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Virologie

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Contribution des cellules tueuses naturelles chez les sujets contrôleurs d’élite du VIH Volume 26, numéro 1, Janvier-Février 2022

Illustrations


  • Figure 1.

  • Figure 2.

  • Figure 3.

  • Figure 4.

Tableaux

Introduction

Les cellules tueuses naturelles (NK pour natural killer) font partie du système immunitaire inné et possèdent des propriétés antivirales et antitumorales essentielles [1]. Elles répondent très précocement à l’infection par le VIH en secrétant des cytokines et des chimiokines qui vont limiter la propagation du virus et lyser les cellules infectées [1, 2]. La réponse, ou l’absence de réponse, des cellules NK est déterminée par l’intégration d’un ensemble de signaux inhibiteurs et activateurs rec¸us par les récepteurs NK (NKR pour natural killer cell receptor) qui interagissent avec leurs ligands exprimés par les cellules environnantes [3]. Les cellules NK peuvent également être activées par des mécanismes dépendants des anticorps (AD pour antibody dependent). La régulation de leur activité par les anticorps et leur capacité à moduler les réponses immunitaires adaptatives en dialoguant avec les cellules dendritiques illustrent bien la position charnière des cellules NK entre l’immunité innée et adaptative [4]. Les cellules NK ont été impliquées dans les réponses contre plusieurs virus tels que le virus de l’immunodéficience humaine (VIH), le cytomégalovirus humain, le virus de l’hépatite B, le virus de l’hépatite C et le virus de la grippe [5-12]. Dans le contexte de l’infection par le VIH, l’importance des cellules NK est mise en évidence par l’émergence de mutations du virus induites par la pression immunitaire imposée par ces cellules [13].

En l’absence de traitement, la progression de l’infection par le VIH varie grandement d’un individu à l’autre. Parmi les individus capables de contrôler l’infection virale, on trouve les contrôleurs d’élite (EC pour elite controller) et les contrôleurs viraux (VC pour viral controller). Les EC représentent entre 0,2 et 0,5 % des individus vivants avec le VIH (PLWH pour people living with HIV). Ils maintiennent leur charge virale en dessous du seuil de détection des tests classiques de quantification du virus sanguin (+ circulantes en l’absence de traitement [14-19]. Les VC maintiennent une charge virale faible mais détectable (entre 50 et 3000 copies/ml de plasma) en l’absence de traitement [14, 16, 17, 20]. Les EC et les VC appartiennent à un groupe plus large de contrôleurs qui regroupe environ 5 % des PLWH et qui inclut les non-progresseurs à long terme (LTNP pour long term non-progressor), capables de maintenir un compte CD4 élevé pendant au moins sept ans en l’absence de traitement [14, 20]. Le terme de LTNP précède l’apparition et la mise à disposition des tests mesurant la charge virale plasmatique. Certains de ces LTNP furent par conséquent re-classifiés comme EC ou VC après détermination de leur charge virale plasmatique [14, 21].

Les EC et les VC forment donc un groupe hétérogène dont la classification est basée sur la charge virale, la présence ou l’absence de rebond viral, le compte CD4 et la durée pendant laquelle ils ont été suivis. Les critères spécifiques utilisés pour définir les EC et les VC diffèrent cependant d’une cohorte à l’autre [14, 22-24]. Dans cette revue, nous utiliserons les termes « EC » et « VC » pour se référer aux PLWH qui adhèrent aux critères définis par Deeks et Walker [14]. Toutefois, comme beaucoup d’études utilisent les termes de progresseurs lents, de LTNP et de contrôleurs pour décrire des individus qui n’adhèrent pas de manière stricte aux critères de Deeks et Walker pour définir les EC et les VC, nous utiliserons le terme générique « contrôleurs » pour désigner ces individus [14] et « non-contrôleurs » pour désigner les individus autres que « EC », « VC » ou « contrôleurs ». Le terme « non-contrôleur » désignera donc les individus en phase chronique de l’infection, traités ou non par la thérapie antirétrovirale (ART pour anti-retroviral therapy). Par ailleurs, il existe une autre catégorie de PLWH traités précocement après la primo-infection, capables de contrôler spontanément leur charge virale après arrêt de leur traitement [25]. Cette catégorie de contrôleurs ne sera pas discutée dans cette revue.

Certains travaux suggèrent que la réplication virale est contrôlée essentiellement chez les individus infectés par un virus défectif [16, 26, 27]. D’autres travaux associent ce contrôle à des réponses immunitaires antivirales plus efficaces [28-30]. En effet, les réponses T CD8+ anti-VIH sont davantage polyfonctionnelles chez les contrôleurs que chez les non-contrôleurs. Ces cellules relarguent davantage de CD107a, de perforine et de granzyme B après stimulation si elles proviennent de contrôleurs que de non-contrôleurs [31-33]. Les cellules T CD4+ anti-VIH de contrôleurs sécrètent également plus d’interleukine (IL pour interleukin)-2 et prolifèrent davantage après stimulation que celles de non-contrôleurs [34-36]. L’analyse des séquences provirales montre que les EC possèdent un nombre plus faible de provirus que les PLWH traités avec succès et qu’il y a proportionnellement davantage de provirus intacts chez ces derniers [37]. L’analyse des sites d’intégration du virus montre également que les provirus s’intègrent davantage dans des régions peu exprimées de la chromatine chez les EC comparativement aux PLWH traités avec succès [37]. Certains EC contrôlent très précocement la réplication virale après infection, possiblement avant même l’émergence d’une réponse immunitaire adaptative [38, 39]. Un contrôle aussi rapide soulève l’hypothèse d’une implication précoce de la réponse immunitaire innée dans le contrôle du VIH chez les EC. Les cellules NK ont le potentiel pour exercer un contrôle rapide de l’infection par le VIH par le biais de mécanismes dépendants et indépendants des anticorps. Dans cette revue, nous détaillerons ce qui a été découvert sur les réponses antivirales spécifiques aux cellules NK et leur rôle dans le contrôle viral.

