vsiARN. La nature de ces petits ARN (taille, extrémités 3’ sortantes de 2 nt…) et l’utilisation de lignées Dicer knockout confirment leur biogenèse via la machinerie du RNA silencing. L’effet antiviral de ces vsiARN n’a pas été testé sur la réplication de l’EMCV, mais leur association avec AGO2 semble valider leur fonctionnalité pour rejoindre un complexe RISC actif. L’accumulation des vsiARN diminue drastiquement lorsque les cellules sont différenciées, en accord avec la prévalence fonctionnelle de la réponse interféron dans les cellules somatiques. Pour évaluer le potentiel antiviral des vsiARN, le virus Nodamura (NoV) a été utilisé. NoV exprime une protéine B2 qui inhibe l’activité de Dicer à l’instar de la protéine B2 du FHV. Un NoVΔB2 maintien l’accumulation des vsiARN dans les CSE et dans des cellules somatiques ; leur biogenèse Dicer-dépendante est abolie lors d’une infection par NoV sauvage [147]. De plus, l’accumulation du virus NoVΔB2 est amplifiée dans des CSE mutées pour AGO2 [147] et dans des cellules somatiques de rein de hamsters nouveau-nés qui expriment la protéine B2 du NoV ou le VSR VP35 du virus Ebola [148]. L’infection de souriceaux par le virus sauvage NoV est létale cinq jours après inoculation, et tous les souriceaux infectés par le virus NoVΔB2 survivent. La clairance virale chez les souriceaux infectés par NoVΔB2 est corrélée à l’accumulation de vsiARN et à la perte de suppression du silencing assurée par la protéine B2 [148]. Ces résultats sont en faveur d’une réponse antivirale conférée par le RNA silencing chez les mammifères et des travaux menés sur l’entérovirus humain 71 (HEV71) viennent renforcer l’importance de cette voie antivirale [149]. La fonction de VSR a été attribuée à la protéine non structurale 3A qui limite la biogenèse des vsiARN par la séquestration des longs ARN doubles brins. À l’instar du NoV, un virus HEV71 sauvage induit la production aberrante de petits ARN caractéristiques de produits de dégradation viraux, tandis que des mutations ponctuelles introduites dans la protéine 3A diminuent sa liaison aux ARN doubles brins et engendrent l’accumulation de vsiARN. Ces vsiARN sont générés par Dicer à partir des intermédiaires de réplication viraux, co-immunoprécipitent avec AGO et assurent la dégradation d’ARN exprimant des séquences virales. L’accumulation de ces vsiARN est corrélée à la clairance virale et à la diminution drastique de la pathogénicité. Ces expériences, menées à la fois dans des cellules somatiques de mammifères et aussi sur des souris, ont également permis de montrer que ces résultats sont indépendants de la voie interféron et attestent du véritable rôle de l’interférence par l’ARN dans la défense antivirale chez les mammifères. Si plusieurs études confirment le rôle du RNA silencing comme défense antivirale chez les mammifères, cette récente attribution n’est pas encore unanime et offre de multiples perspectives. Le tableau 1 reprend quelques exemples de suppresseurs viraux animaux.

Quand les ARN non codants viraux s’en mêlent

Le champ du « non-codant » ne cesse de passionner depuis la découverte des miARN à la fin du xxe siècle [150]. Aujourd’hui, plus de 38 500 miARN sont référencés, toutes espèces confondues (http://www.mirbase.org/index.shtml, consulté le 2 août 2019). La famille des petits ARN non codants associés au silencing des gènes est désormais étendue aux siARN (small interfering) ainsi qu’aux piARN (piwi interacting). Ces derniers sont toutefois restreints aux tissus gonadiques des animaux, Dicer-indépendants et spécifiques de séquences d’éléments transposables [151]. Les longs ARN non codants (lncARN-taille supérieure à 200 nt et jusqu’à des dizaines de kilobases) présentent eux aussi des rôles régulateurs majeurs. Les lncARN sont impliqués dans la majorité des processus cellulaires et, par conséquent, dans de multiples pathologies puisque certains lncARN affectent des régulations épigénétiques et contrôlent le cycle cellulaire ou des réponses immunitaires [152].

