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Sciences sociales et santé

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Gérer l’incertitude dans la prévention génétique d’une maladie fréquente : décision médicale et thrombophilie à l’hôpital Volume 39, numéro 3, Septembre 2021

Auteurs
* Sociologue, Instituto de Políticas y Bienes Público (IPP), Consejo Superior de Investigaciones Científicas (CSIC), Calle de Albasanz, 26-28, 28037 Madrid, Espagne
** Sociologue et généticienne, Centre de Recherche, Médecine, Sciences, Santé, Santé Mentale, Société (CERMES3), INSERM U988, CNRS UMR8211, Université de Paris, École des Hautes Études en Sciences Sociales, Site CNRS, 7 rue Guy Moquet, 94800 Villejuif, France

Cet article s’intéresse à la façon dont les cliniciens intègrent les tests génétiques pour la prévention dans leur activité de routine hospitalière, à partir d’une étude du bilan de thrombophilie (TNR). Ces tests génétiques, utilisés pour la prévention de la maladie thromboembolique veineuse (MTVE), sont très répandus en dépit de recommandations de bonnes pratiques qui appellent à en limiter l’usage, en les subordonnant strictement à la clinique. Nous montrons que si la prévention de la MTEV génère des incertitudes classiquement associées à la prédiction clinique, la dimension génétique des tests complexifie la nature de ces incertitudes. Parce que les TNR caractérisent une anomalie biologique, elles peuvent être interprétées comme explication moléculaire de la survenue d’une MTEV, alors même que leur faible capacité à la prédire met à mal leur utilité clinique. Cette dualité ontologique des tests et la double affordance qui en résulte – à la fois facteur biologique permettant de proposer une cause moléculaire ET facteur de risque statistique permettant de chiffrer une probabilité de récidive faible – amplifient les incertitudes, à la fois plus fréquentes et plus inconfortables. L’investissement professionnel déployé pour appliquer les recommandations est particulièrement lourd. S’il mobilise le travail de collectifs cliniques, il intègre également une nouvelle division du travail avec l’émergence d’un groupe de cliniciens spécialistes, qui s’emploie à faire primer une alliance entre raison clinique et raison statistique sur une raison moléculaire. Ce surcroît d’investissement dans la régulation professionnelle témoigne du caractère exceptionnel de ces tests, au regard d’autres facteurs de risque non génétiques.