Les NKR et leurs ligands : génétique, structure et éducation des cellules NK

Les EC et les VC ont une probabilité plus importante que les non-contrôleurs d’être porteurs des allèles HLA-B*57,-B*58 ou -B*27 [40, 41]. Des études de liaison génétique à l’échelle du génome ont mis en évidence des associations entre certains polymorphismes touchant un seul nucléotide (SNP pour single nucleotide polymorphism) dans la région du complexe majeur d’histocompatibilité (MHC pour major histocompatibility complex) de type I (ou antigène des leucocytes humains [HLA pour human leukocyte antigen]) sur le chromosome 6 et le contrôle de la charge virale plasmatique [42, 43]. Un SNP présent dans une séquence de rétrovirus endogène associé au HLA-B*57:01 et un second SNP, situé à 35 kilobases en amont du HLA-C sont responsables de près de 15 % de la variation de la charge virale mesurée après stabilisation [42]. Une autre étude de liaison génétique à l’échelle du génome a confirmé ces résultats et identifié d’autres allèles du MHC de type I associés à la protection (B*27:05, B*14/Cw*08:02, B*52 et A*25) ou à la progression (B*35 et Cw*07) de l’infection par le VIH [43]. Les acides aminés concernés dans ces études sont localisés spécifiquement dans la poche impliquée dans la présentation de peptides aux cellules T CD8+ suggérant le rôle important de la réponse CD8+ dans le contrôle du virus [31-33, 43]. Toutefois, un nombre important de molécules HLA interagit également avec les récepteurs inhibiteurs de type immunoglobuline présents sur des cellules tueuses (KIR pour killer immunoglobulin-like receptor).

Les KIR sont produits à partir d’une quinzaine de gènes polymorphes situés dans la région du complexe des récepteurs leucocytaires sur le chromosome 19q13.4 [44] (figure 1). Les KIR sont exprimés par les cellules NK et certaines sous-populations lymphocytaires [45, 46]. Les ligands des KIR inhibiteurs sont des molécules du MHC de type I (tableau 1). La liaison des KIR inhibiteurs à leur ligand respectif transmet un signal inhibiteur à la cellule NK qui souvent domine sur les signaux activateurs afin d’assurer la tolérance envers ses propres cellules qui expriment un HLA particulier [3, 47, 48]. Par ailleurs, les cellules NK acquièrent leurs fonctions effectrices par un processus appelé éducation [49-52]. L’éducation se produit au cours du développement des cellules NK, lorsque celles-ci rec¸oivent un signal inhibiteur provenant des molécules HLA autologues, à travers les KIR inhibiteurs qu’elles expriment. L’éducation prédispose les cellules NK à s’activer pleinement lorsqu’elles vont rencontrer une cellule autologue qui exprime un faible niveau de HLA parce qu’elle est infectée ou maligne. Le niveau d’éducation des cellules NK, autrement dit l’efficacité avec laquelle les cellules NK matures pourront répondre à une cellule environnante ayant un niveau aberrant de HLA, dépend de la variété des interactions KIR inhibiteur-ligand, de leur densité et de l’avidité de ces interactions au cours du processus d’éducation [50, 52, 53]. Les gènes qui codent les KIR et les HLA sont fortement polymorphes et localisés sur différents chromosomes [54]. Les KIR sont exprimés de manière stochastique et redondante à la surface de sous-populations de cellules NK. La variabilité allélique des HLA et des KIR a pour conséquences que des cellules NK éduquées, nonéduquées ou éduquées à différents degrés peuvent coexister in vivo [52, 55, 56]. Les cellules NK KIR+ qui n’ont pas été éduquées par un HLA autologue au cours de leur développement répondront de manière sous-optimale à une expression aberrante de ce HLA, à moins qu’elles ne rec¸oivent un signal d’activation fort [49, 51, 57, 58].

La nomenclature des KIR est basée sur leur structure. Par exemple, KIR3DS1 et KIR3DL1 ont trois domaines extracellulaires de type immunoglobuline (i.e. 3D dans le nom du récepteur), et un domaine intracytoplasmique court ou long ([S pour short] ou [L pour long] dans le nom du récepteur) qui est caractéristique des KIR activateurs ou inhibiteurs, respectivement [59]. Les ligands de KIR3DL1 sont des HLA-A et -B particuliers contenant les motifs HLA-Bw4, définis par des acides aminés particuliers en position 77-83 de la chaîne lourde [60, 61]. En position 80 du HLA-Bw4, on observe soit une isoleucine (*80I) soit une thréonine (*80T), définissant ainsi deux isotypes qui se distinguent par leur densité membranaire et leur affinité pour KIR3DL1 [52, 56, 62]. On trouve également les allotypes HLA-Bw6 qui n’interagissent pas avec KIR3DL1. Par conséquent, les cellules NK KIR3DL1+ d’un donneur homozygote HLA-Bw6 ne sont pas éduquées à travers ce récepteur [49]. Parmi les allotypes de KIR3DL1, on distingue KIR3DL1-null qui n’est pas exprimé à la membrane cellulaire, KIR3DL1-low et KIR3DL1-high qui sont exprimés faiblement et fortement sur la membrane cellulaire, respectivement [52, 63]. Alors que KIR3DL1-high possède une plus forte affinité pour Bw4*80I que pour Bw4*80T, KIR3DL1-low possède une affinité comparable pour ces deux allotypes [52]. Les KIR inhibiteurs KIR2DL1, KIR2DL2 et KIR2DL3 se lient aux allotypes du HLA-C qui se divisent en deux groupes, HLA-C1 et HLA-C2. Les allotypes HLA-C1 ont une asparagine en position 80 et se lient au KIR2DL3. Les allotypes HLA-C2 ont une lysine en position 80 et se lient aux KIR2DL1 et KIR2DS1 [55, 64, 65]. Le KIR2DL2 est un récepteur intermédiaire qui se lie aux allotypes HLA-C1 et à certains allotypes HLA-C2 [55, 64, 66]. Le récepteur NK appartenant au membre A du groupe 2 (NKG2A pour NK group 2 member A/CD94 pour cluster of differentiation 94) et le récepteur leucocytaire 1 de type immunoglobuline (LIR-1 pour leukocyte immunoglobulin-like receptor 1) sont d’autres NKR inhibiteurs qui interagissent avec des régions conservées des HLA et qui contribuent également à l’éducation des cellules NK ainsi qu’à leur réactivité à l’état mature [67-70].

