JLE

Sang Thrombose Vaisseaux

MENU

Traitement endovasculaire des ulcères hémorragiques Volume 31, numéro 2, Mars-Avril 2019

Illustrations


  • Figure 1

  • Figure 2

  • Figure 3

  • Figure 4

  • Figure 5

  • Figure 6

Les hémorragies digestives hautes sont une pathologie fréquente et grave. La cause de loin la plus fréquente est l’ulcère gastro-duodénal par érosion d’une artère de la paroi gastrique ou duodénale.

La prise en charge des ulcères hémorragiques est principalement endoscopique. Cependant, en cas d’échec du traitement endoscopique, le radiologue joue un double rôle diagnostique grâce au scanner et thérapeutique grâce à l’embolisation artérielle.

Nous décrivons ici le cas d’une patiente ayant une hémorragie non extériorisée par rupture rétro-duodénale d’un faux anévrisme d’une branche de l’artère gastro-duodénale, induit par un ulcère de la face postérieure du bulbe.

Observation

Mme P., âgée de 84 ans, consulte aux urgences pour douleurs de l’hypochondre droit, sans fièvre. La patiente est notamment traitée par corticothérapie pour pseudo-polyarthrite rhizomélique et anticoagulation orale pour arythmie complète par fibrillation auriculaire. On note également un antécédent de cholécystectomie, il y a neuf ans, pour lithiase vésiculaire. La tension artérielle est à 100/60 mmHg et la fréquence cardiaque, irrégulière, aux environs de 95 battements/minute.

Une échographie abdominale est réalisée en première intention devant la suspicion de calculs résiduels de la voie biliaire principale. Le radiologue détecte un épanchement échogène de l’hypochondre droit et une hétérogénéité de la région duodénale pouvant évoquer un pneumopéritoine ou une infiltration liquidienne. Devant la suspicion d’ulcère perforé, un scanner abdomino-pelvien est alors réalisé en urgence et permet de détecter un faux anévrisme artériel rétro-duodénal rompu, avec extravasation de contraste, associé à un hémopéritoine (figure 1). Les reformatages coronaux et la sommation de plusieurs images en maximum intensity projection (MIP) permettent de repérer l’artère en cause, qui est une arcade duodéno-pancréatique faisant communiquer l’artère gastro-duodénale et l’artère mésentérique supérieure (figure 2).

Une artériographie est réalisée dans les suites immédiates du scanner, confirmant le diagnostic de faux anévrisme d’une arcade duodéno-pancréatique, et que l’artère gastro-duodénale puis l’artère gastro-épiploïque droite sont normales (figure 3). Une embolisation par coils est donc réalisée de part et d’autre du faux anévrisme, c’est-à-dire dans la portion supérieure de l’arcade, branche naissante de l’artère gastro-duodénale, et dans la portion inférieure de l’arcade via l’artère mésentérique supérieure. Une embolisation du faux anévrisme lui-même est réalisée dans le même temps (figure 3).

La patiente est hospitalisée et surveillée quelques jours en unité de soins intensifs. Le scanner de contrôle réalisé à J4 post-embolisation montre le traitement complet du faux anévrisme et la diminution de l’hématome rétro-duodénal, comparativement au scanner initial (figure 4). De plus, la position des coils est concordante entre la série angiographique finale du jour du traitement et les reformatages coronaux en MIP de ce scanner (figure 5).

Discussion

Généralités

Les hémorragies digestives sont fréquentes, potentiellement graves, de pronostic variable et de présentation hétérogène.

L’hémorragie peut être extériorisée (hématémèse, rectorragie, méléna) ou non (anémie chronique, état de choc), aiguë ou chronique, de faible abondance à cataclysmique.

Les causes d’hémorragie digestive sont très variées et l’algorithme décisionnel dépend de la sévérité et de la topographie du saignement [1].

On les classe schématiquement en hémorragies digestives hautes ou basses en fonction de l’origine du saignement, en amont ou en aval de l’angle duodéno-jéjunal (angle de Treitz).

