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Virologie

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Bloquer la transcription du VIH pour verrouiller le virus Volume 26, numéro 1, Janvier-Février 2022

Illustrations


  • Figure 1.

  • Figure 2.

  • Figure 3.

  • Figure 4.

Tableaux

Introduction

Le développement des traitements antirétroviraux de haute activité au milieu des années 1990 a permis de contrôler la pandémie engendrée par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) puisqu’ils ont permis de réduire la mortalité, la orbidité ainsi que la transmission du virus [1]. Cependant, ces molécules ne permettent pas d’éradiquer le virus des cellules infectées, mais seulement de contenir le VIH à l’intérieur de celles-ci et de restreindre sa réplication car le VIH est capable d’entrer dans un état de latence rapidement après avoir infecté la cellule [2, 3].

Cependant, ces molécules ne permettent pas d’éradiquer le virus des cellules infectées, mais seulement de contenir le VIH à l’intérieur de celles-ci et de restreindre sa réplication car le VIH est capable d’entrer dans un état de latence rapidement après avoir infecté la cellule [2, 3].

La latence virale est un état dans lequel les gènes du virus sont exprimés de manière résiduelle, car la transcription est réduite [4]. En conséquence, la production de protéines virales et de virions est restreinte. Dans cet état, le virus est protégé à la fois des traitements antirétroviraux et du système immunitaire, puisque les cellules infectées par un virus latent ne seront pas reconnues ou éliminées par l’organisme. Cela permet au virus de s’établir à long terme chez son hôte, par la création d’un réservoir de cellules infectées hébergeant un virus latent qui peut se réactiver si la pression exercée par les traitements antirétroviraux sur le virus est interrompue [5].

Les réservoirs latents existent sous forme cellulaire et anatomique. Les réservoirs cellulaires sont composés de différentes populations de cellules infectées par un virus latent. Parmi ces populations, les cellules T centrales mémoires et transitionnelles mémoires représentent le réservoir principal du VIH [6]. D’autres populations de lymphocytes T participent également au réservoir viral, et celles-ci sont décrites en détail dans ce numéro [7]. Ces réservoirs persistent chez les patients sous traitements antirétroviraux du fait de la survie et la prolifération homéostatique de ces populations cellulaires [6].

Certaines études suggèrent que les monocytes et macrophages pourraient aussi faire partie du réservoir viral, cependant leur implication n’a pas été démontrée in vivo de manière convaincante. En effet, si certaines études ont détecté de l’ADN viral dans les monocytes de patients sous traitements antirétroviraux présentant une charge virale indétectable [8, 9], les résultats obtenus par les différentes équipes de recherche sont variables. De la même fac¸on, on retrouve de l’ADN viral intégré au génome de différents macrophages tissulaires tels que les macrophages intestinaux, duodénaux, urétraux, ou la microglie [10]. Ces résultats suggèrent qu’il existe un réservoir macrophagique, mais sa taille ainsi que les populations de macrophages impliquées ne sont pas clairement définies.

Les réservoirs anatomiques sont des compartiments dans lesquels le virus est à l’abri du système immunitaire et où la pénétration des molécules antirétrovirales est sousoptimale, ce qui permet au virus de se répliquer. Ces compartiments sont dits sanctuaires et il s’agit du système nerveux central [11] ou des nœuds lymphatiques [12]. Certains tissus sont en effet naturellement immunotolérants. Les cellules présentes dans ces sites anatomiques peuvent, entre autres, exprimer des molécules immunosuppressives qui vont induire la tolérance des cellules effectrices du système immunitaire, ce qui protège les cellules infectées de leur action. Ces sites sont dits immunologiquement privilégiés, parmi ceux-ci on trouve par exemple le tissu testiculaire [13]. Ces réservoirs peuvent également être isolés de la circulation sanguine, empêchant la distribution des molécules antirétrovirales à une concentration optimale pour contrôler le virus. Par exemple, le système nerveux central est séparé du système sanguin par la barrière hémato-encéphalique, une barrière cerveau-sang qui limite le transport de certaines molécules antirétrovirales jusqu’aux cellules infectées [11, 14].

Puisque les traitements antirétroviraux n’ont pas les effets escomptés sur le réservoir viral, qu’il soit cellulaire ou anatomique, de nouvelles stratégies sont à l’étude afin de lutter contre le VIH. La possibilité d’éliminer le réservoir latent a tout d’abord été envisagée, notamment au travers de la stratégie dite de réactivation et élimination ou « shock and kill ».

Le principe de la stratégie « réactiver pour tuer » est d’induire la réactivation du virus latent en traitant les cellules infectées avec des agents d’inversion de latence virale (ou Latency Reversing Agents, LRA). Le virus réactivé va produire des protéines virales qui seront exprimées à la surface de la cellule infectée, ce qui permettra sa reconnaissance et son élimination par le système immunitaire. Le but de cette méthode est donc de provoquer la mort des cellules réservoirs, et de ce fait mener à l’éradication du virus chez les personnes infectées [15]. De nombreuses molécules ont été testées pour leur potentiel de réactivation de la latence virale, telles que le vorinostat, un inhibiteur des désacétylases d’histones (HDAC) qui in vitro provoque la réactivation du provirus latent dans des lignées cellulaires ainsi que dans des cellules primaires [16, 17]. Ces résultats prometteurs ont mené à des essais cliniques. Dans ces études, le vorinostat entraînait une augmentation de l’expression des gènes viraux chez les patients infectés, cependant cette augmentation n’était pas associée à une diminution du réservoir viral ni à une activation des cellules du système immunitaire [18].

À ce jour, aucun LRA n’a prouvé son efficacité en essai clinique [19]. La cause principale de cet échec est l’hétérogénéité du réservoir viral. En effet, les différentes populations de cellules réservoirs ne sont pas activées de la même fac¸on selon le LRA utilisé [20], et cette activation varie également entre les tissus analysés [21]. Ces problèmes sont actuellement étudiés afin de proposer des améliorations, telles que la combinaison de plusieurs LRA ou le moment de la prise du traitement [22]. Cependant, ces résultats décevants ont permis de remettre l’accent sur l’étude d’une approche alternative appelée bloquer et verrouiller ou « block and lock ». Cette stratégie de blocage a pour but de maintenir le virus dans un état de latence profonde, même en absence de traitement antirétroviral. Cet état serait atteint par traitement des cellules infectées avec des molécules qui vont perturber les mécanismes de transcription du virus. Donc, pour développer cette stratégie, une connaissance approfondie des mécanismes régulant la transcription des gènes viraux est requise.