L’éducation des cellules NK se produit essentiellement par l’interaction des NKR inhibiteurs (KIR, NKG2A/CD94, LIR-1) avec leurs ligands. Les divers modèles proposés pour expliquer l’éducation des cellules NK s’accordent à dire que l’ensemble des interactions KIR inhibiteurs-HLA qui ont lieu lors de l’éducation va également déterminer si des cellules NK matures sont capables de répondre à un signal activateur induit par l’interaction des NKR activateurs avec leurs ligands ainsi que le niveau de cette réponse [50, 51, 71]. Les variations alléliques des KIR et des HLA vont influencer l’avidité de leurs interactions en modifiant l’affinité de chaque récepteur pour son ligand et leur densité à la surface des cellules [11, 52, 55].

Rôle de l’association KIR3DL1/HLA dans l’activation indépendante des anticorps des cellules NK et le contrôle du virus

Des études épidémiologiques ont montré qu’être porteur de certaines combinaisons génotypiques telles que KIR3DL1 + HLA-Bw4 et KIR3DS1 + HLA-Bw4*80I avait un impact sur la progression de l’infection vers le syndrome d’immunodéficience acquise (sida), suggérant ainsi l’implication des cellules NK dans la progression naturelle de l’infection par le VIH [10, 11]. En effet, les combinaisons génotypiques KIR3DL1*004 + Bw4 et KIR3DL1-high + HLA-Bw4*80I sont associées à une diminution plus lente du nombre de CD4 200/mm3 comparativement à des individus homozygotes pour HLA-Bw6 [11]. L’allèle protecteur HLA-B*57:01 est plus fréquent chez les contrôleurs que chez les non-contrôleurs [36, 41]. Les individus qui possèdent deux allèles KIR3DL1 dont au moins un code pour l’allotype KIR3DL1-high, et HLA-B*57 (un allèle HLABw4*80I) sont ceux qui présentent la plus lente progression vers le sida et la plus faible charge virale plasmatique parmi les PLWH [11, 72]. L’allèle HLA-B*27:05 semble également être protecteur car il est plus fréquent chez les contrôleurs que chez les non-contrôleurs [73, 74]. Les individus qui possèdent deux allèles KIR3DL1, dont au moins un code pour l’allotype KIR3DL1-low, et HLA-B*27:05 (un allèle HLA-Bw4*80T) voient également leur nombre de CD4 diminuer plus lentement [11].

Lorsqu’on stimule des cellules NK avec des cellules n’exprimant pas de HLA (HLA-null), les cellules NK sont activées uniquement par les signaux activateurs exprimés par ces cellules, en l’absence de signaux inhibiteurs. Dans ce type de scénario, les cellules NK s’activent à hauteur de l’éducation qu’elles ont rec¸ue, révélant ainsi leur plein potentiel fonctionnel. La stimulation de cellules NK par des cellules HLA-null induit davantage la production d’interféron gamma (IFN-γ), de chimiokine ligand 4 à motif C-C (CCL4 pour chemokine CC motif ligand 4) et l’externalisation du CD107, un marqueur de dégranulation, si elles proviennent d’individus de génotype KIR3DL1-high + HLA-B*57 que si elles proviennent d’individus porteurs de combinaisons KIR3DL1/HLA différentes [75]. C’est le cas des cellules NK provenant d’individus non-infectés [75] et infectés par le VIH [76]. Il est toutefois important de noter que, en règle générale, l’infection par le VIH a un impact négatif sur la fonctionnalité des cellules NK, même s’il s’avère que les cellules NK d’individus contrôleurs sont davantage fonctionnelles que les cellules NK d’individus non-contrôleurs [77-81].

Les cellules NK inhibent également mieux la réplication virale dans les cellules CD4+ autologues infectées par le VIH lorsqu’elles proviennent d’individus KIR3DL1-high + HLA-B*57 [82]. Comme illustré en figure 2, les cellules CD4+ infectées par le VIH expriment moins de HLA à leur surface, ce qui diminue le signal inhibiteur rec¸u par les KIR et, par conséquent, favorise l’activation des cellules NK [83, 84]. L’inhibition de la réplication virale par les cellules NK activées est, au moins en partie, liée à leur capacité à produire des chimiokines. En effet, le blocage du récepteur aux chimiokines CCL3, CCL4 et CCL5 diminue l’effet inhibiteur des cellules NK sur la réplication virale [82]. Ces chimiokines secrétées par les cellules NK en réponse aux cellules CD4+ infectées bloquent l’infection de nouvelles cellules CD4+ environnantes en se liant au récepteur 5 des chimiokines à motif C-C (CCR5 pour C-C chemokine receptor 5), qui est le récepteur de ces chimiokines mais également le co-récepteur du VIH [85].

Les cellules NK provenant d’individus possédant la combinaison génotypique KIR3DL1-low + HLA-B*27 répondent davantage à la stimulation par des cellules HLA-null que les cellules NK provenant d’individus qui ont une combinaison génotypique KIR3DL1 + Bw4 différente et qui ne sont pas homozygotes pour le HLA-B*57 ou qui sont homozygotes pour Bw6 [86]. De la même manière, les cellules NK provenant d’individus possédant la combinaison génotypique KIR3DL1*004 + Bw4 répondent davantage à la stimulation par des cellules HLA-null que les cellules NK provenant d’individus qui ont seulement Bw4 ou qui sont homozygotes pour Bw6 [87]. L’allotype KIR3DLI*004 du KIR3DL1-null n’est pas exprimé à la surface cellulaire car il est séquestré dans le cytoplasme [88]. Bien qu’il ne soit pas présent à la surface des cellules, les cellules NK KIR3DL1*004 semblent tout de même éduquées, ce qui pourrait expliquer leur rôle dans le ralentissement de la perte des cellules CD4 et le fait qu’elles répondent davantage à des cellules HLA-null que des cellules NK d’individus homozygotes pour Bw6 [89].

En résumé, l’association de HLA-B*57:01 et de HLAB*27:05 avec le contrôle du virus pourrait ne pas être seulement lié à une puissante réponse T restreinte par ces allotypes HLA mais également à leur rôle dans l’éducation des cellules NK qui, en retour, va déterminer la capacité de ces cellules à s’activer en réponse aux cellules CD4 autologues infectées par le VIH et ainsi contrôler la réplication du virus [11, 86].