Les virus ne font pas exception dans le monde des ARN régulateurs. En plus d’exprimer des VSR de nature protéique, certains d’entre eux expriment aussi leurs propres ARN non codants. La régulation par les miARN viraux a été démontrée pour la première fois en 2004 en étudiant le virus d’Epstein-Barr (EBV) [153]. L’EBV assure une régulation fine de son cycle viral par l’expression de 44 miARN viraux dont les cibles cellulaires sont multiples. Ces miARN contrôlent par exemple l’évasion du système immunitaire, le maintien de la latence virale et l’inhibition de l’apoptose. Ils assurent aussi la régulation de l’expression des protéines virales comme l’ADN polymérase (BALF5), les protéines membranaires (LMP1 et LMP2) impliquées dans la transformation, et l’immortalisation des lymphocytes B et BFLF2 requise pour la translocation nucléocytoplasmique des nucléocapsides. En ciblant les messagers codant pour ces protéines, les miARN viraux semblent inhiber l’activation du cycle lytique au profit du maintien de la latence virale et promouvoir l’échappement au système immunitaire [154]. L’expression de tels miARN viraux a été identifiée chez plusieurs autres virus des Herpesviridae[155], mais aussi au sein des baculovirus [156]. En plus, deux transcrits non codants sont exprimés par l’EBV : EBER1 et EBER2 (EBV-encoded small RNA) de 167 et 172 nt, respectivement. Leurs interactions avec les protéines PKR (protein kinase R), TLR3 (toll like receptor 3) et RIG-1 (retinoic acid-inducible gene I) modulent le système immunitaire pour favoriser la pathogénicité virale et leur pouvoir transformant [157]. L’expression d’ARN non codant ciblant PKR rappelle la situation retrouvée chez les adénovirus (AdV).

Les AdV humains sont des virus à ADN double brin d’environ 36 kilopaires de bases. Ils expriment tous un transcrit non codant, VA RNAI (virus-associated RNA), d’environ 160 nt. Un deuxième ARN non codant, VA RNAII, est exprimé par 80 % des AdV et sont tous deux transcrits par l’ARN polymérase III à partir de régions intragéniques. Ces ARN sont hautement structurés et VA RNAI présente trois domaines distincts : une tige apicale, un domaine central et une tige terminale. Ces VA RNA sont exportés du noyau par l’exportine 5 (Exp5) qui assure la translocation cytoplasmique de protéines à DRB, de petits ARN comme les ARN de transfert et les précurseurs de miARN et l’ARNm de Dicer [158]. Exp5 assure l’export d’ARN qui présentent une extrémité courte 3’ sortante, une extrémité 5’ appariée ainsi qu’une tige de 15 nt minimum. Cette structure est présente à l’extrémité de la tige terminale de VA RNAI et interagit directement avec Exp5. Synthétisés jusqu’à 108 copies par cellule, VA RNAI semble saturer Exp5 rentrant ainsi en compétition directe pour l’export des pre-miARN et des ARNm de Dicer. Cette compétition a pour effet de diminuer drastiquement l’interaction entre les ARNm de Dicer et Exp5 et provoque une déplétion d’accumulation des protéines Dicer cytoplasmiques. VA RNAI limite ainsi l’export des pre-miARN ainsi que leur maturation cytoplasmique en diminuant la quantité de protéines Dicer. Dans le cytoplasme, les VA RNA vont limiter le RNA silencing en saturant les Dicer disponibles. VA RNA I et VA RNAII présentent en effet de nombreux mésappariements à l’instar des miARN faisant d’eux de bons substrats. Bien qu’ils soient moins abondants que les VA RNAI, les VA RNAII sont préférentiellement clivés par Dicer et incorporés dans le complexe RISC sous le nom de « mivaRNAs » (VA RNA-derived miRNAs). Plusieurs ARN cibles complémentaires aux mivaRNAs ont été identifiés sans toutefois établir un lien direct entre le silencing de ces gènes et le bénéfice pour le virus, à l’exception de la cullin 4A. La suppression post-transcriptionnelle de la cullin 4A par un mivaRNAII stimule la voie de signalisation des JNK (Jun N-terminal kinase) en faveur de la réplication virale [159]. Néanmoins, la séquence nucléotidique des VA RNA est peu conservée au sein des AdV, l’efficacité de clivage et le nombre de coupures réalisé par Dicer tout comme la sélection du brin guide dans AGO2 semblent spécifiques à chaque sérotype viral. L’ensemble de ces éléments diminue la possibilité d’obtenir des mivaRNAs que l’on pourrait considérer comme « consensus » en assurant le knock-down de gènes communs. Les VA RNA pourraient agir comme de simples compétiteurs qui saturent les Dicer cellulaires et provoquent une dérégulation globale de la population des miARN. Des travaux supplémentaires apparaissent nécessaires pour élucider la fonction de ces mivaRNAs dont la biogenèse par Dicer est conservée chez tous les AdV et confirme l’importance pour les AdV de produire de tels substrats à action pro-virale [158]. Chez les mammifères, la réponse interféron reste toutefois la voie antivirale majeure [160] où la protéine PKR est activée par l’ARNdb. VA RNAI est aussi capable de fixer PKR pour empêcher sa dimérisation, limitant ainsi l’activation de cette voie antivirale par compétition avec les ARNdb viraux [161, 162].