La transcription des gènes du VIH

Le promoteur viral

La transcription des gènes du VIH ainsi que le développement de stratégies de blocage et verrouillage reposent notamment sur l’étude des facteurs de transcription ciblant le promoteur viral. En effet, ils représentent des cibles thérapeutiques prometteuses, car ils pourraient influencer la capacité du virus à créer des réservoirs et à se cacher du système immunitaire. L’étude de ces facteurs de transcription est accompagnée de l’étude du génome viral, dont l’organisation est décrite ci-dessous.

Le génome du VIH qui est intégré dans l’ADN de la cellule hôte (figure 1A) est composé de neuf gènes, parmi ces gènes, trois sont considérés majeurs et permettent la construction de nouveaux virions, il s’agit de gag, pol et env qui sont représentés en bleu sur la figure 1B [23,24]. Les deux gènes impliqués dans la production des protéines régulatrices essentielles Tat et Rev sont représentés en vert sur la figure 1B [25-27]. Et finalement, les quatre gènes qui codent les protéines accessoires Vif, Vpr, Vpu/Vpx et Nef sont représentés en orange sur la figure 1B [28]. L’ensemble des protéines virales permet au virus de se répliquer et de contrôler plusieurs voies de signalisation cellulaire, menant à son échappement de la vigilance du système immunitaire [29-34]. L’une des particularités du génome viral est que l’entièreté de ses gènes est contrôlée par un unique promoteur d’environ 634 paires de bases (pb). Ce promoteur, qui va déterminer si le virus intégré va produire de nouveaux virions ou être en latence transcriptionnelle, est influencé par plusieurs facteurs de transcription cellulaires et par la protéine virale Tat [26, 35-37]. Ce pilier de l’activité virale va permettre une production active pour une prolifération menant à l’infection d’autres cellules ou d’autres organismes, ou bien à installer une latence transcriptionnelle, et par la même occasion, établir des réservoirs de latence où le virus va se cacher du système immunitaire et perdurer malgré un traitement antirétroviral [38-40].

Le promoteur viral du VIH, qui se situe dans le 5’-LTR (Long Terminal Repeat), est constitué de plusieurs régions d’importance (figure 1C) [41]. On peut distinguer deux découpages différents du promoteur viral. Le premier découpage du promoteur le divise en trois segments : la région U3 (unique 3) en position -455 à -1 pb sur le génome du virus, ensuite la région R (répétée) en position +1 à +98 et la région U5 (unique 5) en position +99 à +178 pb sur le promoteur. La région U3 contient les sites pour les liaisons avec les facteurs positifs ou négatifs de la transcription. La région R contient le site où la polymérase à ARN de type II (Pol II) va commencer la transcription et se mettre en pause lorsque les éléments requis pour une transcription productive ne sont pas présents [42]. Ces éléments, ainsi que leur implication dans l’initiation de la transcription des gènes du VIH, seront explorés plus en détail dans la partie « Initiation de la transcription » de cet article. Le deuxième découpage du promoteur détermine sa composition en trois segments : une région U3, avec la région promotrice proximale (-105 à -40 pb), qui contient les principales régions régulatrices positives de la transcription avec les sites de liaison aux facteurs Sp1 (Specificity protein 1) et NF-κB (nuclear factor kappa-B) ; la région promotrice distale (-455 à -105 pb) qui contient des éléments de régulation négative et quelques éléments positifs de la transcription ; puis la région du promoteur de base (core promoter) qui contient la région TASHET (TATA box and adjacent sequence of HIV essential for Tat trans-activation) (-14 à -38 pb) permettant la liaison avec les différents facteurs positifs de la transcription tels que USF (upstream stimulatory factor)-1, USF-2 et TF (transcription factor)II-I [43], ainsi que les facteurs du complexe de pré-initiation de la transcription (PIC), composé de TBP (TATAA binding protein), TFIIA, TFIIB, TFIID, TFIIE, TFIIF et TFIIH, permettant de recruter la Pol II [41, 44]. En amont de TASHET (-46 à -78 pb ; figures 1C), se trouvent trois sites Sp1 permettant la liaison avec des protéines du même nom. La protéine Sp1 est reconnue pour être un facteur positif de la transcription ubiquitaire dans plusieurs promoteurs cellulaires et viraux (figure 2A) [45-47]. Ce facteur n’est pas obligatoire pour amorcer la transcription, car il peut être compensé par les facteurs de transcription de la voie NF-κB [48]. Malgré cela, Sp1 est nécessaire pour un niveau de transcription optimal. De plus, la protéine virale Tat peut venir phosphoryler Sp1 pour accroître l’efficacité du processus de transcription [49]. Dans un contexte d’arrêt de la transcription, CTIP2 (chicken ovalbumin upstream promoter transcription factor-interacting protein 2) peut recruter HDAC1 et HDAC2 pour inhiber cette région et ainsi maintenir une inhibition de Sp1 tout en contrôlant l’environnement chromatinien pour empêcher un environnement favorable à la transcription [50, 51]. CTIP2 peut également interagir avec la méthylase d’histone (HMT) SUV39H1, responsable de la marque épigénétique répressive de transcription H2K9me3 [50]. De plus, la protéine virale Vpr peut entraîner la dégradation par le protéasome de CTIP2, ce qui permet la réactivation de la transcription des gènes du VIH [52].