Des cellules CD4 expriment moins de HLA-A, B et C à leur surface lorsqu’elles sont infectées par le VIH, devraient, en théorie, stimuler davantage des cellules NK éduquées que des cellules NK non-éduquées [83, 84, 90]. C’est, en effet, ce que l’on observe en comparant la réponse de cellules NK éduquées par le KIR3DL1 à des cellules NK non-éduquées [90]. La cytométrie de flux s’avère être un outil de choix pour évaluer l’impact de l’éducation des cellules NK à l’échelle cellulaire en permettant d’identifier celles qui n’expriment qu’un seul KIR inhibiteur, comme KIR3DL1. Leur réponse à la stimulation par des cellules CD4 infectées peut ainsi être évaluée en mesurant la fréquence de cellules NK KIR3DL1+ capables de sécréter des molécules aux propriétés antivirales comme l’IFN-γ, le CCL4 et le CD107a. En bref, les niveaux d’expression de KIR3DL1, de ses ligands HLA-B et leur affinité réciproque vont influencer le niveau d’éducation des cellules NK positives pour KIR3DL1 et leur capacité à répondre à des cellules CD4 autologues infectées [52, 90].

L’implication de molécules HLA autres que le HLA-B, et en particulier le HLA-C, dans le contrôle de la réplication virale reste controversé [14, 91]. Certains travaux émettent l’hypothèse que l’influence du HLA-C sur la réplication virale pourrait être seulement due à sa proximité génétique avec certains allotypes protecteurs du HLA-B comme le B*57:01 [92]. D’autres considèrent que son implication dans la progression de l’infection est indépendante de cette association génétique [93, 94]. Des études de liaison génétique à l’échelle du génome ont mis en évidence des associations entre un SNP rs9264942 (i.e. remplacement d’une cytosine par une thymine) localisé à 35 kilobases en amont du locus HLA-C et la diminution de la charge virale plasmatique [42, 43], le ralentissement de la progression vers le sida [95] et l’expression membranaire du HLA-C chez des individus caucasiens [96]. Il semblerait, en réalité, que ces associations soient dues à un autre SNP rs67384697 (i.e. remplacement d’une guanine par une délétion nucléotidique en position 263), localisé dans la région 3’ non-traduite du HLA-C. Ce SNP affecterait la liaison du microARN miR-148a à ce locus [97]. En effet, une expression faible du HLA-C est observée lorsque le site de liaison au miR-148a est intact (i.e. avec une guanine en position 263), alors qu’une expression élevée du HLA-C est observée lorsque la liaison du microARN n’est plus possible (i.e. en l’absence de guanine en position 263) [97]. Le lien direct entre le niveau d’expression du HLA-C et le contrôle viral a été mis en évidence par la relation de cause à effet observée entre la fréquence de mutations d’échappements du virus dans des épitopes restreints au HLA-C et la charge virale [98, 99] mais également par la forte corrélation positive observée entre la fréquence de lymphocytes T cytotoxiques (CTL pour Cytotoxic T Lymphocytes) induits par des peptides restreints au HLA-C et les niveaux d’expression du HLA-C [99].

Maltani, et al., ont comparé la combinaison de marqueurs génétiques associés au chromosome 6 avec le génotype KIR chez des EC ayant une charge virale indétectable et des LTNP ayant une virémie détectable persistante [100]. Ils ont observé des différences entre les effets des deux SNP du HLA-C décrits plus haut et l’allotype HLA-Bw4*80I dans ces deux groupes, et ont ainsi identifié une nouvelle signature associée spécifiquement aux EC et non aux LTNP. Cette signature inclut des gènes codant plusieurs KIR activateurs de type KIR2DS et des allèles HLA-C2 qui échappent à la diminution d’expression induite par le miR-148a. Cette découverte supporte l’hypothèse d’un rôle important des cellules NK dans le contrôle viral chez les EC faisant intervenir une expression élevée du HLA-C et des récepteurs activateurs KIR2DS.

À l’instar des cellules NK qui expriment uniquement KIR3DL1, la stimulation de cellules NK qui expriment exclusivement KIR2DL1, KIR2DL2 ou KIR2DL3 par des cellules CD4 autologues infectées, induit davantage d’IFN-γ, de CCL4 et de CD107 que la stimulation de cellules NK non-éduquées par ces KIR inhibiteurs [90].

En résumé, l’interaction de cellules NK éduquées avec des cellules CD4 autologues infectées induit une réponse fonctionnelle plus forte qu’avec des cellules NK non éduquées et seront donc plus à même de contrôler le virus. La fréquence de cellules NK sécrétrices de CCL4 semble être un paramètre particulièrement important pour distinguer le potentiel éducatif de certaines combinaisons de KIR inhibiteurs/HLA [90]. D’autres études incluant davantage de sujets seront possiblement nécessaires pour déterminer si les allèles protecteurs HLA identifiés individuellement par les études épidémiologiques et par les études de liaison génétique, permettent de mieux distinguer les activités antivirales de cellules NK possédant des combinaisons de KIR inhibiteur/allèle HLA spécifiques, comme cela a été observé après stimulation de cellules NK d’individus KIR3DL1-high + HLA-B*57 et KIR3DL1-low + HLA-B*27:05 avec des cellules HLA-null [11, 43, 75, 76, 90, 101].

KIR3DS1 dans l’activation des cellules NK indépendante des anticorps et le contrôle du virus

Des études ont montré qu’au cours de l’infection par le VIH, les individus porteurs de la combinaison allélique KIR3DS1 et HLA-Bw4*80I progressaient plus lentement vers le sida et avaient de meilleures capacités à inhiber la réplication virale dans des cellules CD4 autologues infectées que des individus porteurs seulement du récepteur, ou du ligand ou d’aucun des deux [10, 102, 103]. L’interaction directe de KIR3DS1 avec HLA de type Bw4*80I n’a jamais été mise en évidence [104-106]. Une seule étude montre que le KIR3DS1 peut interagir avec HLA-B*57 uniquement en présence de peptides du VIH [107]. KIR3DS1 se lie à la conformation ouverte de HLAF, un antigène MHC Ib non-classique [104]. Des cellules NK stimulées par des cellules HLA-null 721.221 ou par des cellules CD4 autologues infectées qui expriment HLAF, produisent davantage d’IFN-γ, de CCL4 et de CD107a que si elles sont stimulées par des cellules HLA-null qui n’expriment pas le HLA-F ou si l’interaction KIR3DS1-HLA-F est bloquée à l’aide d’anticorps anti-HLA-F ou de protéine chimérique KIR3DS1-Fc [104, 108, 109]. Bien que cela n’ait pas été clairement démontré, certaines données préliminaires suggèrent que l’association de KIR3DS1 et HLA-Bw4*80I avec la progression plus lente vers le sida et l’inhibition plus efficace de la réplication virale dans des cellules CD4 autologues infectées pourrait être lié à une activation plus importante des cellules NK par HLA-F. Le facteur de régulation négatif (Nef pour negative regulatory factor) du VIH est une protéine accessoire du VIH qui possède de multiples fonctions dont notamment la diminution de l’expression membranaire du HLA-A et -B à la surface des cellules infectées [83, 110]. Ainsi, l’activation de cellules NK par HLA-F couplé à une moindre inhibition des cellules NK KIR3DL1+ par HLA-Bw4*80I, dont l’expression à la surface des cellules infectées est diminuée par Nef, pourrait être associée à des fonctions antivirales plus efficaces des cellules NK KIR3DS1+ KIR3DL1+.