L’identification de VSR protéiques au sein des flavivirus fut peu fructueuse [163] jusqu’à ce que cette fonction VSR soit associée à la protéine non structurale NS4B du virus de la dengue [164]. Cette suppression du silencing fut a contrario associée à la protéine structurale CP du virus de la fièvre jaune [165]. Si l’identification des VSR protéiques au sein des flavivirus semble divisée, ils assurent tous l’expression d’un ARN non codant (subgenomic flavivirus RNA [sfRNA]), colinéaire à la région virale 3’UTR, essentielle à la pathogénicité virale [166]. Il était initialement nommé ARN viral subgénomique mais sa biogenèse fut rapidement associée à la dégradation incomplète des ARN viraux génomiques par XRN1, une exoribonucléase cellulaire impliquée dans la régulation du catabolisme des ARN [166]. Plusieurs travaux ont permis d’identifier les structures d’ARN assurant le blocage de XRN1 et l’accumulation subséquente des sfRNA (figure 4A)[167]. La fonction des sfRNA a été associée à la suppression du silencing en étudiant le West Nile virus (WNV), alors qu’aucune de ses protéines non structurales testées ne possède cette activité [163]. La suppression par l’intermédiaire des sfRNA de WNV est efficace sur la voie des siARN et des miARN en cellules d’insectes et de mammifères. De tels résultats ont pu être transposés au virus de la dengue et complétés par l’étude du Kunjin virus (KUNV) confirmant l’importance des sfRNA dans la suppression du silencing en contexte infectieux dans le moustique vecteur Culex quinquefasciatus[168]. Ces travaux ont également révélé une co-immunoprécipitation spécifique de la région 3’UTR avec Dicer et AGO2 dans des cellules infectées par le KUNV. De plus, les sfRNA du WNV sont capables d’inhiber le clivage par Dicer d’un long ARNdb in vitro par un mécanisme qui semble compétitif puisque des produits de clivage spécifiques des sfRNA sont obtenus [163]. Les sfRNA pourraient, à l’instar des VA RNA, se substituer aux génomes viraux en saturant Dicer et AGO2 pour limiter la défense antivirale cellulaire.