En amont de la région Sp1 (-80 à -105 pb ; figure 1C) se trouvent les deux sites de reconnaissance de la voie de régulation NF-κB. Cette dernière est très complexe avec trois sous-voies de régulation [canonique, non-canonique et atypique indépendante de IKK (inhibitor of NF-nB kinase)] composée de plusieurs sous-unités protéiques telles que : p50NF-κB1, p52NF-κB2, p65RelA, RelB et c-Rel [53]. C’est l’agencement des sous-unités en homodimère ou hétérodimère qui va déterminer le devenir de la voie. Dans le cas du promoteur du VIH, NF-κB devient un facteur de régulation positif quand deux hétérodimères p50NF-κB1/ p65RelA se lient aux sites de liaison et activent la voie canonique qui va permettre le recrutement d’autres facteurs positifs tels que NFAT1 (nuclear factor of activated T-cell 1) et NFAT5 (figure 2A) [54, 55]. À l’opposé, l’agencement des sous-unités homo-dimérique p50NF-κB1/ p50NF-κB1 va, d’une part, entrer en compétition avec les sites NF-κB pour p50NF-κB1/p65RelA et, d’autre part, favoriser le recrutement de CBF-1 (C-promoter binding factor-1) et avoir un impact négatif sur l’initiation de la transcription (figure 2B) [54, 56].

D’autres facteurs de transcription peuvent interagir avec la région promotrice et influencer l’initiation de la transcription, tels que l’acétyltransférase d’histone (HAT), USF-1, AP4 (activating enhancer-binding protein 4) ou ZASC1 (zinc finger associated with squamous cell carcinoma) (figures 2A et B). En plus des régions et des facteurs de transcription mentionnés ci-dessus, le VIH contient quatre régions disséminées sur le promoteur. Ces régions sont nommées RBE pour Ras-Responsive factor Binding Element [57, 58].

Le premier site RBE I se trouve de la position -26 à +5 pb, alors que le site RBE II est sur la position -81 à -104 pb, tandis que le site RBE III est situé de -122 à -131 pb et que RBE IV est situé de -142 à -151 pb (figure 1C). Selon la protéine se liant aux RBE, ils vont permettre de favoriser ou d’inhiber l’initiation de la transcription. Par exemple, les complexes protéiques RBF, pour Ras-responsive Binding Factor, comportant RBF-1 (composé de GABPα (GA-binding protein) et GABPβ1) et RBF-2 (composé de USF-1, USF-2 et TFII-1) vont mener à l’activation (figure 2A). Par contre, les protéines YY1 et AP4 vont inhiber le processus d’initiation en se liant aux sites RBE I (E-box) et RBE III, respectivement (figure 2B) [59].

Le promoteur du VIH est la clé pour contrôler la latence du virus, mais plus encore certaines zones stratégiques telles que les régions de liaison à Sp1, NF-κB ou la région du promoteur de base avec la boîte TATA [60].

De nombreux facteurs de transcription peuvent interagir avec le promoteur et influencer la transcription de manière positive ou négative sur le promoteur du VIH [61, 62]. Dans les prochaines lignes, nous explorerons les plus prometteurs comme cibles molécules pour la stratégie de blocage et verrouillage du VIH. On peut juger l’importance et la spécificité de cette dernière en permutant le promoteur de base du VIH avec le promoteur d’un virus de la famille des Adénovirus. On observe alors que le virus perd sa capacité à se répliquer efficacement car il n’y a plus de transactivation par Tat [63]. La TATA Box est donc essentielle à la transcription des gènes du VIH, mais une étude montre que les motifs CTGC de part et d’autre de la boîte TATA sont également impliqués dans la transcription des gènes du VIH. En effet, une expérience de retard de mobilité sur gel a démontré que certaines protéines sont retenues par le promoteur de base du VIH, mais pas par celui de l’Adénovirus, et que cette reconnaissance est dépendante des motifs CTGC [64]. Lorsque ces motifs sont mutés, les protéines en question ne reconnaissent plus le promoteur et la transactivation du promoteur viral est diminuée. Cette région, la boîte TATA entourée de motifs CTGC, se nomme TASHET, et le complexe protéique liant cette région se nomme PICH (pre-initiation complex of HIV) (figures 1C et 2A) [64]. En résumé, certains éléments de la région promotrice du VIH, dont les motifs CTGC de part et d’autre du motif TATA, sont essentiels à la réplication de ce dernier et ces éléments sont exclusifs au promoteur de ce virus. L’identification de ces protéines cellulaires liant TASHET pourrait permettre de fournir de nouvelles pistes pour des cibles thérapeutiques qui influenceront, ou contrôleront le niveau de transcription du VIH [41].

En résumé, le promoteur viral est composé de différents éléments de liaison qui vont permettre le recrutement de différents facteurs de transcription impliqués dans la modulation de l’expression des gènes du VIH. La nature de ces derniers va influencer l’expression des gènes viraux ou l’entrée en latence du VIH. Les stratégies visant à maintenir le virus en latence profonde ciblent ces protéines pour bloquer la transcription virale. De ce fait, les étapes de la transcription ainsi que les facteurs cellulaires et viraux impliqués sont actuellement à l’étude. La transcription des gènes du VIH se divise en trois étapes majeures : l’initiation, la pause de la Pol II et l’élongation de la transcription.

Initiation de la transcription

Lors de l’étape d’initiation, afin de permettre la transcription de l’ARNm viral et de produire de nouveaux virions, l’ADN viral va utiliser le matériel de réplication cellulaire, dont les protéines permettant le recrutement de Pol II au site d’initiation de la transcription à la position +1. Cette étape, nommée pré-initiation de la transcription, fait intervenir les protéines du PIC et débute par l’appariement de la protéine TBP à la région TATA dans le sillon mineur de l’ADN en position -25 à -28 pb avant le site d’initiation de la transcription (TSS, Transcription Start Site) [65] dans la région TASHET. De plus, les protéines Sp1 favorisent le transport de TBP au promoteur grâce à la région riche englutamine de la protéine [66]. Une fois liée, la protéine TBP va replier l’ADN de 80, ce qui favorise le recrutement des facteurs de transcription [65, 67]. Suite à cet événement, TFIID va être recruté et se lier à TBP, ce qui entraîne le recrutement des futurs TF [68]. Ensuite, le facteur TFIIA se lie en amont de la boîte TATA permettant une stabilisation du complexe ADN-TBP-TFIID et agissant en tant qu’inhibiteur des répresseurs de TFIIB [69, 70]. Le facteur TFIIB est ensuite recruté et se lie sur l’ADN en amont et en aval du complexe protéique [70]. Une fois stabilisé, il va permettre le recrutement de Pol II. Par la suite, TFIIF se lie au promoteur et joue un rôle stabilisant pour le complexe [71]. Suivant cela, TFIIE va se lier au promoteur favorisant le recrutement de TFIIH (figure 2A), ce qui va compléter le PIC qui a pour rôle d’ouvrir la double hélice de l’ADN et de créer une bulle de transcription [72-74]. Pour commencer la transcription, TFIIH va phosphoryler le domaine C-terminal (CTD) de la Pol II, ce qui l’amène à quitter le promoteur et à amorcer la transcription qui peut avorter [75]. En effet, il arrive souvent que la transcription ne soit pas immédiatement productive, car l’association rapide des facteurs négatifs de la transcription NELF (Negative Elongation Factor) et DSIF (DRB Sensitivity Inducing Factor) à la Pol II provoque une pause de l’enzyme [76].