Les autres NKR impliqués dans le contrôle du virus

Les combinaisons KIR/HLA évoquées ci-dessus éduquent les cellules NK à répondre aux cellules infectées qui présentent des niveaux plus faibles de HLA, et participent ainsi à la genèse des réponses immunitaires potentiellement impliquées dans le contrôle de la charge virale. Toutefois, une des caractéristiques essentielles du VIH est sa capacité à persister à l’état de provirus dans le génome de cellules à durée de vie longue, les cellules réservoirs. L’existence de ces réservoirs VIH représente un obstacle majeur à l’élimination du virus [111]. Le contrôle ou l’élimination de ces réservoirs VIH est une étape primordiale dans les stratégies de guérison de l’infection par le VIH. Les EC se distinguent des PLWH traités avec succès par la taille réduite de leurs réservoirs viraux [112]. La taille du réservoir reflète très probablement l’action des mécanismes immunitaires qui vont limiter la réplication virale. Et même si la nature de ces mécanismes fait toujours l’objet de recherches intensives, certaines sous-populations de cellules NK semblent clairement avoir un impact sur la taille de ces réservoirs.

La spectrométrie de masse a été utilisée pour mesurer l’expression membranaire de vingt-quatre marqueurs à la surface des cellules NK, et a permis de distinguer des sous-populations présentes exclusivement chez les EC et absentes chez les PLWH traités. Parmi les cellules NK CD56dim CD16+, une sous-population caractérisée par l’expression des marqueurs CD11b+, CD57-, CD161+, Siglec-7+ corrèle avec la taille du réservoir et est significativement plus abondante chez les EC que chez les non-contrôleurs virémiques non-traités [113]. Cette sous-population de cellules NK est partiellement mature, active, cytotoxique, et possède un fort potentiel prolifératif en réponse notamment à l’IL-12 et l’IL-18. Elle possède une capacité supérieure à produire de l’IFN-γ en réponse à l’IL-12/IL-18, et à externaliser le CD107a en réponse à des cellules HLA-null comparativement à des cellules NK CD11b-, CD161 ou Siglec-7- CD56dim CD16+ [113]. Ces propriétés pourraient être associées au contrôle viral observé chez les EC en l’absence de traitement.

Marras, et al., ont mis en évidence une corrélation inverse entre la taille du réservoir dans les cellules T CD4+ circulantes et certaines cellules NK ayant des caractéristiques fonctionnelles particulières [112]. Ces cellules associées au contrôle viral chez les EC et les LTNP avaient pour caractéristique de produire, après stimulation, des niveaux importants d’IFN-γ et de récepteurs activateurs de cytotoxicité naturelle, NKp30 et NKp46, non observés chez les PLWH traités. L’augmentation d’expression de NKp30 et de NKp46 après stimulation corrélait positivement avec leur potentiel cytotoxique. De plus, l’IL-2 semblait induire un programme transcriptionnel différent dans les cellules NK de contrôleurs et celles de non-contrôleurs traités. Les voies de signalisation induites par l’IL-2 dans les cellules NK de contrôleurs incluaient les voies de réponses à l’IFNγ, à l’IL-2/IL-12, au facteur de nécrose tumorale alpha (TNF-α pour tumor necrosis factor α), la voie du facteur nucléaire kappa B (NF-nB pour nuclear factor kappa B), et les voies de signalisation lysosomales et cytolytiques. Contrairement aux cellules NK de non-contrôleurs traités, les cellules NK de contrôleurs diminuent de fac¸on drastique la réplication virale et le niveau d’ADN viral intégré dans des co-cultures avec des cellules CD4 infectées [112]. Ces effets observés in vitro avec les cellules NK de contrôleurs suggèrent le rôle potentiellement fondamental des cellules NK dans le contrôle de la taille du réservoir in vivo même si elles ne contrôlent pas totalement la réplication virale chez les individus non-contrôleurs non-traités.

Les fonctions des cellules NK dépendantes des anticorps

La plupart des cellules NK CD56dim expriment le récepteur activateur IIIa pour le fragment cristallisable (Fc) des immunoglobulines (Ig) gamma, le FcγRIIIa ou CD16, qui s’associe à la région Fc des Ig de type G (IgG), et plus particulièrement aux isotypes IgG1 et IgG3 [114]. La liaison d’un anticorps au CD16 est influencée par son niveau de glycosylation, les anticorps défucosylés étant ceux qui possèdent la plus forte affinité pour le CD16 [115, 116].

La capacité des cellules NK à éliminer des cellules cibles par un mécanisme qui dépend de l’anticorps, appelé cytotoxicité cellulaire dépendante des anticorps (ADCC pour antibody dependent cellular cytotoxicity), peut varier d’un individu à l’autre en raison d’un SNP majeur du CD16 codant deux variants alléliques ayant un impact distinct sur l’activité ADCC de ces cellules [117, 118]. En effet, une valine (V) à la place d’une phénylalanine (F) en position 158, confère au CD16 une meilleure affinité pour les IgG1 et les IgG3 [114]. Les cellules NK des individus porteurs de l’allèle codant une V158 présentent également une activité ADCC accrue [119]. La région Fab des anticorps est la région qui interagit avec l’antigène présent à la surface des cellules cibles alors que la région Fc est celle qui interagit et active la voie de signalisation du CD16 dans les cellules NK. Les anticorps forment des ponts entre la cellule cible et la cellule NK ce qui va stimuler la sécrétion de cytokines, de chimiokines, et externaliser le CD107a par les cellules NK, permettant ainsi de mesurer ce qu’on appelle l’activation des cellules NK dépendante des anticorps (ADNKA pour antibody dependent NK activation). L’ADCC évalue la cytotoxicité qui résulte de l’activité ADNKA suite à ces interactions. Bien que d’autres types de cellules comme les macrophages, les monocytes résidant dans les tissus, les neutrophiles et les éosinophiles soient, dans une moindre mesure, également capables de faire de l’ADCC, les cellules NK sont les plus importantes dans cette activité.