Un mécanisme comparable est décrit pour le beet necrotic yellow vein virus (BNYVV). Le génome de ce phytovirus multipartite est composé de quatre à cinq segments d’ARN de polarité positive, coiffés et polyadénylés, où chacun est encapsidé dans une particule hélicoïdale. Les ARN1 et ARN2 suffisent à assurer la réplication virale sur des plantes modèles comme N. benthamiana. Toutefois, sur les hôtes naturels (i.e. du genre Beta), les ARN4 et ARN3 sont nécessaires à la transmission et au mouvement viral systémique respectivement. Ce mouvement à longue distance n’est pas dépendant de l’ARN3 per se, mais repose plutôt sur l’accumulation d’un ARN viral non codant dérivé de l’ARN3 (ncRNA3) [169, 170], initialement désigné ARN3sub [171]. Au voisinage du domaine promoteur de la synthèse de l’ARN3sub se trouve la séquence « core », d’environ 250 nt impliquée dans le mouvement viral à longue distance [172]. L’étude détaillée de la séquence « core » a permis d’y identifier un motif de 20 nucléotides, « coremin », conservé chez l’ensemble des Benyvirus [173] et connu sous « Box1 » au sein des Cucumovirus. Dans le cas du CMV, l’accumulation de l’ARN5 subgénomique est dépendante de cette séquence « Box1 » qui se structure sous la forme d’une tige-boucle [174]. Chez le BNYVV, la séquence « coremin » est indispensable à l’accumulation de l’ARN3sub et assure le mouvement viral à longue distance sur les espèces du genre Beta[169]. L’accumulation d’ARN3sub hors du contexte viral et in vitro définit cet ARN3sub comme un ARN non codant (ncRNA3) issu d’une dégradation incomplète de l’ARN3 [169]. La production de ncRNA3 est attribuée à la protéine cellulaire XRN4 d’A. thaliana qui dégrade l’ARN3 de 5’ en 3’ pour atteindre la séquence « coremin » où XRN4 semble bloquée par un élément structural (figure 4B)[175]. Les ARN viraux 1 et 2 du BNYVV suffisent à assurer l’infection et le mouvement viral à longue distance sur la plante modèle N. benthamiana où l’ARN1 permet d’exprimer les protéines nécessaires à la réplication virale tandis que les protéines structurales, de mouvement et le VSR p14 sont exprimées à partir de l’ARN2. La protéine p14 assure la suppression du silencing en limitant la production des siARN secondaires par le mécanisme de transitivité et est essentielle au mouvement viral systémique [176]. Toutefois, la version hypomorphe BA2 du VSR p14 est incapable d’assurer le mouvement viral à longue distance mais est partiellement complémentée par l’ARN3nc. En effet, près de 40 % des plantes présentent une infection systémique lorsque l’ARN3 est supplémenté dans un inoculum contenant les ARN1 et ARN2-BA2. Cette complémentation n’est observée qu’en présence de l’ARN3 sauvage et non en présence d’ARN3 déficient dans l’accumulation de ncRNA3. Ainsi, le ncRNA3 assure la complémentation fonctionnelle d’un mutant de p14 déficient dans sa fonction de VSR [170].

Conclusions et perspectives

Chez de nombreux organismes, l’interférence par l’ARN assure les fonctions primordiales de régulation de l’expression des gènes, du maintien de leur développement et permet aussi de lutter contre différents stress biotiques. En effet, bien que cette revue soit focalisée sur les infections virales, le RNAi est aussi essentiel à la régulation des gènes lors d’infections bactériennes [177] et de stress abiotiques [178].