La pause de la Pol II

Lors de la pause, l’association rapide de NELF et DSIF à la Pol II empêche le passage à la phase d’élongation de la transcription. Sous leur forme non-phosphorylée, NELF et DSIF inhibent la progression de la polymérase sur l’ADN (figure 2B). DSIF s’attache à la Pol II en cinq points, soit en position 5’ de l’ADN et à l’ARN naissant en formant des pinces qui empêchent la Pol II de continuer la transcription [77]. NELF s’attache à la Pol II à côté du site d’entrée de l’ADN, et, avec ses deux régions « tentacules », elle contacte DSIF pour stabiliser l’interaction DSIF-Pol II [76]. Pour que la transcription puisse continuer, NELF et DSIF ont besoin d’être phosphorylées par le complexe PTEFb (positive transcription elongation factor b) actif [78]. P-TEFb est composé de la Cycline T1 (CycT1), qui est sa sous-unité régulatrice, et de la kinase dépendante de la cycline 9 (CDK9, cyclin dependent kinase 9), sa sousunité catalytique. Ce complexe dimérique existe sous deux formes dans la cellule, la forme active et la forme inactive. La forme inactive est associée au complexe ribonucléoprotéique 7SK snRNP. 7SK snRNP est composé de l’ARN 7SK ainsi que des protéines HEXIM1/2 (HMBA inductible proteins 1/2), LARP7 (La-related protein 7) et MePCE (Methylphosphate capping enzyme). P-TEFb est séquestré par le complexe 7SK snRNP (small nuclear ribonucleoprotein) du fait de l’interaction de la CycT1 avec HEXIM1/2 (figure 3A) [79]. Cette interaction inhibe l’activité enzymatique de P-TEFb [79, 80]. La forme inactive de P-TEFb au sein du complexe 7SK-snRNP peut également être associée à CTIP2 et HMGA1. En effet, CTIP2 peut interagir avec HEXIM1 et inhiber l’activité kinase de CDK9 [81]. Cette régulation négative de P-TEFb par CTIP2 est importante pour le maintien du réservoir latent microglial [50].

P-TEFb peut être recruté de différentes manières au niveau du promoteur viral. Sous sa forme inactive, le complexe PTEFb associé à 7SK-snRNP occupe le promoteur latent du VIH aux alentours du TSS [81, 82], où il pourrait être recruté par KAP1 (KRAB-associated protein-1) ou HMGA1 (High Mobility Group A1) [83, 84]. En effet, HMGA1 peut interagir avec la protéine cellulaire CTIP2 associée au complexe P-TEFb-7SK-snRNP [85]. Dans le cas de la transcription basale, le complexe P-TEFb actif est apporté au promoteur par NF-κB, qui se lie lui-même à des séquences consensus présentes en amont des régions Sp1 [86].

Le recrutement de P-TEFb actif au niveau du promoteur viral va provoquer la phosphorylation de la Serine 2 des répétitions heptades de la queue CTD de la Pol II, une modification associée à la phase d’élongation de la transcription [87]. CDK9 va également phosphoryler les régulateurs négatifs DSIF et NELF [88]. La phosphorylation de NELF par CDK9 cause sa dissociation de la Pol II, mais la phosphorylation de DSIF induit un changement de conformation changeant DSIF en un facteur positif de transcription (figure 2A) [78]. L’ensemble de ces phosphorylations par CDK9 augmente la capacité processive de la Pol II et permet la transition vers l’étape d’élongation (figure 3B).

Finalement, il est important de noter que si la pause de la Pol II est souvent considérée comme une étape systématique de la transcription du VIH, une étude récente suggère que cet événement survient en réalité de manière stochastique [89].

Rôle de Tat dans la transcription

P-TEFb peut également être recruté lors de la transactivation par Tat du promoteur viral, ce qui amène à un niveau de transcription plus élevé. En effet, la protéine virale Tat augmente considérablement le recrutement de la forme active de P-TEFb au niveau du promoteur du VIH (figure 3A). La Pol II, recrutée au niveau du promoteur du VIH, transcrit la région +1 à +59 du génome viral, correspondant à l’ARN TAR (trans-activation response) [90, 91]. L’ARN TAR est un ARN conservé en forme de tige possédant un renflement (+22 à +24 nucléotides (nt)) et une boucle (+29 et 33nt) [92]. La région riche en arginine de la protéine virale Tat permet son interaction avec l’ARN TAR au niveau du renflement, tandis que sa région cœur riche en lysines se lie à la protéine CycT1, elle-même liée à CDK9 et formant P-TEFb. Ces interactions amènent au recrutement de Tat et P-TEFb au niveau du promoteur viral (figure 3A) [93, 94].

De plus, P-TEFb va interagir avec la protéine cellulaire AFF1/4 (AF4/FMR2 family member 1/4), qui forme un complexe avec les protéines ELL2 (elongation factor for RNA polymerase II 2), ENL (eleven nineteen leukemia) et AF9 (ALL1-fused gene from chromosome 9) (figure 3B) [95]. Ce complexe est appelé complexe de super élongation (SEC), il permet de garder les ARNm transcrits en alignement avec le site catalytique de la Pol II, l’empêchant ainsi de reculer [96]. Cela va permettre l’élongation de la transcription des gènes viraux.