Considérations méthodologiques – anticorps, cellules cibles et essais ADCC/ADNKA

Les essais qui évaluent des fonctions dépendantes des anticorps (AD pour antibody dependent) à l’aide de cellules cibles telles que des cellules infectées par le VIH, nécessitent la présence d’anticorps spécifiques de l’enveloppe (Env) du VIH, seule protéine virale exprimée à la surface des cellules infectées et des virions [120]. Tous les PLHW ainsi que tous les individus ayant rec¸u un vaccin qui inclut des fragments antigéniques de la glycoprotéine gp120 de l’Env, possèdent des anticorps spécifiques dirigés contre l’Env [121-125]. La majorité des essais qui évaluent la capacité des anticorps provenant de PLWH à faire de l’ADCC, utilise des cellules CEM.NKR.CCR5 CD4+ recouvertes de glycoprotéine gp120 monomérique recombinante (rgp120) [126-135] ou des cultures de cellules infectées par le VIH [136-139] comme cellules cibles. Certains épitopes de la gp120 sont enfouis dans la structure native trimérique de l’Env exprimée par les cellules infectées, et sont révélés par la liaison de l’Env trimérique relarguée par les cellules infectées avec le CD4 exprimé par les cellules non-infectées environnantes, dites cellules avoisinantes, présentes dans ces cultures ou seule une fraction des cellules sont intectées par le virus. Ces épitopes, appelés épitopes induits par le CD4 (CD4i), sont également exposés par les cellules CEM.NKR.CCR5 CD4+ recouvertes de rgp120 monomérique. Dans un cas comme dans l’autre, l’interaction de la gp120 avec le CD4 va bloquer la liaison d’anticorps qui reconnaissent spécifiquement des épitopes présents au niveau du site de liaison au CD4 [140]. Ces épitopes, appelés épitopes CD4bs, sont localisés dans des régions très conservées de l’Env et sont reconnus par des anticorps qui possèdent un potentiel neutralisant à large spectre parmi les plus importants (figure 3). Plus récemment, notre équipe a développé un modèle de cellules CEM.NKR.CCR5 infectées par le VIH puis triées pour en exclure les cellules avoisinantes noninfectées. Ces cellules CEM.NKR.CCR5 infectées et triées expriment l’Env dans sa conformation native trimérique, exposant les épitopes CD4bs mais n’exposant pas les épitopes CD4i, comme c’est le cas de cellules CD4 réellement infectées [139] (figure 3). La comparaison de l’ADCC induit à l’aide d’anticorps polyclonaux de PLWH sur des CEM.NKR.CCR5 infectées/triées et des CEM.NKR.CCR5 recouvertes de rgp120 montre que les résultats corrèlent. Il semble toutefois que la quantité d’anticorps qui reconnaît la gp120 présentée sur des CEM.NKR.CCR5 est au moins sept fois plus importante que la quantité d’anticorps qui reconnaît l’Env dans sa conformation native trimérique [139, 141].

Différents essais ont été développés pour mesurer l’activité ADCC. Les plus anciens mesuraient le relargage de 51Chrome par les cellules cibles lysées. En utilisant cet essai, Lambotte, et al., ont montré que les anticorps d’individus contrôleurs induisaient davantage l’ADCC de cellules CEM.NKR.CCR5 recouvertes de rgp120 que les anticorps d’individus virémiques non-traités, même si leur capacité à lier un ensemble d’antigènes de l’Env était équivalente dans les deux groupes [130]. Un autre essai, encore largement employé à l’heure actuelle, est un essai rapide utilisant la cytometrie de flux pour mesurer l’ADCC, le RFADCC (pour rapid fluorometric ADCC) [142]. Cet essai mesure la perte du colorant CFSE (pour carboxyfluorescein succinimidyl esther) par les cellules CEM.NKR.CCR5 recouvertes de rgp120 préalablement colorées au CFSE et au colorant lipophile membranaire, le PKH-26 [142]. En réalité, cet essai mesure l’acquisition dépendante d’anticorps de fragments de membranes des cellules cibles PKH26+ par les cellules effectrices, correspondant à de la trogocytose cellulaire dépendante d’anticorps (ADCT pour antibody dependent cellular trogocytosis), et non l’activité ADCC induite par les cellules NK [143]. Un autre essai plus récent, le GranToxiLux, mesure la fréquence de cellules cibles ayant incorporé du granzyme B relargué par les cellules NK activées [144]. L’activité ADCC peut également être évaluée en mesurant la disparition des cellules cibles p24+ infectées par le VIH en cytométrie de flux, ou la diminution de l’activité luciférase émise par des cellules cibles infectées avec un virus codant la luciférase, ou encore, plus directement, en mesurant l’induction de l’apoptose dans les cellules cibles [123, 124, 138, 139, 145148]. Les essais mesurant l’ADNKA quantifient, quant à eux, la sécrétion d’IFN-γ et l’externalisation du CD107a ; certaines études y ajoutent la production de TNF-α et/ou de CCL4 [80, 149].

ADCC et ADNKA dans le contrôle du virus

Madhavi, et al., ont comparé différents essais ADCC et ADNKA avec des échantillons de plasma provenant de 22 contrôleurs et 44 non-contrôleurs virémiques non-traités [131]. Dans cette étude, comparativement aux individus non-contrôleurs, les individus contrôleurs avaient des niveaux plus élevés d’anticorps spécifiques de la gp120 capables de 1) lier le CD16, 2) provoquer la sécrétion d’IFN-γ et/ou l’externalisation du CD107a par des cellules NK dans un essai ADNKA et 3) augmenter l’activité granzyme B dans des cellules CEM.NKR.CCR5 recouvertes de rgp140 dans un essai GranToxiLux [131]. Les niveaux plus élevés d’activité ADCC induite par les anticorps de contrôleurs, comparativement aux anticorps de non-contrôleurs, ont été confirmés dans d’autres études utilisant également l’essai GranToxiLux [144, 150].