Les hémorragies hautes représentent 80 % des hémorragies digestives, ont une incidence de 1,5/1 000 habitants par an en France, avec un taux de mortalité globale de 5 à 10 %. Les deux causes les plus fréquentes sont l’ulcère gastro-duodénal (50 %) et les complications de l’hypertension portale (30 %). Viennent ensuite les tumeurs, le syndrome de Mallory-Weiss, les gastrites, les œsophagites, les malformations artérioveineuses et les fistules aorto-duodénales.

Il convient en première intention de classer la gravité de l’hémorragie devant des paramètres cliniques (âge, comorbidités, tension artérielle, fréquence cardiaque) et biologiques (urée, hémoglobine). En fonction de la gravité, une fibroscopie œsogastro-duodénale doit être réalisée soit en urgence, soit dans les 24 heures. Elle a pour but de faire le diagnostic étiologique, de traiter le patient (sclérose de ou clips sur l’artère lésée en cas d’ulcère ou ligature de varice oesogastrique), mais également d’établir un pronostic de récidive hémorragique à partir de la classification de Forrest.

Technique et intérêt du scanner

En cas d’échec de l’endoscopie (hémorragie massive, récidive du saignement, traitement incomplet), l’artériographie peut être réalisée d’emblée et le scanner n’est pas obligatoire, bien que vivement conseillé, car permet d’anticiper le geste et de réduire le temps de procédure.

En cas d’hémorragie sévère non extériorisée (cas de notre patiente), de cause non identifiée, de contexte postopératoire ou de pancréatite aiguë, la réalisation d’un scanner est indispensable pour le diagnostic étiologique et choisir le traitement [2].

La technique de réalisation du scanner doit être rigoureuse. En particulier, quatre acquisitions successives doivent être réalisées : sans injection, puis temps artériel, néphrographique et tardif, respectivement 35, 90 et 180 secondes après l’injection de produit de contraste iodé. La phase sans injection sert à repérer un élément dense ou un hématome. La phase artérielle sert surtout à établir une cartographie de l’anatomie artérielle du patient. La phase néphrographique est la phase du rehaussement des parenchymes mais aussi de l’extravasation du produit de contraste, qui ne peut être dépistée parfois que sur la phase tardive en raison du vasospasme artériel physiologique lié à la lésion artérielle.

L’analyse du scanner comprend la lecture des images « natives », mais également des reconstructions multiplanaires et des images de sommation (MIP) [3].

Les signes scanographiques suivants doivent impérativement être recherchés en cas d’hémorragie digestive d’origine artérielle : extravasation de produit de contraste, faux anévrisme artériel, irrégularité de la paroi artérielle, hyperhémie paradoxale de la paroi digestive « en souffrance ». Dans près d’un cas sur deux, le scanner est négatif.

En cas d’ulcère hémorragique de traitement endoscopique incomplet et à scanner négatif (ou non réalisé), il est utile que le gastro-entérologue positionne un clip sur la zone hémorragique pour guider l’artériographie thérapeutique.

Anatomie vasculaire artérielle (figure 6)

Il est impératif de connaître l’anatomie artérielle du tube digestif pour comprendre la prise en charge angiographique des hémorragies digestives hautes. L’œsophage distal est vascularisé par l’artère gastrique gauche. Ensuite, trois arcades permettent de vasculariser respectivement la petite courbure gastrique (arcade gastrique), la grande courbure gastrique (arcade gastro-épiploïque) et le duodénum (arcade duodéno-pancréatique). L’artère gastro-duodénale se divise en artère gastro-épiploïque droite (s’anastomosant avec l’artère gastro-épiploïque gauche issue de l’artère splénique) et en artères pancréatico-duodénales antérieure et postérieure supérieures (s’anastomosant avec leurs homonymes inférieurs issus de l’artère mésentérique supérieure).