Le recrutement du complexe P-TEFb par Tat permet donc l’induction de modifications post-traductionnelles menant à la sortie de la pause de la polymérase, ainsi que le recrutement de protéines qui vont participer à l’élongation de la transcription [93, 94]. La forme active de P-TEFb est le complexe protéique seul ou associé à des facteurs de transcription tels que Brd4 (Bromodomain-containing protein 4) ou le SEC [97]. En présence de Tat, la protéine virale va entrer en compétition avec HEXIM1/2 pour la liaison de CycT1. L’affinité de cette dernière pour Tat étant plus forte que pour HEXIM1/2, P-TEFb va être recruté au niveau du promoteur viral (figure 3A) [93, 94]. Tat peut être recruté au promoteur du VIH sans que l’ARN TAR soit transcrit, mais déplace la forme inactive du complexe 7SK snRNP lors de sa liaison avec l’ARN TAR nouvellement transcrit, favorisant la forme active de P-TEFb pour la phosphorylation la queue CTD de la Pol II [98].

Ce mécanisme de recrutement par Tat de la forme active de P-TEFb au niveau du promoteur viral peut être perturbé par des protéines cellulaires, ce qui va empêcher la transactivation du promoteur viral et favoriser la latence. Par exemple, HMGA1 peut entrer en compétition avec Tat pour la liaison de l’ARN TAR, ce qui influence négativement la transcription [99]. Dans les cellules de la lignée myéloïde, la protéine cellulaire KAP1 peut également promouvoir la dégradation de Tat par le protéasome, ce qui inhibe la transcription virale [100].

En résumé, la protéine virale Tat participe à la transactivation du promoteur du VIH, une étape essentielle à l’expression des gènes viraux. De plus, elle est impliquée dans l’établissement de la latence du VIH, puisque les niveaux d’expression de la protéine vont influencer l’entrée ou la sortie de la latence du virus. En effet, dans les cellules infectées par un virus latent, les niveaux de Tat sont plus faibles que dans les cellules infectées par un virus productif [101] et la surexpression de Tat dans ces cellules mène à la réactivation du virus latent [102-104]. Pour ces raisons, cette protéine est beaucoup étudiée pour bloquer et verrouiller le virus dans une forme de latence profonde. À ce jour, plusieurs molécules sont à l’étude pour interférer avec la transactivation par Tat.

Induction de la latence profonde

Plusieurs stratégies sont envisagées pour prévenir la transactivation du VIH par Tat. Certaines molécules visent à empêcher l’assemblage du complexe TAR-Tat-P-TEFb en interférant avec la liaison de Tat à TAR ou de Tat à CycT1 alors que d’autres composés ciblent la protéine virale Tat de manière plus spécifique. Les molécules citées dans cette partie ainsi que leur mode d’action sont résumées dans le tableau 1.

Cibler l’assemblage de TAR-TatP-TEFb

On peut cibler l’assemblage du complexe TAR-Tat-P-TEFb en inhibant l’interaction de Tat et de l’ARN TAR ou en inhibant celle entre Tat et P-TEFb. Tout d’abord, nous allons présenter les méthodes récentes envisagées pour perturber l’interaction Tat-TAR. Puis, nous présenterons les molécules développées actuellement pour prévenir l’interaction Tat-P-TEFb.

La didéhydrocortistatine A (dCA) est un analogue de la cortistatine A. En 2012, l’équipe de Susana Valente a mis en évidence que cette molécule inhibe la réplication et l’activation du VIH dans des cellules humaines en empêchant l’interaction entre Tat et TAR [105]. Par la suite, les auteurs ont démontré que la dCA interagit directement avec Tat en liant sa région basique, ce qui entraîne une compétition avec l’ARN TAR pour ce site d’interaction (figure 4A) [106]. L’incubation des cellules avec un traitement antirétroviral combiné à de la dCA mène également à des modifications épigénétiques dans le génome du VIH, ce qui diminue son taux de réplication et prévient sa réactivation par des LRA. En effet, en comparant des cellules qui ont subi un traitement antirétroviral combiné à de la dCA et des cellules qui ont rec¸u uniquement des molécules antirétrovirales, on observe chez les premières une diminution de l’occupation de la Pol II au niveau du promoteur et dans l’ensemble du génome des provirus intégrés dans les cellules [107]. Ces résultats sont associés à une augmentation de la formation de l’hétérochromatine et à une diminution des marqueurs épigénétiques de transcription active au niveau du promoteur du VIH [107].

L’impact de la dCA sur le rebond viral observé à la suite de l’interruption des traitements a ensuite été testé in vivo dans des modèles de souris humanisées infectées par le VIH. Dans cette étude, la prise de dCA retarde le rebond viral de neuf jours en moyenne [107]. La dCA est donc un candidat prometteur pour établir des stratégies de blocage et verrouillage, cependant elle n’a pas encore été testée en essais cliniques. De plus, des études in vitro suggèrent que le traitement de lignées cellulaires à long terme avec la dCA pourrait engendrer des mutations dans le génome viral qui conféreraient une résistance à ce dernier [109]. Les variants résultant de ces mutations ont une transcription basale augmentée, associée à un plus grand recrutement de la Pol II sur le génome proviral. Cette expression plus élevée des gènes viraux provoque néanmoins une reconnaissance accrue des cellules infectées par les lymphocytes T cytotoxiques in vitro.

Des études in vivo sur une plus longue période sont donc nécessaires afin d’évaluer l’impact du traitement à long terme de la dCA. Dans une étude de 2019, la dCA inhibe la réplication du virus de l’immunodéficience simienne (SIV) in vitro de la même fac¸on que sur le VIH, en bloquant l’interaction entre Tat et TAR [110]. Ces résultats pourraient permettre de tester la dCA en étude préclinique dans un modèle simien.