Ackerman, et al., ont comparé les IgG provenant de plasma d’EC, de VC, de non-contrôleurs virémiques traités et non-traités pour 1) leur capacité à reconnaître des billes recouvertes de rgp120, 2) leur activité ADCC en utilisant un essai RFADCC et 3) leur activité ADNKA en utilisant des cellules CEM.NKR.CCR5 recouvertes de rgp120 [126]. Ils ont ainsi trouvé que la concentration plasmatique d’IgG spécifiques de la gp120 était plus faible chez les EC que chez les VC et les non-contrôleurs virémiques non-traités. Les IgG provenant d’EC présentaient également une activité ADCC et une capacité à induire la production de CCL4 par les cellules NK plus faible que les IgG de VC [126]. Ces résultats fonctionnels n’ont toutefois pas été normalisés par la concentration d’IgG spécifiques de la gp120 présente dans chaque plasma testé.

En comparant les mêmes groupes d’individus dans une autre cohorte Kant, et al., ont évalué les concentrations plasmatiques d’anticorps spécifiques de la gp120 et de l’Env susceptibles de reconnaître des cellules CEM.NKR.CCR5 recouvertes de rgp120 et des cellules CEM.NKR.CCR5 infectées par le VIH puis triées, respectivement. L’activité ADCC était évaluée en mesurant l’apoptose induite dans ces cellules cibles, ce qui reflète leur lyse [122, 139, 151]. Les concentrations d’anticorps capables de reconnaître les cellules CEM.NKR.CCR5 recouvertes de rgp120 ou les cellules CEM.NKR.CCR5 infectées et triées étaient équivalentes dans le plasma des EC, des VC et des non-contrôleurs virémiques non-traités et plus élevées que dans le plasma des non-contrôleurs traités. Les différences étaient similaires en termes d’activité ADCC [139]. Toutefois, ces différences d’activité n’étaient plus significatives après normalisation des résultats par la concentration plasmatique d’anticorps spécifiques de l’Env. Ceci suggère que les différences observées en termes d’activité ADCC sont essentiellement attribuables à une différence de concentration, dans le plasma, d’anticorps anti-Env capables de reconnaître l’Env du VIH dans sa conformation native trimérique sur les cellules CEM.NKR.CCR5 infectées et triées, et non à un potentiel ADCC distinctif de ses anticorps chez les EC, les VC et les non-contrôleurs non-traités [122, 151]. De fac¸on notable, les EC et les VC qui possédaient un réservoir VIH en dessous du seuil de détection avaient une activité ADCC normalisée significativement supérieure aux individus possédant un réservoir VIH détectable, suggérant ainsi un rôle potentiel de l’activité ADCC dans le contrôle de la taille du réservoir VIH [122]. D’autres études ont montré que la production d’IFN-γ par les cellules NK était associée avec une charge virale plasmatique plus basse [152-155] et à un plus petit réservoir de VIH [112].

Certains travaux plus récents ont élargi la gamme des fonctions AD analysées sur les mêmes échantillons. Ackerman, et al., évaluent notamment la phagocytose cellulaire AD (ADCP), la phagocytose par les neutrophiles AD (ADNP), le dépôt du complément AD (ADCD), et l’ADCT en plus de l’ADNKA et l’ADCC [126]. Dans une autre étude, Kant, et al., évaluent l’ADCP, l’ADCT, l’ADCD en plus de l’ADCC [122]. Peu de différence sont observées pour l’ADCD et la sécrétion de CCL4 entre les EC, les VC et les non-contrôleurs traités et non-traités [126]. Comme pour l’activité ADCC évoquée précédemment, les activités ADCP, ADCT et ADCD sont plus élevées dans les plasmas provenant d’EC, de VC et de non-contrôleurs virémiques non-traités que dans les plasmas de non-contrôleurs traités [122]. De la même manière, certaines différences observées entre des groupes de patients disparaissent après normalisation. C’est le cas pour l’ADCP après normalisation avec la concentration d’anticorps spécifiques de la gp120, et pour l’ADCT et l’ADCD après normalisation avec la concentration d’anticorps spécifiques de l’Env. Une différence importante reste cependant valable : les concentrations d’anticorps spécifiques de la gp120, de l’Env et les fonctions AD associées sont significativement plus corrélées entre elles chez les EC que chez les autres catégories de patients [122, 126].

Une approche sérologique intégrative permettant d’évaluer les propriétés des anticorps associés au contrôle du VIH doit inclure l’évaluation de la spécificité de ces anticorps face à un ensemble de variants protéiques du VIH, et l’évaluation de la capacité de ces anticorps à recruter des cellules immunitaires innées, ce qui implique de connaître leur concentration, leur classe et isotype, le niveau de glycosylation de leur région Fc, leur capacité à lier les récepteurs Fc gamma et les lectines ainsi que leur fonctionnalité AD [156]. Les anticorps spécifiques du VIH possédant des groupements glycosylés scindés en deux sont en effet plus abondants chez les EC que chez les non-contrôleurs virémiques non-traités. Les anticorps spécifiques de la gp120 possédant ce type de glycosylation interagissent mieux avec le CD16 et ont un potentiel ADCC plus important. Les anticorps spécifiques de la p24 du VIH sont plus abondants chez les EC comparativement aux non-contrôleurs traités. Il en va de même pour les anticorps spécifiques des protéines virales intracellulaires, autre que la capside, capable de lier les récepteurs Fc gamma [156]. Ces observations viennent confirmer des données précédentes et pourraient également aider à identifier de nouvelles propriétés de l’immunité humorale qui distinguent les EC des non-contrôleurs traités ou non-traités. Une approche sérologique intégrative qui compare les contrôleurs et les non-contrôleurs offrirait la possibilité de générer de nouvelles informations sur les caractéristiques des anticorps qui définissent une immunité fonctionnelle forte et de contribuer à l’identification des mécanismes qui corrèlent avec des fonctions AD efficaces.