L’une des caractéristiques principales du RNA silencing est d’assurer la diminution d’expression de sa cible par homologie de séquence. Ce mécanisme permet en effet de cibler un quelconque ARN grâce à une séquence lui étant (partiellement) complémentaire portée par le brin guide. La régulation par le RNAi assure donc un potentiel infini et une diversification totale des populations d’ARN à réprimer. Les phytovirus sont confrontés à cette redoutable machinerie et expriment une protéine et/ou un ARN capable(s) de contourner cette pression de sélection et de contrecarrer le silencing antiviral. Néanmoins, chaque virus exprime un VSR ayant un mode d’action unique alors que de fortes similarités persistent entre les facteurs cellulaires ciblés par les VSR : AGO, DCL, RDR, sARN. Les mécanismes de suppression sont bien plus diversifiés que les cibles disponibles. Cette polyvalence fonctionnelle des VSR complique leur étude où chaque VSR présente un nouvel enjeu de découverte scientifique. Une multitude de VSR sont décrits mais le mode d’action d’une minorité a pu être élucidé grâce à leur caractérisation structurale (ex. p19 et p21). Dans ce système, la fonction des suppresseurs endogènes du silencing est à prendre en compte également. Essentiels pour réguler le RNA silencing les virus ont su tirer profit de leurs fonctions initiales en induisant leur expression pour compléter l’action des VSR.

Si l’étude des VSR était initialement restreinte aux protéines, l’intérêt pour les ARN viraux ayant une action de VSR s’est depuis peu amplifié. Il n’est pas surprenant de retrouver des acides nucléiques voués à supprimer le RNA silencing, ce mécanisme étant lui-même initié et régi par des ARN. Un mécanisme de régulation permet de limiter le silencing endogène et consiste à dévier les miARN de leurs cibles initiales par des « éponges à miARN ». Un ARN possédant de multiples sites de liaison au miARN voulu est surexprimé de façon à favoriser la formation de complexes miRISC sur ces éponges de miARN. Les miARN sont ainsi séquestrés sur ces « éponges » et leur fonction initiale est détournée. Cette régulation est particulièrement étudiée en clinique mais le design des « éponges » reste compliqué et le risque d’off-target doit être contrôlé [179, 180]. La première « éponge » endogène à miARN a été découverte chez les plantes [181] puis chez les procaryotes [182]. Sans surprise, les virus sont parvenus à tirer profit de ce nouveau mécanisme de régulation, à l’instar de l’herpesvirus saimiri et du cytomégalovirus lytique murin [183, 184]. L’expression d’ARN non codants viraux a été démontrée pour plusieurs virus de plantes ou animaux. À l’inverse des VSR protéiques, une conservation fonctionnelle semble apparaître pour certains ARN non codants qui servent de leurre dans la machinerie du silencing. Leur fonction commune consiste à saturer les principales protéines antivirales de la voie du RNA silencing (Dicer-DCL, AGO, etc.). Un mécanisme de compétition est actuellement privilégié où DCL et AGO sont saturées par les leurres d’ARN non codants viraux, devenant alors déficientes dans leur fonction antivirale. Peu d’exemples sont donnés où ces ARN viraux non codants sont dédiés à intégrer un complexe RISC actif pour inhiber l’expression d’un gène précis. Ce processus de saturation n’est toutefois pas consensuel puisque certains virus, comme l’EBV, expriment un certain nombre de miARN qui affectent le cycle cellulaire en faveur de l’infection virale.