Récemment, une étude a mis en évidence une méthode chimique qui pourrait permettre de développer de nouveaux inhibiteurs de l’interaction Tat-TAR. Dans cet article, les auteurs ont incubé l’ARN TAR portant une étiquette biotine avec des blocs alkynes et azides en construction [111]. Ces blocs ont subi un processus de cycloaddition, une réaction chimique menant à la formation d’un triazole, une molécule stable en condition de stress réductif ou oxydatif ainsi que d’hydrolyse acide ou basique. Une chromatographie d’affinité, utilisant des billes magnétiques recouvertes de streptavidine qui reconnait l’étiquette biotine de l’ARN TAR, a ensuite permis de séparer les triazoles capables d’interagir avec l’ARN TAR. Les différentes molécules obtenues ont ensuite été testées pour leur capacité à inhiber la liaison de Tat à l’ARN TAR et deux des trois produits obtenus étaient capables de prévenir la liaison in vitro (figure 4A) [111]. En outre, ces molécules avaient une spécificité de liaison à l’ARN TAR. Des études plus approfondies sont nécessaires pour évaluer l’impact de ces inhibiteurs sur la transcription virale.

Ces deux stratégies, le traitement à la dCA ainsi que la création d’inhibiteurs de l’interaction Tat-TAR par cycloaddition, représentent les progrès récents effectués pour perturber l’interaction Tat-TAR. À présent, nous allons présenter les méthodes développées pour inhiber l’interaction Tat-P-TEFb.

HT1 est une protéine chimère composée des acides aminés 150-220 de HEXIM1 et du domaine arginine de Tat [112]. Elle agit comme un peptide dominant négatif de la protéine HEXIM1 et entraîne une diminution de la transactivation par Tat de la Pol II en entrant en compétition avec Tat pour la liaison de P-TEFb et en inhibant l’activité kinase de CDK9 (figure 4A). Le résultat est une diminution de la formation et de la disponibilité de ce complexe essentiel à la transactivation pour le virus. L’expression stable de HT1 dans des lignées cellulaires infectées par le VIH inhibe la réplication et la réactivation du virus à la suite de la stimulation par des LRA [112].

Il existe également une molécule dominante négative de la protéine cellulaire CycT1, il s’agit de CycT1U7. L’identification des groupes d’acides aminés les plus conservés dans la partie N-terminale de CycT1, qui est la partie requise pour la transactivation, ainsi que l’introduction de mutations dans ces séquences a permis la production de protéines. L’impact de ces protéines sur l’expression des gènes viraux a permis de sélectionner CycT1-U7 qui a un impact négatif sur la transcription. In vitro, ce traitement entraîne une diminution de la transactivation du promoteur viral, ainsi qu’une dégradation de la protéine virale Tat [113]. Les auteurs ont émis l’hypothèse que CycT1-U7 forme un complexe avec Tat, ce qui va déclencher sa dégradation par le protéasome puisque l’incubation des cellules avec un inhibiteur du protéasome rétablit les niveaux de Tat dans la cellule (figure 4A).

Cibler Tat

D’autres stratégies d’induction de la latence profonde ciblent uniquement la protéine virale Tat, telle que la protéine Tat nullbasic ou le triptolide.

La protéine Tat nullbasic est un mutant de la protéine Tat-BH10 dans laquelle les acides aminés de la région riche en arginine ont été remplacés par des résidus glycines et alanines [114]. In vitro, cette protéine est capable d’inhiber la transactivation du promoteur du VIH par Tat (figure 4 A). L’expression stable de la protéine Tat nullbasic dans des cellules Jurkat infectées avec un virus pseudotypé du VIH permet d’inhiber la réplication virale et de prévenir la réactivation du provirus induite par un LRA [114]. Au niveau du promoteur viral, le traitement induit une diminution de l’occupation de la Pol II et une diminution des marques épigénétiques liées à une région de transcription active telle que H3K9ac. De plus, il n’a pas d’effet sur les gènes cellulaires, ce qui démontre sa spécificité [115].

Testé in vivo en pré-ou post-infection dans des souris NSG (NOD Scid Gamma) reconstituées avec de la moelle osseuse humaine préalablement infectée avec le VIH, le traitement avec la protéine Tat nullbasic entraîne une diminution des ARNm viraux ainsi qu’une augmentation des niveaux de cellules T CD4+ par rapport au traitement contrôle [116].

Si ces données sont prometteuses, des données plus approfondies sur l’impact de ce traitement sur la santé des souris sont nécessaires. En effet, l’expression et la sécrétion de la protéine virale Tat par les cellules infectées est associée à une hyperactivation immune [117] ainsi qu’à l’apoptose des cellules non infectées avoisinantes [118], notamment des lymphocytes T [119]. Tat est également une protéine neurotoxique [120] capable de traverser la barrière hémato-encéphalique [121]. Cette perméabilité est associée à des dommages dans les tissus cérébraux [122], du fait de l’induction de la production de cytokines [122, 123] et de l’augmentation de l’expression de la synthase d’oxyde nitrique inductible [122, 124].

L’utilisation de Tat nullbasic pose également un autre défi, la livraison de la molécule aux cellules infectées. Dans l’étude in vivo, Tat nullbasic est introduit dans les cellules T CD4+ primaires humaines par transduction, puis les cellules sont infectées avec le VIH et finalement greffées à des souris NSG [116]. La possibilité d’utiliser des nanoparticules pour administrer la molécule chez les patients est notamment étudiée [116].

Il est également possible de cibler la protéine virale Tat avec le triptolide, un dipertenoid epoxide isolé de Tripterygium wilfordii Hoof F. Un criblage de plus de 200 composés naturels purifiés, dont le but était d’évaluer leur impact sur la réplication du virus pseudotypé du VIH in vitro, a permis d’identifier cette molécule [125]. À faible concentration, le triptolide réduit l’expression des gènes viraux sans affecter la viabilité de lignées cellulaires et de cellules primaires infectées. Le triptolide peut reconnaître la région N-terminale de Tat, ce qui va occasionner la dégradation de la protéine virale par le protéasome (figure 4A).

La dégradation de Tat va empêcher la transactivation du promoteur du VIH et la transcription virale sera donc diminuée [125].