Rôle de l’éducation des cellules NK dans l’activité ADCC et ADNKA

Bien que l’ADNKA mesure l’activation des cellules NK et l’ADCC les conséquences de cette activation sur les cellules cibles, à savoir leur élimination, un grand nombre d’études parle d’ADCC alors qu’elles ne mesurent en réalité que l’ADNKA (figure 4). On a voulu savoir si l’éducation de cellules NK jouait un rôle dans l’activité ADCC et ADNKA. Pour répondre à cette question, nous avons évalué l’activité ADCC en utilisant l’essai GranToxiLux et, comme cellules cibles, des cellules CEM.NKR.CCR5 recouvertes de rgp120 puis opsonisées avec des anticorps polyclonaux de patients VIH. Des cellules NK, triées par sélection négative sur l’expression d’un seul KIR inhibiteur, ont été utilisées comme cellules effectrices ; ces cellules NK provenaient d’individus exprimant un HLA susceptible ou non de les avoir éduquées par l’intermédiaire de ce KIR. Aucune différence d’activité ADCC n’a été observée par les cellules NK, qu’elles soient ou non éduquées par cet unique KIR inhibiteur. C’était le cas pour KIR3DL1, KIR2DL1 et KIR2DL2, ce qui suggère que l’éducation ne joue pas de rôle important dans l’activité ADCC [157, 158]. La raison probable est que le signal provenant du CD16 surpasse l’impact de l’éducation sur la réponse des cellules NK. L’activité ADNKA a été mesurée dans le même contexte en évaluant la fréquence de cellules NK positives pour l’IFN-γ, le CCL4 et/ou le CD107a. Contrairement à ce qui est observé pour l’ADCC, les cellules NK éduquées semblent répondre davantage que les cellules NK non-éduquées en ADNKA [157]. L’ensemble de ces résultats met en évidence des différences importantes entre ces deux activités qui sont souvent confondues dans la littérature [159].

Conclusions et directions futures

Bien que les réponses T CD8 spécifiques du VIH semblent jouer un rôle important dans le contrôle du virus, un ensemble de données épidémiologiques, génétiques et fonctionnelles met en évidence l’importance des cellules NK éduquées dans le contrôle du VIH. Certaines souspopulations de cellules NK ont notamment été associées au statut d’EC même si les mécanismes impliqués restent encore à définir.

Par ailleurs, une revue approfondie de la littérature comparant les activités AD chez les contrôleurs (EC, VC) et les non-contrôleurs traités ou non-traités, a révélé que les EC possédaient certaines fonctions AD associées au contrôle du virus et pas seulement une polyfonctionnalité AD mieux coordonnée que dans les autres groupes de patients. Les divergences observées dans la littérature concernant l’existence ou non de différences dans les fonctions AD entre ces groupes de patients peuvent avoir plusieurs origines comme notamment le type d’essai utilisé, ce qu’il mesure et la fac¸on dont les résultats sont analysés. À ce titre, il semble important de pouvoir normaliser les résultats de ces essais avec les concentrations d’anticorps spécifiques de la gp120 et de l’Env présentes dans les échantillons utilisés, ce qui peut être réalisé à l’aide de cellules CEM.NKR.CCR5 recouvertes de rgp120 ou infectées par le VIH puis triées, respectivement. En effet, il s’avère que les concentrations d’anticorps qui reconnaissent la gp120 monomérique et l’Env trimérique varient d’un individu à l’autre. Les EC, VC et les non-contrôleurs virémiques non-traités ont des titres plus élevés de ces anticorps que les noncontrôleurs traités. La présence d’un réservoir VIH dans les cellules CD4+ circulantes indétectable chez les EC et les VC qui ont un potentiel ADCC plus important que chez les EC et les VC qui ont un réservoir quantifiable suggère un rôle potentiel de l’ADCC dans le contrôle de la taille du réservoir VIH.

Les cellules NK, en tant que cellules immunitaires innées, ont tout le potentiel pour lutter contre le virus de manière très précoce en exerc¸ant des activités antivirales indépendantes des anticorps bien avant l’émergence de réponses T adaptatives antivirales. Toutefois, ce n’est qu’après l’apparition des anticorps spécifiques de la gp120 et de l’Env que les cellules NK sont en mesure d’exercer des activités ADCC et ADNKA. Il serait intéressant de mieux comprendre si les réponses indépendantes des anticorps contribuent davantage au contrôle viral observé chez les EC que les réponses dépendantes des anticorps. Quoi qu’il en soit, les cellules NK pourraient être impliquées dans le contrôle du virus chez les EC par un ensemble de mécanismes, qu’ils soient dépendants ou indépendants des anticorps.

Une caractéristique intéressante des EC est leur capacité à maintenir des niveaux plasmatiques élevés d’anticorps spécifiques de gp120/Env capables de stimuler des activités ADNKA et ADCC et ce, en l’absence de virémie détectable. L’initiation du traitement antirétroviral chez des individus non-contrôleurs virémiques conduit normalement au déclin des réponses immunitaires spécifiques du VIH et notamment à la diminution des niveaux d’anticorps antiviraux [151]. Le maintien des niveaux d’anticorps chez les EC pourrait en partie être dû à une meilleure survie à long terme des cellules B mémoires spécifiques de gp120/Env chez ces individus [160-162]. C’est une hypothèse qu’il serait intéressant d’approfondir à l’avenir.

Quoi qu’il en soit, de nombreux problèmes sont soulevés par ces études. Les contrôleurs, en particulier les EC, représentent une fraction très faible des PLWH ce qui diminue la possibilité de recruter de grandes cohortes de patients. En outre, il est maintenant évident que le terme d’EC regroupe un ensemble hétérogène d’individus, ce qui représente une entrave supplémentaire à l’étude et au recrutement de cohortes de patients homogènes. Il existe également des divergences, d’une cohorte à l’autre, sur la définition même de contrôleur, selon que l’on parle de charge virale, du nombre de CD4, de durée de suivi des patients, etc. Enfin, la grande variété des essais utilisés pour mesurer les fonctions AD, la variété des cellules cibles employées pour l’ADCC et la confusion entre l’activité ADCC et ADNKA entravent la bonne compréhension et la comparaison des différentes études accomplies. De manière générale, la standardisation de certaines méthodes serait un avantage qui permettrait de tirer des conclusions plus claires au sujet de l’association entre le contrôle viral et les fonctions AD des cellules NK.

Remerciements. L’accès libre de cette revue est financé par le réseau SIDA & Maladies infectieuses du Fonds de recherche du Québec en santé.

Liens d’intérêt : Les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt en rapport avec cet article.