Enfin, le RNA silencing semble intimement lié aux différents mécanismes de dégradation des ARN dans la cellule, nommés RQC pour RNA quality control. Trois voies majeures de surveillance des ARN sont présentes dans la cellule : le NMD (nonsense-mediated decay), le NSD (non-stop decay) et le NGD (no-go decay). Ils assurent respectivement la dégradation des ARN qui contiennent des codons stop prématurés (premature termination codon [PTC]), des ARN dépourvus de codons stop et des ARN qui provoquent l’arrêt des ribosomes pendant la traduction. La taille des génomes viraux est souvent contrainte par la présence d’une capside et les virus ont développé plusieurs stratégies pour coder et exprimer des protéines à partir d’un génome le plus petit possible : les gènes chevauchants, la synthèse d’ARN subgénomiques, les mécanismes de translecture, etc. L’information génétique compactée chez les virus entraîne la formation de substrats idéaux pour la machinerie du RQC tels que (i) des micro-ORF ; (ii) des ARN non coiffés et non polyadénylés ; (iii) de longues séquences 3’UTR ; et (iv) des codons stop reconnus comme des PTC par les facteurs du NMD [185]. Chez les plantes [186] et les animaux [187], ces ARN viraux sont reconnus comme aberrants par la machinerie du NMD et soumis à la dégradation. Néanmoins, diverses stratégies sont utilisées par les virus pour contourner les effets délétères du NMD sur l’amplification virale. Par exemple, la résistance du virus du sarcome de Rous (RSV) au NMD est conférée par une structure d’ARN en aval d’un codon stop. Cette structure, riche en pyrimidine, assure le recrutement de la protéine PTBP1 (polypyrimidine tract binding protein 1) en lieu et place des protéines du NMD [188]. Une autre stratégie déployée par le virus T-lymphotropique humain de type I (HTLV-I) consiste à lier les protéines principales impliquées dans le NMD les empêchant ainsi d’exercer leur fonction [189]. Quelle que soit la stratégie employée, les ARN viraux sont stabilisés par l’inhibition du NMD. Initialement, une dichotomie semblait exister entre la fonction du RQC et celle de l’interférence par l’ARN où les ARN endogènes aberrants sont ciblés par les voies du RQC tandis que la régulation de l’expression de gènes endogènes mais aussi exogènes est assurée par le RNA silencing. Néanmoins, de multiples protéines impliquées dans les voies du RQC empêchent la mise en place du RNA silencing. La mutation de protéines associées au RQC stimule l’interférence par l’ARN et induit la dégradation d’ARN par la voie du silencing alors qu’ils n’y sont pas soumis en conditions sauvages. Dans cette revue, un exemple a été donné pour les exoribonucléases XRN2, XRN3 et XRN4, mais ce principe est désormais étendu à d’autres facteurs du RQC : les protéines associées à l’exosome et ses cofacteurs, responsables de la déadénylation, du decapping, etc. [190]. Bien que ces suppresseurs endogènes du silencing aient été identifiés, une question restait en suspens dans la régulation négative du RNA silencing : comment expliquer que la transitivité régule la réponse antivirale et l’expression des transgènes tandis que les ARN endogènes (majoritairement régulés par la voie des miARN) n’y sont pas soumis ? Là encore, l’intrication entre RQC et RNA silencing est indéniable. En effet, la protéine SKI2 est associée à l’exosome afin d’assurer la dégradation 3’-5’ des ARN dans le RQC. En plus, SKI2 assure la dégradation des produits de clivage 5’ libérés après l’action du complexe RISC dans la voie des miARN. SKI2 empêche donc l’activation de la transitivité dans la voie des miARN en inhibant la biogenèse des siARN secondaires alors qu’ils s’accumulent dans les plantes ski2 dépendamment de RDR6 [191]. La régulation de l’expression des gènes endogènes est ainsi préférentiellement soumise au RQC alors que leur prise en charge par la machinerie du silencing leur serait délétère.

L’interférence par l’ARN se présente ainsi comme un mécanisme hors-pair de régulation d’expression des gènes. Il est lui-même finement régulé par de multiples facteurs protéiques et/ou nucléiques. Son intrication avec diverses voies cellulaires (RNA quality control, édition des ARN) assure une régulation hiérarchique mais également coordonnée des processus d’expression. S’il est d’une complexité édifiante, le RNA silencing est aisément contourné lors d’infection virale. Les virus se présentent comme de redoutables perturbateurs capables d’éviter les effets de ce mécanisme antiviral ou même d’en tirer profit. Il reste toutefois de nombreuses perspectives de recherche en vue d’élucider les mécanismes du contournement viral, médié par les VSR et leur(s) ARN non codants associé(s).

Remerciements

Lucie Bellott a rédigé le manuscrit et réalisé les figures. Fabrice Michel et David Gilmer ont corrigé et édité la revue. Les auteurs remercient les deux reviewers pour leurs commentaires et suggestions.

Lucie Bellott est financée par une allocation doctorale du ministère de l’Éducation et de la Recherche.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt en rapport avec l’article.

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