Le triptolide est un candidat intéressant, néanmoins il ne peut pas encore être utilisé en essai clinique à cause de sa toxicité. En effet, des études in vivo dans différents modèles animaux ont mis en évidence une cytotoxicité du triptolide au niveau du foie [125], des reins [127], et du système reproductif [128]. Des solutions sont envisagées afin de diminuer cette toxicité, notamment celle de modifier la structure chimique du produit ou de combiner le triptolide avec d’autres traitements. Toutefois, ces solutions n’ont pas encore été testées dans le cadre d’études visant à cibler le VIH et la protéine virale Tat.

En résumé, puisqu’elle est très importante à la transcription et la réplication du VIH, beaucoup de stratégies pour bloquer et verrouiller le virus ciblent des mécanismes en lien avec la protéine virale Tat. Cependant, d’autres approches indépendantes de cette protéine sont aussi en développement. Il est notamment envisagé de perturber les étapes de la transcription telles que l’initiation et l’élongation en ciblant les protéines cellulaires impliquées dans ces phases.

Cibler l’initiation de la transcription

La spironolactone est un inhibiteur potentiel de l’initiation de la transcription des gènes du VIH [129]. La spironolactone est un bloqueur d’androgène également connu comme inhibiteur de TFIIH, un facteur impliqué dans l’initiation de la transcription. Cette molécule induit la dégradation rapide et réversible de la sous-unité XPB de TFIIH par le protéasome (figure 4A) [130]. In vitro, le traitement à la spironolactone entraîne une diminution de la transcription du VIH dépendante de Tat dans des lignées de cellules T CD4+ [129]. Cette molécule permet en outre de prévenir la réactivation du virus latent induite par des LRA dans des lignées de cellules T CD4+ ainsi que dans des cellules T CD4+ primaires. Cependant, le traitement à long terme des cellules avec la spironolactone n’empêche pas le rebond viral observé à la suite de l’interruption des traitements antirétroviraux [131].

Cibler l’élongation de la transcription

En ce qui concerne l’élongation de la transcription, il est possible d’inhiber l’activité de la kinase CDK9 avec des flavones synthétiques ou des inhibiteurs de CDK9 tels que le flavopiridol ou l’atuveciclib (figure 4A). In vitro, ces deux molécules suppriment la réplication du VIH dans des cellules mononucléées du sang humain et préviennent la réactivation virale induite par des LRA [132]. Elles permettent également de retarder le rebond viral observé suite à l’arrêt des traitements antirétroviraux. Des études plus approfondies sont requises pour évaluer l’effet de ces molécules sur la réplication virale in vivo, ainsi que leur toxicité. La curaxine ou CBL0100 pourrait aussi bloquer l’élongation de la transcription [133]. CBL0100 est un inhibiteur du complexe FACT (FAcilitate Chromatin Transcription), un complexe protéique assurant des marques épigénétiques associées à la décompaction de la chromatine. CBL0100 diminue l’occupation de ce complexe et de la Pol II au niveau du promoteur du VIH, ce qui entraîne une diminution de la transcription virale (figure 4B). Cette molécule permet in vitro de réduire la réplication du VIH dans des cellules primaires, ainsi que d’inhiber la réactivation du provirus dans des lignées de cellules latentes traitées avec des LRA [133].

Finalement, la petite molécule Q308 conduit à la dégradation de FACT et de Tat par le protéasome (figure 4B) [134]. Tout comme CBL0100, Q308 inhibe la transcription des gènes du VIH ainsi que la réactivation du virus in vitro et mène à une diminution de l’occupation de FACT et de la Pol II au niveau du promoteur viral. De plus, cette molécule provoque, in vitro, une apoptose préférentielle des lignées cellulaires avec une infection chronique du VIH, ce qui suggère qu’elle pourrait permettre de diminuer la taille du réservoir viral [134]. Des études in vivo sont cependant nécessaires pour évaluer l’effet véritable de Q308 sur la latence et le réservoir viral.

Cibler d’autres facteurs de transcription

Si les molécules citées précédemment sont destinées à perturber la transcription dépendante de Tat, il est possible d’intervenir sur la transcription impliquant d’autres facteurs. Par exemple, la bengamide A est un inhibiteur de la signalisation par NF-κB (figure 4B) [135]. Un criblage de plus de 250 composés issus d’invertébrés et de microorganismes marins a mis en évidence l’effet inhibiteur de cette molécule sur la transcription des gènes du VIH. En effet, le traitement de cellules infectées par un virus pseudotypé du VIH-1 avec de la bengamide A diminue l’expression des gènes viraux d’une manière dépendante de NF-κB [136]. In vitro, cette molécule n’exhibe pas d’effet cytotoxique sur les cellules, cependant des analyses in vivo seront nécessaires pour appréhender l’impact de la bengamide A sur l’expression des gènes du VIH ainsi que ses effets secondaires potentiels.

Cibler la maturation des ARNm

De même que la transcription, la maturation des ARN messagers viraux est une cible potentielle pour maintenir le virus en latence. En effet, la molécule ABX464, développée à partir du dérivé indole IDC16, possède une activité antivirale, associée à un rôle de modulateur de l’épissage (figure 4C) [137,138]. Le potentiel antiviral de ABX464 a été testé dans des cellules mononucléées du sang humain issues de personnes saines, qui ont ensuite été infectées avec des virus pseudotypés du VIH issus de différentes souches virales [138]. Cette étude a permis de démontrer que ABX464 engendre une diminution de la réplication du VIH dans des cellules primaires. Cette diminution est dépendante de la dose, elle est efficace sur plusieurs souches virales et il n’y a pas d’apparition de résistance au traitement jusqu’à 24 semaines à partir du début. De plus, les auteurs ont montré que ABX464 n’est pas génotoxique. Le mécanisme d’action de ABX464 a montré que cette molécule favorise les phénomènes d’épissage ce qui diminue la disponibilité des ARNm viraux de pleine taille requis pour l’encapsidation et la formation de virions [139]. L’action de ABX464 est spécifique aux ARNm viraux et il n’y a pas de conséquences sur l’épissage cellulaire [140]. Testée in vivo, cette molécule permet, dans des modèles de souris humanisées infectées avec le VIH, de réduire la charge virale et de ralentir le rebond viral suite à l’interruption des traitements [139].