Ce réseau artériel richement anastomosé explique deux phénomènes classiquement retrouvés lors de la réalisation d’embolisations artérielles à ce niveau : un risque de nécrose faible, grâce au réseau de suppléance, et un risque élevé de récidive hémorragique en cas d’embolisation incomplète où toutes les artères en cause n’auraient pas été embolisées.

Traitement endovasculaire

Après une prise en charge réanimatoire et l’échec d’un traitement endoscopique bien conduit, le traitement des ulcères hémorragiques est endovasculaire et repose sur l’embolisation des branches issues de l’artère gastro-duodénale et de l’artère mésentérique supérieure, toujours guidée par un temps artériographique diagnostique.

Le matériel résorbable et les médicaments vasoconstricteurs n’ont plus leur place dans le traitement endovasculaire. La mise en place de coils, l’injection de particules non résorbables de 300 à 500 μm de diamètre ou de colle biologique sont possibles avec des taux de succès très satisfaisants. Le choix du matériel dépend des habitudes locales, mais l’utilisation de coils est la technique de référence et la plus fréquemment utilisée.

Après un abord classique fémoral commun droit et mise en place d’un introducteur 5F, le cathétérisme sélectif de l’artère gastro-duodénale puis de l’artère mésentérique supérieure est classiquement réalisé à l’aide d’une sonde Cobra 5F (Terumo). La potentielle tortuosité du tronc artériel principal et/ou la nécessité d’un cathétérisme distal rend souvent indispensable l’utilisation d’un micro-cathéter (par exemple de type Progreat 2.7F [Terumo] ou Maestro 2.8F [Merit]).

Les premières séries angiographiques réalisées permettent d’obtenir une cartographie « anatomique » et de repérer la ou les branches artérielles en cause.

La technique d’embolisation dite du sandwich est celle qui doit être privilégiée. Il s’agit d’emboliser « au plus près », en amont et en aval du site hémorragique, en raison des anastomoses nombreuses et des possibilités de reprise artérielle à contre-courant. Les séries angiographiques finales doivent montrer l’absence de saignement et de remplissage des artères embolisées, même sur les temps tardifs.

Le matériel est ensuite retiré sous compression manuelle, puis le patient est transféré en unité de soins continus pour surveillance.

Une revue de la littérature de 2010 détaille les résultats principaux de l’embolisation artérielle pour hémorragie digestive haute en rapport avec un ulcère gastrique ou duodénal [4]. Le taux de succès technique est de près de 90 %, avec obtention d’une hémostase immédiate dans 67 % (passant à 80 % en cas de seconde embolisation). La récidive précoce concerne près d’un tiers des cas (29 à 34 %). Il n’y a pas d’ischémie digestive rapportée. La mortalité est très variable en fonction des séries, en raison de l’hétérogénéité des populations incluses dans les études (comprise entre 3 et 25 %).

Par ailleurs, plusieurs études suggèrent, d’une part, que l’embolisation prophylactique de l’artère gastro-duodénale en cas de saignement non individualisé (ni en endoscopie, ni au scanner ou à l’artériographie) a un bénéfice clinique net comparativement à l’abstention thérapeutique et, d’autre part, que tout faux anévrisme, même asymptomatique et de découverte fortuite, doit être embolisé [5].

Conclusion

La pathologie ulcéreuse, première cause d’hémorragie digestive haute, représente environ 50 % des étiologies. La prise en charge initiale d’un ulcère hémorragique est basée sur l’évaluation clinico-biologique de la gravité de l’hémorragie. Le diagnostic étiologique et le traitement sont l’apanage de l’endoscopie haute. Cependant, en cas d’échec du traitement endoscopique et/ou d’hémorragie massive non extériorisée, le diagnostic est scanographique et le traitement endovasculaire. L’embolisation par coils, en utilisant la technique du sandwich (embolisation de l’amont et de l’aval), au plus près du site hémorragique, est la méthode la plus couramment utilisée avec des taux de succès élevés et des complications minimes.

Liens d’intérêts

les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt.

Licence Cette œuvre est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International