Les résultats d’un essai clinique de phase IIa sur des patients sous traitement antirétroviral avec une charge virale supprimée ayant rec¸u une dose journalière de ABX464 pendant un mois ont montré une diminution de l’ADN total et de l’initiation de la transcription, mais aucune différence significative concernant les ARN polyadénylés et les ARN épissés [141].

Cibler le promoteur viral

Finalement, il est possible de cibler le promoteur viral par interférence à l’ARN à l’aide de petits ARN interférents (siRNA pour small interfering RNA). Deux siRNA ciblant les motifs NF-κB en tandem dans le promoteur du VIH, nommés siProm-A et si143, permettent de réduire la transcription virale (figure 4B) [142, 143]. Ces siRNAs agissent en augmentant le recrutement des protéines Argonaute-1 et HDAC1 et favorisent la formation de l’hétérochromatine, ce qui mène à une diminution de l’expression des gènes viraux [142-144].

À ce jour, ces molécules n’ont pas été testées in vivo, il est donc difficile d’évaluer leur potentiel en tant que traitement antiviral. Le défi actuel est de trouver un moyen d’acheminer ces siRNAs dans l’organisme et plusieurs stratégies sont analysées en essais cliniques [145, 146].

Futurs développements

Pour conclure, les stratégies de blocage et verrouillage sont encore à l’étude et des analyses à long terme, en essai clinique, de leur impact sur la réplication virale seront nécessaires pour évaluer leur potentiel thérapeutique. Ces stratégies sont néanmoins prometteuses, et de nouvelles cibles thérapeutiques sont identifiées régulièrement, ce qui permettra de développer d’autres molécules pour bloquer et verrouiller le VIH dans un état latent.

Conclusion

En résumé, de nombreuses molécules sont actuellement à l’étude pour développer la stratégie de blocage et verrouillage. Qu’elles ciblent Tat ou les autres protéines requises pour l’expression des gènes viraux, l’identification des mécanismes et des protéines impliqués dans la transcription des gènes du VIH a permis leur développement. Ces études sont d’autant plus importantes que les résultats d’essais cliniques de molécules associées aux stratégies de réactivation et élimination se sont révélés décevants. Les études actuelles ainsi que des revues publiées récemment sont le reflet d’un intérêt grandissant pour le développement de l’approche de blocage et verrouillage, intérêt partagé par notre laboratoire.

L’avantage principal de la stratégie de blocage et verrouillage serait la possibilité d’espacer les traitements, contrairement aux antirétroviraux actuels qui nécessitent une prise quotidienne, puisque le but des molécules développées pour cette stratégie est de contenir le rebond viral à plus long terme. Par exemple, testée in vivo, la dCA permet de retarder le rebond viral jusqu’à 19 jours après l’interruption des traitements [108]. C’est un avantage non négligeable, puisque la contrainte actuelle de prendre les antirétroviraux chaque jour, parfois plusieurs fois par jour, affecte l’assiduité des patients à ce traitement [147]. Une stratégie pour bloquer et verrouiller le VIH pourrait donc être considérée comme une rémission, plutôt qu’une guérison définitive, si elle permettait d’améliorer la qualité de vie des patients en prolongeant le temps entre les traitements de quelques mois. Idéalement, cette approche permettrait une guérison fonctionnelle, mais actuellement, sa faisabilité n’a pas été testée dans des essais cliniques. Or, le fait que 8 % du génome humain soit constitué de séquences de rétrovirus endogènes dont l’expression est éteinte ou régulée par la cellule [148] suggère que la cellule est dotée de mécanismes pouvant réprimer l’expression des rétrovirus. De ce fait, la recherche de nouvelles molécules pouvant induire un état de latence profonde du VIH a une haute valeur stratégique dans la quête d’une guérison du VIH.

Malgré ses avantages et les progrès effectués au cours des dernières années, l’approche blocage et verrouillage présente quelques défis. Ces défis sont notamment liés à l’hétérogénéité et à l’étendue du réservoir viral, mises en évidence lors des essais menés pour la stratégie réactivation et élimination [149]. En effet, on peut se demander s’il sera possible de cibler spécifiquement les cellules infectées avec un virus latent avec ces molécules sans affecter les cellules avoisinantes. Cette considération est moindre pour les approches ciblant des facteurs spécifiques au virus comme Tat, mais est particulièrement importante en ce qui concerne les molécules développées pour cibler CDK9, CycT1 ou NF-κB. Puisque ces protéines sont impliquées dans des voies de signalisation cellulaire, il existe un risque de perturber l’équilibre des cellules et d’entraîner des effets secondaires. Pour limiter ces effets secondaires, il faudra se concentrer sur des facteurs qui contrôlent l’expression, mais dont la fonction n’est pas essentielle pour la viabilité des cellules infectées. Une compréhension approfondie des mécanismes régissant la transcription reste une priorité pour pouvoir identifier des petites molécules capables de bloquer l’expression du VIH avec une spécificité qui permettra une application clinique. Plusieurs équipes, dont la nôtre, travaillent actuellement en ce sens.

Finalement, l’utilisation de ces molécules en thérapie nécessitera un suivi méticuleux de l’état verrouillé du virus. La surveillance de l’état dormant et du réservoir viral pourrait être effectuée grâce à des techniques développées récemment appelées DNA et RNAscope, qui permettent de détecter l’ADN intégré ainsi que l’ARN par hybridation in situ avec une résolution cellulaire [12, 150]. Ces technologies, combinées à une mesure régulière de la charge virale [151], pourraient permettre de suivre le réservoir viral et d’évaluer le risque de rebond.

Remerciements. La recherche sur une guérison du VIH dans notre laboratoire a été soutenue par une subvention des Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC). Nous remercions le programme « RNA Innovation » pour une bourse de doctorat octroyée à M. Da Rocha et le Conseil de recherche national (CRSNG) pour une bourse recherche du 1er cycle octroyée à B. Bonham. Nous voulons remercier Smart-Servier (https://smart.servier.com) et brgfx/Freepik (https://www.freepik.com) pour les ressources graphiques qui ont permis de monter et créer nos figures.

L’accès libre de cette revue est financé par le réseau SIDA & Maladies infectieuses du Fonds de recherche du Québec en santé.

Liens d’intérêt : Les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt en rapport avec cet article.